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Chapitre I : Règles françaises d’interprétation du contrat

Section 1 : Création des règles d’interprétation du contrat

E. Article 1162 du Code civil

Étant une directive d’interprétation du contrat classique qui correspond, cependant, parfaitement à la tendance contemporaine de développement du droit privé, l’article 1162 du Code civil prévoit que « dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ». Cette directive est simplement interprétée par la doctrine classique comme la faveur au débiteur248, car un adage disait que « dubia in meliorem partem

interpretari debent » (les clauses douteuses doivent s’interpréter dans le sens le plus

favorable au débiteur)249. Comme le relèvent certains auteurs, « dans la terminologie

romaine, en effet, le stipulant est le créancier, le promettant ou contractant, le débiteur250 ». En outre, en tant que texte de référence de l’article 1162 du Code civil,

à la sixième règle d’interprétation dictée par Pothier était adjointe une explication

246 Ph. SIMLER, JCL Civil Code, art. 1156 à 1164, op. cit., analyse sur les articles 1159 et 1160. 247 Voir, R.-J. POTHIER, Traité des obligations, op. cit., n° 94.

248 Cf. J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, Les obligations, 22e éd. Puf, 2000, n° 142, p. 279 ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E.

SAVAUX, op. cit. n° 396, p. ; J. BORÉ, art. préc., n° 117 ; H. TROFIMOFF, art. op. cit., p. 206.

249 H. ROLAND et L. BOYER, Locutions latines et adages du droit français contemporain, t. II, adages A à L, éd. Hermès,

p. 239.

250 Ph. SIMLER, JCL Civil Code, art. 1156 à 1164, op. cit., analyse sur les articles 1162 ; voir aussi, Y. PACLOT, thèse, op.

supplémentaire, qui emploie aussi le terme « créancier »251 pour représenter « celui qui a stipulé quelque chose252 ».

Le concept de faveur au débiteur apparaît également dans les autres dispositions du Code civil253. L’article 1187, concernant les obligations à terme, prévoit que « le terme est toujours présumé stipulé en faveur au débiteur, (…) ». L’article 1190, concernant les obligations alternatives, dispose que « le choix appartient au débiteur, s’il n’a pas été expressément accordé au créancier ». Or, l’article 1315254 est aussi

considéré comme une faveur au débiteur, parce que cette règle de preuve impose au demandeur, créancier en général, de prouver l’existence d’une obligation de la part du défenseur, débiteur du contrat.

Cependant, en pratique, le créancier n’est pas toujours le stipulant des contrats. En revanche, il est possible que le débiteur dicte le texte contractuel. Il ne semble pas que Domat, Pothier ou les rédacteurs du Code civil aient ignoré cette éventualité. Ni le texte de l’article 1162, ni les règles elles-mêmes dictées par Domat et Pothier n’ont pas directement employé les termes « créancier » ou « débiteur »255.

En effet, analyser minutieusement l’expression des textes concernés nous permet d’entendre des enseignements importants. Domat énonçait, par sa sixième règle d’interprétation des conventions, que « les obscurités et les incertitudes des clauses qui obligent s’interprètent en faveur de celui qui est obligé, et il faut restreindre l’obligation au sens qui la diminue ; car celui qui s’oblige ne veut que le moins, et l’autre a dû faire expliquer clairement ce qu’il prétendait. Mais si d’autres règles veulent qu’on interprète contre celui qui est obligé, comme dans le cas de l’article suivant, on étend l’obligation selon les circonstances ; et en général, quand l’engagement est assez étendu, on ne doit ni l’étendre ni le restreindre au préjudice de l’un pour favoriser l’autre256 ». Alors, selon la septième règle d’interprétation de Domat, « si l’obscurité, l’ambiguïté, ou tout autre vice d’une expression, est un effet

251 R.-J. POTHIER, Traité des obligations, op. cit., n° 97, pour donner la raison de la sixième règle d’interprétation, énonçant

que « le créancier doit s’imputer de ne s’être pas mieux expliqué ».

252 Eod. loc.

253 Voir J. LOPEZ SANTA MARIA, thèse, op. cit., p. 72 ; Ph. SIMLER, JCL Civil Code, art. 1156 à 1164, op. cit., analyse

sur les articles 1162, n° 55.

