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prison : analyse de formes de participation et de conversation

4.1. Séquence projetée

4.2.2. Pratiques du geste iconique

Dans un premier temps, l’analyse montre que le geste iconique est une méthode qui permet aux interlocuteurs d’installer les voies d’accès au cadre interactionnel (de Fornel, 1993). En effet, le geste iconique par sa nature même fait converger un ensemble d’éléments langagiers, corporels vers un objet de discours (Kida, 2011 : 44) :

« Le terme « iconique » est utilisé pour un geste qui rappelle directement la forme d’un objet dans le discours. La forme de ce geste entretient typiquement un rapport direct avec le référent-objet auquel il renvoie ».

Pour rappel, son rôle consiste en l’établissement d’un cadre interactionnel partagé par les interlocuteurs et met en évidence les relations complexes que peuvent entretenir gestes iconiques et expressions verbales affiliées. De Fornel (1990) en précise la temporalité ; le geste étant placé avant l’expression verbale. Il a une signification indépendante du discours auquel il est associé (de Fornel, 1993). Dans l’extrait suivant, le geste iconique est réalisé par l’étudiant placé face à la caméra (Etu1). Il est précédé d’une consigne de cours formulée par l’enseignant (Esg).

(4) cours 30/05/08 MOV0E1 - corpus prison ITEEC - 00:25

1 Etu3 *+bon*

Esg +mouvement du regard--->

Etu1

*geste : mouvement des deux mains frappées l’une contre l’autre, action d’un clap de cinéma--->*

2 Esg juste (.) là (.) euh:: on va faire bon donc* euh:: (0.02)

Etu1

geste : il se frotte les mains l’une contre l’autre --->*

3 parce que c’est pas trop prévu sur le texte là 4 une séance de blitz dans l’heure et d’mie (0.02)

5 le texte chacun dans son coin on:: on se donne un temps 6 j’sais pas combien comme vous voulez (0.02)

8 nos^an notre analyse et:: on voit un peu ce que 9 ce qu’on est capable de d’extraire du texte

10 pas longtemps chacun fait une lecture:: personnelle

Le geste d’Etu1 est produit à la suite de deux demandes formulées par l’enseignant de couper l’enregistrement dans le but de procéder à quelques réglages entre participants. Ainsi, lorsque Etu1 produit le geste (l. 1), métaphoriquement il signifie cette fois-ci qu’il s’agit de la bonne mouture. Un geste que l’étudiant modifie à la ligne 2 quand il se frotte les mains l’une contre l’autre et alors que l’enseignant a déjà pris la parole. Ainsi, ce geste (l. 2) se juxtapose au contenu du début du tour de l’enseignant et possède une autonomie relative par rapport au premier effectué en ligne 1.

En fait, ce geste produit dans la continuité du premier permet à Etu1 de maintenir sa position de locuteur (préalablement identifié par l’enseignant grâce au mouvement du regard) et confirme auprès de l’enseignant et des autres protagonistes que le début du tournage peut commencer. Il est produit de manière à retenir l’attention de ces deux participants. C’est Esg qui prend la parole par l’énoncé (l. 2 et suivantes) « juste (.) là (.) euh:: on va faire bon donc euh:: (0.02) ».

Cette action est rythmée par une série de pauses brèves et d’allongements vocaliques, ce qui implique ici que le thème de la conversation est projeté, mais non encore accompli. En même temps, le geste est affilié à une succession de pauses et d’hésitations produite par l’enseignant comme si le démarrage prévu n’était pas celui attendu. Il marque une coupure dans l’engagement de l’enseignant et est d’autant plus remarquable que ce dernier spécifie l’activité à venir comme une activité routinière.

De plus, l’introduction de la locution « parce que » (l. 3) fonctionne ici comme support sémantique au geste, de sorte qu’il est difficile de déterminer si la locution vient justifier la production du geste ou si elle permet à l’enseignant d’effectuer une transition thématique vers l’exposition de la consigne. Ceci dit, notre analyse met en évidence le caractère exceptionnel de la situation tout du moins du support de cours utilisé ce jour : « c’est pas trop prévu sur le texte là » (l. 3). Ce qui laisse envisager que le geste iconique pour amorcer une trajectoire à la fois locale (sur la suite séquentielle) et globale (sur l’interaction).

