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Parmi les fonctions manifestes liées à la diffusion des connaissances, au partage du savoir et à l’acculturation, ils distinguent les fonctions :

- d’utilité : la vulgarisation scientifique est nécessaire au fonctionnement de toute organisation en constante évolution ;

- d’intégration professionnelle : « L’honnête homme d’autrefois pouvait prétendre à une certaine maîtrise des connaissances qui lui étaient nécessaires. L’honnête homme d’aujourd’hui est un spécialiste qui peut communiquer avec d’autres spécialistes. Il n’a pas besoin de savoir ce que sait l’autre ; il a besoin d’être capable de poser les questions aux autres, de comprendre les réponses et les questions des autres et de les intégrer dans sa propre problématique97 » ;

- d’intégration et cohésion sociale : « En fait, dans tous les pays, la justification des progrès de la science et des techniques fait accepter plus aisément certains des coûts économiques et sociaux des choix politiques98 » ;

- d’adaptation des individus à leurs tâches et aux contraintes imposées par le développement des techniques.

Par fonctions manifestes, on comprend qu’il s’agit là des buts et objectifs de la vulgarisation scientifique dans un intérêt commun à la société.

Parmi les fonctions latentes — il s’agit là des conséquences involontaires ou ignorées de la vulgarisation scientifique — liées à la consolidation du tissu social et

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in Jacobi et Schiele art.déjà cité 97

ibidem 98

au renouvellement des sources de l’imaginaire, ils distinguent les fonctions qui répondent à une autre logique que celle du partage des savoirs :

- la cohésion et renforcement de l’unité des groupes sociaux,

- le développement des modes de pensées symboliques et mythiques.

Si l’on s’intéresse maintenant et plus spécifiquement à la vulgarisation de la médecine, on constate que l’histoire des sciences contribue à l’analyse des fonctions. P. Benkimoun99, travaillant sur les problématiques de santé dans la presse écrite, insista, en 1993, sur le double objectif de ces revues qu’il regroupe dans un cadre de prévention.

Il s’agit pour lui d’être à la fois « la référence qui va permettre d’éviter des ennuis de santé, en particulier pour ce qui est des affections bénignes, et la source d’un conseil éclairé afin d’inciter à consulter devant les signes précurseurs d’une affection plus préoccupante ».

Partant de ce modèle, nous proposons l’analyse fonctionnelle de la vulgarisation de la psychiatrie, c’est-à-dire que notre démarche consiste à énumérer, déterminer, classifier les fonctions de la vulgarisation de la psychiatrie. Pierre Rizk et Nicolas Gérard100 considèrent que l'analyse fonctionnelle d'un produit, système ou service est fondée sur le principe que ce produit, système ou service n'a de valeur que par les prestations qu'il apporte à ses utilisateurs. Ils entendent par le terme "utilisateur" ce qui « concerne tous les acteurs qui attendent quelque chose de ce produit (donc aussi le producteur, les distributeurs, etc.). ». La fonction peut donc ainsi être vue comme « l’action d’un produit ou de l’un de ses constituants exprimée exclusivement en termes de finalité ». Elle est formulée par un verbe à l’infinitif suivi d’un complément et doit impérativement faire abstraction de toute référence à des solutions.

Dans le cadre de la psychiatrie, la communication, selon Marie Molina, comprend « deux acceptions :

a) la communication est un support pour les soins (parler tout en soignant), b) la communication est un soin, dans le sens où elle configure et détermine celui-ci (le soin par la parole)».

99

BENKIMOUN Paul (1992) La santé en kiosque, J.I.M., avril 92, pp. 45-53 100

Ainsi, nous distinguons deux types de fonctions, les fonctions manifestes et les fonctions latentes.

Les fonctions manifestes

Les fonctions manifestes, qui comme on l’a vu, sont les buts et objectifs de la vulgarisation de la psychiatrie dans un intérêt commun à la société, comprennent les fonctions de service (1) et les fonctions techniques ou contraintes (2) ainsi que les fonctions d’estime (3).

1. les fonctions de service

Les fonctions de service répondent au besoin exprimé par le public, les patients, et familles de patients. Elles comprennent elles-mêmes des fonctions communicative (1a), informative (1b), d’utilité (1c), d’intégration (1d), de cohésion sociale (1e), d’adaptation (1f) et thérapeutique (1g) explicitées plus largement comme suit :

1a - fonction communicative :

établir le contact, le maintenir et aboutir à un échange entre le corps psychiatrique, représenté par les institutions, les praticiens, les laboratoires, les pharmaciens, et le public dont les patients et familles et associations de patients

