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Chapitre I. Condition préalable du comblement des lacunes contractuelles

Section 1. Expériences du droit français

Le Code civil français ne comporte aucun article relatif au processus de formation du contrat. La doctrine et la jurisprudence ont dû pallier cette absence.

537 Voir 王泽鉴 WANG Zejian, 债法原理 (一) Théorie du droit des obligations, I, éd. 中国政法大学出版社 Université Politique et

Comme l’a indiqué Pothier, les éléments essentiels seraient ceux « qui impriment à un contrat sa coloration propre et en l’absence desquels ce dernier ne peut être caractérisé538 ». Monsieur J.-L. Aubert a également désigné que les éléments essentiels sont ceux « sans lesquels il serait impossible de savoir quelle sorte de convention a été conclue539 ». Les deux définitions ci-dessus soulignent les caractères

propres d’un contrat, distincts des autres conventions, mais elles n’indiquent pas l’intérêt des éléments essentiels au contrat lui-même. Monsieur Ph. Delebecque a donc redéfini la notion en tant qu’« éléments centraux spécifiques qui traduisent l’opération juridique et économique que les parties veulent réaliser540 ». Les éléments

essentiels doivent directement manifester la nature d’échange économique du contrat. Selon l’article 1583 du Code civil français, la vente est parfaite dès que les parties se sont accordées sur la chose et le prix541. Par plusieurs arrêts, la Cour de

cassation a confirmé ce principe concernant la formation du contrat de vente542.

Pourtant, l’article 1583 ne s’applique pas aux autres catégories de contrats. Or, la jurisprudence indique que « le degré de précision requis dépend largement de la nature du contrat projeté543 ». Plusieurs arrêts ont autorisé le juge du fond à pouvoir

fixer le montant des honoraires que les parties n’avaient pas déterminé initialement dans un contrat d’ores et déjà formé544. Pour une précision minimale des éléments

essentiels d’un bail à conclure, l’offrant doit mentionner non seulement la chose louée et le montant des loyers, mais encore la date d’entrée en jouissance dans son offre545. Le mode d’entretien constitue un élément déterminant de la convention dans la vente des matériels informatiques d’occasion546. La clause d’exclusivité territoriale est de l’essence du contrat de concession commerciale, mais non de celle du contrat de franchise547. De plus, la jurisprudence a même conditionné le principe établi par l’article 1583, en consacrant que le contrat de vente n’est pas formé à défaut d’accord sur les modalités de paiement du prix, dès lors que l’acheteur a fait connaître au

538 R.-J. POTHIER, Traité des obligations, 1re partie, nos 6 et s., p. 6.

539 J.-L. AUBERT, Notion et rôle de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat, thèse, Paris, éd. 1970, n° 52. 540 Ph. DELEBECQUE, Les clauses allégeant les obligations, thèse ronéot, Aix, 1981, p. 198.

541 Art. 1583 C. civ., « Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur,

dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

542 Cass. 1re civ., 9 déc. 1930 : DP 1931, 1, 118. - Cass.1re civ., 15 déc. 1970 : JCP 71, IV, 27 ; Bull. I, n° 189, p.124. – Cass.

1re civ., 1er juin 1999 : Contrat, conc., consom. 1999, 156, note LEVENEUR ; Bull. I, n°189, p.124 ; D. 2000.622, note

THIOYE. – Cass. 1re civ., 21 mars 2000 : Contrat, conc., consom. 2000, p. 108, note LEVENEUR. 543 F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. précit., n° 109, p. 119.

544 Par ex. : Req., 19 mai 1930, Gaz. Pal. 1930, 2, 145 ; Cass. 1re civ., 15 juin 1973, Bull. civ. I, n° 202, p. 180 ; Cass. 1re civ.,

19 déc. 1973, Bull.civ., I, n° 360, p. 318 ; Cass.1re civ., 8 juin 1977, Bull. civ., I, n° 269, p. 213. 545 CA Toulouse, 21 fév. 1984, RTD civ., 1984.707, obs. J. MESTRE.

