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Chapitre 2. Cadre d’analyse : étude des activités sociales en prison

2.1.1. Le décloisonnement de la prison

Le milieu carcéral est un milieu sous tension (Benguigui et al, 2011). Les auteurs y distinguent un mouvement de « décloisonnement » de cet espace fermé vers un espace « fermé-ouvert ». D’autres comme Combessie (2000, 2010), Milhaud (2009) ou encore Vasseur et Mouesca (2012) interrogent la prison sur la base du principe de discontinuité

dedans/dehors.

En introduction de leur ouvrage collectif « Prisons sous tensions », Guilbaud et Malochet (2011) affirment que la prison ne doit jamais cesser d’être interrogée. Cette dynamique s’inscrit dans le processus global suivant :

« Plus la prison s’ouvrira, plus la société aura de chances de contrôler son fonctionnement et d’imaginer des sanctions alternatives qui rendront peut-être un jour le projet carcéral obsolète » (2011 : 8).

Sociologiquement, le « décloisonnement » de la prison exige selon Combessie (2000) d’appliquer le principe de discontinuité dedans/dehors, une manière d’analyser systématiquement les objets sur lesquels les structures administratives et celles de terrain portent leur attention. Par conséquent, Combessie (2010) pose des questions importantes : le décloisonnement de la prison signifie-t-il qu’elle connaît des changements ? Les intervenants extérieurs comme les enseignants ou les bénévoles amènent-ils avec eux des

changements ? Selon lui, ceux-ci interviennent en prison mais pas à un niveau institutionnel :

« La principale raison tient sans doute à la mission première de l’institution carcérale : tenir à l’écart de la société, pour un temps donné, des individus dont la justice estime qu’ils ont commis des infractions graves au regard de la loi, la durée de l’enfermement étant notamment liée à la gravité de l’infraction reprochée - c’est-à-dire qu’elle est liée à des actes extérieurs et antérieurs à l’enfermement lui-même. Alors que la durée de séjour au sein d’une école, d’une maison des jeunes ou d’une église est liée à la durée nécessaire à ce qui se passe à l’intérieur (apprentissage, loisir, culte) » (2000 : 23).

L’auteur établit la prison comme un lieu de contrainte matérielle et physique où différents domaines d’activités sont regroupés et inévitablement en rupture avec la visée punitive de l’organisation carcérale.

Dans une même veine, la thèse en géographie de Milhaud (2009) adopte une démarche sociologique similaire à celle de Combessie (2010). En effet, ce dernier examine deux logiques, sécuritaire et humanitaire, et le dernier (2009) identifie deux logiques spatiales inverses :

« [...] la prison éloigne les détenus de l’espace de la liberté mais ne les en exclut pas pour autant radicalement ; l’architecture repose sur la fermeture des lieux, mais la porosité des murs a déjà été mentionné ; l’institution pénitentiaire cherche à isoler des individus, mais dans un établissement très collectif. Il ne faut donc pas voir les contradictions géographiques comme des impossibilités logiques, mais bien comme des oppositions spatiales, qu’il convient d’identifier, avant de les mesurer par la suite » (2009 : 102).

De cette façon, il analyse la distance des établissements pénitentiaires par rapport aux villes et met en évidence les réseaux d’acteurs qui font de la prison, un dispositif. En fait, envisager le « décloisonnement » des prisons revient à examiner les relations entre différents univers sociaux. En effet, il s’agit de voir comment la prison parvient à tisser un réseau social avec des acteurs pouvant circuler plus ou moins facilement des murs de la prison à d’autres sphères d’activités.

Le terme « décloisonnement » exprime un mouvement d’ouverture vers de nouveaux horizons en même temps qu’il fait appel à un acte brutal, un mal nécessaire. C’est dans cette perspective que l’ouvrage de Vasseur et Mouesca (2011) propose une réflexion politique et militante sur ce discours circulant de « décloisonnement » de la prison.

Plus exactement, ils questionnent sous forme de dialogue, les changements de cette institution entre les années 2000 et 2010 et nous restitue une prison inerte, acculée aux murs des changements. Si cette étude ne peut faire l’économie d’un rapide exposé à propos de cet ouvrage, c’est que ces deux auteurs sont connus pour avoir contribué à placer la prison dans une sphère publique et médiatique. Vasseur est l’auteure d’un livre sur sa pratique de médecin chef à la maison d’arrêt de Fresnes et connue pour se consacrer aujourd’hui à l’Observatoire Nationale des Prisons (i.e. OIP), tout comme Mouesca, ancien président et militant pour les conditions de vie des personnes détenues.

D’après les auteurs, le « décloisonnement » s’opère sans véritable changement et malgré les rapports régulièrement produits par les instances politiques nationales et européennes. Finalement, le changement de la prison est davantage un fait qu’une fin :

« [...] VV : avec finalement l’impression qu’ils [les rapports] ne servent pas à grand chose, puisque rien ne change dans le fond. Ou que la moindre évolution nécessite un temps fou. On peut prendre n’importe quel aspect du quotidien de la vie carcérale en exemple » (2012 : 117).

De telles tensions s’exercent à différents niveaux de l’organisation carcérale, de sorte que le travail des enseignants consiste à identifier ces tensions dans le cadre des cours et à les désamorcer rapidement. Cette aspect de leur travail est examiné sous l’angle de logiques professionnelles pour l’enseignant (Milly, 2001 ; 2004 ; 2010).

Chauvenet (2006a, 2006b, 2010), Reynaert (2004) constatent que les acteurs sociaux s’appuient sur des schémas relationnels attendus (surveillant-détenu) et donnent à voir les exercices d’une violence ordinaire. Une des fonctions sociales de la prison consiste alors à contenir la violence par la production de multiples réformes des conditions de vie des personnes détenues. Du point de vue de Reynaert :

« [...] des aménagements superficiels dont le bénéfice secondaire - mais c’est probablement là leur vraie raison d’être - est de faciliter la gestion de la détention par les autorités institutionnelles » (2004 : 4).

Chauvenet relève que les détenus, eux, s’adaptent nécessairement au milieu « hors du commun » de la prison. Pour cela, elle analyse des rapports de force symboliques qui s’exercent au quotidien à l’intersection entre des activités sociales dont le but consiste à préparer la réinsertion du détenu, et des pratiques sécuritaires.

Le décloisonnement de la prison est matérialisé par l’espace de détention et défini par des rapports de force symboliques entre différents groupes sociaux (surveillants, détenus notamment). Ces études montrent que la violence de l’institution de peine s’exerce de façon continue et quotidienne. Depuis l’extérieur de l’enceinte carcérale, ces travaux interrogent l’effet des murs de la prison sur l’environnement social de la ville et de ses groupes d’agents sociaux (habitants, responsables politiques par exemple). Cette approche de la sociologie de la prison contribue à définir notre appréhension du terrain : celle-ci ne relève pas seulement de passages réguliers dans différents centres scolaires, elle prend en compte des situations pédagogiques existantes dans d’autres domaines nous conduisant à nous intéresser aussi au domaine d’activités à l’université.