• Aucun résultat trouvé

Premières phases de la crise arienne, l’erreur de Paul située en christologie — I Photin rapproché de Paul en raison de son erreur christologique — II L'erreur

La tradition doctrinale sur le Concile de 268 : Les controverses du IV e siècle

I. Premières phases de la crise arienne, l’erreur de Paul située en christologie — I Photin rapproché de Paul en raison de son erreur christologique — II L'erreur

de Paul dans Apollinaire et le Pseudo-Athanase Contra Apollinarium.

I.

On déforme l’histoire doctrinale du IVe siècle en traitant les cou­ rants antinicéens comme un unique parti qualifié d’ « arien » d’où ne se détacheraient que plus tard des tendances conciliatrices ou, au contraire, extrémistes. En fait l’intelligence des polémiques de ce temps est commandée par l’importance de la tradition théologique qui, sans solution de continuité, va d’Eusèbe de Césarée à Basile d ’AncyreL Le « Père de l’Histoire de l’Eglise » fut aussi le Docteur du large cou­ rant qualifié par Gwatkin de « conservateur 1 2 », courant étranger aux formulations les plus typiques d’Arius, la création du Fils dans le temps et ex nihilo, mais non moins étranger à la définition de Nicée et farouchement opposé à toute exagération dans le sens unitaire 3.

1 Cf. J. Gummerus, Die homöusianische Partei bis zum Tode des Konstantius, pp. 82-84.

2 Cf. H. M. Gwatkin, Studies of Arianism 2, ρ. 41 η. 2.

3 La continuité du courant est marquée par la répétition de formulaires identiques, plus ou moins surchargés d'anathèmes nouveaux : la quatrième formule d'Antioche (Hahn, Bibliothek der Symbole, pp. 187-188) ; celle de Philippopolis (op. cit., pp. 190-191) ; Yecthèse macrostique (op. cit., pp. 192-196) ; la première formule de Sirmium (op. cit., pp. 196-199). Or, Basile d’Ancyre fut un des membres les plus influents du Concile qui élabora cette dernière formule. A la première consentit un esprit aussi peu extrémiste qu’Eusèbe d’Emèse. Celui-ci avait sous­ crit à la seconde formule d'Antioche, le « Symbole de Lucien », dont on sait les affinités avec la fameuse lettre d'Eusèbe à son diocèse après Nicée ; cf. cette lettre dans Théodoret, HE, éd. Parmentier, I, 12, 5, p. 49 1. 16-18, avec 82

C'est dans ce milieu principalement que le souvenir de Paul de Samo- sate sera évoqué.

L'anathème final de Théophane de Tyane (troisième formule d'Antioche) n ’est qu'un écho des objections d’Eusèbe de Césarée : « Et celui qui pense comme Marcel d'Ancyre ou Sabellius ou Paul de Samosate, qu'il soit anathème, lui et tous ceux qui communient avec lui 4. » La Lettre des Orientaux de Sardique se rapproche fortement des œuvres d'Eusèbe contre le « Galate » : même inspiration et des thèmes identiques 5. L'usage du livre de Marcel ne suffit pas à rendre raison des nombreux et irrécusables points de contact entre cette Lettre et les livres d'E usèbe6. Les Evêques rapprochent trois fois Marcel et Paul de Samosate, toujours dans le ton nuancé des exposés d'Eusèbe. Jamais on n ’identifie ; on indique clairement certaines affi­ nités entre les deux hérétiques, on en signale de pareilles avec d’autres erreurs 7.

La rédaction de Yecthèse macrostique coïncide probablement avec ■la condamnation d ’Etienne d’Antioche 8. Le formulaire répète d’abord

ce passage de la seconde formule d’Antioche : « δηλονότι πατρός άληθώς πατρός οντος, υίοΰ δέ άληθώς υίοΰ δντος, του δέ άγιου πνεύματος άληθώς άγιου πνεύ­ ματος » (Hahn, op. cit., ρ. 185). Quant à l’importance d’Eusèbe de Césarée pour ce groupe, on la mesurera à ce qui est selon toute vraisemblance son oraison funèbre par Eusèbe d’Emèse, PG, XXIV, col. 1059 : « Puto enim me audire eum dicentem : 'Unigenitus Dei filius’. Ecce enim religiosa vox per os ejus semper promebatur. Memoria enim erat Unigeniti ad gloriam non nati Patris » ; cf. E. Buytaert, L ’Authenticité des dix-sept opuscules contenus dans le MS. T. 523 sous le nom d’Eusèbe d’Emèse, RHE, XLIII, 1948, p. 87.

