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Jusque dans les années 1780, le régime de scientificité sur lequel sont fondées les règles de légitimité des productions savantes et les normes de la validité de la « vérité » scientifique est défini par J.L. Chappey74 sous la notion de « science mondaine » (« un public choisi et restreint, les gentlemen ou les « hommes éclairés », archétypes des « hommes désintéressés » ; des lieux spécifiques, les « salons » ou les public rooms ; et des normes de légitimation particulière,la preuve « sensible » qui se déploie dans une « rhétorique scientifique » »). C’est une véritable transformation qui apparaît dans le monde des sciences à la période des années 1780 : l’agitation autour de la nomenclature chimique de Lavoisier ; l’introduction des méthodes de classification linnéenne en botanique ; la création de la Société Philomathique et de la Société linnéenne en 1788, puis de la Société Royale de Médecine ; la création en 1783 des Annales de chimie. La révolution rend par la suite la science plus populaire et ouvre les portes de l’Académie des sciences aux journalistes en 1837. Les vulgarisateurs diffusent leur science avec des feuilletons scientifiques dans les quotidiens, haranguent la population sur le Pont-Neuf à Paris… Les bibliothèques, les conférences, le théâtre, les kiosques de gare, l’Exposition Universelle, deviennent des outils privilégiés pour la diffusion des sciences. « Mais en fait, le plus grand succès de librairie au début du XVIIIe siècle n’est pas le livre de Fontenelle, ni même Manon Lescaut, mais bien le Spectacle de

la Nature en neuf tomes, exposant la science du temps, d’un certain Abbé Pluche »

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CHAPPEY Jean-Luc (2006) Enjeux sociaux et politiques de la « vulgarisation scientifique» en Révolution (1780-1810), in Annales historiques de la Révolution française, Numéro 338

(Paul Caro75). L'abbé François Napoléon-Marie Moigno, mathématicien de formation, fonda et dirigea les revues de vulgarisation Cosmos en 1852 puis Les Mondes en 1863. Docteur en médecine, professeur à l'École de pharmacie de Montpellier puis de Paris, Louis Figuier, victime d’une controverse avec Claude Bernard, qu’il ne parvint pas à outrepasser, abandonna sa carrière d'enseignant-chercheur et opéra une reconversion dans la vulgarisation. En 1862, il écrivit Le Savant du foyer et en 1867 Les Merveilles de la science, deux ouvrages qui ont largement contribué à son succès. Victor Meunier, d'abord publiciste politique, fut contraint d’abandonner ce métier suite au coup d'État de 1851 et entreprit par la suite de se consacrer à la vulgarisation. Il fonda en 1965 la revue L'Ami des sciences. Camille Flammarion (1842-1869) consacra une grande partie de son temps et de son énergie à vulgariser sa science : l’astronomie. On retiendra Astronomie populaire comme ouvrage phare parmi tous ceux qui lui ont valu sa célébrité.

Au XXe siècle, l’arrivée de la technologie dans les foyers pousse la science dans le quotidien de chacun. Mais l’enthousiasme scientiste du XIXe est loin. Après les deux guerres mondiales, la science rime ou ne rime plus avec conscience. La bombe a laissé de profondes cicatrices dans la mémoire scientifique de gens …

Le triomphe de l’audiovisuel fait alors exploser la vulgarisation scientifique dans les années 70. C’est en 1984 que la loi d’orientation de la recherche stipule que la mission du chercheur comprend la diffusion des connaissances.

La France est aujourd’hui « un des pays qui comptent le plus grand nombre de publications de vulgarisation scientifique, et où le tirage de ces revues est le plus élevé » (Jean Audouze et Jean-Claude Carrière76). Il faut néanmoins s’interroger sur la signification et les enjeux de ce processus proposé par la notion de « vulgarisation » et qui tend à exprimer l’idée selon laquelle « le progrès des sciences se serait naturellement accompagné, historiquement, d’un processus 74 ibidem 75 art. déjà cité 76

AUDOUZE Jean, CARRIERE Jean-Claude (1988) Science et télévision, Rapport aux ministres de la Recherche et de la Technologie et de la Communication, Paris, pp. 11-15

d’ouverture vers un large public, mouvement qui s’inscrirait dans "l’idéal pédagogique" des Lumières » pour reprendre les termes de J.L. Chappey77.

« Les scientifiques ont des responsabilités en matière de vulgarisation et de la nécessité de partager avec tous leurs questions, leurs découvertes, leurs émerveillements et même leurs angoisses » (Richard Pitre78).

Selon Alex Mucchielli79 (2001), professeur en sciences de l’information et de la communication, « la naissance du journalisme scientifique tient à plusieurs raisons. Tout d’abord les réticences des universitaires à écrire pour le vulgaire. Ils préfèrent écrire pour leurs pairs, puisque la reconnaissance qu’ils recherchent viendra d’eux. Ensuite le manque de savoir-faire des chercheurs pour traduire en termes simples et compréhensibles pour le grand public à leurs découvertes. Ils sont prisonniers de leur langage qui, il est vrai, est adapté à leur univers scientifique.

Par ailleurs, il existe une séparation de plus en plus marquée entre la culture littéraire et populaire et la culture scientifique du fait même des progrès rapides de toutes les sciences, progrès qui entraînent l’obsolescence des connaissances pour tout adulte qui ne se recycle pas en permanence.

En dernier ressort, la grande masse sort du système éducatif à un moment donné et ne peut y retourner pour suivre les progrès des sciences.

Comme enfin, il apparaît nécessaire que l’homme libre puisse faire appel à un minimum de connaissances scientifiques pour comprendre le monde et s’y mouvoir (idéologie justificatrice du journalisme), la médiatisation et la vulgarisation de la science apparaissent nécessaires ».

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art.déjà cité 78

in Chappey art.déjà cité 79

MUCCHIELLI Alex (2001) Le journalisme scientifique et la vulgarisation par les sciences de