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Les grimpeurs bretons : entre perception de légitimité et d’illégitimité

VII- DE L’IDENTITE DE GRIMPEUR

1. Les grimpeurs bretons : entre perception de légitimité et d’illégitimité

Les grimpeurs bretons apparaissent divisés sur la question de l’identité du grimpeur. En

effet, plusieurs d’entre eux ont des difficultés à se considérer comme de « vrais grimpeurs »,

ayant le sentiment de ne pas appartenir entièrement au monde des grimpeurs. Il y aurait un

« petit quelque chose » qui leur manquerait, celui-ci étant assimilé au manque de pratique

extérieure voire à une « culture escalade » moins développée.

« Et du coup, moi, l'image du grimpeur, ben c'est, dès qu'il fait beau, tu vas dehors quoi. Tu fais d'la falaise, tu travailles tes voies... Là, on est vraiment cantonnés en

salle, une bonne partie d'l'année. Bon, j'escalade quand même, mais j'ai pas

l'impression de vraiment être... Enfin si, j'suis grimpeur ! [sourire] Enfin, c'est bizarre, j'suis grimpeur quand même, mais j'ai pas... Ouai, enfin, j'sais pas... Y'a u p tit t u qui manque en fait ! Ouai, c'est vraiment lié à la falaise. En fait, c'est un... C'est même dans l'état d'esprit. Comment dire ? Ouai, si, c'est l'état d'esprit. » (Jean-Marc)

A travers l’entretien réalisé avec ce grimpeur breton, il semblerait que l’on puisse mettre

en évidence un « conflit identitaire ». D’une part, une « identité pour soi » où Jean-Marc se

définit lui-même comme grimpeur :

« e fi si, j suis g i peu ! », en tant que pratiquant des

différentes modalités d’escalade, détenant des connaissances et compétences sur l’activité,

étant intégré à une communauté de grimpeurs, ou encore participant à développer la culture

grimpe chez d’autres pratiquants à travers l’encadrement de groupe. D’autre part, il apparaît, à

travers ce témoignage notamment, une sorte de complexe vis-à-vis de cette identité. Bien qu’il

puisse se considérer comme grimpeur, par rapport aux grimpeurs montagnards et à leurs

opportunités et leur fréquence de grimpe en falaise, considérée comme pratique

culturellement légitime, il lui manquerait une facette du grimpeur, ne le rendant pas légitime

aux yeux des montagnards. Il souligne d’ailleurs cet aspect en évoquant l’image d’une cassure

entre grimpeurs bretons et montagnards :

« Je cerne quand même une fracture entre un grimpeur qui habite près de la montagne, qui va grimper sur la montagne, et un grimpeur qu'habite en Bretagne. »

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Ainsi, il considère son « identité pour autrui » comme déficiente par rapport à celle d’un

grimpeur montagnard. Pour surmonter ce conflit et atténuer la dissonance vécue, il porte un

intérêt particulier à grimper en extérieur et surtout à partir grimper en dehors de la Bretagne

chaque année : plusieurs courts séjours, au moins quinze jours en montagne ou encore des

week-end prolongés à Fontainebleau, lieu emblématique de la pratique du bloc :

« Chaque année on descend au moins quinze jours, avec des sorties à Poitiers de

temps en temps qui peuvent être plus courtes, de deux-trois jours, Fontainebleau,

deux-trois sorties ponctuelles le week-end. Et puis après, on sort, ouai, quinze jours en e t ieu uoi. Do 'est pas eau oup ais… C'est important pour toi ? Ha ouai, c'est vital ! Ouai ! J'me verrais pas faire une saison que d'résine et pas sortir en extérieur ! »

Ces séjours sont à la fois l’occasion de pratiquer en extérieur, sur de nouvelles falaises, de

rencontrer d’autres grimpeurs et de partager ses expériences grimpe mais aussi de s’immerger

dans l’ambiance montagne, si particulière. En effet, s’il a des difficultés à se définir comme

grimpeur, Jean-Marc l’explique en partie par une certaine appréhension qu’il conserverait à

grimper en extérieur, notamment dans des voies équipées « montagne », où il y’a de

l’« ambiance » :

« Mais e e t ieu , et 'est p tet pou ça ue j' e d fi is pas, il e se le u'il e manque quelque chose pour dire "J'suis grimpeur", c'est qu'il y a des moments en

extérieur, j'me fou vraiment des traches quoi ! J'ai ai e t les oules uoi ! … De pas avoir l'habitude ! J'pense que c'est clair, qu'au bout d'une semaine, j'ai un peu plus

l'habitude ! … Et j'pe se ue ça s' ulti e ai e t e so ta t plus e e t ieu . Et i i, on n'a pas forcément la possibilité. »

Ainsi, il perçoit les grimpeurs montagnards comme des grimpeurs qui n’auraient plus

d’appréhension à évoluer en extérieur, chose qui pourtant s’avère erroné au regard des

témoignages recueillis. Cette analyse met donc bien en évidence l’existence d’un « complexe

d’infériorité » vécu par certains grimpeurs bretons, vis-à-vis notamment de leur pratique

qualitativement plus « intérieure », qui leur confèrerait une illégitimité à se considérer comme

un véritable grimpeur.

