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Chapitre I. Condition préalable du comblement des lacunes contractuelles

Section 2. Expériences du droit chinois

En ce qui concerne la politique législative du contrat, le droit chinois a une expérience d’évolution du formalisme au consensualisme. Dans la « Loi sur les contrats économiques » promulguée en 1981 et révisée en 1993, les éléments principaux du contrat ont été, au moyen de dispositions impératives, stipulés dans le texte légal554. Même si cette loi n’a pas employé le terme « éléments essentiels », la notion des « clauses principales » du contrat exprime la signification identique du premier terme, en considérant la nécessité absolue de ces clauses pour la validité du contrat. Selon l’article 12 de la loi sur les contrats économiques, « un contrat économique doit se composer de clauses principales suivantes : 1) l’objet (marchandise, service et entreprise etc.) ; 2) la qualité et la quantité ; 3) le prix ou les

552 Ass. Plén., 1er déc. 1995, D. 1996, 13, concl. JÉOL, note L. AYNÈS ; JCP 1996, II, 22565, concl. JÉOL, note J.

GHESTIN ; JCP E 1996, II, 776, note L. LEVENEUR ; JCP N 1996, I, 93, obs. D. BOULANGER ; Gaz. Pal., 1995.2.626, concl. JÉOL, note P. de FONBRESSIN ; Defrénois 1996.747, obs. Ph. DELEBECQUE ; RTD civ., 1996.153, obs. J. MESTRE.

553 H. CAPITANT, F. TEERE et Y. LEQUETTE, op. cit., Grands arrêts, t. 2, § 145, p. 24.

554 Voir, art. 12, 17, 18 et s., Loi sur les contrats économiques, 1981 et 1993. Cette loi a été remplacée par la loi sur les

horaires ; 4) la durée, le lieu et la modalité d’exécution ; 5) les responsabilités pour inexécution. Par ailleurs, les clauses imposées par la loi ou exigées par une des parties contractantes participent aussi des clauses principales du contrat économique ». Comme cette disposition légale constituait une règle générale impérative, les articles relatifs aux contrats spécieux555 continuent à préciser les

éléments essentiels de chaque type de contrat dans cette loi.

Pourtant, l’application des dispositions légales ci-dessus a entraîné, qu’au nom de l’absence de clause principale, les juges ont largement refusé dans les litiges quotidiens la validité des contrats conclus par les parties. Cette situation a gravement menacé la sécurité des transactions et le développement du commerce. Afin d’éviter les conséquences négatives, la Cour suprême de Chine a établi une politique judiciaire qui confie aux juges le pouvoir d’adoucir ces articles législatifs par l’interprétation de la loi556. À l’occasion de la réforme du droit des contrats, en 1999,

les rédacteurs de la nouvelle « Loi sur les contrats » cherchaient à donner aux parties elles-mêmes le pouvoir de détermination du contenu du contrat afin de changer le formalisme trop rigide en matière de clauses contractuelles. Par l’article 12 de la loi sur les contrats en vigueur557, le législateur souligne d’abord que « le contenu du

contrat est convenu par les parties ». Puis, il exprime une indication facultative, le contenu du contrat où « sont généralement incluses les clauses suivantes : 1) le nom et l’adresse de chaque partie ; 2) l’objet ; 3) la quantité ; 4) la qualité ; 5) le prix ou les honoraires ; 6) la durée, le lieu et la modalité d’exécution ; 7) les responsabilités pour inexécution ; 8) les moyens de résoudre la contestation des parties » en indiquant à la fin que « les parties contractantes peuvent référer divers modèles de contrats dans la rédaction du texte contractuel ». Écartant la notion des clauses principales employée par l’ancienne loi, l’article 12 de la loi sur les contrats consiste en effet à attirer l’attention des parties contractantes sur les éléments contractuels généraux. Il n’y a plus d’exigence impérative relative aux clauses principales ou aux éléments essentiels dans les dispositions légales générales. En ce sens, les clauses proposées dans la loi ne fonctionnent que comme éléments structurels du contrat, qui ne s’identifient plus aux conditions de formation du contrat.

