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La répartition des transactions par strates de superficie

CHAPITRE II. LES RESULTATS DE L'ENQUETE

A. La mobilite des terres

3) La répartition des transactions par strates de superficie

Sur les actes des Hypothèques, les superficies vendues sont déclarées et donc inscrites sur les livres. C'est ce que l'on nomme, dans les statistiques générales, les "transactions à contenance indiquée", ou C.I.

Cependant il existe une autre catégorie de transactions, celle dont on ne connaît pas les superficies. Une évaluation se fait en monnaie. Ce sont les "transactions à contenance non indiquée".

En Février 1930, Mme Mamdi Meriem bent Ahmed, demeurant au douar El Akbia, commune mixte d' El Milia, a vendu au nommé Mamdi Aïssa ben Ahmed, demeurant également au douar El Akbia "tous les droits quelconques qu'elle a

recueillis par voie d'héritage dans la succession de son père Mamdi Ahmed ben Ali à prendre dans tous les biens immobiliers laissés en succession par ce dernier, en nature de terre de culture et de verger, le tout situé à la fraction Amdige, douar El Akbia... La présente vente est faite moyennant le prix principal de 150 fcs".

Sont principalement concernées par ce type de transaction, les ventes de droits successifs et les terres Arch.

Dans notre enquête, les ventes à CI sont au nombre de 579, et les ventes à CNI au nombre de 83.

- 1 ha 1 / 3 3 / 5 5 / 10 10 / 20 20 / 50 50 / 100 + 100 ha C N I + 20 ha Total 1910 6 T 47 15 20 10 6 1 4 6 115 3,68 91,86 53,80 148,55 140,64 182,32 66,49 526,65 775,46 1 213,99 1915 4 18 7 4 5 4 1 3 46 1,89 30,7 27,16 30,11 68,33 113,68 78,24 / 191,92 350,11 1920 12 27 8 12 9 7 4 4 4 5,24 54,63 23,48 83,43 122,89 214,64 293,40 847,16 1 355,20 1 644,87 1925 33 71 16 17 3 2 5 1 17 15,91 114,20 59,17 105,02 37,94 70,33 311,70 103,45 485,48 817,72 1930 22 32 11 4 2 2 2 24 12,71 57,86 40,88 22,50 32,52 - 108,71 468,62 577,33 743,80 1935 8 15 3 4 1 2 3 2 7 4,25 23,08 11,50 31,43 11,31 66,33 203,14 319,42 588,89 670,46 1938 24 38 8 5 2 2 4 22 9,78 66,09 30,03 41,81 28,34 73,41 270,12 - 343,53 519,58 Total 109 248 68 66 32 23 20 13 83 53,46 438,42 246,02 462,85 441,97 720,71 1 331,80 2 265,30 4 317,81 5 960,53 ha Tableau n° 26 : Répartition des transactions par strates de superficies et par année.

Remarque :Pour des raisons pratiques de facilité de transcription des superficies dans les tableaux, nous avons volontairement opté pour l'écriture suivante : * * , * * ha, au lieu de l'écriture reconnue * * ha * * a.

Le tableau fait ressortir qu'au fur et à mesure que les strates des superficies augmentent, le nombre de transactions diminue. C’est d’abord celle de " 1 à 3 ha " qui comptabilise à elle seule 248 transactions, soit 43% du total. Vient ensuite et loin derrière celle des " moins de 1 ha " avec 109 transactions, soit 19%. Elles totalisent 357 transactions soit 62% du total des transactions à contenances indiquées.

Si nous leur ajoutons la strate de "moins de 5 ha", elles réalisent à elles trois : 425 transactions, soit 73% du total.

Il y a la foule de la propriété de parcelles qui est la principale concernée par les transactions foncières. C’est elle qui rend actif le marché foncier et l’anime en le mettant périodiquement en mouvement. C’est cette foule de petits propriétaires de parcelles, sans doute algérienne, qui année après année se dessaisie de ses minuscules biens fond. En superficie elle couvre 738 ha, soit 12% des superficies vendues. Ceci démontre l'existence d'une petite propriété de parcelles importante et l'extrême émiettement de la propriété.

Ce que nous remarquons par ailleurs, c'est que la strate de "plus de 20 ha", avec 56 transactions, soit 10%, couvre 4 318 ha des terres échangées, soit 72%.

Les deux autres strates, qui se trouvent entre les deux strates principales, sont de très faible importance ::

Erreur ! Signet non défini. celles de " 5 à moins de 10 ha " portent sur 8% des terres (66 transactions pour 462 ha 85, soit 11,39%).