254 Art. 1315, al. 1 du C. civ., disposant que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ».

255 L’utilisation du terme « créancier » dans l’explication supplémentaire de la règle de Pothier implique, peut-être seulement,

l’illustration d’un cas concret.

de la mauvaise foi, ou de la faute de celui qui doit expliquer son intention, l’interprétation s’en fait contre lui, parce qu’il a dû faire entendre nettement ce qu’il entendait ; ainsi, lorsqu’un vendeur se sert d’une expression équivoque sur les qualités de la chose vendue, l’explication s’en fait contre lui257 ».

Le texte de Domat manifeste assez clairement une conception d’équité entre les parties contractantes. En considérant la situation d’infériorité du contractant qui est obligé, par rapport à son partenaire monopolisant la rédaction du contrat, ce dernier est imposé d’un devoir d’expliquer clairement ce qu’il prétendait. À défaut, la clause litigieuse est interprétée dans un sens contre lui. Cette logique a été confirmée par Pothier, qui a constaté la sanction d’interprétation désavantageuse en cas d’exécution imparfaite de cette obligation d’explication258. En revanche, Domat a bien considéré

la pluralité des circonstances contractuelles, en donnant une exception aux cas particuliers réglés par d’autres dispositions légales, à condition de ne pas entraîner de préjudice injuste pour chacune des parties. Autrement dit, chez Domat, la faveur au débiteur n’est pas absolue, et l’esprit de la règle repose sur l’équité et la justice. Or, la septième règle d’interprétation de Domat traduit la diversité du devoir d’expliquer clairement la clause contractuelle. Précisément, cette obligation est non seulement imposée au créancier monopolisant la rédaction du contrat, mais également à tous les contractants qui doivent, selon l’exigence de l’ordre public, expliquer leur intention. Un exemple typique est souligné par Domat. Si le vendeur n’a pas, de bonne foi, exécuté son obligation d’expliquer clairement les qualités de la chose vendue, il envisage une interprétation désavantageuse de la clause litigieuse, même s’il ne monopolise pas la rédaction du contrat de vente. On peut trouver l’esprit de cette règle d’interprétation dans l’article 1602 du Code civil. Selon cette disposition légale, « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige » (alinéa1) ; « tout pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur » (alinéa 2).

L’expression simplifiée de l’article 1162 du Code civil provoque un autre débat : cette directive d’interprétation vise-t-elle seulement les contrats unilatéraux259 ? Car

l’expression littérale de cette directive montre un déséquilibre entre les pouvoirs et

257 Ibid., la septième règle. 258 Supra. note n° 251.

259 Voir J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, Les obligations, op. cit., n° 143, p. 279 ; H. ROLAND et L. BOYER, Adages du

droit français, op. cit., p. 239 ; Y. PACLOT, thèse, op. cit., p. 236 ; Ph. SIMLER, JCL Civil Code, art. 1156 à 1164, op. cit., n° 56.

les obligations des deux parties. Une des parties possède non seulement le pouvoir exclusif de stipuler la loi contractuelle, mais encore la créance devant son partenaire. Or, l’autre partie ne peut qu’obéir à la disposition de la première et qu’exécuter ses obligations contractuelles. Ces caractéristiques sont suffisantes pour qualifier ce genre de relation contractuelle comme contrat unilatéral.

Cependant, Pothier a montré un exemple de convention de louage, c’est-à-dire de contrat synallagmatique. Dans cet exemple, un bail à ferme lie deux parties. En raison de l’imprécision de l’obligation de délivrance de la part du fermier, la clause litigieuse doit être interprétée pour le fermier et contre le bailleur. Évidemment, Pothier n’a pas considéré les conventions visées par sa septième règle d’interprétation comme un contrat unilatéral. Quant à Domat, dans sa sixième règle d’interprétation, il a bien indiqué que la charge de l’obligation d’expliquer clairement l’intention est relativement variable entre les parties. Précisément, cette obligation est déterminée au regard des circonstances concrètes. Selon Domat, le contrat de vente, en tant que contrat synallagmatique, impose en effet au vendeur d’expliquer la qualité de la chose vendue qu’il s’engage à donner à l’acheteur. Donc, dans le sens classique, la règle d’interprétation en faveur d’une des parties ne s’applique pas seulement aux contrats unilatéraux.

Pour légitimer l’application de l’article 1162 aux contrats synallagmatiques, M. Simler préconise qu’« il faut alors infléchir le fondement de la règle et écarter l'idée d'infériorité systématique d'une partie par rapport à l'autre260 ». Il propose un nouveau critère pour apprécier la charge de la responsabilité de l’ambiguïté ou de l’obscurité de la clause contractuelle : que « la responsabilité principale en incombe à leur bénéficiaire261 ». En pratique, ce critère peut aisément provoquer un risque moral, car si le stipulant dicte intentionnellement une clause ambiguë, par laquelle son cocontractant pourrait en bénéficier, l’application de la règle d’interprétation désavantageuse donnera le préjudice injuste au dernier.

