• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : Causes et conditions de l’interprétation du contrat

Section 1 : Théories traditionnelles différentes en droits français et chinois

B. Analyse de la doctrine chinoise

En droit chinois, l’interprétation judiciaire du contrat est en général considérée comme un thème de litige. La tâche du juge consiste à connaître, à analyser et à résoudre les contestations des parties. L’interprétation du contrat est enclenchée en raison de la contestation des parties. Elle voit aussi son aboutissement par la

104 A. BENABENT, op. cit., p. 271.

105 J. GAUGUIER, De l’interprétation des actes juridiques, thèse, Université de Paris, éd. Arthur Rousseau, 1898, p. 49. 106 J. LOPEZ SANTA MARIA, Les systèmes d’interprétation des contrats, thèse, Université de Paris, 1968, p.31.

107 J. BORÉ, La cassation en matière civile, éd. Dalloz, 1997, préf. P. RAYNAUD, n° 62, p. 275, cit. par J.GHESTIN, op.

résolution de ces contestations. En droit chinois, l’interprétation du contrat repose sur l’analyse des contestations des parties.

En pratique, les clauses contestées estimées ambiguës, obscures ou absurdes, doivent être interprétées par le juge. Or, les clauses non-contestées sont souvent estimées comme l’expression claire de l’intention interne des parties, même si elles ne sont pas assez claires. L’assignation d’une partie en justice ne constitue pas naturellement une contestation valable aux clauses contractuelles, du fait de l’hypothèse : si une partie n’a plus de compétence ou d’envie d’exécuter ses obligations contractuelles claires, sa contestation contre la clause donnée ne devrait pas fonctionner, car le refus d’exécution n’équivaut pas à une contestation réelle des clauses. Par ailleurs, l’hypothèse qu’une clause claire soit contestée par une des parties est possible. En effet, si une clause dite claire dans le texte contractuel a été modifiée ou alertée par les comportements d’exécution réelle des parties, elle ne devient plus une expression claire. Quand une partie des contractants fournit au tribunal une preuve de l’existence de certaines incohérences entre les obligations, une interprétation par le juge devient souvent une opération nécessaire, même si cette preuve n’est pas acceptable par les juges.

La fixation des conditions de l’interprétation du contrat a pour objectif de contrôler les activités de jugement des juges du fond. Dans un sens, la dénaturation d’une clause claire et précise en droit français ne donne à la Cour de cassation qu’un prétexte pour intervenir dans l’appréciation du fait contractuel. Le droit chinois, quant à lui, souligne le rôle des contestations des parties en matière de conditions d’interprétation, car la fonction essentielle de l’interprétation judiciaire, de fait ou de droit, sert à la résolution des contestations des parties. S’il n’y a pas de contestation, il n’y aura pas de litige ; sans litige, pas d’interprétation judiciaire du contrat. En pratique, le jeu de concurrence du litige peut inciter les parties à se défendre plus attentivement. La tâche du juge consiste à analyser et à apprécier les preuves et les observations de contestations déposées par chaque partie, afin de découvrir la vérité des affaires par l’interprétation. Cela évite ainsi au juge d’interpréter les clauses non contestées.

Pour rassembler les idées évoquées ci-dessus, même si la doctrine chinoise du droit ne cherche pas à distinguer précisément l’ambiguïté, l’obscurité et l’absurdité, elle reconnaît cependant ces trois circonstances aux causes de l’interprétation du contrat. La doctrine française ne nie jamais l’influence objective du langage, des compétences de connaissance et de compréhension des contractants sur le contrat. Ce n’est donc pas sur le plan des causes de l’interprétation du contrat, que se situe une véritable opposition entre la doctrine française et chinoise. Mais, influencés par des contextes historiques et culturels différents, les juristes de ces deux pays ont choisi des approches différentes.

Aussi, tout en dépassant les divergences de ces deux doctrines, il est nécessaire de rechercher l’objet de l’interprétation du contrat, puisqu’une clause contractuelle claire et précise ou non contestée est judiciairement considérée comme la condition de l’interprétation du contrat.

