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La tradition doctrinale sur le Concile de 268 : Les controverses du IV e siècle

B. Saint Hilaire

Les textes de saint Hilaire confirment notre distinction entre le point saillant de la doctrine de Marcel, théologie trinitaire, et de celle de Photin, christologie. Hilaire, a-t-on pu dire, ne donne pas seule­ ment « un choix et un résumé des résultats de son étude générale de la théologie », mais la valeur de son témoignage vient de « sa fami­ liarité avec la littérature et les diverses phases de la grande contro­ verse 54 ».

Trois hérésies sont prises à partie au De Trinitate, Sabellius, Ebion et « les nouveaux hérétiques 55 ». Cette dernière expression n'implique pas que les deux premiers noms ne visent que le passé. Hilaire refuse expressément de revenir sur celui-ci. Les erreurs de « Sabellius » et d’ « Ebion » « constituent aujourd'hui encore un mal au sein même de l’Eglise 56 ». L'identification d'Ebion et de Photin revient plus d'une fois 57. Quant au nom de Sabellius un texte ne laisse aucune équivoque sur son sens réel : « Impie multos ad unius Dei professionem Galatia nutrivit. Male in totum pene orbem quos negat duos deos Alexandria protulit. Pestifere natum Jesum Christum ex Maria Panonnia defen­ dit. » Ces hérésies l'auteur les désignait un peu avant comme celle de Sabellius, la « nouvelle hérésie » et celle d'Ebion « qui est Photin » 58. Nous ne contesterons pas qu'Hilaire n'élargisse son attaque contre le sabellianisme et qu’il néglige les détails de la théologie de Marcel59 ; il ne Ten distingue pas moins de Photin en raison de la christologie 60.

54 Cf. E. W . Wa t so n dans son introduction aux œuvres d’Hilaire, dans

A Select Library of Nicene and Postnicene Fathers, pp. xv-xvu, pp. x x x i ssq. ; cf. J. Gu m m e r u s, Die homöusianische Partei, pp. 169-171.

55 Hi l a ir e, De Trinitate, I, 26, PL, X, col. 41 ; II, 4, col. 52-53 ; 23, col. 65 ; VII, 3-7, col. 201-205 ; VIII, 40, col. 267.

56 Hi l a ir e, De Trinitate, VII, 3, PL, X, col. 203 : « De caeteris taceo qui ab omnibus extra Ecclesiam non ignorantur. Hoc vero damnatum et abjectum licet frequenter, sed internum hodie adhuc malum est. » « Hoc » vise les trois hérésies que nous venons de mentionner.

57 Identifications expresses d’Ebion et de Photin, dans Hil a i r e, De Trini­ tate, VII, 3, PL, X, col. 201 ; 7, col. 205 ; VIII, 40, col. 267. Ces textes sont abso­ lument parallèles aux textes de II, 4 et 23.

58 Hil a ir e, De Trinitate, VII, 3, PL, X, col. 201.

59 Le Liber ad Constantium est plus précis et témoigne qu'Hilaire n’igno­ rait pas le propre de l’hérésie de Marcel : « Hinc enim Marcellus ‘verbum Dei’ cum legit nescit, hinc Fotinus 'hominem Jesum' cum loquitur ignorat, hinc et Sabellius, dum quod 'et ego et pater unum sumus' non intellegit, sine deo patre et sine deo filio est », 9, éd. Fe d e r, p. 204 1. 3-6.

C. Nestorius

Plus on avance, plus on a tendance à bloquer en un seul groupe Sabellius, Paul de Samosate, Marcel et Photin el. Loofs note justement que Paul est rapproché de Sabellius au travers de la parenté qu'on a établie pour différentes raisons entre lui et Marcel et Photin 62. Par un mouvement en retour Marcel figurera dans le groupe des hérésies christologiques 63. Nous retrouvons pourtant à une date relativement tardive une confirmation des distinctions esquissées tout à l’heure.

Dans le sermon Dulcem Nobis Nestorius se défend de samosa- ténisme comme de photianisme. Il expose à cette occasion ce que ces deux erreurs ont de commun et ce qui les distingue. Paul et Photin ignorent la divinité du Fils. Paul nie absolument cette divinité ; « le Christ », selon lui « n ’est qu’un homme et il ne commence qu’au moment où il naît de la Vierge 64 ». Pour Photin il y a un verbe autre que « ce qui est venu à la fin des temps 65 ». La thèse trinitaire propre à Photin dépend de celle de Marcel ; elle refuse le titre de Fils au Logos qui n ’est qu’une extension ou une contraction du P è re 6e. Ce n’est pas le sabellianisme pour qui « le Père lui-même est le Fils ». L’expres­ sion « λογοπατώρ » exprime cette différence, le modalisme plus simple

it a vincitur ut hic (Arius) ante saecula subsistentem, hic (Sabellius) verum Deum convincat operatum. » Ibid., II, 23, col. 65 : « Subrepat Hebion initium Filio Dei ex Maria concedens et Verbum a diebus carnis intelligens. »

61 Retenons comme références les plus suggestives, la Legatio Eugenii, pro­ fession de foi des Ancyrates aux évêques égyptiens de Diocésarée, dans Ep i p h a n e,

Panarion, LXXII, 11, éd. Ho l l, p. 266 1. 2-3 ; la lettre des homéousiens au Pape Libère, dans So z o m è n e, HE, VI, 11, PG, LXVII, col. 1321 ; Th é o d o r e t,

Haer. fabid. Compendium, II, 11, PG, LXXXIII, col. 397, rapporte que Diodore a écrit contre ces « quatre », il semble bien qu'il s’agisse d’une réfutation per modum unius ; cf. encore la citation d’Ammonius à la chaîne de Cordier, rapportée dans Ba r d y, p. 107.

