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L’ONU ET LA PROMOTION DE LA SÉCURITÉ HUMAINE U NE APPROCHE CONSTRUCTIVISTE DE LA SÉCURITÉ

L’AVÈNEMENT DE LA BIOSÉCURITÉ

C OLLABORER POUR LA SÉCURITÉ

B. L’ONU ET LA PROMOTION DE LA SÉCURITÉ HUMAINE U NE APPROCHE CONSTRUCTIVISTE DE LA SÉCURITÉ

1. LADÉFINITIONDELASÉCURITÉHUMAINE

Pour illustrer l’originalité du concept de la sécurité humaine, il est intéressant de se tourner vers une conception constructiviste de la sécurité nationale. Dans le domaine des études de sécurité, le constructivisme renvoie à une conceptualisation de la sécurité comme un processus par lequel un acteur sécurisant identifie, au moyen d’énoncés (de speech acts), un phénomène comme posant une menace existentielle pour un objet de référence. Dans cette perspective, la 36

sécurité se révèle comme une version plus radicale, plus alarmiste de la politique ; elle se

Ibid aux pages 710-712.

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Barry, Buzan, Ole Weaver et Japp De Wilde, Security. A New Framework for Analysis, Boulder, Lynne Rienner

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présente en somme comme sa manifestation dans une situation d’urgence. Ainsi,  les auteurs affirment, dans un passage qu’il est important pour la suite des choses de reproduire en entier, que :

« ‘Security’ is the move that places politics beyond the established rules of the game

and frames the issue either as a special kind of politics or as above politics (…) In theory, any public issue can be located on the spectrum ranging from nonpoliticied (meaning that the state does not deal with it and it is not in any other way made an issue of public debate and decision) through politicized (meaning the issue is part of a public policy, requiring government decision and resource allocation or, more rarely, some other form of communal governance) to securitized (meaning the issue is presented as an existential threat, requiring emergency measures and justifying actions outside the normal bounds of political procedures.) »37

Ce passage est intéressant parce qu’il permet de comprendre la sécurité comme un processus par lequel une problématique de politique publique vibre à différentes intensités sur un continuum et passe d’un objet normal, voire banal, de la vie politique à une menace existentielle qui exige une action immédiate et soutenue. L’émergence de la sécurité humaine marque un tournant dans le domaine des études et de la pratique de la sécurité puisqu’elle effectue un déplacement par rapport à l’objet de référence de la sécurité, mais aussi par rapport à l’acteur sécurisant et initiant le processus de sécurisation. En effet, le concept de la sécurité humaine vise à mettre en évidence la pléthore de menaces qui pèsent non pas sur les États-nations, mais sur les populations humaines. Élaborée dans le cadre du Rapport sur le

développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) de 1994

et principalement diffusée par celui-ci, la sécurité humaine offre une vision plus large de la sécurité que celle des réalistes qui la confinaient à des considérations purement étatiques : la sécurisation des frontières et la surveillance du territoire, la puissance de l’armée et le dynamisme de l’économie nationale. Avec la sécurité humaine, le lien d’équivalence entre la sécurité et l’État est brisé puisque ce sont les préoccupations légitimes des individus dans leurs vies quotidiennes qui sont prises en charge. En ce sens, la sécurité humaine s’ancre davantage dans une logique de développement que dans une logique d’armement. 38

Ibid aux p. 23-24.