§ 3. Objets et conditions de l’interprétation du contrat

En latin scolastique, le terme « objet », objectum, signifie ce qui est placé devant. Aujourd’hui, le terme « objet » comporte trois aspects : en premier lieu, il désigne des choses matérielles et tangibles ; en deuxième lieu, il indique des avantages économiques ou une certaine prestation pécuniaire ; enfin, il représente des avantages d’ordre patrimonial ou extrapatrimonial, par exemple honneur, nom ou fidélité, etc.108

En ce qui concerne l’interprétation du contrat, une observation générale préconise, sur le plan matériel, que les objets de celle-ci comportent le texte contractuel, les documents concernés et les actes de contracter, c’est-à-dire tous les moyens d’expression extérieurs de la volonté interne des parties contractantes. Les moyens peuvent tous être compris comme une déclaration. La déclaration de la volonté peut apparaître dans le texte contractuel, les courriers commerciaux, les publicités, les paroles, les fax, les télégrammes ou les courriels.

S’inspirant de la doctrine allemande, influencée notamment par M. K. Larenz109, les juristes chinois pensent que l’objet de l’interprétation est uniquement une déclaration. En tant que telle, la déclaration possède la fonction de donner un certain sens. Toutes les autres circonstances à considérer ne sont pas les objets de l’interprétation, mais elles en sont les moyens auxiliaires. Ces circonstances sont, par exemple, les négociations précédentes, les habitudes établies entre les parties, les expressions anciennes utilisées par les parties, les usages personnels de la partie adverse, le temps, le lieu et tous les phénomènes accessoires par lesquels l’auteur exprimera sa volonté véritable.

Se fondant sur la même logique, certains juristes français pensent que seul l’élément concret peut devenir objet d’observation, « l’interprétation ne peut porter sur le negotium110 lui-même, mais sur l’instrumentum111 »112. En conséquence, seul

l’instrumentum représente l’objet de l’interprétation ; en revanche, le negotium devient le but de l’interprétation, c’est-à-dire la commune intention des parties113.

Les juristes chinois ont une opinion plus nuancée : « l’objet de l’interprétation est différent dans les diverses contestations du contrat, du fait des hypothèses suivantes : 1) Lorsque la contestation consiste à l’ambiguïté, l’obscurité et l’absurdité de l’expression de la parole ou du texte, l’objet de l’interprétation serait la signification de cette parole ou de ce texte ; 2) Lorsqu’une partie préconise que l’expression écrite ou orale du contrat ne convient pas à son intention interne, la dernière devient l’objet de l’interprétation ; 3) Lorsque la contestation vise les lacunes entre les clauses contractuelles, l’objet de l’interprétation serait les clauses absentes ; 4) Lorsque le contenu du contrat contredit l’esprit de la loi, ce contenu

108 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, éd. PUF, 2007, p. 626.

109 Professeur allemand de droit, ses ouvrages ont largement influencé les juristes chinois. Cf. Karl LARENZ, 德国民法通论

Introduction générale du droit civil allemand, tra. par 王晓晔等 WANG Xiaoye spéc. p.

464-465.

110 Ce terme latin désigne l’affaire. Dans un acte juridique ou un contrat, il concerne la question de fond que vise cet acte ou

ce contrat, par opposition à la forme qui traduit la volonté de l’auteur de l’acte ou des contractants.

111 Ce terme latin représente l’écrit authentique ou le sous-seing privé contenant la substance de l’acte juridique ou un contrat

envisagé par son ou ses auteurs.

112 C. GRIMALDI, Paradoxes autour de l’interprétation des contrats, RDC 2008/2, p. 208. 113 Ibid.

illégal est l’objet de l’interprétation, etc.114 ». Selon cette opinion, l’objet de l’interprétation comporte alors non seulement l’instrumentum, mais aussi le negotium. Afin d’obtenir une distinction nécessaire et raisonnable entre l’objet et le but, il faut établir des critères d’appréciation. Il faut tout d’abord distinguer le procédé de l’interprétation, de l’effet de celle-ci. Le procédé apparaît pendant la démarche interprétative ; l’effet poursuivi se manifeste à la fin de la démarche interprétative. Selon ce critère de distinction, d’une part, toutes les déclarations visibles et tangibles sont certainement les objets de l’interprétation ; d’autre part, en tant que voie et méthode de l’interprétation115, la commune intention interne des parties est également

l’objet de l’interprétation. Selon la notion générale de l’objet précitée, la recherche de la commune intention des parties devient un objet spirituel. Or, la découverte d’un

sens et l’élaboration d’une solution juridique sont sans doute dans les buts de l’interprétation du contrat.

