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La forte influence du processus d’ancrage dans l’activité sur le mode de vie

VII- DE L’IDENTITE DE GRIMPEUR

1. La forte influence du processus d’ancrage dans l’activité sur le mode de vie

Pour l’ensemble des grimpeurs, l’escalade n’apparaît pas uniquement comme une

simple activité sportive pour garder la forme ou se dépenser. En effet, force est de constater

que leur adhésion à l’escalade s’est couplée d’une réelle socialisation de grimpe, dans la

mesure où leur pratique et les interactions associées ont, rapidement et à différentes mesures,

influencé leur mode de vie. Ainsi, plus qu’une simple activité sportive, leur « passion » pour

l’escalade est évoquée pour certains, un nouveau « style de vie » pour d’autres. Toujours est-il

que bon nombre d’entre eux s’accordent sur le fait que l’escalade a fortement influencé leur

façon de voir les choses, de vivre. Ce constat est à associer au caractère alternatif de

l’escalade. En effet, selon Wheaton & Beal (2003), les pratiquants alternatifs (windsurfers,

skaters) qualifient leur engagement de « lifestyle » plus que de sport, ceux-ci ayant une

conception singulière de leur pratique et adoptant un style de vie distinctif et alternatif, leur

conférant alors une identité particulière et exclusive, éloignée de la vision contemporaine du

sport institutionnel et compétitif.

Ainsi, pour Elise, grimpeuse depuis 5ans, l’escalade a eu une influence sur sa manière

de penser et de vivre : sensibilisation au respect de l’environnement influençant son mode de

vie, nouveaux rythmes de vie, nouvelle sphère relationnelle… Elle évoque également le poids

que peut représenter l’escalade sur sa vie et les « sacrifices » que cela peut engendrer.

Toutefois, une réelle intentionnalité marque son parcours, les choix qu’elle réalise étant bel et

bien réfléchis, souhaités et acceptés.

« Ca me décrit pas mal l'escalade, parce qu'en fait, mon copain Manuel, il grimpe

aussi. Du coup, on passe nos weekends à grimper, nos vacances à grimper. [rires] Donc voilà, dès qu'on a une semaine où c'est possible, on va grimper quoi. »

Ça t'a vraiment fait changer un peu tout mode de vie finalement, de découvrir l'escalade ?!

Ouai, ouai complétement ! Parce que, bon j'ai changé même un peu de façon d'penser... Après, c'est aussi par rapport aux gens qu'on rencontre quoi. Enfin y'a, j'sais

pas, j'trouve que les gens, ils se ressemblent beaucoup dans le milieu de l'escalade.

J'sais pas comment dire, au niveau style de vie en fait. On parle beaucoup de respect

d'l'environnement, j'ai l'impression, plus qu'ailleurs. Moi, j'y suis sensible. Et du coup

ouai, ça m'a vachement apporté, j'pense, l'escalade ! J'y ai rencontré mon copain ! [rires] Donc bon... »

Jean-Marc et Laurence insistent également sur l’influence de leur pratique sur leur façon de

vivre, et notamment, leur système de pensée et d’agir.

« Est-ce que ça a influencé ma carrière? Non ! Ma vie j'pense, ouai. Ma relation par rapport aux gens, ma façon d'voir les choses... Ouai, complétement ! » (Jean-Marc)

« A pa ti du o e t où j ai essa e est de e u le spo t p i ipal uoi. Et puis, j pe se plus u u spo t, aussi u e passio , u style de vie, on va dire. … Ca a influencé ma façon de voir les choses » (Laurence)

Toutefois, cette pénétration de la pratique sportive dans la vie des grimpeurs est parfois si

importante, que certains la dénigrent, pointant le risque d’un enfermement, d’une aliénation.

En effet, à toujours penser et agir escalade, les grimpeurs auraient tendance à se détacher du

reste de la société, à se couper de leur sphère d’amis non grimpeurs… C’est un aspect évoqué

aussi bien par les bretons que par les montagnards. Cette idée est d’ailleurs spontanément

soulignée par Cécile, en fin d’entretien :

« Su l esp it des g i peu s ! J t ou e u il a u pa ado e hez les g i peu s. C est des ge s ou e ts. E fi , ui so t ou e ts da s le se s où ils ai e t les o ages, ils aiment les ge s, ils ai e t les hoses, tout ça…Mais ui e de ie e t fe s pa e u ils pa le t ue d es alade et ue de o tag e et ils de ie e t t s ite soula ts, en fait ! Voilà, parce que je trouve que ça prend une telle place !!! Oui, il a la

formation d u e o u aut ui este u peu e fe e su elle-même quoi ?