Erreur ! Signet non défini. celles de " 10 à moins de 20 ha " portent sur 7% des terres échangées ( 32 transactions pour 442 ha, soit 5% des transactions). Soit une strate unique de " 5 à 20 ha " qui totalise 98 transactions, pour 905 ha, donc 16% des transactions pour 15% de terres échangées.

Ce tableau se réduit en fait à 3 strates principales :

- celle des " moins de 5 ha ", qui totalise une multitude de petites transactions pour une superficie vendue d'un peu plus de 1/5.

- celle des "plus de 20 ha", limitée en nombre mais qui couvre un peu moins des 3/4 des terres vendues.

- et entre ces deux strates, celle intermédiaire des "5 à moins de 20 ha", qui reste réduite en nombre et en superficie échangée.

Si nous nous restreignons encore à 2 strates, les résultats sont encore plus intéressants.

Erreur ! Signet non défini. Les ventes de " moins de 10 ha " constituent 84% des transactions et portent sur 20% des terres échangées.

Les ventes de " plus de 10 ha " constituent 16% des transactions et portent sur 80% des terres échangées.

Nous avons deux strates qui évoluent de manière inversement proportionnelle : Celle concernant une multitude de petites transactions qui portent uniquement sur le 1/5 des terres échangées. Et celles, plus limitées, des transactions portant sur des superficies au-delà de 10 ha et qui concernent 4/ 5 des terres échangées..

Voilà ce que ne nous montrent pas les statistiques globales publiées. Et ce n'est pas cette multitude de petites transactions qui augmentent ou diminuent le volume des échanges chaque année. Ce sont plutôt les strates de plus de 20 ha qui, pour un petit nombre de transactions, échangent de grandes superficies.

Ceux qui animent le marché de la terre et qui le rendent actif sont cette flopées de petits propriétaires qui amènent régulièrement de la terre à vendre.

Ce sont les terres de faibles volume, donc les plus accessibles « au commun des mortels » qui circulent en priorité.

La micro et petites propriétés sont hégémoniques dans les transactions car ce sont elles les plus vulnérables et dont on se sépare le plus vite et le plus facilement. Ce sont ceux qui ne sont pas à l’abri d’une mauvaise conjoncture économique ou autre qui sont les premiers touchés et de plein fouet.

Il est très probable et même certain que la vente intervient après un endettement. Il semble que l’endettement est une situation chronique dans les campagnes algériennes. Il arrive souvent que pour passer le cap de la soudure, c'est-à-dire ce moment crucial de l’année, où les réserves de grains viennent à manquer. Cette période de l’année entre la fin de l’hiver et la prochaine récolte, avril et juin, beaucoup de fellahs manquant de grains empruntent pour terminer l’année, soit en nature soit en argent. L’emprunt peut se faire auprès de la parenté. Là se sont les solidarités parentales qui jouent. Il peut se faire auprès du voisinage, mieux pourvu. Là se sont les solidarités de voisinages qui interviennent ou même tribales. Cet emprunt peut se faire sans contre partie. Le remboursement se fera au moment de la récolte. C’est une pratique avérée et courante.

Mais aux moments des mauvaises conjonctures, l’endettement prend une autre tournure et d’autres formes. Beaucoup ne trouvent pas d’aide auprès de ceux qui traditionnellement le faisaient, car eux-même en sérieuses difficultés. D’autres réseaux sont alors activés. Ce sera peut être le grand propriétaire voisin, ou l’artisans ou le commerçant du village qui eux se trouvent plus ou moins à l’abri pour le premier, ne dépendant pas entièrement de l’agriculture pour les seconds. Bref tous ceux qui possèdent quelques pécules et qui cherche à les investir, pour tirer du profit. Souvent, pour les emprunts de la petite paysannerie, qui engage des sommes de quelques dizaines ou quelques centaines de francs, le contrat est passé oralement, on se fie à la parole des contractants. C’est la parole de l’emprunteur qui est engagée. L’on se connaît depuis toujours, les relations sont des relations de confiance. La bonne foi du voisin ou autre n’est pas remise en question. Il est rare de trouver des traces de tels actes. Peut être sont-elles portées au niveau des registres de l’Enregistrement et de Timbre, et encore il n’est pas certain de faire la part des choses. Les difficultés passées, le remboursement se fera en temps voulu. Mais il arrive que ces difficultés persistent. Alors toute une série de ventes entre parents ou entre voisins apparaissent aux niveau des registres des actes. Et le plus souvent ce sont des ventes qui sont différées, c'est-à-dire qu’elles n’interviennent pas au cœur de la crise, au moment même de la crise mais plus tard. On temporise une, deux, trois années peut-être, mais les choses allant de mal en pis il va falloir se résoudre à vendre. La vente ne fait que régulariser une situation devenue intenable.