4 Hahn, Bibliothek dev Symbole, p. 187 ; il ne faut pas oublier de traduire les deux ή du texte : « καί Μαρκέλλου του Ά γκύρας, ή Σαβελλίου ή Παύλου του Σαμοσατέως. »

5 Le texte de la Lettre, dans Hilaire, Fragments historiques, éd. Feder, IV, pp. 48-78. Au sujet de cette lettre, cf. L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Eglise, II, pp. 216-218.

e Ces rapprochements sont trop nombreux pour pouvoir être énumérés ici ; il suffira de parcourir le Contra Marcellum d’Eusèbe pour les retrouver à tout instant.

7 Cf. la Lettre des Orientaux, dans Hilaire, Fragments historiques, IV, 2, éd. Feder, p. 50 1. 11-13 : « Nunc falsitatibus Sabelli, nunc malitiae Pauli Samo- satensis, nunc blasphemiis Montani haereticorum ominum ducis aperte permiscens » ; ibid., IV, 4, p. 52 1. 11-14 : « Sabelli haeretici sectam inducens callida fraude decepit restaurans Pauli Samosatensis et artes et dolos. Mixta enim est omnium haereticorum sectis Marcelli extranea traditio, sicut supra memoratum est » ; ibid., IV, 28, p. 67 1. 14-16 : « Inducentes novam sectam Judeo couniti Marcelli, mixtam Sabellio et Paulo, judaizantem. »

8 Cf. H. M. Gwatkin, Studies of Arianism 2, p. 129 ; B. J. Kidd, An History of the Church, t. II, p. 97.

dans son intégrité le quatrième Symbole d'Antioche. La partie origi­ nale contient plusieurs expressions annonçant la première formule de Sirmium et les manifestes homéousiens9. Paul, Marcel et Photin, Sabellius sont nommés, mais soigneusement distingués entre eux : « IV. όποιοι είσιν οί άπό Παύλου τού Σαμοσατέως...

VI. τοιοΰτοι δέ είσιν οι άπό Μαρκέλλου καί Φωτεινού των Άγκυρο- γαλατών

VII. τοιούτοι γάρ είσιν οί Πατριπασσιανοί μέν παρά 'Ρωμαίοις, Σαβελ- λιανοί δε καλουμένοι παρ' ήμΐ ν. .. 10 11 »

Pas plus que l'anathème porté contre les « Sabelliens » ne vise une église contemporaine, l'expression « ceux de Paul de Samosate » ne révèle un intérêt spécial pour quelque secte paulinienne encore existante à Antioche ou ailleurs ; c’est la doctrine de Paul qu'on vise, un des spectres sans cesse agités au cours de ces controverses !

Venons-en aux doctrines mises sous ces trois chefs, Paul de Samo­ sate, Marcel et Photin, les Sabelliens. Avec ceux-ci pas d'équivoque, on leur reproche l’identification des trois personnes divines, trois noms pour un seul prosopon, et le patripassianisme11. Contre Paul et un monarchianisme trop absolu, on affirme avec décision la trinité des personnes. Mais l’accent est sur la christologie ; Paul prétend que le Christ n'est « par nature qu'un simple homme 12 ». Il n'aurait pas été avant les temps ; tiré des hommes il « a été fait Dieu » après l'Incarnation. Contre quoi on assère que de Dieu qu’il était, il est