Il en va de même pour Laurence qui distingue grimpeurs de montagne et grimpeurs

bretons majoritairement par le manque d’opportunités de grimpe en falaise ainsi qu’une moins

grande précocité dans la pratique de l’escalade.

Selo toi, t es u e g i peuse au e tit e u u e g i peuse issue des montagnes ?

« No , j pe se est ua d e diff e t, pa e ue je pe se ue les ge s ui sont vraiment du coin, et ben la plupart, ils ont commencé de bonne heure, ils g i pe t toute l a e e falaise et do j pe se t as ua d e…T as, hez u g i peu la da tu ois, t as ua d e du g os i eau u o a pas. E fi , ptet ue j e t o pe, ais u o a pas ous, tu ois, e alla t juste u e e tai e p iode de l a e e e t ieu uoi. »

Toutefois, malgré ces opportunités plus favorables à l’escalade dans les régions

montagnardes, une culture plus répandue et un niveau supérieur, certains grimpeurs bretons

tempèrent la distinction entre grimpeurs de montagne et grimpeurs bretons. Plusieurs aspects

sont alors soulignés. Anthony, insiste sur le fait que les techniques, le langage, les interactions

en bas des falaises sont, pour lui, les mêmes en Bretagne ou ailleurs :

« J ai pas l i p essio juste e t [ u’il ait u e diff e e e t e g i peu s bretons et montagnards]. J ai ai e t l i p essio ue les a ha s, o les d ou e en Bretagne comme ailleurs. … Les falaisistes, les bloqueurs, c'est le même langage. Au final, j'ai vraiment l'impression qu' le langage est universel quoi. C'est les mêmes

mots, les mêmes phrases, les mêmes sensations. La même façon d'grimper, à peu

d'choses près. Le même langage, la même ambiance au pied du caillou ou en voie. En

Bretagne ou ailleurs, je vois pas trop de disparités la d'ssus. »

Pour d’autres, plus qu’une histoire de région, c’est le faire de pratiquer en extérieur et de

respecter la nature qui fait qu’un grimpeur est légitime ou non. Cette idée renvoie aux valeurs

attribuées aux pratiques de pleine nature : évoluer dans le milieu naturel tout en le respectant.

« Pour ma part, il suffit de vouloir grimper et de respecter la nature pour être un

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Certains même perçoivent

l’éloignement des montagnes comme une opportunité

supplémentaire afin de partir à la découverte, plus régulièrement, de nouveaux sites, de

conserver un certain « émerveillement » lors des séjours en montagne.

A propos des grimpeurs montagnards, Manuel avance :

« Ils sont ptet un peu plus blasés de grimper en falaise parce que pour eux ça leur

parait normal. Alors que nous, quand on a des falaises comme ça, on trouve ça génial

comparé à ce qu'on a en Bretagne, on est ptet un peu plus émerveillés. »

Hugo insiste lui sur ce désir supplémentaire de découverte des grimpeurs bretons qui,

puisqu’ils doivent réaliser des kilomètres avant d’accéder à de grands sites d’escalade, portent

une attention particulière à varier les sites, à partir à chaque fois à la découverte de nouvelles

voies, de nouveaux spots :

« Les grimpeurs Bretons sont des vrais grimpeurs quoi. Ils ont une expérience, et puis, oilà ils o age t u peu plus. C est ça, ils o age t u peu plus ais oilà, des fois, ça vaut l'coup parce que, au final, on dit « Quitte à bouger dix heures d'bagnole,

on va pas aller tout l'temps au même endroit quoi ! … On va aller dans l'Sud-Ouest, on va aller dans l'Sud-Est, o a alle e s l Espag e, o a alle eau oup plus loi . » Plutôt p tet u'de di e " J'suis da s tel e droit, ben on va aller dans les cent kilomètres autour". Donc, au final, on rencontre surement des personnes plus différentes. Et dans ce sens-là, o a p tet e u e ultu e g i pe plus i he. »

Certains grimpeurs vont même plus loin, en considérant les grimpeurs bretons « plus

méritants » que les montagnards, de par les conditions difficiles et limitées à la pratique de

cette activité :

« Est-ce que tu te considères comme un grimpeur « légitime », par rapport à d aut es g i peu s ui se aie t s da s les o tag es pa e e ple ?

Oui ie sû , e d auta t plus ! Co e je ai pas t le da s e spo t, je e o sid e o e plus l giti e u u g i peu sa o a d ou p e . J ai fait de l es alade pa hoi et pa u iosit , et j ai pas t « obligé » parce que mes parents en faisaient ou par la proximité des falaises. Et puis dès le démarrage, pour pouvoir faire de la falaise ou de la compétition, il a fallu souvent faire des heures et des heures de

route, en contraignant mes parents ou des amis. Donc, je dirais pas plus « légitime »

Ainsi, la question de l’identité de grimpeur semble bien diviser les grimpeurs bretons. Mais,

qu’en est-il de la vision des grimpeurs montagnards ?