62 Cf. Lo o f s, p. 66.

03 Par exemple, dans Ap o l l in a ir e, Apodeixis, fr. 15, éd. Lie t z m a n n, p. 209 ; Quod Unus sit Christus, p. 296 1. 20-21 ; Ma r iu s Me r c a t o r, dans ACO, I, 5, η. 18, p . 28 1. 29-32 ; Lé o n c e d e By z a n c e, Adversus Nestorianos et Eutychianos, III, 41, PG, LXXXVI, 1, col. 1380.

04 Le sermon se trouve dans Ma r iu s Me r c a t o r, ACO, I, 5, η. 23, pp. 39-45. « Paulus atque Photinus nesciunt filii deitatem ... Paulus ac Photinus, o omnium imprudentissime, nesciunt filii duas naturas, nesciunt deum et hominem », loc. cit., p. 41 1. 29-32 ; cf. Ia suite.

05 Dulcem Nobis, éd. cit., p. 41 1. 30-40.

de Sabellius recourt à « υίοπατώρ »67. Mais Photin n ’admet pas que « Dieu le Verbe ait été fait homme » 68 ; est-il même subsistant dans sa divinité 69 ?

Nous reproduirons ici le texte du De Sectis si hautement apprécié par Loofs et Bardy ; il n ’est pas sûr qu’il ne dépende pas du sermon de Nestorius que nous venons de c ite r70 : « Survint encore vers la même époque une autre hérésie, celle de Paul de Samosate. Il errait sur la divinité et sur l’Incarnation ; sur la divinité en n’admettant que le seul Père, sur l’Incarnation en faisant du Christ un simple homme dans lequel viendrait le Verbe de Dieu. N’imaginons pas que sur l’Incarnation il professe la même chose que Nestorius ou sur la divinité que Sabellius. Sur la Trinité Paul ne dit pas que le Verbe personnel est venu dans le Christ, mais il parle de l’ordre et du com­ mandement de Dieu par cet homme ; ce que Dieu voulait, il l’accom­ plissait. Sur la divinité il n ’enseignait pas comme Sabellius ; Sabellius en effet tient que le Père, le Fils et l’Esprit ne sont qu’un même (être), tenant Dieu pour un être portant trois noms et laissant là les trois (êtres). Pour Paul il ne dit pas que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont le même, mais il enseigne que le Père c’est celui qui fait toute chose, le Fils ce n ’est qu’un homme et l’Esprit c’est la grâce illuminant

67 Dulcem Nobis, éd. cit., p. 42 1. 10-15 et 1. 21-23. On peut se demander si de pareils termes sont dus aux hérétiques auxquels on les attribue ; le λογοπατώρ est visiblement calqué sur Γυίοπατώρ de Sabellius. Nous estimons à peine croyable que l'évêque de Sirmium, malgré son audace, ait imité ouvertement Sabellius réprouvé par tout le monde dans l’Eglise, y compris son maître Marcel d’Ancyre ; rien de plus normal par contre que le terme ait été forgé par ses adversaires. Quant au mot υίοπατώρ, qui évoque une réalité hybride, il apparaît pour la première fois, sauf erreur de notre part, dans la Lettre d'Arius à Alexandre d’Alexandrie, dans Ba r d y, Recherches sur saint Lucien d’Antioche, p. 236 ; il se trouve dans Eu s è b e, De Eccl. Theol., I, 1, éd. Kl o s t e r m a n n, p. 62 1. 33 ; 5, p. 64 1. 29 ; II, 5, p. 103 1. 7 ; 12, p. 114 1. 2 ; dans Y Expositio fidei, aux oeuvres de saint Athanase, PG, XXV, col. 204.

68 Dulcem Nobis, éd. cit., p. 42 1. 7-9.

69 Le reproche vient à plusieurs reprises ; cf. Dulcem Nobis, éd. cit., p. 42 1. 1 : « alter vero dicit verbum, non autem hoc confitetur et deum » ; ibid., p. 42 1. 7-9, cette corrélation : « Nescit Christi deitatem nescit divinam substantiam hominem suscepisse, nescit prorsus verbi existentem ante saecula deitatem. » 70 Le Dulcem Nobis inspire les Capitula, dans ACO, I, 5, pp. 81 ssq. ; on jugera d'après le texte reproduit ici si le De Sectis, lui aussi, dépend de Nestorius. On sait que cet ouvrage n’a pas l’autorité que lui donnait Loofs. L’oeuvre est très tardive, après 579 nous dit un des meilleurs connaisseurs de l’ouvrage, M. Richard, dans l'article Théodore de Raïthou du DTC, XV, 1, col. 284. Notre texte, qui correspond à PG, LXXXVI, 1, col. 1213-1216, est traduit sur le texte du MS Arundel 529, fol. 104vo-1 0 5 ro.

les Apôtres. » Monarchianisme pur et simple et psilanthropisme ! En fonction d’eux une interprétation économique de la Trinité, voilà à quoi se ramène la tradition originale sur Paul de Samosate. Tout ceci concorde avec un des rares détails indiscutables qui nous soient parvenus à son sujet. La Synodale, dans les extraits d’Eusèbe, dit : « Il a supprimé les chants à Notre Seigneur Jésus-Christ, comme des nou­ veautés, œuvres de contemporains 71. »