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Le Rapport des Ariens et de Paul de Samosate : dépendance ou opposition ?

La tradition doctrinale sur le Concile : L ’hom oousios La christologie arienne

A. Le Rapport des Ariens et de Paul de Samosate : dépendance ou opposition ?

Il était classique autrefois de voir dans Arius l’héritier de Paul de Samosate 25. Ce jugement s'appuie sur une phrase fameuse lancée au début de la controverse arienne par Alexandre d’Alexandrie : « Je passe, très chers, sur bien des choses que j'aurais à dire ; il me paraît fastidieux de m ’en étendre avec des maîtres qui partagent mon senti-

Pères qui l’opposent à l'affirmation de Paul : « Il dit qu’il ignore deux Fils », affirmation qui se trouve expressément à S, 21, qui vient de nous occuper.

24 Cf. sup., ch. I.

25 Cf. J. H. Newmann, The Arians of the Fourth century, pp. 3-9 ; et plus récemment encore A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. II, p. 187 n. 1.

ment. Vous-mêmes, en effet, vous êtes instruits de Dieu, vous n ’ignorez pas que la doctrine qui vient de surgir contre le sentiment ecclésias­ tique, est celle d’Ebion et d’Artémas, le zèle (ζήλος) de Paul de Samo- sate d ’Antioche, excommunié de l’Eglise par le synode et le jugement des Evêques de partout ; Lucien qui lui succéda, resta hors de l’Eglise durant le temps assez long de trois Evêques 26. » Le rapprochement qu'opère la même lettre entre Paul et Arius n ’a rien de forcé. La doctrine d’Arius y est représentée avant tout comme le rejet de la divinité du Christ, comme la participation de celui-ci à l’instabilité foncière des créatures, il n ’y échappe pas par nature, mais par sa libre conversion vers le bien 27. La solution du Père d ’Alès, qui traduirait « ζήλος » par « rivalité », l’arianisme constituant une réaction exagérée contre le samosaténisme,. va contre tout le contexte 28. Le rapproche­ ment rappelle bien plutôt les allusions à la doctrine de Paul telles que nous les relevions plus haut chez Athanase 29.

Les courants proches de l’arianisme n ’ont cessé de réagir contre le sabellianisme et de façon ou d’autre contre Paul de Samosate ; le subordinatianisme remonte à Origène, il est chez lui à Alexandrie. Aussi a-t-on contesté purement et simplement la valeur historique du rapprochement d’Alexandre 30. D’autres ont songé à une confusion sur le nom de Lucien ; au lieu de s’agir du fameux martyr, il serait ques­ tion ici d’un successeur de Paul, inconnu par ailleurs 31. Le Dr Raven

20 Dans Théodoret, HE, I, 4, éd. Parmentier, p. 17 1. 22 -p. 18 1. 4. 27 Cf. ibid., p. 9 1. 10-16 et p. 11 1. 3 - p. 12 1. 6.

28 Cf. A. d ' A l è s , Autour de Lucien d'Antioche, dans Mélanges de l'Univer­ sité de St-Joseph de Beyrouth, 1938, pp. 185-193. Le rapprochement entre Ebion, Artémas et Paul, qui disparaîtrait dans l'hypothèse du P. d'Alès, est une cons­ tante qui remonte à la Synodale d'Antioche et est repérable dans toute la suite de la tradition; cf. sup., pp. 61-62 et p. 73 à propos de Pamphile et d'Eusèbe. Nous ne pouvons absolument pas souscrire à la remarque de G. Bardy, Recherches sur saint Lucien. . ., p. 51, à ce propos : « La liste des hérétiques qui figure dans la Lettre est assez composite. »

29 Beaucoup veulent voir dans cette pièce d’une haute tenue théologique la main du jeune Athanase. H. M. Gwatkin, Studies of Arianism, p. 32 n. 4, note avec pertinence : « It is not safe to set down all that resembles Athanasius as his genuine work. Alexander must have powerfully influenced his young deacon. » Notons à ce propos que la haute tenue théologique d’une oeuvre et son caractère « précurseur » ne sont pas forcément des signes d'inauthenticité.

