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Le problème fondamental : Trouver des Terres

Chapitre II : L'époque coloniale ou la dépossession des producteurs de

A. Le problème fondamental : Trouver des Terres

Tout le programme de la colonisation officielle (ou d'Etat) se trouve résumé dans cette phrase du Maréchal Bugeaud, partisan farouche de la colonisation et du peuplement de l'Algérie :

"Partout où il y aura de bonnes eaux et des terres fertiles, c'est là qu'il faut

placer les colons, sans s'informer à qui appartiennent les terres. Il faut la leur distribuer en toute propriété" (2) .

Ce type de raisonnement devait conduire à différents procédés d'accaparement des terres.

Il fut d'abord appliqué aux biens Beyliks.

(2) Maréchal BUGEAUD, Par l'épée et par la charrue, Ecrits et discours de Bugeaud, présentés par le Général AZAN, Paris, 1948.

1) Les domaines du Dey, des Beys, et les biens Habous

Dès la chute de la Régence, et deux mois à peine après la prise d' Alger, l'Etat français s'empare des terres appartenant à l'Etat turc, ignorant la convention qu'il avait signée en Juillet 1830, au lendemain du débarquement, et par laquelle il s'engageait à ne toucher ni aux biens des personnes, ni aux biens des corporations. Il consacre ce parjure par un Arrêté du 8 Septembre 1830. Les Domaines lui revenant de plein droit, l'Etat français se substitue à l'Etat turc, et y installe les premiers colons. Au fur et à mesure de la conquête, ces biens furent classés d'office par les Domaines.

Les premières confiscations commencèrent aux environs d'Alger et de Constantine. Elles concernaient les domaines des Beys, du Dey des Turcs ayant quitté l'Algérie, ainsi que les biens Habous dévolus à la Mecque et à Médine. Il est difficile de faire une estimation de ces premiers accaparements. Peyrimhoff (1)

l'estime à 176 166 hectares, dont :

128 010 hectares dans la province de Constantine, soit 72 %. 34 156 hectares dans la Province d' Oran, soit 19 %

14 000 hectares dans la Province d'Alger, soit 9 %.

Ces estimations ne concernent que les terres utilisées pour la création de villages de colonisation et les lots de fermes.

Au fur et à mesure de la Conquête, on essaie de trouver des terres un peu partout, et sous différents prétextes, à coup d'arrêtés et d'ordonnances.

2) Expropriations pour utilité publique

Un Arrêté de Bugeaud (gouverneur général) datant d'Avril 1841, définit la colonisation officielle dans le détail et décide, en particulier, que :

"Les propriétés particulières et des corporations qui auront été reconnues indispensables à la colonisation seront expropriées d'urgence pour cause d'utilité publique" (art. 5)

Il est inutile de préciser que les portes étaient grandes ouvertes à toute forme d'arbitraire. S'ajoute à cela, une autre forme d'expropriation : le séquestre.

3) Le séquestre de guerre

En 1839, la reprise des hostilités entre l'Emir Abdelkader et l'armée coloniale, va permettre à la colonisation de mettre au point un texte qui aura des conséquences très importantes sur les populations rurales algériennes, surtout après 1871. En effet, après la cessation des combats et la Mitidja "pacifiée", le Maréchal Valée frappe de séquestre de guerre toutes les terres abandonnées par leurs propriétaires qui étaient censés avoir rejoint les troupes de l'Emir. C'est la confiscation pure et simple, au profit des Domaines, d'immenses superficies. Ceci permettait à la colonisation de se constituer d'immenses réservoirs de terres agricoles.

Ce séquestre sera étendu à tout le Tell et frappera une grande partie des tribus. Parallèlement à ces confiscations militaires et violentes, faites au profit de la colonisation officielle, se développe la "colonisation libre".

4) La situation créée au lendemain du débarquement

En même temps que cette colonisation officielle, l'administration encourage la colonisation libre, par l'achat direct aux particuliers, de biens immeubles. Ces premières transaction s'effectuent sous la forme de "location-vente" qui sont censées correspondre aux usages du pays. Dans l'esprit des Algériens, ce n'était que des ventes provisoires. Mais l'Administration voyait dans cette pratique un excellent moyen d'acquérir des immeubles à peu de frais. Très vite cette colonisation libre prit la forme de la spéculation foncière. D'immenses domaines furent vendus, parfois plusieurs fois, sans la moindre reconnaissance de terrains, avec des superficies inexactes...