555 De l’article 17 jusqu’à l’article 25 de la loi sur les contrats économiques.

556最高人民法院 Cour suprême de Chine, 全国民事审判工作座谈会纪要 Compte-rendu de la conférence nationale sur le travail de

jugement des litiges civils, 22-27 juin 1993.

557 La Loi sur les contrats est entrée en vigueur en Chine depuis 1999 en se substituant aux anciennes lois sur les contrats

Cependant, cette situation législative n’implique pas qu’il n’existe plus de condition de la formation et de la validité du contrat en droit chinois. Pour établir un contrat, la rencontre des volontés des parties est théoriquement la condition unique. Techniquement, la rencontre des volontés est traduite par le régime de l’offre- acceptation, dont une des parties doit adresser au destinataire une offre valable. Selon l’article 14 de la loi sur les contrats, une offre doit se composer de contenu précis et concret. Mais quels sont les éléments d’une offre précise et concrète qui permet de former légalement un contrat ? La législation et la jurisprudence ne donnent aucune réponse claire.

En matière d’élément essentiel lié à la formation du contrat, la consécration jurisprudentielle est multiple. Le tribunal du quartier Haidian de Pékin a, dans l’une de ses décisions, affirmé que le contrat de création de la société n’était pas légalement formé en raison de l’absence de clauses d’apports proportionnels et de division des parts sociales558. Ainsi, l’absence de clause sur le prix des transactions

rend caduque la formation du contrat de vente559. Dans la vente d’un produit, les

éléments sur la qualité, la quantité et le prix sont essentiels pour légalement former un contrat560.

Dans un litige relevant d’un contrat d’assurance561, il existe une relation

permanente de coopération entre le demandeur (assuré) et le défenseur (assureur). En 1997, un demandeur a déposé au défenseur un exemplaire de sa souscription pour l’assurance de ses marchandises marines. Dans cet acte, la chose assurée, la nature des risques garantis, la durée et le montant de cette garantie étaient précisés. Pourtant, la prime d’assurance n’était pas indiquée en raison du manque d’information sur la vétusté du bateau nécessaire pour calculer le taux de la prime. Les parties se sont oralement mises d’accord sur le fait de préciser le montant de la prime dès qu’elles

558 海淀区人民法院 Tribunal Haidian, (2001)海经初字第299号判决书 Arrêt (2001) Hai jing Chu Zi n°299, 合同法疑难案例判解

Grands Arrêts vol. 2002, 北京市高级人民法院民二庭 La Cour supérieure de Pékin, 2e civ., éd. 法律出版社 Law Press, Pékin, 2003,

p. 29.

559 Voir par exemple, Litige : Xingfa usine de vermicelles contre Société industrielle de Tongfa, commentaire 马强 MA Qiang

(juge de la Cour supérieure de Pékin), 合同法新问题判解研究 Analyses des nouvelles questions dans les arrêts sur les contrats, éd. 人民法院出版社 Cour Populaire Press, 2005, p. 29-40.

560 Ibid., Litige : Qixin usine de sable de rivière contre Société Tongjin de construction, p. 53-56. Voir aussi, Litige :

Dacheng usine sidérurgique de Mongolie intérieure, Dafa SARL de matériaux sidérurgiques contre Jianhua SARL de construction, commentaire, 金剑峰、王闯和赵雅君 JIN Jianfeng, WANG Chuang et ZHAO Yajun (juges à la Cour), 合同纠纷典型案例评析 Commentaires des arrêts typiques sur les litiges contractuels, éd. Cour Populaire Press, 2004, p. 3-10.