Cette analyse montre l’influence des conditions d’interprétation du contrat sur les objets de l’interprétation. La doctrine française soulignent l’expression défectueuse du contrat, précisément qu’elle soit ambiguë ou obscure, ou qu’elle soit absurde. La doctrine chinoise considère habituellement les questions d’interprétation autour des contestations entre les parties. En France, la Cour de cassation interdit, au nom de la dénaturation, d’interpréter une clause claire et précise. Mais en Chine, bien que la législation ait stipulé la condition de l’interprétation du contrat (contestation des parties), la jurisprudence ne dit jamais clairement que le juge ne doit pas interpréter les clauses non contestées. Par conséquent, il n’y a aucune controverse doctrinale autour de ce sujet.

M. Cui Jianyuan indique, au sens large, que l’objet de l’interprétation du contrat comporte non seulement les écrits et les paroles contestés, mais aussi les éléments non contestés. Car, en effet, outre la contestation des parties, les autres besoins objectifs du traitement du litige exigent d’éclairer le sens par l’interprétation, par

114 崔建远 CUI Jianyuan, 合同解释论纲 Essai général sur l’interprétation des contrats,合同法评论 Commentaires du droit des

contrats, n° 2, sous la direction de 王利明 WANG Liming et 奚晓明 XI Xiaoming, éd. 人民法院出版社Cour populaire Presse,

2004, p. 5.

115 L’article 1156 du Code civil français, règle primordiale d’interprétation, a montré le rôle de la recherche de l’intention

exemple, la confirmation de la formation ou de l’effet du contrat116. Selon M. Cui, tous les éléments d’environnement concernant une transaction doivent être considérés, et voire interprétés117, que ce soient, par exemple, des pièces de documentation, des expressions orales, des actes de négociation, une déclaration et une exécution, etc.

En revanche, M. Li Yongjun préconise, au sens strict, que l’objet de l’interprétation soit limité aux clauses contestées, et que les clauses non contestées soient seulement considérées comme des références de l’interprétation. Il a le souci que « si les juges sont autorisés à interpréter les clauses non contestées, l’abus du pouvoir d’interprétation du juge va facilement apparaître dans les litiges, par lequel le droit public intervient excessivement dans le droit privé ; surtout, les juges peuvent substituer aux parties à déterminer certaines clauses contractuelles, ce qui est contraire à l’esprit du droit privé118 ».

La relation entre l’objet et la condition de l’interprétation du contrat repose non seulement sur la théorie du droit, mais aussi sur la pratique judiciaire. En effet, l’établissement des conditions de l’interprétation du contrat est pratiquement destiné à éviter l’excès du pouvoir d’interprétation du juge. Cependant, l’hypothèse suivante donne une piste de réflexion : s’il est possible que l’interprétation d’une clause contractuelle claire et précise, non contestée par les contractants, corresponde parfaitement à la commune intention des parties, les théories française et chinoise sur les conditions de l’interprétation du contrat se justifient difficilement. Malheureusement, cette hypothèse est tout à fait probable. Si l’on peut utiliser plusieurs expressions pour décrire ou définir une chose, il sera possible d’expliquer l’une par l’autre, parmi ces expressions119. Lorsque l’on dit que le contrat est un accord de volontés des parties, le contrat peut aussi désigner le consentement réciproque sur l’établissement, la modification ou la rupture des obligations entre les parties.

116 Cet exemple est discutable, car la formation et l’effet du contrat concernent la qualification du contrat. 117崔建远 CUI Jianyuan, op. préc., p. 5.

118李永军 LI Yongjun, op. préc., p. 611.

119 Le fruit de recherche de la rhétorique peut nous fournir un espace plus large de réflexion sur l’interprétation du contrat, ce

Pour sortir de la difficulté théorique, il faut abandonner la règle jurisprudentielle qui consiste à limiter les objets de l’interprétation du contrat dans l’appréciation des conditions de l’interprétation du contrat. Autrement dit, on ne doit pas, par la législation ou par la jurisprudence, ni limiter ni interdire les interprétations des clauses claires et précises ou des clauses non contestées. Par contre, un contrôle nécessaire sur les conséquences de l’interprétation sera utile et légitime. Au moins, le contrôle conviendrait au régime contre la dénaturation du fait contractuel en juridictions française et chinoise.