546 Versailles, 21 mai 1986, D. 1987, 266, note J. HUEL.

vendeur qu’il considérait ces modalités comme un élément constitutif de son consentement548.

Dans l’avant-projet gouvernemental de réforme du droit des contrats, bien que l’alinéa 1er de l’article 45 dise que « les contrats sont parfaits par le seul échange des consentements quelle qu’en soit la forme », l’article 23 affirme des éléments essentiels comme une condition nécessaire d’une offre légale destinée à la conclusion du contrat549. Malheureusement, cet avant-projet n’a pas précisé la signification du

terme « éléments essentiels » dans le texte.

Pour chercher le sens exact de l’« élément essentiel » du contrat, nous devons revenir en arrière et nous référer à un grand arrêt de 1885. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a décidé que « la vente est parfaite entre le vendeur et l’acheteur dès qu’ils sont convenus de la chose et du prix, à défaut d’accord sur les éléments accessoires du contrat ne pouvant empêcher sa formation à moins que les parties n’aient entendu reporter celle-ci jusqu’à la fixation de ces modalités550 ». Bien que cet arrêt ait encore

traité un litige de vente dont l’importance de la chose et du prix est connue de tous les juristes contemporains, la Cour affirme de façon générale que, par rapport aux éléments essentiels, les éléments accessoires ne sont pas nécessaires à la formation du contrat. Si l’arrêt commenté avait le mérite de distinguer les éléments essentiels des éléments accessoires, la haute juridiction a, dans un autre arrêt plus récent, comblé la lacune relative à une modalité de paiement en affirmant que « la vente est parfaite (…), si l’acheteur, en faisant son prix, n’a stipulé aucun mode de paiement particulier, il est réputé soumis à l’article 1651 du Code civil551 ». Selon l’article 1651, « s’il n’a rien été réglé à cet égard, l’acheteur doit payer au lieu et dans le temps où doit se faire la délivrance ». Considérant la modalité de paiement comme un élément non essentiel, la haute juridiction a en effet consacré un comblement législatif des lacunes contractuelles au regard des circonstances objectives.

548 Cass. com., 16 avril 1991, JCP 92, II, 21871, note M.-O. GAIN.

549 L’alinéa 1er , art.23, l’Avant-Projet gouvernemental de réforme du droit des contrat, 2008, stipulant qu’« est une offre la

manifestation de volonté, faite à personne déterminée ou indéterminée, qui comprend les éléments essentiels du contrat et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

550 Req., 1er déc. 1885, S. 87.1.167, cité H. CAPITANT, F. TEERE et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence

civile, t.2, 12e éd. Dalloz 2008, §145, p. 19.

De plus, par un arrêt de 1995552, la Cour de cassation a constaté que « l’accord des parties sur le prix n’étant plus nécessaire, sauf exception, à la validité du contrat, la notion d’élément essentiel s’identifie non plus aux conditions de validité du contrat mais aux éléments structurels de celui-ci553 ». Le juge n’a pas nié que le prix soit un élément essentiel du contrat. Mais il a coupé le lien entre l’élément essentiel et la validité du contrat dans la conscience courante afin de sauvegarder la vie du contrat et de renforcer l’efficacité de la transaction économique. Quand l’élément essentiel n’est plus considéré comme la condition de la formation du contrat ou celle de la validité du contrat, l’appréciation de l’élément essentiel repose plutôt sur la nécessité d’une opération économique que sur la pertinence d’une qualification juridique. Précisément, la détermination d’un élément essentiel du contrat ne dépend pas de la qualification d’un contrat valable, mais réside dans la considération économique où cet élément est structurellement nécessaire pour la réalisation d’une opération contractuelle. L’objet du comblement du contrat ne se limite donc plus aux éléments non essentiels.