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Chapitre I : Règles françaises d’interprétation du contrat

Section 1 : Création des règles d’interprétation du contrat

F. Articles 1163 et 1164 du Code civil

Étant unanimement considérés comme une directive d’interprétation subjective et subalterne, les articles 1163 et 1164 du Code civil privilégient, encore une fois, la volonté réelle des parties sur les expressions de celle-ci, trop générales ou trop particulières, dans les contrats. Selon l’article 1163, « quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposé de contracter ». À l’inverse, l’article 1164 s’inscrit dans l’hypothèse d’une circonstance contraire, en disposant que « lorsque dans un contrat on a exprimé un cas pour l'explication de l'obligation, on n'est pas censé avoir voulu par là restreindre l'étendue que l'engagement reçoit de droit aux cas non exprimés ».

Ces deux directives d’interprétation cherchent à traiter le litige provoqué par l’imprécision des stipulations contractuelles. À l’article 1163, l’emploi des termes généraux obscurcit les obligations réellement convenues par les parties. À l’article 1164, une circonstance prévue par les parties met en doute l’étendue d’une obligation contractuelle. Selon la doctrine dominante, la seule solution semble être la recherche de la commune intention réelle des parties. L’indication des règles classiques est très

264 La loi n° 95-96 du 1er février 1995 a réformé le Code français de la consommation pour transposer la directive CEE n° 93-

13 du 5 avril 1993. L’article 5 de la dernière dispose qu’« en cas de doute sur le sens d'une clause, l'interprétation la plus favorable au consommateur prévaut ».

claire. Selon Domat, « toutes les clauses de conventions ont leur sens borné au sujet dont on y traite, et ne doivent pas être étendues à des choses auxquelles on n’a pas pensé265 ». Autrement dit, il faut savoir ce que les parties ont pensé lors de la conclusion du contrat. Chez Pothier, envisageant les termes généraux d’une convention, il a non seulement limité l’étendue de l’effet des termes aux choses liées strictement à la conclusion du contrat concerné, mais également écarté « celles auxquelles [les parties] n’ont pas pensé »266. La dixième règle d’interprétation de

Pothier267 est quasi totalement inspirée par l’article 1164 du Code civil. Cette règle

écarte une présomption de la commune intention des parties qui tend à restreindre l’étendue d’un engagement contractuel à l’illustration d’un cas concret. La doctrine considère donc que l’article 1164 repose aussi, comme l’article 1163, sur la recherche de la volonté réelle des parties.

Cependant, le texte littéral de l’article 1164, ou dit de la dixième règle de Pothier, ne consacre pas la nécessité d’une recherche psychologique des parties en cette circonstance. Bien au contraire, le refus de la présomption de volonté implique que le législateur interdit une interprétation subjective divinatoire. Or, l’étendue de l’engagement litigieux peut être aisément déterminée par la nature du contrat ou par l’usage relatif à cette catégorie des contrats. L’expression, ce que « l'étendue que l'engagement reçoit de droit aux cas non exprimés », utilise le terme « de droit » qui signifie « sans faveur spéciale » ou « sans avoir à fournir une justification »268. Autrement dit, la détermination de l’étendue de l’engagement litigieux repose sur une compréhension normale de la clause contractuelle, sans recours à la recherche de la volonté réelle des parties.

L’exemple d’explication donné par Pothier269 justifie cette analyse. Dans un contrat de mariage, les parties stipulent que « les futurs époux seront en communauté de biens, dans laquelle communauté entrera le mobilier des successions qui leur écherront ». Pothier a pensé que « cette clause n’empêche pas que toutes les autres choses qui de droit commun entrent dans la communauté conjugale n’y entrent, parce

265 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, op. cit., la quatorzième règle. 266 Voir R.-J. POTHIER, Traité des obligations, op. cit., n° 98.

267 Ibid., n° 100. Cette règle d’interprétation dispose que « lorsque dans un contrat on a exprimé un cas, pour le doute qu’il

aurait pu y avoir, si l’engagement qui résulte du contrat s’étendait à ce cas, on n’est pas censé par là avoir voulu restreindre l’étendue que cet engagement a, de droit, à tous ceux qui ne sont pas exprimés ».

268 Dictionnaire français Larousse, terme « de droit ».

qu’elle n’est ajoutée que pour lever le doute que les parties peu instruites ont cru qu’il pourrait y avoir, si le mobilier des successions y devait entrer270 ». Cet exemple montre que le sens de la clause concernée est déterminé par la nature du contrat de mariage ou par l’usage de la communauté de biens issue du mariage, plutôt que par une recherche de la volonté réelle des parties.

En outre, l’article 1163 ne peut pas, en pratique, écarter une interprétation objective éventuelle au contrat. Lorsque la volonté réelle des parties n’a pas été clairement exprimée dans tous les documents contractuels, le recours à la matière du contrat ou à la nature du contrat paraît plus sage et efficace pour entendre ce que les contractants ont réellement pensé. En effet, le texte de l’article 1163 ne refuse absolument pas l’exercice d’une interprétation plutôt objective.

En ce qui concerne la fonction de l’article 1163, comme l’indique M. J. Dupichot, cette directive d’interprétation « semble avoir plutôt vocation à s’appliquer à des contrats standardisés qu’à des contrats de gré-à-gré271 », parce que les premiers

comportent souvent « des clauses de style », « des formulaires préimprimés » et « des clauses ‹ pensées › par l’une des parties mais qui n’ont guère été portées à la connaissance du cocontractant »272. En effet, c’est encore dans l’hypothèse d’un contrat d’adhésion dont les clauses pré-rédigées n’ont pas été négociées par les parties. L’application de l’article 1163 a le mérite de restreindre l’abus du stipulant contractant dans la rédaction du texte au contenu connu par son partenaire.

Cette compréhension contemporaine peut également trouver, comme corollaire de l’article 1163, le support des autres règles du Code civil. Par exemple, l’article 2292 du Code civil dispose que « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». L’alinéa 1 de l’article 1202 prévoit que « la solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée ». Encore, selon l’article 1273, « la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte ».

270 Eod. loc.

271 J. DUPICHOT, art. op. cit., n° 12, p. 192. 272 Ibid., n° 12, p. 191.

M. Dupichot pense donc que l’article 1163 « se fonde théoriquement sur l’individualisme (l’autonomie de la volonté) mais elle se nourrit de l’esprit socialiste en ce sens qu’il est tentant (en équité) d’affranchir la partie la plus faible économiquement (…)273 ». Évidemment, la fonction de l’article 1163 a eu une extension considérable dans divers domaines contractuels. Dans le rééquilibre contemporain des contrats, cette directive dépasse déjà une conception subjective d’interprétation du contrat.

Après la recherche du sens des directives classiques d’interprétation des contrats, il est nécessaire d’analyser leur esprit législatif afin d’obtenir une indication claire pour la pratique judiciaire.

§ 2. Commentaire sur l’esprit législatif des règles d’interprétation du contrat

La recherche de l’esprit législatif des directives d’interprétation du contrat concerne deux questions principales, mais très controversées : d’une part, la définition de la règle d’interprétation du contrat et sa nature juridique (A) ; d’autre part, la hiérarchie et l’ordre des règles d’interprétation du contrat (B).