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S URVEILLANCE , GOUVERNANCE INTERNATIONALE ET BIOTERRORISME

L’AVÈNEMENT DE LA BIOSÉCURITÉ

S URVEILLANCE , GOUVERNANCE INTERNATIONALE ET BIOTERRORISME

L’OMS avait initialement comme mandat d’unifier et de codifier les normes créées par les différents traités relatifs au contrôle des maladies infectieuses avant 1945. L’article  21 de la Constitution de l’OMS confère à l’Assemblée mondiale de la santé, son organe politique, le pouvoir d’adopter des règlements qui sont juridiquement contraignants pour les membres de

OMS, Origin and development of health cooperation, Portail Web de l’Organisation Mondiale de la Santé, sous la

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rubrique « WHO Historical Background », disponible en ligne : http://www.who.int/global_health_histories/ background/en/index.html

David P. Fidler, « Public Health and International Law : The Impact of Infectious Diseases on the Formation

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of International Legal Regimes » dans Price-Smith « Plague and Politics » supra note 89, voir le tableau 13.1 aux p.266-267.

Ibid aux p. 267-269.

l’OMS et qui visent à prévenir et à contrôler la diffusion de maladies infectieuses sur le plan international. En 1969, la 22e Assemblée mondiale de la santé adopte ainsi le premier règlement sanitaire international (RSI), règlement qui resta en vigueur jusqu’à l’adoption, en 2005, du second règlement sanitaire international. La réforme réglementaire initiée par l’adoption du RSI (2005) vise à moderniser l’OMS et à assurer sa capacité à prévenir la propagation des maladies à l’échelle internationale tout en évitant d’entraver de manière inutile le trafic et le commerce international. Le plan d’action détaillé par le RSI (2005) est à 95

la fois plus vaste et plus exigeant que ses prédécesseurs, tant sur le plan de l’architecture de la structure d’interventions et d’interactions qu’il vise à établir, que sur le plan des responsabilités et des obligations des États. Cet élargissement de la portée du RSI se manifeste par un certain nombre d’innovations. Nous en retenons ici quatre principales.

D’abord, contrairement au règlement précédent, qui ne s’appliquait qu’à trois maladies (la peste, le choléra et la fièvre jaune), le RSI (2005) ratisse plus large et vise à couvrir n’importe quelle pathologie humaine «  quelle qu’en soit l’origine ou la source, ayant ou susceptible d’avoir des effets nocifs importants pour l’être humain. » Le but de cette mesure est d’assurer 96

que le règlement soit encore pertinent pour les années à venir et qu’il reste adapté aux réalités changeantes du contexte international et des maladies qui émergent et se propagent. Dans un deuxième temps, le RSI (2005) impose aux États l’obligation de développer des capacités minimales et essentielles en matière de santé publique. Cette obligation découle sans doute du constat établi dès 1996 par la Division des Maladies émergentes et autres maladies transmissibles (EMC) de l’OMS que la menace que représentent les maladies infectieuses pour la sécurité des populations est d’autant plus problématique en raison de l’érosion des structures étatiques en matière de santé publique et la baisse des ressources gouvernementales accordées à la surveillance des maladies transmissibles. L’EMC appelait alors les États à «  renforcer 97

l’infrastructure nationale et internationale nécessaire pour reconnaître, notifier et combattre les

Règlement Sanitaire International (2005), 2e Éd, Organisation mondiale de la Santé, Genève, 2008, art. 2 et 11 95

[OMS, « RSI-2005 »]

Ibid dans l’« avant-propos », viii.

