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La tradition doctrinale sur le Concile de 268 : Les controverses du IV e siècle

A. Le Concile de Sirmium

L’acte décisif contre Photin est le Synode de Sirmium de 351 où Basile d’Ancyre défit l’hérétique en débat public 25. Des trois auteurs qui nous transmettent le Long Credo, émis par ce Synode, Socrate seul donne un texte qui mentionne Paul de Samosate 2e. Epiphane nous dit de Photin qu’il enseigne : « όμοια και επέκεινα των Παύλου του Σαμοσατέως 27. » Epiphane connaît sans doute les anathèmes du

Long Credo, mais il se sert en outre du Dialogue entre Basile d’Ancyre

et Photin. Une partie de son chapitre sur Photin s’y alimente 28. En terminant les citations qu’il en extrait, Epiphane constate une fois encore que les dires de Photin reproduisent ceux de Paul quand ils ne les dépassent pas. L’état du texte n ’interdit pas de voir ici une cons­

tatation de Basile lui-même : « ήδη δε εϊπον δτι άπό μέρους Παύλου τού Σαμοσατέως εχων τά δμοια της έννοιας, ετερα δε ετι παρ' εκείνον ύπερβεβηκώς τη έννοια. » Soucieux de compléter la phrase par un verbe personnel, Holl suggère de suppléer après « έννοιας », « έφθέγγετο 29 ». Il attribue ainsi sans équivoque possible la phrase à Epiphane, mais néglige la possibilité qu’on ait affaire ici à un reste du Dialogue.

On en arrive à se demander si Epiphane ne compose pas son chapitre sur Paul à l’aide de l’argumentation homéousienne contre Photin. La singularité de ce chapitre, dénué d’éléments historiques

25 A ce sujet cf. L. Duchesne, Histoire ancienne de l'Eglise, t. II, p. 250. 26 Soit, Athanase, De Synodis, 27, PG, XXVI, col. 436 ssq. ; H ilaire, De Synodis, 38, PL, X, col. 509 ssq. ; Socrate, HE, II, 30, PG, LXVII, col. 280 ssq. Socrate ajoute au XX VIIe et dernier anathème : « ώς ό Σαμοσατεύς » ; cf. Loofs, p. 64.

27 Epiphane, Panarion, LXXI, 1, éd. Holl, p. 249 1. 13.

28 Dans Epiphane, Panarion, LXXI, 2, éd. H o ll, p. 251 1. 3-18. Dans la phrase initiale le « δτι » introduit certainement un discours direct : « εί. . . Βασίλειος ήρώτησεν δτι πώς. » Le reste le plus frappant du sténogramme est le « τί οΰν » de 1. 8. Nous ne voyons pas qu’on puisse l’expliquer autrement que comme une exclamation de surprise de l’interlocuteur ; il est d’ailleurs entouré de deux phrases, chacune accompagnée d’un φησίν.

jusqu'à taire la condamnation de Paul, a frappé Bardy et Loofs 30. Epiphane prête à Paul la thèse d ’un logos retournant dans le Père, d’un logos et d’un esprit à entendre en analogie au verbe humain, toutes choses bien spécifiques des doctrines de Marcel et de Photin 31. En comparant le chapitre d’Epiphane sur Photin avec son chapitre sur Paul, on serait bien en peine de dire en quoi Photin a été « au delà de Paul ». Si quelques données authentiques sur Paul se laissent détecter chez Epiphane, si tout spécialement une allusion à Yhomoousios et à l’emploi de « ούσία » paraît certaine, une source homéousienne suffit à expliquer ces particularités 32.

Par ce biais nous pensons avoir établi l’évocation de Paul de Samosate au Synode de Sirmium. Nous chercherons maintenant dans le Long Credo les marques propres de la théologie de Photin et tout spécialement la place qu’y tient la christologie.

