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V- MOTIFS DE POURSUITE DANS L’ACTIVITE

1. Entre relation de cordée et émulation du groupe

Interactions et convivialité apparaissent comme les facteurs primordiaux de la persistance

dans l’activité escalade, que ce soit pour les grimpeurs bretons (cinq grimpeurs sur les neuf

ont évoqué l’importance de cette dimension dans la poursuite de la pratique) ou les grimpeurs

montagnards (les 2/3 des grimpeurs l’ont souligné). L’escalade serait-elle alors une activité

« sociale » ? Ce constat apparaît intrigant dans la mesure où cette pratique est

traditionnellement considérée comme une activité « individuelle ». Céline et Elise insistent

d’ailleurs sur cet aspect :

« Th o i ue e t, est u spo t i di iduel ais oi, je t ou e ue ça l est pas tant que ça, à cause de cet aspect solidarité, quoi. » (Céline) « Pou oi, 'est ai e t… E fi , 'est

même pas un sport si individuel en lui-même. C'est un sport individuel mais c'est aussi un sport collectif,

parce qu'on partage des choses avec les autres quoi. » (Elise) En effet

, force est de constater qu’en

escalade les interactions ne manquent pas et peuvent être déclinées à différents niveaux, tous

mentionnés par les grimpeurs interrogés. Tout d’abord, il y a la relation de cordée qui fait

l’essence même des modalités d’escalade de difficulté et de grandes voies. Ce lien qui unit le

grimpeur à son assureur engendre une relation particulière entre ceux-ci, au sein de laquelle la

confiance et la complicité sont centrales.

Pour Josselin, l’ancrage dans la pratique escalade se situe, au début de sa « carrière » de

grimpeur, dans les relations partagées avec son frère, son compagnon de cordée :

« Qua d tu tais tout jeu e, u est e ui te plaisait da s l es alade ? Est-ce que

tu te rappelles un peu ?

Dans mes sou e i s, est ai e t a o pag e o f a gi . C est ai e t des moments excellents passés ensemble, que je garde en mémoire. »

Ici, nous voyons l’importance du partage, à deux, de moments forts, d’autant plus intenses

que les sensations sont décuplées à travers la dimension « engagée » de l’activité. Anthony,

évoque également l’importance des relations avec son assureur, soulignant la dimension

« partage », chaque voie réalisée permettant, une fois de retour au sol, un échange avec

35 « J'ai bien aimé aussi cette interaction avec l'assureur. Cette façon de partager

avec lui une fois qu't'as fait la voie. Lui, il y va et après on partage ensemble. Ça c'est

vraiment, vraiment sympa ! Peu importe le niveau de la personne au final quoi. Qu'il

soit fort ou moins fort. C'est marrant ce dialogue après. Le fait d'échanger, c'est pas

mal. »

Enfin, c’est également le cas d’Elise qui ne se verrait pas pratiquer l’escalade toute seule, tant

le partage avec l’autre s’avère primordial pour elle.

« Pour moi, y' a pas d'escalade sans l'autre ! Y'a des gens qui grimpent tous seul hin (rires). Mais bon, c'est pas o e ie du tout. E fi , je… Ca 'i t esse ait vachement moins d'être toute seule. J'ai besoin de partager. Partager ce que je ressens, ce que je is a e les aut es. … Do pou oi…Ouai 'est ai e t… E fi , 'est e pas u sport si individuel en lui-même. C'est un sport individuel mais c'est aussi un sport

collectif, parce qu'on partage des choses avec les autres quoi. Et c'est un côté que

j'aime bien aussi. »

Cette idée d’activité plus collective qu’individuelle, qui va à l’encontre des représentations

communes, est d’ailleurs évoquée par de nombreux grimpeurs, insistant sur l’importance de

ces relations dans la pratique.