30 Cf. H. M. Gwatkin, Studies of Arianism, p. 17 n. 1.

31 Cette thèse a été lancée par Loofs, pp. 183-186 et acceptée par un auteur aussi sévère que F. Diekamp, dans Theologische Revue, 1925, col. 208 ; rappelant que c'était déjà la solution de Dom Ceillier, Bardy s’y est rallié dans ses Recherches sur saint Lucien.. ., pp. 50 ssq.

a préféré accepter les dires d’Alexandre, én conséquence il décrit ce qu’il pense avoir été l’évolution de Lucien. Cette présentation table avec assez de justesse sur la réelle parenté entre le samosaténisme et le subordinatianisme32.

Nous avouons n ’avoir pas de solution à proposer à cette crux

interpretum. Quelques éléments pourtant nous paraissent requérir consi­

dération. Alexandre donne à sa mention de Lucien un caractère épi­ sodique. Nous ne pensons pas qu’il songe à baser son rapprochement entre Arius et les hérétiques antérieurs sur autre chose que la ressem­ blance des doctrines 33. L'importance des postes occupés par les élèves de Lucien au début de la crise arienne rend difficile de croire que celui-ci ait été un hérétique notoire, un membre de la secte si abhorrée de Paul de Samosate 34. La période donnée pour sa séparation d’avec l’Eglise, « trois Evêques », laisse probablement peu de temps entre une conversion supposée et sa mort 35 36. Relevons enfin l'état très maigre de notre information sur Lucien et sa doctrine 3e. Il ne faudrait peut- être même pas exagérer la cohésion de son école. Une épithète lancée par Arius, les catalogues d’un historien partial, est-ce assez pour inter­ préter les origines de l’arianisme en fonction de la solidarité d’une école « groupe homogène, parfaitement un, qui sut à travers mille difficultés garder son souvenir (de Lucien) 37 » ?

Ces considérations ne résolvent pas tout le problème ; elles nous autorisent du moins à dire qu’il n ’y a pas entre Arius et Paul de Samo­ sate des rapports tels que sur un point ils ne puissent avoir professé des opinions divergentes, voire absolument contraires.

32 Cf. C. E. Raven, Apollinarianism, pp. 72-78.

33 Qu’il s'agisse dans la phrase si discutée d'un mouvement oratoire plus que de toute autre chose, nous semble ressortir du pluriel : « ών της άσεβείας την τρύγα έρροφηκότες », Théodoret, HE, I, 4, 36, éd. Parmentier, p. 18 1. 4-5.

34 Cet argument a été bien développé par G. Bardy, Recherches sur saint L u cien ..., pp. 57-58.

35 Loofs, p. 186.

36 Cf. G. Bardy, Recherches sur saint L u cien ..., p. 81, pp. 185 ssq. 37 La dernière citation est de G. Bardy, Recherches sur saint Lucien. . ., p. 185. Nous faisons allusion au « συλλουκιανιστά » qui figure dans la lettre d’Arius à Eusèbe de Nicomédie, dans Théodoret, HE, I, 5, éd. Parmentier, p. 27 1. 7. Bardy, dont l’ouvrage représente au moins le maximum de ce qu’on peut tirer des maigres informations transmises sur Lucien, se sent pris de scru­ pules à l’égard de cette épithète et écrit, Recherches sur saint Lucien. . ., p. 189 : « Il est peut-être imprudent de trop appuyer sur un mot jeté en passant à la fin d'une lettre. » Pour Philostorge, cf. son Histoire ecclésiastique, II, 14, éd. Bidez, p. 25 1. 10-18.

B. Témoignages sur la christologie arienne en dehors