Le Long Credo reprend à son tour la quatrième formule d’Antioche et y ajoute une partie originale qui débute avec le second anathème 33 Toute cette partie peut paraître un pêle-mêle d’anathèmes lancés dans toutes les directions. Saint Hilaire attribue cette multiplicité à la variété des problèmes soulevés par P h o tin 34. L’ensemble des anathèmes se laisse en effet ramener à des thèses connues pour avoir été professées par Photin. Les Nos 6, 7 et 14 s’attaquent à des propositions de Marcel35 ; par les restes du Dialogue entre Photin et Basile d’Ancyre nous apprenons que Photin en défendait expressément au moins une 36.

30 II s'agit d’EpiPHANE, Panarion, LXV, éd. Holl, pp. 2-13 ; cf. Loofs, pp. 161-164, et Bardy, pp. 93-98.

31 Cf. Ep i p h a n e, Panarion, LXV, 1, p. 3 1. 10-11, p. 4 1. 2-4, 1. 7-8 ; 3, p 5 I. 15-18, etc.

32 II s’agirait des notions sur l’Incarnation, E p ip h a n e , Panarion, LXV, 7, p. 10 ; outre le rapprochement avec Artémon, qui a pu devenir classique très tôt, cf. la Lettre d'Alexandre d'Alexandrie, dans T h é o d o r e t , HE, I, 4, éd.

P a r m e n t i e r , p. 17 1. 25. L’allusion à Yhomoousios, loc. cit., p. 11 1. 18-21 ; qu’on rapprochera d’HiLAiRE, De Synodis, 81, PL, X, col. 534.

33 Le début du second anathème marque la coupure : «πάλιν οΰν έρουμεν.. . », dans Hahn, Bibliothek der Symbole, p. 197.

34 Hi l a ir e, De Synodis, 39, PL, X, col. 512-513.

35 An. VI et VII (d’après Ha h n, Bibliothek der Symbole, p. 197) le πλατύνεσ- θαι de la substance divine ; cf. Eu s è b e, De Eccl., Theol. II, 6, éd. Kl o s t e r­

m a n n, p. 103 1. 18-20 et Ma r c e l, ibid., fr. 67, pp. 197-198 ; fr. 71, p. 198 ; An. XIV

(Ha h n, loc. cit., p. 198), sur l’interprétation du « Faciamus hominem » d’un verbe intérieur ; cf. notamment Ma r c e l, fr. 58, p. 195, et Eu s è b e, De Eccl. Theol., II, 16, p. 120 1. 1 ssq. ; 18, p. 122 1. 29-31 ; III, 3, p. 157 1. 22-28.

Encore des thèses marcelliennes reprises par Photin dans l'interpré­ tation strictement monarchianiste de Is. X L I V , 6 (an. 11) et dans l’assertion de la préexistence du Fils en la seule prescience divine (an. 5) 37 ! Les anathèmes relatifs aux théophanies (an. 1, 16, 17) répètent les arguments favoris d’Eusèbe de Césarée en faveur de la subsistance autonome du Fils 38. Jusqu’ici on retrouve les objections de Yecthèse macrostique à ce qu’ont de commun les positions de Marcel et de Photin. On les retrouve encore à l’anathème 8 rejetant la doctrine du « λόγος ενδιάθετος » et du « λόγος προφορικός ». Marcel y avait donné prise39.

Les anathèmes 4,10, 19, 20 visent les thèses sabelliennes. Sabellius, nous l’avons noté, est l’auteur le plus souvent évoqué dans la polé­ mique contre Marcel ; on ne s’étonnera pas d’entendre prononcer son nom à propos de Photin. L’anathème 2 condamne l’affirmation de l'existence de deux dieux, l’anathème 25 le précise et le développe : on aboutit à deux dieux si l’on pose deux inengendrés. L’anathème résout donc par la voie du subordinatianisme le problème de 1’ori­ gination. L’anathème 24 réaffirme l'ineffabilité et la singularité de la génération du Verbe. Tout ceci constitue en termes chers à Eusèbe de Césarée une réfutation du monarchianisme, une attaque contre la méconnaissance du Fils subsistant40. On replacera dans les mêmes conceptions trinitaires les quatre anathèmes relatifs au Saint-Esprit (an. 20-23) ; eux aussi trouvent des pendants dans l’œuvre d’Eusèbe contre Marcel d’Ancyre 41.