561 上海市高级人民法院 Cour supérieure de Shanghai, (1999) 沪高经终字第612号 Arrêt (1999) Hu Gao Jing Zhong Zi n° 612 :

obtiendraient l’information. L’assureur a accepté cette souscription avec une confirmation écrite et a visé l’exemplaire de souscription d’assurance. Malheureusement, un incendie est survenu pendant la durée de garantie du contrat. L’assureur a alors refusé la demande de l’assuré de payer l’indemnité d’assurance au motif qu’un contrat d’assurance légalement formé entre eux n’existait pas. La cour des affaires maritimes de Shanghai a cependant jugé que le contrat d’assurance avait été légalement formé entre les parties litigieuses, bien qu’il manquât la clause relative à la prime d’assurance. Parce que l’exemplaire de souscription contenait déjà l’acceptation claire de l’assureur et les éléments essentiels du contrat d’assurance, dont la prime pouvait être déterminée par l’usage de coopération permanente entre les parties. L’exemplaire officiel du contrat d’assurance n’est que la preuve qui peut clairement manifester le lien contractuel entre les parties. Il n’est pas obligatoire, tant formellement que substantiellement, pour la formation du contrat d’assurance. Cette position judiciaire a finalement été soutenue par la cour supérieure de Shanghai qui a rejeté le pourvoi du demandeur. En réalité, le juge du fond a toutefois considéré le prix comme élément essentiel du contrat. Par le moyen de l’interprétation constructive, il a fondé sa décision sur l’usage objectivement formé entre les parties, mais non pas sur l’accord express des parties. La lacune d’élément essentiel du contrat peut être comblée par l’interprétation du juge.

Selon la doctrine dominante, l’objet (ou la chose) était le seul élément essentiel absolu de toutes sortes de contrats, même si indiquer la quantité est généralement nécessaire dans la plupart des types de contrats562. Bien que le prix joue un rôle omnipotent dans la vente, il n’est pas considéré comme élément essentiel absolu pour la formation des autres sortes de contrats563. De plus, il est possible dans la vente que la clause sur le prix d’échange ne soit pas claire et précise, mais que le contrat de vente soit bien formé. Les juristes chinois contemporains acceptent largement le point de vue selon lequel la nature du contrat détermine ses éléments essentiels564. Cette

observation implique que les éléments essentiels du contrat reposent directement sur la nature du contrat regardée comme catégorie juridique du contrat, mais non sur la

562 Voir Mission des travaux législatifs du Comité permanent de l’Assemblé populaire nationale de Chine, Interprétation de

la Loi sur les contrats de Chine, sous dir. HU Kangsheng, 2008, http://www.cslawyer.com.cn/html/26/0882147.htm .

563 Ibid.

564 Voir, 王利明 WANG Liming, 合同法研究 Recherches sur le droit des contrats, éd. 中国人民大学出版社 Renda Press, 2002, p.

déclaration de la volonté des parties. Par ailleurs, le concept doctrinal qui rattache habituellement la notion d’élément essentiel à la formation du contrat ou à la validité du contrat, devient de moins en moins intéressant aujourd’hui, car le contenu de la notion d’élément essentiel diminue considérablement, jusqu’au seul objet même du contrat.

