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Saisir la parole en prison : aspects méthodologiques sociologiques

Chapitre 2. Cadre d’analyse : étude des activités sociales en prison

2.2. Saisir la parole-en-action : études d’une expérience carcérale

2.2.3. Saisir la parole en prison : aspects méthodologiques sociologiques

social intrinsèquement lié à une conception dynamique du langage.

2.2.3. Saisir la parole en prison : aspects méthodologiques sociologiques.

Le fait que des études sociologiques engagées sur ce terrain ont pris en considération l’interaction montre en quoi la parole intervient directement dans leurs pratiques méthodologiques. La parole constitue ainsi pour les études sociologiques sur la prison, un rôle fondamentale car elle a des implications directes sur les choix méthodologiques comme le montrent différentes études qui ont pour objectif de saisir les facettes multiples de la vie sociale en prison et les intersections entre domaines d'activité et espace carcéral.

En effet, la sociologie de la prison s'insère dans la circulation de cette parole afin de cerner des trajectoires biographiques des personnes ayant actuellement, ou ayant eu par le passé, une expérience en prison. Elle devient ainsi une sociologie de l'expérience carcérale, où l'analyse ne confond pas biographie et récit de vie (Chantraine, 2003). Elle veut aussi comprendre des activités à l'intersection entre le monde de l'enfermement et d'autres domaines sociaux, comme la pratique de la médecine ou l'enseignement universitaire en prison. Dans tous les cas, sont observées les relations multiples entretenues par la prison avec d'autres domaines d'activité et est examinée la profonde continuité entre l'intérieur et l'extérieur du monde carcéral.

La parole est saisie dans des trajectoires biographiques particulières à partir de dispositif d’entretien, de séjours prolongés pour observer la vie quotidienne. Ainsi, dans

différentes études sur la prison, elle est provoquée par les dispositifs de recherche. L'entretien, pratique bien intégrée par les sociologues, représente alors le moyen d'accéder à des aspects de l'expérience des différents acteurs, autrement inatteignable pour les chercheurs confrontés à la complexité des histoires et des relations interpersonnelles, des activités et de l'organisation des établissements pénitentiaires. L'examen de l'entretien a un double objectif. Premièrement, il représente un moyen d'accès, via la parole de l'informateur, à des aspects inaccessibles de la vie dans les établissements de détention.

Chantraine (2004a) s’appuie sur quarante-sept entretiens biographiques dans le cadre d’un travail d’observation intra-muros et d’échanges de courriers, personnel ou associatif, avec des détenus. Il recueille ainsi un matériau biographique dense, à distinguer donc d’un contenu biographique, qu’il étudie en tant que « travail de la personne interrogée ». Il met en évidence différentes logiques d’actions pour illustrer le caractère structurel de la prison. Autrement dit, la parole constitue ici un lieu de passage qui vient prolonger une « trajectoire de galère ». En ce sens, elle permet peu ou proue d’accéder au sentiment de culpabilité, l’élément fondateur selon l’auteur du principe de réinsertion.

En considérant les situations d’entretiens comme le produit d’une posture égalitaire entre les interlocuteurs, Chantraine met en évidence la fonction sociale de la prison, qui est celle de respecter le principe sécuritaire, par le biais des schémas circulant à l’extérieur et que les acteurs (surveillants, sociaux-culturels...) adaptent d’abord en les marquant d’un stigmate, ensuite en les immergeant dans un milieu où les symptômes extérieurs ont disparu pour être remplacés par d’autres formes de déviances.

D’autres travaux interrogent l’organisation carcérale à partir d’observations réalisées sur de courtes périodes auprès de familles de détenus.

Touraut (2009, 2012) adopte un regard périphérique en mettant en lien des situations d’entretien réalisées hors des murs de l’enceinte carcérale, dans des locaux associatifs destinés aux familles de détenus notamment, avec la visite intra-muros des Unités de Vie Familiale. Elle dresse ainsi une typologie « d’expériences carcérales élargies » relativement à l’engagement de la famille dans le parcours de détention du proche incarcéré et des résistances qu’elle élabore face à l’incarcération elle-même. Elle

intègre ce processus dans une tendance progressiste « limitée par les missions sécuritaires et punitives des institutions carcérales, toujours prioritaires » (2012 : 162).

Selon Rostaing (2009), il s’agit de fonder le travail du chercheur sur la dynamique carcérale à produire ses propres caractéristiques, indépendamment de l’institution qui la gouverne. C’est pourquoi, elle insiste sur le fait qu’il est nécessaire de présenter les prisons concernées par les enquêtes sociologiques ou tout du moins, d’informer le lecteur sur les cadres de l’expérience (Goffman, 1974).

Nous retiendrons que les différentes méthodologies déployées dans les études citées peuvent toutes être considérées comme appartenant à des approches ethnographiques. Ces recherches présentent un éventail méthodologique assez large et contribuent à dévoiler des aspects pas ou peu connus de l'expérience et des pratiques des acteurs agissant dans l'environnement carcéral dans des perspectives sociologiques, anthropologiques et linguistiques.

Ces études sociologiques éclairent sur les spécificités du lieu, son rôle social et les identités qui s’y forment à partir de matériaux biographiques et/ou d’observations réalisées

in situ. Elles prennent souvent la forme de questionnaires et d’entretiens, ou de dispositifs

expérimentaux pour examiner la prison, sa fonction sociale et les relations qui émergent des domaines d’activités en rupture ou en lien avec l’organisation carcérale elle-même ainsi que les pratiques sociales à l’œuvre en son sein.

Si nous accordons une attention particulière aux aspects méthodologiques privilégiés dans des études sociologiques portant sur la prison, c’est qu’ils constituent des modes d’appréhension du terrain propres au chercheur et qu’ils mettent en perspective l’accès à la parole comme mode privilégié pour délimiter le terrain d’enquête. Nous retenons de ces aspects méthodologiques, qu’ils révèlent le terrain progressivement et surtout, qu’ils sont adaptés aux contingences même du processus social d’activité d’études en environnement carcéral. Cependant, ils mettent rarement en évidence la production endogène, entendons produite dans l’interaction, des difficultés éprouvées dans ce type de terrain.

Les études prenant pour objet les pratiques sociales et pédagogiques des enseignants et des étudiants se proposent de restituer la dimension interactionnelle comme fondamentale pour l’exercice du travail d’enseignant en prison. Celle-ci s’envisage du point de vue de la prison en tant qu’expérience. C’est pourquoi la plupart des études sociologiques inscrites dans le champ des sciences de l’éducation, restituent les expériences de terrain. Elles examinent les actions mises en place par les enseignants et les détenus pour parvenir à réaliser un parcours d’études. Enseigner et étudier en prison sont des activités sociales qui s’effectuent dans une économie de temps. En effet, enseignant et étudiant ont à résoudre un certain nombre de problèmes pédagogiques mais aussi organisationnels liés au temps de l’incarcération et aux contraintes du lieu.

Dans ces études, les expériences en tant que récits ou témoignages sont mobilisées. La parole devient le moyen d’expression de l’expert de l’enseignement en prison ou des études en prison.

2.3. La parole experte : études sociologiques sur l’enseignement en prison