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Le Sénatus-consulte du 22 Avril 1863

Chapitre II : L'époque coloniale ou la dépossession des producteurs de

B. L'arsenal juridique comme instrument de la dépossession

2) Le Sénatus-consulte du 22 Avril 1863

a) Exposé des motifs du Sénatus-consulte

Dans l'esprit de Napoléon III, ce texte devait

"mettre un terme aux inquiétudes excitées par tant de discussions sur la

propriété arabe" (2) .

Pour cela, il fallait avant tout consolider la propriété entre les mains de ceux qui la détenaient; d'abord pour honorer une promesse faite au lendemain de la prise d'Alger (celle de respecter la religion et la propriété des habitants), ensuite pour des raisons de sécurité et d'efficacité.

Pour Napoléon III, il s'agissait de

"convaincre les Arabes que nous ne sommes pas venus en Algérie pour les

opprimer et les spolier, mais pour leur apporter les bienfaits de la civilisation" (3) ,

"la civilisation" signifiant le respect du droit de chacun.

Pour cela il fallait consacrer définitivement la propriété des Algériens. Dans sa lettre au Maréchal duc de Malakoff, Napoléon III déclarait :

"Le moment est venu de sortir d'une situation précaire" (4) , et il traçait le programme à venir :

1 ) GODIN, F., "Le régime foncier de l'Algérie", in L'œuvre législative de la France en Algérie, Paris 1930, p. 203.

2 ) Gouvernement général de l'Algérie. Documents officiels relatifs à la constitution de la propriété dans les territoires occupés par les Arabes. Typographie Duclave. Alger 1864. p. 3.

3 ) Idem, p. 4.

"Le territoire des tribus une fois reconnu, on le divisera en douars, ce qui

permettra plus vite à l'Administration d'arriver à la propriété individuelle...Ce sont les rapports journaliers entre colons et Algériens qui amèneront ces derniers à la civilisation et non pas les mesures coercitives..." (1)

et il poursuit à propos de la division des tâches:

"Aux indigènes, l'élevage des chevaux et du bétail, les cultures naturelles du

sol. A l'activité et à l'intelligence européenne, l'exploitation des forêts et des mines, le dessèchement, l'introduction des cultures perfectionnées, l'importation de ces industries qui précèdent ou qui accompagnent toujours les progrès de

l'agriculture" (2) .

b) Le Sénatus-consulte et ses résultats

Ce texte croyait protéger (jusqu'à un certain point) les populations rurales algériennes. En fait, il ne réussit qu'à les ruiner et à rompre leur équilibre social. L'idée de Napoléon III de créer un "Royaume arabe" fut en réalité le début et l'étape la plus décisive vers la négation de ce "Royaume".

En effet, le texte prescrivait trois opérations : 1) La délimitation des terres des tribus

2) La répartition des terres délimitées en "douars"

3) L'établissement de la propriété individuelle entre les différents membres du douar.

Le Sénatus-consulte rejetait le principe du domaine éminent de l'Etat sur les terres Arch, et confirmait le droit de propriété des tribus (premier point positif) :

"Les tribus de l'Algérie sont déclarées propriétaires des territoires dont elles

ont la jouissance permanente et traditionnelle à quelque titre que ce soit " (article

1) (3).

Mais il légalisait et entérinait les précédentes expropriations et autres irrégularités :

1 ) Gouvernement général de l'Algérie. Documents officiels, idem, p. 5

2 ) Ibidem. p.6

"Tout acte, partage ou distinction de territoires intervenus entre l'Etat et les

indigènes sont et demeurent confirmés" (titre 1). (1)

L'Etat ne renoncerait pas pour autant à agrandir son domaine. En fait, la poursuite systématique de ses multiples droits (Habous, forêts, déshérence...) lui permit de récupérer, jusqu'en 1870, un peu plus d'un million d'hectares (2) .

Le bilan du Sénatus-consulte, de 1863 à 1870 (date de suspension) est le suivant :

- Délimitation de 372 tribus auxquelles se sont substitués 667 douars regroupant 1 037 000 habitants.

- Sur les 6 887 000 hectares inventoriés :

- 1 186 000 hectares furent attribués aux Domaines - 1 336 000 hectares reconnus biens communaux - 1 523 000 hectares déclarés Arch

- 2 840 000 hectares Melk.

- La troisième opération concernant la constitution de la propriété individuelle, étape décisive pour les colons, ne fut appliquée que sur 7 355 hectares . En effet, tout ce que les colons avaient retenu du Sénatus-consulte, c'était son troisième point, c'est à dire l'établissement de la propriété individuelle. Qui dit propriété individuelle dit acte de propriété purgé de tous les droits anciens, donc la possibilité de pouvoir spéculer sur les terres, surtout les terres Arch qui étaient les plus accessibles.

Par ailleurs, l'application du Sénatus-consulte à l'Est algérien devait se faire selon un schéma que nous retrouvons identique dans l'Algérois et l'Oranie : les tribus prioritaires étaient celles qui devaient être traversées par les voies ferrées en cours d'exécution, les tribus voisines des centres de population européenne, et enfin celles qui étaient voisines des massifs forestiers ou qui en renfermaient dans leur périmètre.

C'est ainsi que l'on avait commencé dans l'Est algérien, par les Hautes Plaines de Sétif et d'Aïn Beida, parce que traversées par les principales voies de communication ; par celles des monts de Constantine, proches des centres de colonisation ; ainsi que par celles des la plaine de Bône et de Collo, et par la Kabylie, pour leurs forêts de chênes-lièges.

Par ailleurs le Sénatus-consulte créait le douar :

1 ) Ibidem p. 34.

"clé de voûte de la nouvelle organisation administrative, foncière et sociale" (1) .

Le Général Allard, exposant les motifs du Sénatus-consulte affirmait :

"Le Gouvernement ne perdra pas de vue que la tendance de sa politique

doit, en général, être l'amoindrissement de l'influence des chefs arabes et la désagrégation de la tribu" (2).

Jusque là, la colonisation n'avait pas touché à l'organisation des tribus. Certaines avaient été dépouillées d'une partie de leurs terres, d'autres refoulées sur des terres ingrates ce qui, économiquement, les avait ébranlées. Cependant les fondements de la tribu n'étaient pas encore profondément entamées. Ce travail fut entrepris lors du Sénatus-consulte de 1863. Le démembrement des tribus en différents douars constituait la première et décisive étape vers la désagrégation sociale. A ce stade, le Droit coutumier était toujours respecté. Les principes de l'indivision et de l'inaliénabilité de la terre existaient toujours. Le Lois de 1873 et 1887 devaient en arriver à bout.