Depuis 1999, le législateur a conféré au juge le pouvoir de combler les lacunes contractuelles. Les éléments contractuels considérés comme clauses principales par l’ancienne loi sur les contrats économiques n’ont pas échappé à l’intervention du juge. Selon l’article 61 de la loi sur les contrats, lorsque les parties ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur la qualité, le prix ou les honoraires, le lieu d’exécution, etc., ou lorsque les éléments de cet accord ne sont pas précis, les juges peuvent proposer aux parties de conclure une convention complémentaire. Au cas où cette convention complémentaire deviendrait impossible, les juges doivent, selon les clauses contractuelles corrélatives ou selon l’usage de transaction, préciser le contenu lacunaire. D’après les instruments ci-dessus, si les juges ne peuvent pas encore préciser les lacunes entre les clauses contractuelles, l’article 62 établit l’ordre de référence des critères préexistants : 1) quant à la qualité, les critères nationaux et professionnels doivent être privilégiés ; à défaut, le critère normal ou le critère qui correspond à la finalité du contrat est acceptable ; 2) quant au prix ou aux honoraires, le prix présent de marché du lieu d’exécution au moment de la formation du contrat constitue un critère de référence, à défaut du prix proposé ou déterminé par le gouvernement ; 3) quant au lieu d’exécution, la prestation en numéraire doit être exécutée au siège du créancier ; la livraison des immeubles s’est faite au lieu où les immeubles se trouvent ; les autres prestations se font au siège du débiteur ; 4) à défaut d’une date limite d’exécution, le débiteur peut à tout moment exécuter ses obligations ; le créancier peut aussi exiger l’exécution du débiteur à tout moment, à condition de lui laisser le temps de préparation raisonnable ; 5) la détermination de la modalité d’exécution doit reposer sur la considération de la réalisation du but du contrat ; 6) le tarif d’exécution est généralement tenu par le débiteur565.

Les règles du droit positif chinois relatives à la construction des lacunes du contrat imposent un ordre de choix des référentiels : la renégociation des parties →

d’autres clauses corrélatives du contrat ou l’usage de transaction → les critères supplémentaires fournis par la loi. Cet ordre manifeste le principe fondamental de l’interprétation du contrat : on doit mettre la commune intention des parties à la première place du contrat. Nous pouvons donc trouver une hiérarchie des volontés dans cet ordre : la commune intention claire des parties est privilégiée par rapport à l’intention présumée ; l’intention présumée des parties est privilégiée sur les critères de référence supplémentaires fournis par la loi.

Par rapport au formalisme contractuel dominant les contrats économiques avant 1999, le constat législatif du respect à la liberté contractuelle représente sans doute un avancement important du droit civil en Chine. Pourtant, cet avancement remarquable ne repose pas sur un libéralisme absolu selon lequel la commune intention des parties devient le fondement exclusif du contenu du contrat. En effet, les articles 61 et 62 de la loi sur les contrats diminuent le lien logique entre l’élément essentiel et la formation du contrat en constatant que divers éléments structurels du contrat sont susceptibles d’être comblés par le juge.

En conclusion, malgré les différences du contexte social et de l’institution juridique, la comparaison entre les droits français et chinois fait apparaître un certain nombre de points communs entre eux. D’une part, il ne convient plus à la notion traditionnelle d’élément essentiel de définir la formation du contrat ou la validité du contrat. En réalité, la détermination des conditions préalables du comblement des lacunes contractuelles ne dépend plus de la distinction entre les éléments essentiels et non essentiels. Or, d’autre part, même si la formation du contrat exige que la rencontre des volontés des parties doit précisément viser certains éléments substantiels du contrat à conclure, la détermination de ces éléments dépend de l’appréciation du juge au cas par cas. En effet, la nature du contrat contribue à classifier ou à qualifier les éléments contractuels. Le comblement du contrat a donc le lien avec la nature du contrat, autrement dit, la nature du contrat détermine l’étendue d’application du comblement des lacunes contractuelles.

565 Voir aussi, art.88 des « Principes généraux du droit civil de R.P. Chine » (1986) et art.105 des « Opinions de la Cour

Lorsque la notion d’élément essentiel du contrat est dégagée de la condition de formation du contrat et de validité du contrat, l’objet du comblement des lacunes contractuelles ne peut plus se caractériser par les éléments non essentiels du contrat. Pour révéler à nouveau la nature juridique du comblement des lacunes contractuelles, il convient d’analyser profondément les devoirs « comblés » par la loi ou par le juge dans le contrat, dont les obligations accessoires sont illustratives.

Chapitre II. Essence du comblement des lacunes contractuelles au regard