Ouai ! Et ça, j t ou e ça do age uoi ! Moi, j app ie eau oup l es alade, j ai e eau oup e fai e ais je e suis e due o pte u o peut pa le d aut e hose quoi, parfois ! [rires] Et tu ressens ça chez tous les grimpeurs par chez toi,

globalement ? Su eau oup ouai, ouai, ouai. C est… Et puis à e pa le e fait o -

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Jean-Marie, grimpeur breton, est également lucide sur le risque de se renfermer dans

l’activité :

« Après, j'trouve ça important quand même de sortir un peu de ça. C'est que voilà, j'ai quand même énormément d'amis qui sont hors de ce sport-là. Et j'trouve ça vraiment important. Parce qu'on a tendance des fois, enfin moi, surtout, des fois, j'ai tendance à être un peu autiste là-dessus ! De parler que d'ça, que d'ça, que d'ça !»

Benoit, lui, a fait un break de deux ans sans grimper, consécutivement à un déclin de

motivation mais surtout la perception de s’enfermer dans le monde de la grimpe. Il commence

par évoquer les raisons de cette pause :

« Le a ue de oti atio et l e ie de fai e d aut es a ti it s, a e d aut es opai s uoi. A u o e t, lai e e t, j t ou ais ue j e fe ais u peu…E fi oilà, est u e passio ui peut te ouffe u ptit peu aussi uoi. Et où tu peu a i e à fr ue te toujou s le e t pe de pe so es, tu ois, et puis, au out d u moment, quand tu fais que parler de grimpe, de montagne et tout, des fois, enfin oilà, t as e ie de oi aut e hose… T as aussi e ie de pas t e tout le te ps a e des gens qui pe se t u à ça, et ui so t tout le te ps à fo d la d da s. [rires] Donc voilà. [rires]J pe se ue ça a pes u peu à u o e t, et e plus, avait aussi le fait ue es pa e ts so t u peu passio s de ça aussi, j ai peut-être eu envie de d a ue u o e t e e disa t, oilà, j a ais pas fo e t e ie de fai e le copier-coller de ce que faisaient mes parents quoi [rires]. Donc voilà. »

Nous pouvons également noter cette volonté de se distinguer de ses parents, parents qui l’ont

initié à la pratique de l’escalade. Ainsi, dans la période de début d’indépendance, en fin

d’adolescence, nous pouvons identifier chez ce grimpeur, en plus de la volonté de s’ouvrir à

autre chose que l’escalade, un désir de distinction de la sphère parentale. D’où l’importance

pour les parents de veiller à ne pas sur-solliciter son enfant dans cette activité, au risque de le

voir s’y détacher et s’y opposer. Il s’agit de trouver un équilibre entre partage d’une passion

commune et conservation d’une identité propre, de liens sociaux et de passions en dehors de

l’escalade.

Aussi, pour éviter de trop se renfermer, Elise nous souligne sa volonté de s’investir

dans une autre activité physique, notamment pour s’ouvrir à d’autres personnes que des

« Peut-être du yoga, j'me tâte à faire ça. Essayer de trouver quelque chose complémentaire à l'escalade hin. En restant dans la logique utilitaire. Mais aussi pour rencontrer d'autres gens. Sortir un peu du milieu. J'ai pas envie non plus de trop me renfermer, de manquer des choses en fait. Puisque, ben ptet qu'en voyant toujours le même genre de personnes, o a ue des hoses aussi… »

Dès lors, nous pouvons affirmer que les grimpeurs bretons comme montagnards

semblent tous épris d’un « lifestyle » propre à la sphère de l’escalade, celui-ci n’étant donc

pas réservé aux grimpeurs issus du milieu montagnard ; mais également qu’ils sont nombreux

à en avoir conscience et prendre des dispositions afin d’essayer de ne pas trop se renfermer.