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OMS, Maladies émergentes et autres Maladies transmissibles. Plan stratégique 1996-2000. Organisation mondiale de la

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Santé, Division des Maladies émergentes et autres Maladies transmissibles – Surveillance et Lutte.,WHO/EMC/ 96.1. à la p. 1.

maladies transmissibles émergentes. » L’article 5 du RSI (2005), intitulé Surveillance, invite les 98

États à acquérir, renforcer et maintenir «  la capacité de détecter, d’évaluer, de notifier et de déclarer » divers événements relatifs à la santé . Les États disposent d’un délai de cinq ans, 99

avec la possibilité d’obtenir deux délais supplémentaires de deux ans chacun, pour se doter de telles capacités. L’OMS s’engage aussi à mener des activités de surveillance et, le cas 100

échéant, à aviser les États concernés des risques relatifs à la santé qui sont observés sur leurs territoires. En vertu de l’article  6.1., Les États doivent également se doter de la capacité d’évaluer les événements qui surviennent sur leurs territoires en fonction d’un algorithme décisionnel se trouvant en annexe du RSI (2005). Si le processus décisionnel vient à conclure à une « urgence de santé publique à portée internationale », l’État doit notifier l’OMS dans les 24 h suivant le diagnostic.

Dans un troisième temps, le RSI  2005 instaure une structure  verticale de gouvernance internationale par laquelle le Directeur général de l’OMS acquiert un pouvoir décisionnel important. En ce sens, le Directeur général dispose d’un pouvoir au moyen duquel il peut orienter de façon importante et dramatique la réponse interétatique à des urgences de santé internationales. Ce fait illustre bien les propos de Martha Finnemore et de Micheal Barnett qui, rappelons-le, affirmaient que les organisations internationales développaient un pouvoir autonome en vertu de l’expertise technique qu’elles développent et du contrôle qu’elles exercent sur la définition et la diffusion de normes internationales. De plus comme le 101

mentionne Fidler, les approches verticales de gouvernance par le droit international représentent généralement une tentative d’influencer, ou plutôt de réformer, la politique intérieure d’un État. Le règlement sanitaire de 2005 crée différents ponts de 102

Ibid à la p. 6.

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La nature de ces événements est détaillée à l’Annexe 1 du RSI(2005). On peut y lire que les États doivent, au

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plan national, être entre autres en mesure de détecter « dans toutes les zones tu territoire de l’État Partie, les événements impliquant une morbidité ou une mortalité supérieure aux niveaux escomptés pour la période et le lieu considéré » et être apte à « communiquer immédiatement toutes les données essentielles disponibles au niveau approprié d’action de santé. », OMS, « RSI (2005 ) », supra note 95 Annexe 1, 53.

Ibid, art. 5.2.

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Supra, note 34 et texte correspondant.

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David Fidler, « Emerging Trends in International Law Concerning Global Infectious Disease Control » (2003)

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communications entre les États et l’OMS. Les États doivent en effet désigner ou établir un point central national qui assura la mise en œuvre du RSI (art. 4.1) et qui sera en mesure, à tout moment, de communiquer (art.4.2). avec leurs points de contact respectifs au sein de l’OMS (art.4.3). Ces points dits « focaux » doivent permettre la communication et l’échange des informations urgentes au sujet de l’application du règlement, et plus particulièrement celles ayant trait aux articles 6 et 12.

L’article 6 oblige l’État à notifier l’OMS de l’exigence d’une urgence de santé publique de portée internationale et l’article 12 détaille la manière dont la décision de déclarer une urgence sera prise ou non. À la lumière des informations fournies par les États, le Directeur général décide s’il y a lieu de considérer l’événement en question comme une urgence de santé ou non (art. 12.1.). Si les deux parties, soit l’OMS et l’État ou les États concernés, sont d’accord pour déclarer l’urgence, le Directeur général convie selon la procédure établie à l’article  49 un Comité d’urgence, composé selon les modalités décrites à l’article 48.2, d’experts en fonction des compétences et de l’expérience requises par les particularités de la situation. Le Comité d’urgence a essentiellement comme mandat d’aviser et de conseiller le Directeur général et d’émettre, le cas échéant, certaines recommandations par rapport aux mesures temporaires à adopter (art.48.1). Le directeur général fixe les réunions et l’agenda du Comité d’urgence et doit donner l’opportunité à l’État de lui présenter ses vues. C’est encore le Directeur qui fixe la date de ce rendez-vous et l’État ne peut demander l’ajournement de la réunion du Comité d’urgence où il doit présenter ses vues (art.49.4.). Fait important, dans l’éventualité où l’État et l’OMS n’arrivent pas à s’entendre sur la nécessité, ou non, de déclarer une urgence de santé à porter internationale, c’est le Directeur qui, en dernier ressort, décide de la voie à suivre (art. 49.4.) Selon le RSI (2005), c’est donc à l’OMS et non à l’État que revient la décision de déclarer une urgence sanitaire internationale. Le Directeur de l’OMS, de même que le Comité d’urgence, détient alors un pouvoir considérable en matière de gestion de la santé et du contrôle des maladies infectieuses sur le plan international, un pouvoir qui, en théorie du moins, rivalise sinon surpasse le pouvoir étatique en la matière. Nous verrons plus loin comment cette déclaration d’urgence peut engendrer un certain nombre de conséquences politiques et économiques pour le ou les États concernés.

