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U NE SÉCURITÉ MILITAIRE

L’AVÈNEMENT DE LA BIOSÉCURITÉ

U NE SÉCURITÉ MILITAIRE

Le concept de sécurité nationale renvoie traditionnellement à des considérations purement militaires. C’est une sécurité qui opère en périphérie et qui s’affaire à défendre les frontières territoriales de l’État. La doctrine réaliste des relations internationales exemplifie cette position puisqu’elle postule au plan international un « état de nature » où le spectre de la guerre est

omniprésent. En l’absence d’une entité centrale qui puisse assurer le respect des conventions internationales et prévenir l’usage déraisonnable de la force, le système international en est un qui est caractérisé par la crainte et l’anarchie. Cependant, il ne s’agit pas ici de qualifier le comportement des États comme étant anarchique, mais plutôt de décrire un système où il n’y a pas de figure d’autorité centrale qui puisse agir comme garant de la paix et de la sécurité. Les réalistes postulent au plan international un état d’anarchie où le risque de guerre ou de conflits violents entre États est endémique. Les États évoluent dans un système décentralisé, miné par l’insécurité et où l’État ne peut, en dernière analyse, se rapporter qu’à lui-même pour assurer 1

sa survie. 2

Pour garantir sa sécurité ou, en d’autres mots, pour diminuer le risque qu’un autre État l’attaque ou l’envahisse, l’État doit travailler à augmenter son pouvoir. Sans ce pouvoir, l’État est vulnérable. En ce sens, le concept de pouvoir est central dans la théorie réaliste classique puisqu’il permet de définir l’intérêt de l’État. Le pouvoir est mesuré principalement en 3

fonction des ressources matérielles et technologiques mises à la disposition de l’État pour construire et augmenter sa force militaire. Conséquemment, les États les plus forts sont ceux qui possèdent les plus fortes et les plus imposantes armées. En ce sens, le pouvoir des réalistes 4

est avant tout un pouvoir militaire qui s’articule en fonction de la puissance des forces armées qui sont à la disposition d’un gouvernement. Il s’agit donc d’un pouvoir de coercition.

Le système international est donc exclusivement composé d’États qui rivalisent dans le but de maximiser leur pouvoir et d’assurer leur sécurité. Cependant, de cette quête militaire découle un autre type d’insécurité que  les réalistes nomment le dilemme de sécurité. Pour le réalisme classique, que tous les États visent à accumuler le maximum de pouvoir et aient

Terry Terriff, Stuart Croft, Lucy James et Patrick M. Morgan, Security Studies Today, Cambridge (UK), Polity Press

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1999 à la p. 38.

John J. Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics, New York, W.W. Norhton & Compagny, 2001 à la p. 33.

2

Hans Morgenthau, « Six Principles of Political Realism » dans Phil Williams, Donald M. Goldstein et Jay M.

3

Shafritz, dir, Classic Readings and Contemporary Debates in International Relations, Boston, Wadsworth, 2006, aux p. 58-59.

Charles L. Glaser, « Realism » dans Alan Collins, dir, Contemporary Security Studies, 2e éd, Cambridge (UK), 4

Oxford University Press, 2010, 13 à la p. 17. Voir aussi Hans Morgenthau, Politics Among Nations. The Struggle for

comme objectif premier d’avoir plus de pouvoir militaire que leurs voisins représente une vérité universelle. Les États ont tendance à voir en l’augmentation de la puissance militaire 5

d’un autre État une menace à leur propre sécurité. Par exemple, lorsqu’un État A acquiert plus de puissance, l’État B aura tendance à interpréter cette transformation comme une diminution de sa propre sécurité. En ce sens, l’État B se voit confronter à deux choix. D’une part, il peut voir dans l’action de l’État A une mesure proprement défensive, et décider de ne pas répondre par une augmentation conséquente de sa propre puissance militaire. D’autre part, l’État B peut interpréter ce premier geste comme étant offensif et répond par un renforcement de ses propres capacités militaires. Cette deuxième option renverse le dilemme et l’État A peut maintenant se considérer comme menacer et décider d’encore renforcer ces capacités militaires. S’amorce donc une séquence d’actions et de réactions, de mesures et contre-mesures qui, alimentée par la crainte et la méfiance que les États inspirent les uns aux autres, mènent à une escalade de la puissance et de l’augmentation de l’insécurité au plan international. Cette 6

définition classique de la sécurité nationale nous permet d’entrevoir pourquoi on la présente si souvent comme opposée et antinomique à la liberté. En effet, on comprend que le besoin de sécurité de l’État naît de cette insécurité chronique, de cette absence de confiance envers l’autre produite par la structure même du système international. Ce système qui ne connaît aucune puissance centrale ou institutionnalisée, n’est composé que d’États souverains, donc libres et autonomes, et dont le comportement ne peut être maîtrisé que par la menace, la coercition et la force physique. Ce serait de cette liberté illimitée, distribuée au plan théorique d’une manière équitable entre les États, que découlent la crainte et l’insécurité. Pour assurer sa sécurité, il serait donc nécessaire de freiner cette liberté expansive en lui opposant une force militaire.

Le concept de sécurité nationale se présente ainsi comme synonyme de la sécurité de l’État et de son intégrité territoriale. De ce point de vue, il semble difficile de comprendre comment la santé publique pourrait être considérée comme une problématique de sécurité nationale. Cependant, au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, le modèle réaliste fut

Hans Morgenthau, supra note 4 à la p. 208.

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Dario Battistella, Théories des relations internationales, 4e éd, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2012 à la p. 531. 6

largement contesté. Cette remise en question s’articule sur deux plans. D’abord, on brise le lien d’exclusivité qui joint sécurité nationale et sécurité militaire en contestant l’idée selon laquelle seuls les conflits armés peuvent représenter une menace au bon fonctionnement de l’État. D’autres problématiques – économiques, écologiques, sociétales – peuvent diminuer de façon significative le bon fonctionnement de l’État et sont assez importantes pour constituer des problématiques de sécurité nationale. Ensuite, on réoriente l’objet même du concept de 7

sécurité en l’appliquant à d’autres sphères de l’activité humaine. À la sécurité nationale succéderont ainsi la sécurité économique, la sécurité humaine, la sécurité environnementale et la biosécurité. L’État n’est, en ce sens, plus l’objet exclusif d’une sécurité dont le curseur se déplace désormais vers les acteurs non étatiques, les firmes, les entreprises, l’environnement, les services de santé publique et les populations humaines. Les prochaines sous-sections visent à détailler ces développements théoriques qui nous permettront de mieux saisir comment la santé publique peut aujourd’hui être considérée comme une problématique de sécurité nationale.

B. LADOCTRINELIBÉRALEDELASÉCURITÉNATIONALE