En effet, l’on constate, au détour d’une origine de propriété, ou même concernant le prix à payer, que l’acheteur a déjà pris une option sur la terre. Dans le contrat de vente il est stipulé qu’une partie du prix a été versé « hors la vue du notaire », quant se n’était pas le tout.

A l’opposé, la grande propriété n’est pas très vendeuse. Elle reste discrète. Elle active le marché par le volume de ces ventes. Plus les superficie augmentent, plus le nombre de transactions diminuent. Dans notre échantillon, ce sont 13 propriétés de plus de 100 ha qui sont mises sur le marché. Quatre (4) propriétés le seront en 1910, quatre autres en 1920, le reste se répartit sur l’ensemble des autres années. Il est plus fréquent de rencontrer des transactions sur plus de 50 ha. Si nous rajoutons aux transactions de 100 ha celles de plus de 50 ha, se sont 33 transactions qui totalisent 3597 ha . Le nord Constantinois connaît des transactions sur des propriétés de

belles tailles. Ce sont les grosses transactions qui donnent du volume au superficie et au marché foncier.

Plus en détail et par année, certains résultats amènent à des constats particulier. En 1925, nous avons un nombre anormalement élevé de transactions pour une superficie très proche de la superficie moyenne échangée chaque année, soit 165 transactions pour 818 ha.

Pas moins de 104 transactions de "moins de 3 ha" sont inscrites au tableau. Si nous leur ajoutons celles des "3 à moins de 5 ha", ce sont 120 transactions.

C'est l'année qui enregistre le nombre le plus important en transactions de "moins de 1 ha" ; nous en dénombrons 33.

En superficies, 15,91 ha sont échangés, ce qui nous fait dire qu'il y a eu beaucoup de transactions pour peu de terres. La strate des "moins de 1 ha" échange en moyenne 0 ha 48 par transaction, ce qui est dérisoire quand nous savons que nous avons affaire à des terres de cultures extensives à céréales.

De "moins de 1 ha à moins de 3 ha", ce sont 130 ha qui sont vendus, soit une moyenne de 1 ha 25 par transaction.

Si nous regardons de plus prés encore, toute cette catégorie de propriétaire de moins de 10 ha subit les méfaits des années de sécheresses et leurs conséquences : les ventes.

La catégorie intermédiaire entre 10 et 50 ha se différencie.

Les 10 à 20 ha sont plus proches des catégories des petits propriétaires. Ils vendent relativement plus que la catégorie des 20 à 50 ha qui eux se trouvent plus proche de la moyenne propriété.

Cette propriété vit deux moment bien distinct.

Le premier allant de 1910 à 1920, où la tendance est à la vente.

Le deuxième moment va de 1925 à 1938, et qui sera une phase plus calme. Elle connaît un calme relatif après une activité assez soutenu du marché foncier.

La crise qu'a connue l'agriculture algérienne, crise de sous production due à la sécheresse et aux récoltes catastrophiques qui ont suivi (1), touche les petits fellahs de plein fouet. Elle les conduit à se dessaisir de leurs lopins de terre ou des parts indivises dont ils sont détenteurs.

L'explosion du nombre de transactions, comme c'est le cas pour 1925, sans que les superficies augmentent de manière perceptible, est un indice de crise dans la

société rurale. Cela signifie que les ventes portent sur de petites transactions. Cela signifie que le malaise touche particulièrement les petits fellahs indivisaires.

Cette succession de mauvaises récoltes, qui a fini par anéantir le peu de réserves encore disponibles, livre les propriétaires petits propriétaires de parcelles, présents tout au long de notre enquête, pieds et poings liés à l'usurier, mais plus directement encore au marché foncier.

Sur le chemin qui conduit au marché foncier, l’usure et l’usurier sont une étape qui peut être décisive pour l’avenir de la propriété. En l’absence de toute forme de crédit officiel, l’usure et l’usurier deviennent une figure très familière des campagnes algériennes. Il peut prendre le visage du grand propriétaire voisin, du petit négociants en grains du village, très sollicité au moment de la soudure ou des labours. Il peut venir de la ville, il peut venir des champs. Mais presque inexorablement, le crédit conduit à la faillite et à la vente. Le marché foncier est là pour sanctionner sinon formaliser une situation particulière.

En 1925, Madame Rahmani Zineb, vend pour cause d’antichrèse :

« tous ses droits dans une propriété rurale en terre de labour d’une superficie de 90 ha, située au douar Ras Ferjioua, commune mixte de Fedj M’zala ».