Pourtant, la suite du tour de parole d’esg (l. 4-10) notamment avec l’emploi du syntagme nominal « séance de blitz » caractérise une activité routinière. Seul le groupe en présence peut faire l’inférence. Et bien que l’enseignant expose une série d’actions dans un déroulement temporel précis - fonctionnant ainsi comme mode d’emploi - il s’agit surtout dans la séquence d’actions que nous venons d’analyser, de marquer la dimension spécifique de l’activité de cours. En effet, ce petit groupe semble s’orienter vers la maîtrise du dispositif en tant qu’outil de captation d’une réalité qui serait présentée à un spectateur présent/absent.

Deux points peuvent donc être retenus pour l’analyse du geste iconique. D’abord, celui-ci conditionne le démarrage de l’activité parce qu’il est rendu visible à l’oeil de la caméra mais non traité par les autres interlocuteurs. Ensuite, il met en évidence le caractère spécifique de l’activité à venir.

Dans l’extrait suivant, Etu1 et esg produisent chacun deux séquences d’actions soutenues par des procédures qui traitent de la présence du dispositif d’observation instrumenté.

(5) cours 30/05/08 MOV0E1 - corpus prison ITEEC - 00:36

1 Etu1 **c’est un texte que vous avez: déjà:: étudié ↑ça↑

**#im1---->4

im.1

2 Esg ∆non [c’est-à-dire que c’est c’est xxx& 3 Etu1 [ah↑

4 Esg &qui a qui a** **qui a tiré ce texte

Etu1

,,,,,,,,,,,,** **#im.2--->

5 Esg +.h de+ de:: de éloges de saint-john[perse↓**

6 Etu1 [ok

#im2,,,**

7 **parc’que moi j’arrive à bout de parcours xx

**...geste--->

8 tu le sais [bien** j’étais un peu découragé par les cours

#im3,,,,,,,,,,,,**

im.3

9 Esg [*oui*

*secoue la tête*

10 Etu1 **vu les horaires un peu intempestifs et tout .h

**croise et décroise ses mains---->14

11 donc je me remets au travail mais bon (.) 12 [+tu comprends bien&

Etu2 +va-et-vient--->

13 Esg [**d’accord oui

Etu1 **...geste--->18

14 Etu1 y’a un peu de lassi+tude hein**

Etu2 ,,,,+

15 Esg &non mais y’a pas de problème oui↑ (.)

16 donc on le lit↑ on prend [nos notes et euh:: et::

17 Etu1 [ta -> #---im4----> im.4 18 Esg voi h là** Etu1 ,,,,,,,,**

Nous étudions les trajectoires séquentielles dans les deux extraits (l.1 et 13-18). Elles sont placées de manière systématique en chevauchement du tour de parole en cours (respectivement Etu3 et Esg) et traitées sur un plan thématique seulement par Esg. Le premier geste placé en ouverture du cours (l. 1 / images 1 et 2) est un claquement des mains, l’un contre l’autre ; le regard d’Etu1 est dirigé vers Esg ou Etu3, ce qui les identifie comme éventuels récepteurs sans toutefois les ratifier.

Nous proposons d’étudier le geste (l. 13-18) placé en chevauchement du tour de parole de l’enseignant, accompagné d’un claquement de langue et achevé au tour d’ Esg (l. 15). Le sourire dans la voix « voi h là » (l. 18) nous indique que le geste a bien été vu

par l’enseignant alors qu’il n’est pas traité de la même manière par les autres participants. En effet, les deux autres étudiants conservent leur position initiale et seul l’enseignant prend la parole pour amorcer une nouvelle action, en l’occurrence la phase de lecture silencieuse du texte. Ce geste est introduit par une série d’actions que nous proposons de détailler à la suite afin de mieux saisir la trajectoire séquentielle du geste iconique dans cette activité interstitielle.

La première action et premier énoncé « *c’est un texte que vous avez: déjà:: étudié ça↑ » (l. 1) marque la première partie d’une paire adjacente (i.e. PA) de type Question-Réponse (i.e. Q-R). Le pointage visuel opéré par Etu1 et maintenu jusqu’en ligne 4 place le support papier comme objet de la question. L’emploi du démonstratif « ça » fonctionne comme une double spécification de l’objet du savoir et crée un lien avec ce qui a été dit et fait précédemment par Esg. Ce dernier est désigné du regard par Etu1, ce qui l’oblige à répondre (l. 2-5) : « ∆non c’est-à-dire que c’est [c’est xxx *qui a qui a qui a tiré ce texte* +.h de+ de:: de éloges de saint-john[*perse* ». Le tour de parole peut être divisé en deux segments interprétatifs : le premier « non c’est-à-dire que c’est [c’est xxx * » : la négation suivie de l’utilisation du prénom projette une action passée sur un autre locuteur (Etu2). Le second segment « qui a qui a qui a tiré ce texte* +.h de+ de:: de éloges de saint-john [*perse* » caractérise le type d’action. La configuration de ce tour ainsi que sa position en seconde partie d’une PA de type Q-R ouvre sur un troisième tour (l. 6 et suivantes).

