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Sélectivité alimentaire, entre néophobie et comportements d’évitement et de restriction d’évitement et de restriction

4 CONSTRUCTION DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE

4.5 Sélectivité alimentaire, entre néophobie et comportements d’évitement et de restriction d’évitement et de restriction

Rappelons que la sélectivité est le problème alimentaire le plus fréquemment rencontré chez les enfants avec un TSA. Il n’existe toutefois pas de définition consensuelle de la sélectivité alimentaire si ce n’est la consommation d’un nombre restreint d’aliments (Bandini et al., 2010). Différents questionnaires sont utilisés pour la mesurer. Ces questionnaires remplis par les parents vont de la simple question « Ne mange que certains aliments » (question issue du Autism Spectrum Disorder-Comorbidity for Children (Matson & Gonzalez, 2007) in Beighley et al., 2013) au calcul du nombre d’aliments consommés, ce nombre pouvant changer selon les méthodologies utilisées. Par exemple, Suarez, Nelson et Curtis (2012) dans une enquête de 72 items ont demandé aux parents : « Combien d’aliments votre enfant accepte-t-il facilement dans son alimentation quotidienne ? » (« How many foods does your child easily accept

as part of his/her regular diet? »). Les parents pouvaient choisir entre plusieurs réponses : « moins de 5

aliments, 6-10 aliments, 11-20 aliments, 21-30 aliments, 31+ aliments ». Les auteurs ont ensuite catégorisé la sélectivité en trois degrés de « sévère » (moins de 10 aliments) à « typique » (plus de 21) en passant par « modérée » (entre 10 et 21).

Les deux freins considérés comme les plus importants pour la diversification du répertoire alimentaire chez les enfants au DT sont la néophobie et, l’évitement et la restriction alimentaire (Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder - ARFID18).

La néophobie alimentaire est la réticence (reluctance) qui pourrait être dans certains cas une réelle peur (phobia) à goûter, à manger un aliment nouveau (Dovey et al., 2008; Loewen & Pliner, 1999). La néophobie est considérée comme un mécanisme adaptatif qui permet d’éviter d’ingérer des aliments inconnus potentiellement dangereux (Lafraire, Rioux, Giboreau, et al., 2016). Elle est vue comme un stade normal du développement de l’enfant. Dans la majorité des cas, elle s’accentue vers dix-huit mois et s’atténue quand l’enfant grandit (Dovey et al., 2008). Durant cette période qui dure plusieurs années, le répertoire alimentaire de l’enfant est temporairement restreint. Le degré de néophobie est le plus souvent mesuré par le Food neophobia scale dont il existe une traduction française validée (Nicklaus,

18 Pour des raisons de simplification et de fidélité au terme anglais, nous utiliserons l’abréviation ARFID dans la suite du mémoire.

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Boggio, Chabanet, & Issanchou, 2005; Pliner, 1994; Rubio, Rigal, Boireau-Ducept, Mallet, & Meyer, 2008).

Le degré de néophobie est associé à des attitudes de consommation de l’enfant, par exemple envers les fruits et légumes (Cooke, Carnell, & Wardle, 2006; Russell & Worsley, 2008) et il a des implications sur la santé (Gibson & Cooke, 2017). Il a été souvent mesuré chez enfants au DT et des associations ont été trouvées entre le degré de néophobie et différents facteurs importants pour la construction du comportement alimentaire (pour une revue : Dovey et al., 2008; Lafraire, Rioux, Giboreau, et al., 2016). Certains facteurs sont intrinsèques à l’individu comme les sensibilités sensorielles individuelles ou les influences génétiques (Cooke, 2007; Frank & van der Klaauw, 1994; Knaapila et al., 2007; Monnery-Patris et al., 2015; Monneuse et al., 2008) ou encore son tempérament (Galloway, Lee, & Birch, 2003; Knaapila et al., 2011) ou sa capacité à identifier des odeurs (Demattè, Endrizzi, & Gasperi, 2014), d’autres proviennent de ses expériences passées, exposition sensorielles (Loewen & Pliner, 1999; Martins & Pliner, 2005; Shim, Kim, & Mathai, 2011), expériences précédentes de consommation (Aldridge et al., 2009), contexte familial ou culturel (Flight, Leppard, & Cox, 2003) ou encore pratiques nourricières (Brown, Ogden, Vögele, & Gibson, 2008; Dridi, Oulamara, & Agli, 2013; Rigal, Chabanet, Issanchou, & Monnery-Patris, 2012).