La curiosité du public pour les sujets « psy », bien-être, santé mentale… semble ne faire aucun doute et la vulgarisation de la psychiatrie répond à cette curiosité. Face à cette motivation, la vulgarisation de la psychiatrie éveille la curiosité du public et la boucle est bouclée. Elle utilise une certaine forme de séduction qui peut revêtir différentes formes, comme la mise en situation pratique en prenant le public à parti, en lui prouvant qu’il peut s’en sortir par lui-même, par ses propres moyens, comme la présentation de cas, d’exemples spectaculaires, comme l’utilisation de nouvelles thérapies … Le couple motivation-séduction, thèse d’Isabelle Vincent, est « à l’œuvre pour retenir public tout en lui donnant accès aux domaines scientifiques qui susciteront peut-être chez lui l’envie de s’y intéresser davantage ». Au-delà de cet objectif, on aborde la question de la fonction informative qui débute le plus souvent par une phase d’initiation.

1b - fonction informative :

transmettre des connaissances liées à la psychiatrie, ses méthodes, ses échecs, ses succès, les traitements associés ; traduire en mots les souffrances psychiques et/ou physiques de l’Homme. « Parlez-moi de moi ! » L’information est au centre de la représentation de la vulgarisation de la psychiatrie et décline ses objectifs allant du simple fait de susciter la curiosité à une réelle volonté didactique.

1c - fonction d’utilité :

être nécessaire au fonctionnement de notre société en constante évolution, favoriser le bien-être individuel et collectif.

1d - fonction d’intégration :

permettre à tous, à l’aide des connaissances acquises, comprises, d’intégrer des questions et des réponses dans une réflexion personnelle voire collective, ce qui peut d’ailleurs passer par une modification de la relation médecin-patient en incitant le patient à être moins passif, à poser des questions, ainsi qu’en désacralisant le médecin.

1e - fonction de cohésion sociale :

comprendre plus aisément les décisions économiques et sociales, les choix politiques. La vulgarisation de la psychiatrie endosse un rôle de conscientisation et de responsabilisation. Elle autonomise le public vis-à-vis du corps soignant

1f - fonction d’adaptation :

s’adapter aux tâches et aux contraintes imposées par le développement des techniques thérapeutiques

Cette fonction peut entraîner à terme à faire évoluer les comportements et à faciliter entre autres l’incitation à l’auto-surveillance, la compassion, l’adaptation d’une bonne hygiène de vie, la recherche du bonheur….

1g - fonction thérapeutique :

soigner i.e. être un support pour les soins et susciter auprès du public une volonté de prise en charge thérapeutique souvent par lui-même, on parlera dans ce cas d’auto- thérapie. Cette fonction présuppose les fonctions communicative et informative.

Le rôle de la prévention : parallèlement aux aspects primordiaux curatifs de la thérapie, la prévention trouve sa place de façon tout à fait légitime dans la fonction thérapeutique de la vulgarisation de la psychiatrie.

Le rôle de la vulgarisation de la psychiatrie est aussi de rassurer, assurément, et de permettre éventuellement l’autodiagnostic et l’auto-soin passant, ou plus souvent ne passant pas, par une automédication. Comme l’affirme Isabelle Vincent101, « le couple dialectique, ‘rassurer et inciter à consulter’ et la prudence flirtant avec l’obsession de na pas se substituer aux médecins, est une constante dans la vulgarisation médicale » et l’on peut faire ici le même type de constat.

2. les fonctions techniques

Les fonctions techniques ne sont pas demandées de manière explicite par les utilisateurs, mais apparaissent comme nécessaires pour assurer les fonctions de service, ou d’autres adjonctions indispensables. Les fonctions techniques que Pierre Rizk et Nicolas Gérard102 qualifient de contraintes i.e. qu’elles « dépendent du choix de telle ou telle solution technique ou répondent à des attentes obligatoires de la communauté en terme de normes, textes de lois, brevets ou d’état de la technique» se déclinent pour nous en :

- contraintes sur l’accessibilité du savoir : le message doit être rédigé dans un langage clair et compréhensible par tous

- contraintes dans le choix du support de communication : par exemple, le livre peut être un roman, une nouvelle, un essai, une compilation d’articles….

3. les fonctions d’estime

A cela nous ajoutons enfin des fonctions d’estime c’est-à-dire, implicites ou explicites, et « surtout liées à un aspect esthétique ou la présence d’un élément jugé valorisant » comme le précisent Pierre Rizk et Nicolas Gérard103 :

- contrainte d’édition du support de communication : dans le cas du livre, choisir de la pagination, du format, de l’illustration de la couverture, du titre

101 art.déjà cité 102 art.déjà cité 103 art.déjà cité

- contrainte de publication du support de communication : dans le cas du livre, lancer le livre sur le marché.