9 Rapprocher tout spécialement les anathèmes IV-VI (Hahn, Bibliothek der Symbole, pp. 193-194) des textes homéousiens rapportés par Epiphane, Panarion, LXXIII, 2-11, 12-22 ; ainsi les trois personnes désignées par le terme « πρόσωπον » (an. IV, et Epiphane, loc. cit., i. al., 14, éd. Holl, p. 286 1. 23) ; le Christ, Dieu avant les temps (an. IV, et Epiphane, loc. cit., 11, p. 283 1. 17-28) ; Dieu parfait et « vrai » « κατά φύσιν « et non « φύσιν ψιλόν άνθρωπον » (an. IV, et Epiphane, loc. cit., 9, p. 280 1. 6-16), il n'est ni « λόγος ψιλός » ni « άνύπαρκτος » (an. V, et Epiphane, loc. cit., 12, p. 285 1. 2-10). On notera aussi l’importance donnée par les homéousiens au terme « ύπάρχειν » qui, comme είναι, marque la subsistance (cf. Epiphane, loc. cit., i. mult. al., 15, p. 287 1. 19). Le subordina- tianisme de l'an. VI est identique à celui d’Eusèbe de Césarée ; il sera canonisé dans la question des théophanies par le premier Synode de Sirmimum, celui-là même qui vit le triomphe de Marcel d'Ancyre sur Photin ; cf. inf. On voit comme tous ces faits sont connexes. Enfin on a souvent relevé la présence d’ « όμοιος κατά πάντα »> dans l'an. VI de Vecthèse.

10 Hahn, Bibliothek der Symbole, pp. 193-194. 11 Cf. an. VII.

devenu homme, qu’il est né avant les siècles, qu’il est « Dieu parfait et vrai de par sa nature 13 ». Tels paraissent être pour les auteurs de l’ecthèse le samosaténisme et la réfutation à lui opposer. Toute la thèse du logos entendu sur le type humain, immanent et proféré, devenu fils depuis l’Incarnation et voyant finir ce règne, est réservée à Marcel et Photin, expressément distingués des « samosatéens 14 ».

On se gardera donc d’attribuer à Paul les thèses spécifiques de Marcel et de Photin ; la sienne consiste simplement dans le psilan- thropisme corrélatif à un monarchianisme absolu 15. Cette conclusion correspond à l’idée que saint Athanase se fait de la doctrine de Paul. Athanase ne possédant pas à cet égard de sources de première main 16, son témoignage reflète l’opinion courante. Loin de constituer une quantité négligeable, l’erreur de Paul représente pour lui une déviation criante dont on se rappelle la retentissante condamnation 17 ; Atha­ nase ne met pas le modalisme sabellien en relation avec le samosa­ ténisme 18. Paul nie la préexistence du Fils, ne voit en lui qu’un « homme par nature », néglige sa participation à la divinité du Père 19.

13 On relèvera tout spécialement l’expression « μή έξ άνθρώπων μετά ταΰτα θεόν άλλ’ έκ θεού ένανθρωπησαι δι* ήμάς. »

14 Sur la distinction expresse entre Marcel et Photin, d’une part, et les « samosatéens », de l'autre; cf. le début de l’an. V : « βδελυσσόμεθα δέ π ρός τ ο ύ τ ο ις καί άναθεματίζομεν καί τούς . . . καλοΰντας. » Tout l'effort d'Eusèbe contre Marcel tiendrait dans cette formule de l’an. V : « Χριστόν δέ αυτόν καί υιόν του θεού καί μεσίτην καί εικόνα του θεού. »

15 Cette idée, la plus ancienne sur Paul de Samosate, contredit les thèses de Loofs qui du reste dit que dès le début on a jugé de façon erronée la doctrine de Paul. Il distingue quatre périodes dans l’opinion au sujet de l’hérésiarque. De la première il écrit : « Diese oberflächlichste und ungerechteste ‘anti-ebionistische’ Beurteilung des PvS » (Loofs, p. 61). Cette conception est aussi vieille que la Synodale ; les extraits qu’en donne Eusèbe en témoignent, mais Loofs n’a pas grande confiance dans les Pères de 268 ; il préfère reconstruire à grands renforts de parallèles (?) et de déductions une doctrine de la Trinité qu'il attribue à Paul : une Trinité à développement économique. « PvS bei dem die (metaphy­ sisch-) ökonomisch-trinitarische Anschauung eine dynamistisch-monarchianische Färbung verrät. . . » (Loofs, p. 257.)

