• Aucun résultat trouvé

Séparation entre la cause et la condition de l’interprétation du contrat

Chapitre I : Causes et conditions de l’interprétation du contrat

Section 1 : Théories traditionnelles différentes en droits français et chinois

B. Séparation entre la cause et la condition de l’interprétation du contrat

Sur la question de la condition de l’interprétation, il n’y a jamais eu l’unanimité doctrinale. Précurseurs des concepts modernes contractuels, Domat et Pothier n’avaient pas jugé nécessaire de tenir compte des critères d’une obscurité et d’une ambiguïté en tant que conditions de l’interprétation du contrat. Pour eux,

l’ambiguïté, l’obscurité et l’absurdité ne sont que les causes de l’interprétation du contrat, et non les conditions de celle-ci.

Domat a désigné, dans sa quatrième règle d’interprétation des contrats, que « si les termes d’une convention paraissent contraires à l’intention des contractants, d’ailleurs évidente, il faut suivre cette intention plutôt que les termes73 ». Cette règle

68 Caen, 28 janv. 1827, Dalloz, Rép. Prat., V° obligations, n°849 ; Pau, 27 janv. 1891, D. 1892, II p. 39 ; Bordeaux, 10 déc.

1928, D. 1929 ; Caen, 14 déc. 1942, D.C. 1944, 112, cit. par J. LOPEZ SANTA MARIA, Les systèmes d’interprétation des

contrats, thèse, Université de Paris, 1968, p. 26.

69 Cass. civ., 10 et 11 mai 1948, Gaz. Pal. 1948.2.41.

70 Cass.com., 7 janv. 1975, DS 1975, p.516, note Ph. MALAURIE, JCP G 1975, II, 18167, note J. GHESTIN. 71 H. et L. MAZEAUD, commentaire, RTD civ., 1948, p. 468.

72 Cass. civ. 1re, 29 mai 1996, Bull. civ., I, n° 233, p. 155, jugeant que « les juges du fond ne peuvent interpréter les

conventions que si celles-ci sont obscures ou ambiguës ».

signifie que l’intention interne des parties doit prévaloir sur les termes contractuels, peu importe qu’ils soient clairs ou non. L’exigence unique est l’évidence de la contradiction entre l’intention des contractants et les termes de la convention. Pothier, héritier des concepts de Domat, a élaboré une règle célèbre au Code civil français dans ses travaux de formulation des règles d’interprétation des conventions. Selon lui, l’« on doit, dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plus que le sens grammatical des termes74 ». Ici, il n’y a pas de

conditions limitatives dans lesquelles le juge du fond est autorisé à rechercher la commune volonté interne des parties. Aubry et Rau ont fait une analyse appropriée de la cause de l’émergence des conditions d’interprétation75. Ils ont constaté l’excès de

pouvoir du juge du fond. Ceci a entraîné que la Cour de cassation a eu envie de limiter la recherche de la commune intention des parties dans les litiges. Car si le juge du fond peut librement écarter l’application de clauses claires et précises des contrats, il est possible pour celui-ci d’abuser du pouvoir et d’altérer l’intention réelle des contractants. Cet abus s’oppose à l’esprit de l’article 1156 du Code civil. Malgré cet écueil lié à la pratique judiciaire, Aubry et Rau ont finalement préconisé que le principe établi par l’article 1156 doit toujours primer sur la limite des pouvoirs du juge.

Par ailleurs, nombre de critiques visent à l’objectivité d’un acte clair et précis. Dereux a indiqué que « rien ne serait plus obscur que l’idée de ‘l’acte clair’76 ». Gény a critiqué le raisonnement d’actes clairs ou obscurs reposant sur une illusion rationaliste77. Grâce aux théories contemporaines du langage et de l’interprétation, on accepte de plus en plus que la polysémie soit la nature essentielle de la lettre et du comportement. Il n’est possible de retrouver le sens unique du contrat que dans son contexte d’énonciation et d’application78. Le doyen G. Marty a préconisé que, si le juge du fond peut conférer à sa décision une motivation suffisante qui permettrait à la

74 R.-J. POTHIER, Traité des obligations, éd. Lettlier, t. 1, an XIII (1805), n° 91.

75 AUBRY, RAU et s., Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariae, 6e éd. Marchal et Billard, 1936, n°

347.