En fait, la doctrine de Domat repose sur une appréciation minutieuse d’équité dans la relation contractuelle. L’application de la règle d’interprétation désavantageuse dépend, avant tout, de la détermination du devoir d’expliquer

clairement la clause contractuelle litigieuse entre les parties. Or, cette opération de détermination est effectivement conditionnée par les diverses circonstances des conventions. D’une part, les statuts de créancier et de débiteur sont relatifs, notamment dans un contrat synallagmatique. Le vendeur est le débiteur de l’acheteur avant l’achèvement de son obligation de délivrance ; l’acheteur est également le débiteur du vendeur avant le paiement du prix de l’objet. Alors, lorsqu’une des parties exécute une obligation stipulée par son partenaire, ce dernier est tenu de lui expliquer clairement cette stipulation avant la conclusion du contrat. En cas d’ambiguïté ou d’obscurité, cette clause est interprétée contre le stipulant. Ici, le lien strict entre l’obligation contractuelle tenue par une partie et la stipulation unilatérale, par l’autre, constitue la condition essentielle de la détermination du devoir d’explication. Or, ce lien apparaît également dans les contrats synallagmatiques. D’autre part, le devoir d’explication dans la relation contractuelle n’est pas uniquement issu de la monopolisation du pouvoir de stipuler un certain contenu contractuel. En effet, l’état d’infériorité ou de faiblesse d’une des parties, surtout en matière de connaissance des informations importantes liées à son consentement au contrat, conduit le juge à interpréter les clauses litigieuses en sa faveur. Par exemple, dans la vente, le vendeur est légalement tenu d’un devoir d’expliquer clairement la qualité de la chose, même s’il ne monopolise pas la rédaction du contrat de vente. Dépassant la conception d’un contrat unilatéral, l’article 1162 du Code civil envisage un univers contractuel large. Cette directive convient parfaitement à la théorie des contrats d’adhésion262 et à leur pratique judiciaire263. Selon cette théorie, malgré la distinction entre le créancier et le débiteur, la clause litigieuse doit être interprétée en faveur de l’adhérent, mais contre le rédacteur du contrat. Le modèle le

261 Eod. loc.

262 Voir M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., n° 373; J. DUPICHOT, art. préc., n° 23, p. 201-202 ; M.-H. MALVILLE, op.

cit., n° 493 et s. ; Y. PACLOT, thèse, op. cit., p. 236 ; Ph. SIMLER, JCL Civil Code, art. 1156 à 1164, op. cit., n° 58.

263 Voir par ex.: Cass. req., 16 déc. 1895, S. 1899, 1, p. 387 ; Cass. civ. 1re, 22 oct. 1974, Bull. civ. 1974, I, n°271. ; CA Paris,

5 mai 1896, DP 1896, 2, p. 414 ; CA Lyon, 22 déc. 1901, DP 1903, 2, p. 306 ; CA Aix-en-Provence, 6 avr. 1960, D. 1960, p. 343; CA Colmar, 25 janv. 1963, Gaz. Pal. 1963, 1, p. 277 ; CA Reims, 6 janv. 1988, JurisData n° 1988-045033 ; CA Paris, 27 nov. 1991, D. 1992, p. 69 ; CA Paris, 17 oct. 2000, JurisData n°2000-132278 ; CA Aix-en-Provence, 8 nov. 2000,

JurisData n° 2000-131860 ; CA Aix-en-Provence, 9 mars 1989, JurisData n° 1989-043969 ; CA Chambéry, 16 oct. 1989, JurisData n° 1989-051996 ; CA Nancy, 5 juin 2000, JurisData n° 2000-122313 ; CA Paris, 3 mars 1989, JurisData n° 1989-

plus connu est en droit de la consommation. À partir de 1995264, l’article L. 133-2 du Code de la consommation affirme officiellement que « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible » (alinéa1) ; et « elles s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel (...) » (alinéa 2). En effet, cette règle du droit spécial s’inspire non seulement du sens de l’article 1162, mais encore renforce le devoir du stipulant du contrat. Précisément, le professionnel est tenu d’un devoir de rédiger un contrat clair et compréhensible devant les consommateurs et les contractants non- professionnels. À défaut, la clause litigieuse sera interprétée contre lui, même si cette clause ne vise que l’obligation du professionnel lui-même.