Ce fut un véritable chaos.

Pour essayer de mettre de l'ordre dans cette situation, c'est à dire pour assurer des garanties aux acheteurs européens et trouver des terres pour la colonisation officielle, deux ordonnances furent promulguées : celle du 1er Octobre 1844 et, allant dans le même sens, celle du 21 Juin 1846.

5) L'expropriation pour inculture et vÉrification de titres

Les deux ordonnances visaient différents buts, en particulier :

- épurer la situation créée au lendemain du Débarquement, en particulier par la spéculation foncière.

- augmenter les superficies des terres pour les besoins de la colonisation officielle.

Pour cela, on devait procéder à la vérification des titres de propriété. L' ordonnance stipulait :

"Dans les trois mois de la publication, tout détenteur européen ou indigène de terres comprises dans les périmètres de colonisation, que ces terres fussent incultes ou cultivées, est tenu de déposer ses titres de propriété. Les titres doivent être antérieurs à 1830, portant date certaine, constatant le droit de propriété, la situation précise, la contenance et les limites de l'immeuble. Si les titres déposés ne réunissent pas les conditions exigées, ils seront considérés comme nuls. Dans ce cas, les immeubles seront réputés vacants et sans maître et réunis au Domaine de l'Etat."

Les immeubles dont les détenteurs n'auraient pas adressé à temps leurs titres de propriété, seraient versés également au Domaine de l'Etat.

La plupart des tribus étaient doublement visées par cette ordonnance qui, d'une part, déclarait l'inculture comme étant une cause d'expropriation, et, d'autre part, menaçait de la même expropriation ceux qui ne possédaient pas de titres de propriété . Or la majorité des tribus pratiquaient la combinaison de l'élevage extensif et de la jachère. En définitive, le Domaine de l'Etat s'agrandit de 200 000 hectares, dont 168 000 ha autour d'Alger (1) .

Par contre, les exploitants ne possédant pas de titre en règle mais ayant effectué des travaux "de mise en valeur" (maison, plantation d'arbres), donc telle que le définit la colonisation, auront définitivement la concession du sol. Et là il s'agissait des colons européens.

La spéculation et les acquisitions illicites d'immeubles ne sont nullement remises en cause. Bien au contraire, elles sont même consolidées et entérinées. Certaines mesures de l'ordonnance de 1844 sont très explicites à ce propos :

(1) Chiffres tirés de HENNI, A., La colonisation agraire et le sous-développement en Algérie, SNED. Alger, 1982.

"...Les ventes consenties jusqu'alors sans mandat spécial par les cadis, stipulant pour les mineurs et les absents, par les maris pour leurs femmes, par les frères pour leurs frères, par les pères pour leurs enfants, par les chefs de famille pour les autres membres ne pouvaient être attaquées pour nullité, sauf le recours des ayant- droits contre ceux qui avaient agi en leur nom".

Toutes les autres demandes en nullité seraient déclarées caduques deux ans après la promulgation de l'ordonnance. De plus, aucune vente ne pourrait être attaquée sous prétexte que l'immeuble était Habous. Si l'administration des Domaines avait vendu indûment un immeuble reconnu propriété privée, cette vente ne pourrait en aucun cas être annulée.

On légalise ainsi les atteintes les plus graves à la propriété algérienne.

Donc ces ordonnances qui prétendaient mettre fin à la confusion et à la spéculation qui existaient depuis le début de la colonisation, ne l'ont pas fait dans le sens d'une remise en cause intégrale des situations acquises, mais elles ont, au contraire, entériné et même consolidé les situations floues du début de la colonisation. Par la suite, le pouvoir colonial va tenter, à force de tâtonnements et de remises en cause, de se forger un arsenal juridique propre à ses besoins et indispensable à son entreprise de colonisation agricole. Pour cela nous allons assister, pendant plus d'un demi siècle, à une avalanche de lois foncières et de mesures tant juridiques qu'administratives n'ayant pour seule finalité que la mainmise de la colonisation officielle et privée sur le maximum de terres possible, et parmi les meilleures de préférence. Tout cela devait se faire par le biais des confiscations au profit des Domaines (colonisation officielle), mais aussi par la création d'un marché foncier (colonisation privée).

Ce programme a toujours été l'objectif à atteindre par les colons et l'administration coloniale (avec certaines nuances). Il commença à se concrétiser avec ce que nous considérons comme la première Loi foncière, celle de 1851.

B. L'arsenal juridique comme instrument de