La quatrième innovation du RSI (2005) touche à l’inclusion des risques de santé publique liés à la diffusion intentionnelle d’agents biologiques par des individus, des groupes ou des États. Alors que son prédécesseur ne traitait que des risques associés à l’émergence naturelle de maladies infectieuses, le règlement sanitaire international de 2005 prend en compte les attaques biologiques menées par l’homme. Cette nouveauté s’inscrit dans une tendance plus large de convergence des problématiques de santé publique et de bioterrorisme qui, nous le verrons plus loin, caractérise le climat ayant permis et définit l’avènement de la biosécurité. Cette tendance fut initiée au cours des années quatre-vingt-dix, alors que certains auteurs, comme Laurie Garrett , se sont affairés à détailler les dangers associés aux risques d’attaques 103

biologiques par des individus ou des groupes radicaux. Les attaques à l’anthrax de septembre et d’octobre 2001 qui ont causé 5 morts et 17 infections aux États-Unis ont accéléré cette convergence des problématiques liées aux épidémies naturelles et au bioterrorisme dans une optique de sécurisation de la santé.

À cet effet, la Global Health Security Initiative (GHSI), un accord informel initié en novembre 2001 par le Canada et d’autres États, marque un point important dans le processus de sécurisation de la santé dans une perspective de bioterrorisme. La déclaration commune émise aux termes de la première conférence du GHSI, tenue à Ottawa en 2001, illustre bien la forte volonté affichée par les États à collaborer dans la prise en charge la menace que représente le bioterrorisme pour la santé publique internationale. Dans un passage qui démontre l’impact de septembre 2001 sur la gestion commune de la santé et de la sécurité internationale, les représentants étatiques affirment que :

« We, Health Ministers/Secretaries/Commissioner, have consistently condemned in the strongest terms all forms of biological, chemical and radio-nuclear terrorism and in particular the acts of terrorism that have taken place in the United States. We affirm our resolve as a group of Health Ministers/Secretaries representing diverse nations to, individually and collectively, take concerted actions to ensure the health and security of our citizens, and to enhance our respective capacities to deal with public health incidents.

Voir supra, note 59 et texte correspondant. Voir aussi Laurie Garrett, « The Nightmare of Bioterrorism »,

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The events of September 11 have changed the focus of governments. It has centered our attention on how we assess risks, how we prepare for any eventuality and how we respond more effectively to public health security crises. It has added urgency and determination to further strengthen our plans, networks and protocols in collaboration with other countries as well as international organizations. Terrorism, particularly bio-terrorism, is an international issue, for instance, an outbreak of smallpox anywhere in the world is a danger to all countries. International collaboration is essential. » 104

La déclaration affirme également la nécessité pour les États de soutenir les activités de l’OMS, notamment en ce qui a trait à la surveillance des maladies, et d’encourager ses efforts à coordonner et à mettre sur pied un plan d’action commun pour la gestion des épidémies internationales. À l’époque, le processus de révision du règlement sanitaire internationale était déjà largement entamé, mais il fut néanmoins influencé par ces développements subis. Par l’adoption d’une résolution de l’Assemblée mondiale de la Santé datant du 16 avril 2002 et intitulée « Usage délibéré d’agents chimiques et biologiques dans l’intention de nuire », l’OMS conseille aux États membres de renforcer leur capacité nationale de surveillance des maladies et à améliorer leur capacité d’intervention en élaborant des plans d’urgence. L’OMS affirme 105

aussi que les mesures qu’elle met en place pour la gestion des épidémies naturelles sont applicables en cas d’attaques biologiques parce que ces dernières se présentent généralement initialement comme des épidémies naturelles.