En effet, l’item « ok » (l. 6) placé en chevauchement du tour de parole de Esg est une construction (l. 7 et suivantes) de type « X parce que Y » (de Fornel, 1986) : l’énoncé « *parc’que moi j’arrive à bout de parcours xx » (l. 8) où le contenu de la subordonnée indique que l’information donnée par Etu1 est connue de l’enseignant, introduit le thème qui va être développé par la suite. Ce tour précisément renseigne sur la cause de l’action et le sujet parlant lui-même et ajoute un niveau organisationnel dans le déroulement du cours, celui de l’activité de détention. Notre connaissance du terrain ainsi que les énoncés suivants renforcent notre hypothèse : « tu le sais [bien* j’étais un peu découragé par les cours vu les horaires un peu intempestifs et tout h » ; « donc je me remets au travail mais

bon (.) ». Ici, le locuteur réfère à une action passée via l’emploi de l’imparfait en relation à l’organisation temporelle des cours décidée par l’administration pénitentiaire.

Ensuite, il renvoie à une action présente, celle en-train-de-se-faire, en réintroduisant le pronom « je » et le présent de l’indicatif. Ces énoncés sont organisés en phases temporelles par rapport à l’activité de détention qui organise l’emploi du temps général des enseignements. Par conséquent, Etu1 manifeste un décrochage par rapport au déroulement temporel du cours. De plus, le passage au plan syntaxique du « vous » en référence au groupe renseigne sur la conception du destinataire (Heritage et Clayman, 2010) : un groupe qui partage une connaissance historique du cours.

La seconde action (l. 15 et suivantes) : « &non mais y’a pas de problème oui↑ (.) » « donc *on le lit↑ on prend [nos notes et euh:: et:: » renvoie séquentiellement à la consigne donnée à l’extrait précédent. L’emploi de la conjonction « donc » crée un lien avec ce qui précède, pour autant ce lien n’est pas thématiquement rattaché au tour précédent. Il renvoie, d’après l’emploi du pronom indéfini « on » placé avant les verbes d’action lire et prendre des notes qui implique de ramener l’attention de l’ensemble des participants au texte. Mais au regard de la présence du verbe lire et l’utilisation de l’article « le », on comprend qu’il s’agit du thème introduit en ouverture du cours, i.e. le texte. Par ailleurs, l’effet englobant de l’emploi du possessif « nos » renvoie au texte comme une ressource partagée par le groupe.

Ainsi les procédures mobilisées pour chacun des gestes laissent supposer que les participants traitent de manière systématique ce type d’incursion sonore et visuelle ; leurs gestes balisent la phase d’ouverture du cours et que leurs orientations prennent en compte le dispositif d’observation.

4.2.3. Caractérisations de l’interstitialité

Nous avons montré que l’interstitialité ici, suit une trajectoire entre plusieurs domaines d’activité. En ce sens, le caractère interstitiel est donné à voir comme méthode de cadrage de l’interaction. Nous posons que l’interstitialité se constitue à l’initiative de l’enseignant et donne lieu à différentes actions de caractérisation de l’activité en-train-d’être-observée. Ensuite, nous montrons qu’elle se constitue comme cadre de participation d’un cours par le

biais de méthodes rendues intelligibles par les membres (Garfinkel, 1967). Le cadre de participation est élargi à l’observateur lorsqu’il est explicitement désigné et à un tiers absent lorsqu’il s’agit de désigner l’institution pénitentiaire.

Dans la section suivante, il est question que l’interstitialité se constitue dans une séquence de type question - réponse. L’enseignant demande aux détenus de poser des questions. La réponse n’est pas celle attendue. En quoi cette absence de réponse est-elle remarquable pour caractériser l’interstitialité ? Il s’agit de montrer plus précisément que cette séquence fait l’objet d’un diagnostic dont l’enseignant se trouve être à la fois le récepteur et celui qui doit traiter le diagnostic. En quoi ce positionnement est-il pertinent pour le déroulement de l’interaction ? Qu’est-ce qu’il dit de la posture professionnelle de l’enseignant ? Et de celle des détenus ?