Les fonctions latentes :

Parmi les fonctions latentes, nous conservons les fonctions décrites par Jean-Marie Albertini et Claire Bélisle :

- la cohésion et renforcement de l’unité des groupes sociaux,

- le développement des modes de pensées symboliques et mythiques auxquelles nous ajoutons une fonction

- l’évolution de la société dont tous les individus prétendent au bonheur par la recherche de leur bien-être et du bien-être collectif

Le dernier plan psychiatrie et santé mentale du Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille constate, en 2003-2005, que le nombre de lits d’hospitalisation complète a été considérablement réduit au cours des vingt dernières années « sans être compensé par un développement suffisant bien que sensible des prises en charge alternatives et ambulatoires. Ce constat général est marqué en outre par des inégalités territoriales importantes tant en termes de structures que de moyens consacrés à la psychiatrie, notamment pour ce qui concerne la mise en œuvre des prises en charge alternatives et innovantes. A cet égard, la psychiatrie infanto- juvénile souffre d’une situation structurellement défavorable en termes de moyens, tant publics (secteurs sous-dotés) que privés (peu de pédopsychiatres libéraux), en comparaison avec la psychiatrie générale ».

On a déjà vu que la densité de professionnels de santé exerçant en psychiatrie en France se situe parmi les plus élevées d’Europe cependant leur répartition géographique montre une nette hétérogénéité selon les régions et les départements à laquelle s’ajoute une nouvelle inégalité face à l’exercice psychiatrique libéral par rapport à celui en milieu hospitalier public ou privé. Les centres médicaux- psychologiques sont peu connus des patients et ces derniers se tournent alors le plus souvent vers les médecins généralistes. Tous ces facteurs sont sources d’une relative inégalité des citoyens devant l’accès aux soins psychiatriques.

Une des fonctions de la vulgarisation de la psychiatrie est donc d’égaliser l’accès aux connaissances et donc indirectement aux soins.

La politique publique actuelle de psychiatrie et de santé mentale s’engage, selon le rapport du Ministère, « à redonner leur place citoyenne aux personnes souffrant de troubles psychiques ». Cet enjeu est essentiel sur le plan de la déstigmatisation de l’image associée à la maladie mentale et aux personnes qui en souffrent.

Une nouvelle fonction de la vulgarisation de la psychiatrie est d’aider à déstigmatiser les images associées à la maladie mentale et aux personnes souffrant de troubles psychiques.

Pour finir, aux fonctions manifestes et latentes, nous rajoutons une troisième fonction que nous appelons "fonction moyens" car il semble important de ne pas négliger ici la dimension financière et économique de la vulgarisation de la psychiatrie. Les aspects financiers importent à l’échelle nationale et internationale dans la politique économique du pays. Les mesures prises dans ce cadre concernent les problèmes de santé publique, l’allocation de nouveaux crédits de recherche et subventions, sans oublier le marché du livre de vulgarisation de la psychiatrie qui connaît un véritable essor et incite les maisons d’éditions à s’y intéresser de près.

Figure 02 - La réponse des fonctions aux objectifs de la vulgarisation de la psychiatrie

Ainsi se dessine l’arbre fonctionnel de la vulgarisation de la psychiatrie (voir figure ci- dessous).

diffusion information motivation accessibilité mobilisation

es ti me se rv ic e th ér ap eu ti qu e te ch ni qu e la te nte

Conclusion

L’analyse fonctionnelle de la vulgarisation de la psychiatrie présente des spécificités par rapport à l’analyse fonctionnelle de la vulgarisation scientifique développée par Jean-Marie Albertini et Claire Bélisle104 dont la principale est incontestablement une fonction thérapeutique, fonction commune à la volonté du psychiatre communiquant qui vise la guérison ou l’auto-guérison de ses lecteurs qu’il assimile vraisemblablement à des patients, et aux désirs du lecteur qui attend de trouver des réponses à ses questions dans une préoccupation de mieux-être et de recherche du bonheur.

« Les livres de Cyrulnik ont une vertu thérapeutique »

Maryse Vaillant105, psychologue, raconte dans son livre Il m’a tuée que la résilience a quelque chose de « génial », « ça donne de l’espoir ». Elle explique cela par l’effet Paulo Coelho. « Les livres de Cyrulnik ont une vertu thérapeutique : ils permettent aux gens de découvrir qu’on peut s’en sortir106. »

Myriam Szejer107, pédopsychiatre et présidente de l’association La Cause des Bébés, relate les propos de patients venus pousser la porte de son cabinet. « Les gens avaient dévoré ses livres, et nous disaient : c’est nous ! ».

C’est peut-être là que réside l’explication du succès manifeste des ouvrages de vulgarisation de la psychiatrie.

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art.déjà cité 105

VAILLANT Maryse (2005) Il m’a tuée, Pocket, 220 p. 106

ibidem 107

Figure 03 - Représentation arborescente des fonctions de la vulgarisation de la psychiatrie

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CHAPITRE IV