V- MOTIFS DE POURSUITE DANS L’ACTIVITE
5. S’accomplir par la pratique, puissant vecteur de persistance
Enfin, un dernier facteur de persistance dans l’activité, spécifiquement mentionné par trois
grimpeurs bretons et trois montagnards, s’avère la réussite, l’accomplissement de soi par le
biais des apprentissages techniques et de l’acquisition de compétences. Quand l’activité
semble facile, innée pour le grimpeur dès ses premières ascensions, les chances de persister
sont démultipliées, au regard du témoignage de Benoit :
Et d s les p e i es s a es, ça t a plu?
« Ouai oilà, ça a plu et puis... De toute faço , o oit tout d suite, pa e ue, ua d t a i es à... E fi est u spo t où d s l d pa t, j ai ussi à fai e des trucs. Bon,
53 j tais pas da s l sept [dans le septième degré de difficulté] tout d suite ; mais assez
ite, t es da s l a et du oup, tu sais u est u spo t u est u peu fait pou toi. Tu o espo ds e te es de se satio s, d esp it uoi. Ph si ue e t aussi. … Do du oup, est o e ça ue j ai se ti ue ça plaisait uoi. Et puis l fait de pas avoir peu aussi. Voilà, a des e s u o t peu d s u ils o te t à u t e ; quand tu t e ds o pte ue toi, t as pas peu , du oup tu t dis « Ha est ool et tout. J ai e ie d e fai e »
Les grimpeurs qui se sentent en réussite ont tendance à persister dans la pratique, faisant
naitre un désir de progression, d’amélioration, comme le suggère Hugo :
« Après, a émergé un peu l'envie d's'entrainer. Fin, l'envie d'progresser rapidement, d t e plus effi a e au i eau p og essio . »
Aussi, la reconnaissance de ses capacités par les pairs s’avère occuper un rôle primordial,
comme le souligne Hugo :
« J e suis ie d ouill aussi do j'a ais u e e tai e e o aissa e au i eau du groupe. J'avais une certaine reconnaissance dans les compets aussi, donc voilà. »
Cette idée renvoie à l’importance du sentiment de compétence, évoqué notamment par
Gernigon et Ninot (2005) et vecteur d’adhésion à la pratique sportive. Aussi Durand (1987)
souligne la prégnance, notamment au cours de l’adolescence, de cette recherche d’efficacité.
Selon lui, elle devient d’ailleurs si centrale qu’elle en devient le premier motif d’agir des
jeunes. Chez les adultes, elle n’est pas non plus à négliger, d’où l’importance à y accorder
dans le but d’investir les pratiquants à long terme. Aussi, pour satisfaire ce besoin et susciter
un engagement réel et durable dans la pratique, l’auteur nous invite à considérer différentes
catégories de situations dans lesquelles l’individu recherche l’efficacité : démontrer son
habileté aux autres, démontrer une bonne maîtrise de la tâche ou encore acquérir l’estime des
« autres significatifs ». Aussi, d’après les déclarations d’Hugo, il semblerait que l’acquisition
de cette dernière dimension ait joué un rôle important dans son investissement.
Il en va de même pour Jean- Marie qui évoque ses débuts en escalade et l’impression
de facilité et de réussite ressentie :
« Je me suis tout de suite bien débrouillé. Voilà, j ai réussi à faire des choses assez intéressantes dès le début. … La alo isatio de soi-même. C'est quelque chose qui
peut paraître stupide, mais en fait, quand j'étais en foot, j'étais dans les derniers, j'étais l'plus nul, enfin parmi les plus nuls. Et dès qu'j'me suis mis à l'escalade, et ben
voilà, j'ai tout d'suite été plus ou moins performant. … Et j'ai pe sist aussi pa rapport à ça, parce que sans l'escalade, j'aurais pas la confiance en moi qu'j'ai
actuellement, que j'avais pas quand j'faisais du foot. »
L’escalade apparaît ici pour Jean-Marie comme un véritable vecteur d’épanouissement de soi,
permis grâce à la reconnaissance des autres. En effet, la compétence perçue en escalade
s’avère un fragment de l’estime globale de soi. Aussi, comme le suggère le modèle de Fox et
Corbin (1989), si une dimension inférieure du concept de soi est valorisée (ici, être compétent
en escalade), l’estime de soi globale en est affectée. Dans cette mesure, nous comprenons
comment la pratique de l’escalade, et notamment ses réussites dans l’activité, ont pu être
bénéfique à ce grimpeur mais aussi facteur de persistance.
L’ensemble de ces facteurs de persistance ne sont pas développés par chaque
grimpeur. Toutefois, ils s’avèrent les motifs les plus communs aux grimpeurs interrogés.
Aussi, comme nous l’avons vu, certains apparaissent comme plus spécifiques à un type de
grimpeurs, par exemple les découvertes liées aux différentes modalités de pratique pour les
bretons ou encore les interactions à travers la relation de cordée pour les grimpeurs
montagnards. Pour conclure sur ce point, nous avancerons une nuance. Les facteurs de
persistance propres à un individu ne sont pas figés dans le temps et semblent évoluer au cours
de la carrière du grimpeur. Et d’autant plus en cas de mobilité géographique, qui, s’il y’a par
exemple éloignement des montagnes, va entrainer une redéfinition de la pratique et des motifs
de pratique. Ainsi, l’expérience de Franck, grimpeur montagnard « exilé » en Bretagne pour
raisons familiales, est révélatrice de cette dimension. Si, dans un premier temps, les
principaux facteurs de poursuite de l’activité étaient pour lui la logique de défi, puis de
découverte avec une finalité « grande voie », son déménagement loin des montagnes, lui
interdisant une telle finalisation de sa pratique, a fait évoluer sa pratique. Dès lors, l’escalade
est apparue à la fois comme un moyen de continuer à partager sa passion avec sa copine et ses
amis mais aussi comme un moyen de rencontrer des personnes, de se recréer un cercle d’amis.
« Du oup, e là, j sais pas t op pou uoi j g i pe. Là j g i pe pa e ue C ile g i pe et ue est u e passio u o a e se le uoi. Do heu. Bah j g i pe… Ouai, ouai, là j ais pas t op sa oi pou uoi j g i pe uoi. (Rires). C est o , ouai,
55 ais j sais pas t op. Ouai, pa ha itude quoi. Ouai, par habitude. … Après là, moi là,
l es alade i i, pou l i sta t, est ai e t u fa teu d i t g atio . Ça pe et d e o t e du o de, de oi des ge s, d ouge . C est ool uoi, ouai. »