Le terme de néophobie alimentaire est utilisé dans la littérature scientifique sur l’alimentation et le TSA en association avec la notion de sélectivité (Kuschner et al., 2015; Marshall et al., 2013). Nous n’avons toutefois trouvé qu’une seule publication « peer reviewed » (Martins et al., 2008) qui l’ait effectivement mesurée avec le questionnaire de néophobie alimentaire. Dans cette étude, le degré de néophobie a été mesuré pour 41 enfants avec un TSA en comparaison avec, d’un côté douze de leurs frères ou sœurs au DT et d’un autre côté, 41 enfants au DT âgés de deux à douze ans. Les résultats de cette étude montrent que les enfants avec un TSA présentent un degré de néophobie significativement plus élevé que les deux autres groupes.

Selon Dovey et al. (2016), des comportements considérés comme plus extrêmes que la néophobie alimentaire, car conduisant à rejeter aussi des aliments apparemment acceptés auparavant et qui ne semblent pas liés à l’âge, sont distingués de la néophobie alimentaire et sont classés dans les ARFID. Ils sont généralement associés à un répertoire alimentaire trop petit pour assurer des apports tant qualitatifs que quantitatifs suffisants pour garantir une bonne croissance de l’enfant. L’appellation d’ARFID est récente, elle fait partie des diagnostics nouvellement introduits dans le DSM-5. Dans la littérature scientifique, ces comportements extrêmes sont qualifiés de fussy et/ou picky sans qu’il y ait un réel consensus quant à leur définition (Birch, Gunder, Grimm-Thomas, & Laing, 1998; Dovey et al., 2016, 2008; Lafraire, Rioux, Roque, Giboreau, & Picard, 2016).

Il est difficile dans la pratique de faire la différence entre une néophobie sévère et les ARFID. Dovey et al. (2016) ont mis en évidence que le questionnaire de néophobie alimentaire (variante à 6 items de Pliner, 1994) permet toutefois de faire la différence entre des enfants qui ont besoin d’une prise en

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charge clinique de ceux qui n’en ont pas besoin. Pour ce faire, ces auteurs ont défini un seuil (cut-off) au-delà duquel la néophobie alimentaire de l’enfant est considérée comme extrême. À ce stade, ce seuil reste spécifique à la population testée dans l’étude de Dovey et al. Pour différencier les néophobies extrêmement sévères des ARFID, il faut recourir à d’autres questionnaires permettant de caractériser d’autres aspects du phénomène, dont le rapport plus général à la nouveauté. Si le monde scientifique s’accorde sur la définition de la néophobie alimentaire, il ne donne pas de définition consensuelle sur ce qui est nouveau et surtout sur les éléments qui conditionnent la perception de la nouveauté. La façon de la percevoir pourrait bien être un des éléments modulant la néophobie alimentaire et les comportements de rejet.

En effet, la néophobie alimentaire renvoie à la façon qu’a l’enfant d’évaluer une situation alimentaire actuelle en la confrontant avec des éléments mémorisés lors de situations alimentaires antérieures. Le degré de néophobie alimentaire peut donc être considéré comme un filtre construit par les expériences antérieures et activé par les processus cognitifs (perceptifs donc mnésiques et émotionnels cf. § 3.2) mis en jeu lors de l’acte alimentaire. Comme le TSA est caractérisé par un mode cognitif propre, la construction de la néophobie alimentaire sera selon toute vraisemblance différente que chez les enfants au DT. La figure 10 reprend le cadre d’étude développé en l’appliquant à une situation de choix alimentaire.

FFigure 10. Application du cadre d’étude à la situation de choix alimentaire.

Les mécanismes cognitifs mis en jeu lorsqu’un enfant choisit de consommer ou non un aliment qui lui est proposé sont d’ordre mnésique et émotionnel. Le degré de néophobie agit comme un filtre médiant son choix.

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