37

ONU, Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine, Rapport sur le développement humain, Programme des

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La sécurité humaine signifie essentiellement « se libérer de la peur et se prémunir contre le besoin. » Cette définition plutôt large a amené certains critiques à qualifier cette nouvelle 39

sécurité de «  vague  » et de difficilement opératoire sur le plan académique. D’autres 40

commentateurs ont préférer travailler à affiner la notion de sécurité humaine en distinguant, par exemple, entre différentes approches de la sécurité humaine (top-down, bottom-up) ou en menant des recherches sur différentes initiatives politiques entreprises dans un contexte de sécurité humaine. Certains gouvernements ont également endossé le maillot de la sécurité 41

humaine en l’établissant comme un thème important de leur politique étrangère. C’est entre autres le cas du Canada qui s’est rapidement saisi du concept de la sécurité humaine. Bien que le Livre blanc sur la défense de 1994 réitère la nécessité pour le Canada de veiller à sa sécurité nationale par le biais d’alliances traditionnelles comme le NORAD ou l’OTAN , et qu’il 42

réaffirme aussi l’importance des forces armées dans son dispositif de défense nationale, d’autres documents, émis par le gouvernement canadien au cours de cette période, annoncent une volonté marquée d’orienter la politique étrangère du Canada dans la direction de la sécurité humaine.

Évidemment, sécurité nationale et politique étrangère ne sont pas des notions synonymes, et ce bien qu’elles puissent souvent se chevaucher. Dans son rapport La politique étrangère du

Canada  : principes et priorité pour l’avenir, le Comité mixte spécial chargé de l’examen de la

politique étrangère du Canada soutient à cet effet que la politique étrangère et la politique de défense doivent être harmonisées de manière à se renforcer mutuellement  : «  La politique étrangère doit être étayée par une politique de défense crédible, et la politique de défense doit

Ibid, 25.

39

Roland Paris, « Human Security. Paradigm Shift or Hot Air ? » (2001) 26:2 International Security 87 à la p. 102.

40

Voir, par exemple, Monica den Boer et Jaap de Wilde, dir, The Viability of Human Security, Amsterdam,

41

Amsterdam University Press, 2008 aux pp. 9-17.

Canada, Ministère de la Défense nationale, Le livre blanc sur la défense de 1994, par l’Honorable David Collenette,

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être au service d’objectifs de politique étrangère clairement définis.  » Le Comité reconnaît 43

que la sécurité du Canada dépend moins des facteurs militaires que d’autres facteurs, comme la stabilité interne d’autres États de même que de la stabilité internationale. Le rapport recense différents phénomènes, comme la croissance démographique internationale, la pauvreté, la pollution et la dégradation cumulative de l’environnement, comme représentant « des menaces croissantes pour la sécurité du Canada.  » Il conclut ainsi qu’il est nécessaire qu’une vision 44

plus large de la sécurité soit adoptée, une acception qui comprendrait autant les menaces traditionnelles et militaires que ces nouvelles préoccupations. 45

L’énoncé du gouvernement canadien, Le Canada dans le monde, continue dans cette même veine. Reconnaissant la plus grande interdépendance qui lie les populations humaines, de même que les risques nouveaux qui s’en dégagent, l’énoncé fait état de « sérieux problèmes à long terme » qui peuvent concerner « l’environnement, la santé et le développement ». De la 46

même manière, ces problèmes peuvent «  provoquer des crises débouchant sur des tragédies, des épidémies, des migrations massives et autres événements malheureux, auxquels le Canada ne saurait échapper même s’ils se produisaient à l’autre bout du monde ». Bien que très brève et relativement superficielle, il s’agit là de l’une des premières formulations de l’épidémie comme représentant une menace pour la sécurité du Canada et de la santé publique comme une des composantes de cette sécurité. La santé demeure néanmoins principalement une dimension de la sécurité humaine qui fait l’objet non pas d’une politique de sécurité nationale, mais de la politique étrangère du Canada. Dans cette lignée, il est également pertinent de constater qu’un mémoire présenté en 1994 par l’Association des infirmières et infirmiers du Canada au Comité mixte spécial chargé de l’examen de la politique étrangère du Canada établit un lien important entre la santé, l’économie et le développement, et appelle le

Canada, La politique étrangère du Canada : principes et priorités pour l’avenir. Rapport du Comité mixte spécial du Sénat

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et de la Chambre des communes chargé de l’examen de la politique étrangère du Canada, co-présidé par l’Honorable Allan J. MacEachen et Jean-Robert Gauthier, Service des publications, Direction des publications parlementaires, Ottawa, novembre 1994, à la p. 13.