76 G. DEREUX, De l’interprétation des actes juridiques privés, thèse, Paris, 1905, p. 88 et s.

77 F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, L.G.D.J., 2e éd., t. 1, 1919, n° 96, p. 256.

78 M. VAN DE KERCHOVE, Le sens clair d’un texte : argument de raison au argument d’autorité ?, in G. HAARSCHER,

L. INGBER et R. VANDER ELST (dir.), Argument d’autorité et argument de raison en droit, éd. Nemesis, 1988, p. 291 et 307. ; voir aussi, T IVAINER, Qu’est-ce qu’un texte clair ?, in Le droit en procès, ouvr. coll., Puf, 1983, p. 147 et s.

Cour de cassation de connaitre les faits qui conduisent le juge à s’écarter du texte de la convention, l’interprétation d’un contrat clair est entendue comme possible79.

Malgré l’indifférence de la Cour de cassation à l’égard de ces analyses doctrinales, certaines décisions de la juridiction ont retenu cette doctrine. Dans ces arrêts, les juges ont considéré « à bon droit que, malgré leur clarté, les termes invoqués pris dans leur sens littéral étaient inconciliables avec l’ensemble du contrat et l’intention évidente des parties80 ».

Les arguments doctrinaux et de certaines jurisprudences précités ne peuvent pas empêcher la considération utilitariste de la Cour de cassation qui a trouvé plusieurs principes fondamentaux pour interdire l’abus de pouvoir du juge, tels la sécurité juridique81 et la vérité des preuves du procès82. Mais la distinction entre un contrat

clair et un autre obscur est toujours vague. Certains auteurs pensent même qu’il est « vain de chercher dans la jurisprudence de la Cour de cassation un critère sérieux entre le clair et l’obscur83 ». Cette situation provoque des difficultés d’appréciation

dans la pratique du juge du fond. D’une part, l’interprétation du contrat effectuée risque d’être censurée au nom de la dénaturation ; d’autre part, le juge refusant d’interpréter un contrat risque de se voir imposer un devoir d’interprétation84. Si le juge du fond cherche toujours à distinguer les termes obscurs ou ambigus des clauses contractuelles claires, il va se trouver dans un état d’hésitation. Il ne faut donc pas confondre les causes de l’interprétation du contrat avec les conditions de celle-ci, c’est-à-dire que l’ambiguïté, l’obscurité et l’absurdité ne doivent pas être estimées comme les conditions de l’interprétation du contrat.

Les controverses doctrinales ont fortement influencé la démarche de réforme du droit des contrats en France. L’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription (autrement dit l’avant-projet Catala) cherche à déterminer, sur un plan

79 G. MARTY, La distinction du fait et du droit, essai sur le pouvoir de contrôle de la Cour de cassation sur les juges du

fait, thèse, éd. Sirey, Toulouse, 1929, n°151, p. 318.

80 Sco., 11 juin 1942, D.C. 1943.135, note J. Flour ; Reg., 15 avril 1926, S. 1926.1.151.

81 J. GHESTIN, Ch. JAMIN et M.BILLIAU, Droit civil : les effets du contrat, éd. L.G.D.J. 2001, n° 25, p. 35. 82 Cass. com, 6 juillet 1993, J.C.P. 1993, éd. G., II, 2126, commentaire par J. Boré.

83 T. IVAINER, art. préc., n° 29.

législatif, les conditions d’interprétation déjà établies par les jurisprudences85. Cette motivation implique le maintien de l’unification des causes et des conditions de l’interprétation du contrat en droit français. En revanche, l’avant-projet de réforme du droit des contrats rendu par la Chancellerie en 2008 tend à détacher une interprétation motivée des clauses claires et précises à condition de ne pas dénaturer le contrat86.

§°2. Raisonnement sous la prédominance des critères objectifs en droit chinois : contestations des parties

Le droit chinois montre un raisonnement distinct de celui du droit français en matière de conditions de l’interprétation du contrat. Ce raisonnement met l’accent sur une prédominance des critères objectifs, à l’encontre de la primauté des éléments psychologiques. Il convient d’analyser d’abord la condition unique de l’interprétation du contrat consacrée par le droit positif chinois (A), puis d’étudier les causes de celle- ci (B).