Cette antichrèse a été prise sur l’emprise de l’affolement, pour une année. Au cours de l’année écoulée elle s’est rendu débitrice par l’emprunt de la somme de 2000 francs, de 40 charges de blé (320 ddl) pour le prix de 8 000 francs, et de 20 charges d’orge (160 ddl) pour le prix de 2000 francs. En tout elle était redevable de 12 000 francs.

D’autres pour survivre acceptent de se dessaisir de leurs parcelles l'une après l'autre, quand ce n'est pas par petits bouts.

Cette vente conditionnelle où le vendeur se dessaisit de ses deux parcelles Arch de 4 ha par petits bouts. Il vend les 2/3 à un moment donné et, plus tard, finit par vendre, toujours à la même personne, le 1/3 restant.

A chaque crise, les vendeurs cèdent le moins possible de leur patrimoine, juste se qu’il faut pour tenir, et éponger leurs dettes les plus criantes, ou se procurer l’argent liquide nécessaire à leur alimentation, à la résorption temporaire de leurs problèmes financiers. Ils liquident, en priorité les parcelles les plus marginales de leur exploitation, les plus éloignées, les moins aisément exploitables, les plus exiguës.

Ce marché foncier présente des caractéristiques bien particulières. La transformation de la terre en marchandise ne prend une réelle signification que lors des crises agricoles de type ancien et non capitaliste, et particulièrement lors des crises de sous production.

Parallèlement à cela, le résultat des différentes lois foncières est là dans toute sa réalité : un extrême émiettement de la propriété. L'enquête nous fait découvrir des cas de ventes de parts indivises infimes, éparpillées sur 15 à 20 parcelles.

A côté de cette très nombreuse propriété parcellaire, existe la moyenne et grosse propriété.

A l'opposé de 1925, 1920 voit la strate des "plus de 20 ha" exploser littéralement : 15 transactions se partagent plus de 1 320 ha. Ce ne sont plus les petits fellahs qui sont concernés mais bien la grande propriété.

L'explication est ailleurs. Il faut la chercher dans les livres même des Hypothèques.

Un transfert massif de propriété s'opère pour des raisons qu'il s'agira de déterminer ultérieurement, au moment où nous étudierons les agents des transactions, soit les vendeurs.

L’enquête nous montre que ce sont les terres des douars qui bougent. Une multitude de transactions, qui touche toutes les catégories de superficies. Mais là où la colonisation s’est implanté de bonne heure, où elle a créé des villages et des centres de colonisation, Constantine et sa région, inertie presque totale.

Dans les communes mixtes, toutes les catégories de propriétés sont présentes avons-nous dit, avec cependant une exception : El Milia. Il est vrai que c’est la C.M qui connaît le plus petit nombre de transactions . Mais plus encore, dans la fourchette des superficies, elle ne va pas au-delà des –10 ha. Les ventes sont stoppées nettes. La plus importante transaction s’est faite en 1915 et porte sur une superficie de 7ha 61. Point d’échange au-delà de cette superficie. Cela signifie-t-il que la moyenne et grande propriété n’existe pas dans les régions de montagnes ?Et à partir de quelle fourchette est-on moyen ou grand propriétaire ? Nous savons qu’il existe de grandes concessions de forêts de chênes-lièges et qui couvre des dizaines voire des centaines d’hectares mais qui n’entre pas dans le cadre de notre travail Et question importante, est- ce que les différentes catégories de propriétés ont la même signification en zone de hauts plateaux, et en zones de montagnes ? Avoir 1 ou 3 ou 5 ha est-ce la même chose sur les hautes plaines, à culture extensive de blé, et en

montagne ? Cette notion de grande, moyenne, petite et même micro-propriété reste relative dans la mesure où elle dépend des terroirs dans lesquels on évolue. Il est certain que posséder 3 ou 5 ha en montagne peut faire entrer ce propriétaire dans la catégorie des moyens propriétaires si se n’est des grands. Mais l’extrême éparpillement des terroirs tant dans l’espace que dans la nature de la terre, doivent nuancer la réflexion.

C’est dans les fourchettes des –5 ha, qui représentent l’essentiel du marché foncier, que de vives tensions se manifestent. Les raisons peuvent être multiples, mais la principale reste l’accessibilité de toutes les catégories sociales à ces terres, tant côté algérien qu’européen, tant ceux qui ont les moyens que ceux qui en ont peu.

L'étude des strates de superficies nous a montré qu'il se vendait des parcelles ainsi que des propriétés rurales. Quel est leur poids ?