Ibid à la p. 11.

44

Ibid à la p. 13.

45

Canada, Le Canada dans le mondé. Énoncé du gouvernement, Ottawa, 1995 à la p. 29.

gouvernement à faire de cette problématique un élément principal de son aide internationale au développement. 47

2. LASÉCURITÉSANITAIRECOMMEDIMENSIONDELASÉCURITÉHUMAINE

La dimension de la sécurité humaine qui se rapporte à la santé publique est la sécurité sanitaire. Or il est important de noter que cette notion fut élaborée par le PNUD dans un contexte de développement et ne vise pas à définir la santé comme une problématique de sécurité nationale, mais comme une problématique de sécurité humaine. Le rapport sur le développement humain de 1994 vise à élargir le concept de sécurité afin qu’il puisse rendre compte des difficultés et insécurités auxquelles font face les individus sur une base quotidienne. La sécurité sanitaire vise à montrer que l’état de santé de certaines populations humaines, notamment celles qui habitent certains pays en voie de développement, est une importante source d’insécurité à l’échelle internationale. Le rapport s’affaire à démontrer que l’une des principales causes de décès dans plusieurs pays, industrialisés ou en voie de développement, est la maladie. Ainsi, la santé est comprise comme une facette de l’insécurité que le 48

développement vise à pallier.

Cela ne revient cependant pas à affirmer que les problèmes de santé, les maladies chroniques ou infectieuses posent un risque concret pour la stabilité internationale ou la sécurité des États-nations. Comme le mentionne Susan Peterson, «  [u]nless a link is drawn between epidemic disease and national security, not human security, security elites will pay little attention.  » En ce sens, bien que la sécurité humaine ait ouvert la porte à une 49

problématisation de la santé des populations comme une préoccupation légitime en matière de sécurité, il faudra attendre que l’État lui-même s’en saisisse et perçoive la maladie comme une menace directe à son propre fonctionnement pour que la problématique de l’épidémie puisse être inscrite à l’agenda de la sécurité nationale. En d’autres mots, la sécurisation de la santé dans une perspective de sécurité nationale exige un retour à l’objet de référence qu’est l’État.

Canada, Santé et Développement – un lien fondamental, mémoire présenté au Comité mixte spécial chargé de la

47

politique étrangère du Canada, Association des infirmiers et infirmières du Canada, Ottawa,1994 aux p. 3-7. PNUD, « Sécurité humaine », supra note 38 à la p.29.

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Susan Peterson, « Epidemic Disease and National Security » (2002) 12:2 Security Studies 43 à la p. 51.

Ce deuxième renversement fut engendré par le concours de différents agents sécurisants  : l’État lui-même et les agences de sécurité, mais aussi les universitaires, chercheurs et les organisations internationales qui ont contribué à mettre en évidence la menace que représente la diffusion de maladies infectieuses sur le plan de la stabilité et de la paix internationales.

Il est important de mentionner que le lien entre la sécurité et la santé précède le rapport du PNUD de 1994. La constitution de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de 1946 souligne, par exemple, que la santé internationale est à la « base du bonheur des peuples, de leurs relations harmonieuses et de leur sécurité ». Le préambule énonce, à titre de principe 50

fondamental, le fait que « [l] a santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité ; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États ». Ce postulat, émis dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, dut par contre céder 51

le pas au réalisme politique qui a caractérisé la Guerre froide alors naissante. Il n’est donc pas surprenant qu’au moment du « dégel » des relations internationales qui marqua la fin de la Guerre froide et le début des années quatre-vingt-dix, certaines problématiques comme la santé et le développement reprirent leur place à l’agenda des États-nations et des chercheurs.

C. LAMALADIECOMMEMENACEÀLASÉCURITÉDESPOPULATIONSHUMAINES