Ensuite,

nous

pouvons

mentionner

l’aspect

communautaire, mis notamment en

évidence par Eric De Léséleuc

(2004). Pour l’auteur, « désir de

reliance » et désir de « créer des

liens affectuels » participent à

l’élaboration

d’un

« être

ensemble » (Mafessoli, 1988), qui

fonderait les nouvelles formes de

sociabilité

dans

lesquelles

s’inscrivent

les

pratiques

contemporaines de l’escalade. Il semblerait que l’on puisse expliquer cette nouvelle tendance

au regard du déclin des diverses institutions, développé par Dubet (1994). En effet, ce

phénomène participe d’un processus d’individuation, visible notamment par la montée en

puissance des « je » et des « nous » dans la société et par conséquent, dans le domaine sportif

également. C’est en ce sens que nous comprenons l’émergence et l’importance de cette

convivialité, de l’émulation entre les grimpeurs, bien souvent évoqués par l’ensemble de

grimpeurs interrogés.

Ainsi, Jean-Marc, grimpeur depuis sept ans, insiste sur l’importance des relations

humaines permises par l’activité, et ce d’autant plus qu’il avance dans son parcours de

grimpeur, se surprenant parfois aujourd’hui à se rendre à la salle d’escalade ou au pied de la

falaise uniquement pour interagir avec les autres grimpeurs et moins pour grimper :

« Tu rentres dans une communauté. En fait, tu rentres dans un groupe. Et c'est ça qui, pour moi, à l'heure actuelle, continue à jouer. »

Pour Hugo, qui commence l’escalade en club à l’âge de 12 ans par le biais d’un ami qui

lui propose de faire une séance d’initiation, l’ambiance au sein de ce club apparaît comme le

premier facteur de persistance. Il y revient d’ailleurs à plusieurs reprises, en insistant

particulièrement :

« Qu est e ui a fait que tu as continué à grimper ?

J'pe se l'a ia e d jà. Le fait d' e oi des ge s, ah j'ai o e a e l a i là. J'en ai deux autres qui s'y sont mis, voilà, deux amis très proches de mon groupe de potes qua d j' tais da s o oll ge. … Et ouai, donc ouai, l'ambiance ! »

En outre, à travers le témoignage de Jean-Marie, nous comprenons que l’intégration dans

une communauté de grimpeurs partageant des points communs, des affinités, un mode de vie

a joué un rôle primordial dans sa persistance dans la pratique :

« Les personnes que j'ai pu rencontrer quand j'étais jeune me ressemblaient aussi un peu et ça m'a permis de tout de suite être proche de ces personnes-là et donc de

m'identifier à eux aussi. Ils avaient le même état d'esprit que moi, ils étaient assez

calmes, posés. Donc voilà, ça aide aussi à découvrir l'activité. De voir que les personnes

avec qui on est nous ressemblent aussi sur beaucoup d'aspects. Pas tous, bien sûr, mais beaucoup. »

Aussi, rappelons que cette convivialité émanant du groupe de grimpeurs ne doit pas être

appréhendée indépendamment des autres sphères de l’activité et de l’engagement sportif. En

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effet, elle peut engendrer une véritable émulation propice à la progression des grimpeurs, que

ce soit sur le plan physique, technique ou mental. Ainsi, en satisfaisant le besoin social des

individus, les interactions induites par l’activité ont également un effet sur le niveau de

pratique des grimpeurs et donc sur le besoin d’accomplissement, les progrès étant source de

satisfaction et de persistance dans l’activité. Cette idée est développée par Jean-Marie :

« J'pense que si y'avait pas eu d'émulation, je serais pas à ce niveau de pratique là.

Parce que moi, j'ai réussi à progresser en escalade parce que j'ai grimpé avec des

personnes qui étaient plus fortes que moi. Et donc, donc voilà, ça aide aussi. J'aurais pas pu faire de 7C, de 8A, si j'avais pas grimpé avec des personnes qui avaient

' i eau, ui poussaie t, da s le o se s du te e. C'est fo uoi ! »

Nous avons donc souligné l’importance des relations et interactions à la fois pour les

pratiquants bretons et montagnards, en vue de poursuivre leur pratique à long terme.

Toutefois, cette apparente convergence ne doit pas masquer certaines spécificités qualitatives

que nous allons dès lors développer.