Il reste les canons 3, 9, 12, 13 et 27. Pour l’anathème 3, deux leçons sont en présence, celle du texte grec : « κ. ε. τ., λέγων Θεόν τον Χριστόν προ αιώνων Τίόν του Θεοΰ, ύπουργηκότα τω Πατρί

37 Cf. Hahn, Bibliothek der Symbole, p. 197 ; cf. Marcel, éd. Kloster­

mann, fr. 58, p. 195 ; fr. 76, pp. 200-201 ; fr. 42, p. 192 ; cf. dans la Dispute,

Epiphane, Panarion, LXXI, 2, p. 251 1. 10-12 ; on notera les φησί.

38 Cf. chapitre préc. n. 43.

39 Cf. dans Yecthèse, an. V, Hahn, Bibliothek der Symbole, pp. 193-194 ; cf. Marcel, éd. Klostermann, fr. 103, ρ. 207 1. 25-26, et les reproches d'Eusèbe, i. a., c. Marc., I, 1, p. 4 1. 12 ssq.

40 Rapprocher l’an. II et surtout l'an. XXVI, Hahn, Bibliothek der Symbole, pp. 197 et 199, d’un passage comme Eusèbe, De Eccl. Theol., I, 11, éd. Kloster­

mann, p. 69 1. 29 ssq. ; pour le refus de deux dieux, cf., pour rester dans les œuvres d’Eusëbe contre Marcel, l'index de Klostermann à l'édition de ces œuvres, p. 233, col. b.

41 Cf. tout spécialement Eusèbe, De Eccl. Theol., III, 5 et 6, éd. Kloster­

εις τήν των δλων δημιουργίαν μή όμολογη, α. ε. 42 » et une version latine dans saint Hilaire : « Si quis unum dicens Deum, Christum autem Deum ante saecula filium Dei obsecutum Patri in creatione omnium non confitetur, a. s. 43. » Le premier texte a pour lui deux autorités, Athanase et Socrate, et représente la lectio difficilior ; mais l'anathème 27, qui semble reprendre cet anathème comme l’anathème 26 reprend l’anathème 2, ferait peut-être préférer la leçon d’Hilaire si la leçon grecque ne trouvait un parallèle frappant dans la Lettre des

Six Evêques. Nous y reviendrons en traitant ex professo de celle-ci 44.

L’ensemble de l’anathème 27 reprend la doctrine générale de tout le Credo; saint Hilaire commente excellemment : « Il fallait que la condamnation de cette hérésie, pour laquelle on s’était réuni, fût conclue par un exposé de toute la foi à laquelle elle s’opposait, elle qui assérait faussement que le commencement du Fils de Dieu prenait à l’enfantement de la Vierge 45. » Notre anathème se termine en effet sur le rejet de cette dernière erreur, et par cette pointe antiébionite rejoint l’anathème 9 : « Si quelqu’un dit que le Fils de Marie n ’est qu'un homme, qu’il soit anathème 46. » Les anathèmes 12 et 13 conser­ vent eux aussi les traces de la place donnée à la christologie dans la condamnation de Photin. L’anathème 13 énonce sur l’immutabihté de la divinité à travers la Passion et la mort les thèses christologiques d’Eusèbe de Césarée. L’anathème 12 semble avoir été provoqué par des objections de Photin : « Si quelqu’un, entendant que ‘le Verbe s’est fait chair’, dit que le Verbe a été changé en chair ou qu’il a pris la chair en subissant un changement, qu’il soit anathème. » La thèse réprouvée ici, Epiphane l’attribue à Photin lui-même 47. Tillemont rele­ vait l’étrangeté de cette attribution 48. Epiphane pourtant n ’improvise pas ; il se réfère aux dires de l’hérétique : « C’est ainsi en effet que dans l’égarement de sa pensée, il discourut sur cet endroit », il s'agit de Jo. 1, 14.