Aux termes de sa rencontre annuelle de 2012, le GHSI confirme son appui au RSI (2005) et affirme vouloir faciliter et encourager l’intégration du règlement sanitaire international aux différentes législations nationales. Or, il est toutefois important de mentionner que le RSI (2005) ne mentionne pas explicitement les attaques biologiques ou chimiques. Toutefois, la

Canada, Health Ministers Take Action To Improve Health Security Globally. Ministerial Statements of the Global

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Health Security Initiative. Ottawa, 2001, disponible en ligne http://www.ghsi.ca/english/ statementOttawaNov2001.asp.  

Mentionnons également que la déclaration de Paris de 2011 réaffirme, dix ans plus tard, les principes initiaux du GHSI : « Today we reaffirm our commitment to the GHSI and reiterate our common vision for strengthened health security through international cooperation. While our collaborative efforts in response to CBRN terrorism are as relevant today as ten years ago, we remain responsive to the evolving health security landscape and will continue to identify priorities to address current and emerging challenges. » Twelfth Ministerial Meeting Global Health

Security Initiative (GHSI), Paris, Décembre 2011. URL : http://www.ghsi.ca/english/statementparis2011.asp

OMS, Résolution de l’Assemblée mondiale de la Santé WHA13.15, A55/20, Organisation Mondiale de la

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formulation de certains articles laisse entendre que les risques qui y sont associés doivent en effet être pris en compte. L’article 7 affirme qu’un État Partie doit notifier l’OMS s’il survient sur son territoire un « événement inattendu ou inhabituel » et ce « quelle qu’en soit l’origine ou la source »  et qui peut constituer une urgence de santé publique de portée internationale. Ainsi, comme le mentionne David Fidler, «  [t]he new IHR apply to public health risks 106

connected to the international release of WMD agents but lack any specific provision on the issue.  » Selon Fidler, le fait que les armes biologiques ou chimiques ne soient pas 107

explicitement mentionnées dans le RSI (2005) reflète certaines difficultés encourues pendant les négociations menées dans le cadre du processus de révision du règlement. Ces difficultés tenaient principalement au fait que certains États étaient réticents à l’idée de directement attribuer à l’OMS la responsabilité de traiter de problématiques de sécurité touchant à la question des armes de destruction massive alors qu’elles sont déjà prises en charge par d’autres conventions et d’autres régimes. Quoi qu’il en soit, le langage de l’article 7 du RSI (2005) 108

traduit un compromis nécessaire et rend compte de l’intégration des menaces liées aux agents biologiques et chimiques à l’éventail au règlement international sanitaire.

La reconnaissance par l’État de la capacité qu’ont les épidémies naturelles et les attaques terroristes à déstabiliser son mode de fonctionnement l’a donc amené à prendre en charge, dans une optique de sécurité nationale, ces nouvelles menaces qui pèsent contre les populations humaines. Marquée par une plus grande collaboration interétatique et guidée par l’action de l’OMS, la sécurisation de la santé publique est un fait saillant de l’actualité politique et juridique des dernières années. L’avènement de la biosécurité fut également précipité par d’autres processus qui animent les champs culturels et sociaux contemporains. Au nombre de ceux-ci, on compte le processus que certains auteurs qualifient de «  médicalisation  » de la société. Il convient ici, par souci d’exhaustivité, de rendre compte de ce processus. Nous serons ensuite en mesure de fournir une appréciation plus complète de la biosécurité.

IHR est l’acronyme pour International Health Regulation, soit le Règlement Sanitaire International.

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David Fidler, « From International Sanitary Conventions to Global Health Security : The New International

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Health Regulations » (2005) 4:2 Chinese Journal of International Law 325 à la p. 365. Ibid aux p. 363-364.

C. L’ÉMERGENCEDELABIOSÉCURITÉ