16 Cf. inf. à propos de l’affaire de Yhomoousios.

17 Cf. le ton des textes cités dans les notes suivantes et Historia Arianorum, 24, PG, XXV, col. 460 : « τό φρόνημα δπερ ή μέν Εκκλησία έξέβαλεν. »

18 Cf. Athanase, I l l a c. Arian., 4, PG, XXVI, coi. 328 ; 36, ibid., col. 400 ; De Sententia Dionysii, 9 ssq., PG, XXV, coi. 492 ssq., attribue à Sabellius un monarchianisme exagéré, mais aucune allusion au Samosatéen en ce passage.

19 Cf. Athanase, la c. Arian., 25, PG, XXVI, col. 64 ; 38, col. 89 ; l i a c. Arian., 13, col. 73 ; I l i a c. Arian., 51, col. 429 ; 26, col. 377. Quand il dit que Paul fait du Christ « un autre » que le Logos ou Fils de Dieu, on surprend dans

Sur le « consubstantiel » de Paul, Athanase avoue son ignorance ; l'explication qu'il en propose, il la tire du fait que le Christ n'est pour Paul rien autre qu'un homme 20.

I I .

Si le reproche d'ébionisme ne porte pas contre Marcel d'Ancyre, on admet qu'il vaut contre Photin 21. Marcel n'a peut-être rien été de plus qu'un défenseur maladroit de l'orthodoxie, Photin semble n'avoir craint ni les durcissements ni les ruptures 22. De lui la posté­ rité gardera surtout l'impression d'un ébionisme cru. Vigile de Thapse dans son Dialogue où interviennent Arius, Sabellius et Photin, fait dire à ce dernier : « Ego Domino nostro Jesu Christo initium tribuo, purumque hominem fuisse affirmo, et per beatae vitae excellentis­ simum meritum, divinitatis honorem fuisse adeptum 23. » Dans Yecthèse

macrostique Photin n'était considéré que comme un épigone de Marcel.

Une fois qu’on les distingue, on rapproche Photin de Paul de Samo- sate, précisément à cause de la christologie. Nous nous efforcerons d'examiner aussi minutieusement que possible les restes de cette polé­ mique. L'histoire de Photin, notait Hefele, présente presque autant d'obscurité que la chronologie de saint P a u l24. Athanase, le grand pourvoyeur de documents sur les crises du IVe siècle, ne fournit guère

les deux cas qu'il s’agit d’une déduction d'Athanase : ad Maxim., 3, PG, XXVI, col. 1089 : « Ενα μή ό Σαμοσατεύς πρόφασιν εύρη, άνθρωπον αυτόν λέγων, ώς άλλον όντα παρά τον Θεόν Λόγον » ; cf. De Decr. Syn. Nie., 10, PG, XXV, col. 433 et ibid., 24, col. 457-460.

20 Cf. Athanase, De Synodis, 45, PG, XXVI, col. 472.

21 Cf. J. A. Dorner, Entwicklungsgeschichte..., p. 864 n. 1 : «Ungerecht war die Anklage der Arianer und Semiarianer auf Samosatenismus ; das erkann­ ten Billigerdenkende. » Pour Photin, cf. L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Eglise, t. II, ρ. 230, qui tient ce psilanthropisme pour une conséquence logique des thèses de Marcel; B. J. Kidd, An History of the Church..., t. II, p. 97; T. Zahn, Marcellus von Ancyra, pp. 189-191.

22 Sur son destin, cf. Hilaire, Fragments historiques, éd. Feder, serie B, II, 9, pp. 146 ssq.

23 V ig ile de Thapse, C. Arianos, Sabellianos et Photinianos Dialogus, X, PL, LXII, col. 187 ; cf. Sozomène, HE, IV, 6, PG, LXVII, col. 1120 : « Il dit qu’il y a un seul Dieu tout-puissant qui a fait toutes choses par son propre verbe ; il n'admet ni la génération avant les temps ni l’existence du Fils avant les temps, mais il prétendait que le Christ a été engendré (γεγεννήσθαι) de Marie. »

de précisions sur les partisans compromettants de Yhomoousios ; Hilaire nous renseigne dans ses fragments historiques sur l’attitude des Occi­ dentaux à l’égard de Photin, mais il n’y a pas à rechercher là de précisions doctrinales.