42 Hahn, Bibliothek der Symbole, p. 197 ; cf. la traduction française de

Hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, I, 2, p. 854 : « Si quelqu’un dit que

le Christ est Dieu et Fils de Dieu avant tous les temps sans admettre qu'il a aidé le Père dans la création de toutes choses, qu'il soit anathème. »

43 Hilaire, De Synodis, 38, PL, X, col. 510. 44 Cf. chapitre VII, p. 130-131.

45 H ilaire, De Synodis, 61, PL, X, col. 521-522. 46 Hahn, Bibliothek der Symbole, p. 197.

47 Epiphane, Pa?iarion, LXXI, 3, éd. Holl, p. 252 1. 18-21.

48 Til l e m o n t, Mémoires pour servir à VHistoire ecclésiastique, t. VI, Notes sur les Ariens, Note 35, p. 760.

Avec Hefele nous pensons qu’Epiphane s’abuse et fait d ’une réduction à l’absurde une assertion de Photin. Nous ne pensons pour­ tan t pas que le seul anathème 12 rende raison du dire d’Epiphane49. Celui-ci mentionne un second texte discuté par Photin, I Cor. X V , 47 : « Le premier homme de la terre, terrestre ! le second homme du ciel, céleste i 50 » Selon nous, Photin, au travers de ce texte, m ettait sur une même ligne Adam et le Christ, tous deux « hommes ». Une quel­ conque influence du Logos expliquerait le caractère céleste de cet homme. Basile d’Ancyre, — car il semble bien que là encore Epiphane utilise ses dires, — rétorque que ce texte marque précisément la venue dans la chair du Logos préexistant51. Le texte est corrompu à cet endroit ; à s’en tenir à la suite, Basile corroborait son argumentation par Jo. I, 14, et Photin lui reprochait d’aboutir à une métamorphose du Verbe 52.

La théologie de Photin s’avère donc être un monarchianisme rigou­ reux joint à un adoptianisme non moins strict. La première de ces thèses est développée en prolongation aux enseignements de Marcel d ’Ancyre. Pour la réfuter, Basile d ’Ancyre et les « conservateurs » n ’ont qu’à puiser aux thèmes d ’une polémique déjà élaborée par Eusèbe de Césarée. En christologie Photin, à la différence de son maître, professe l’ébionisme pur et simple. Le Fils de Marie ne préexiste pas à l’Incarnation. Il entre dans l’existence à la conception virginale et commence alors à devenir Dieu. Julien l’Apostat félicitera Photin de sa répulsion à l’idée que Dieu descende dans le corps d’une femme 53. La polémique « conservatrice » avait jusqu’ici soigneusement distingué Paul et Marcel. Si Paul est rapproché de Photin, c’est à cause de l’erreur christologique de ce dernier. Nous tenons ainsi ce qui dans Photin « est de Paul de Samosate » et ce qui va « au delà de Paul de Samosate ».

49 Cf. Hefele, dans la première édition de la Konziliengeschichte, p. 613, et Hefele-Leclercq, t. I, 2, p. 846 n. 3 et p. 847.

50 E p ip h a n e , Panarion, LXXI, 3, éd. H o l l , p. 252 1. 1 : « φάσκων 6τι καί ό άπόστολος. »

51 Epiphane, loc. cit., p. 252 1. 14 ssq.

52 Le texte cité sup. suit en effet immédiatement. On rapprochera l'argu­ ment qu’on trouve dans A p o l l i n a i r e , Apodeixis, éd. L ie t z m a n n , fr. 21, pp. 209 ssq. ; et fr. 25 ssq., pp. 210 ssq. sur les mêmes textes.