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2 TROUBLE DU SPECTRE DE L’AUTISME

3.1 Modèles perceptifs et trouble du spectre de l’autisme

3.1 Modèles perceptifs et trouble du spectre de l’autisme

Parmi les modèles les plus connus qui cherchent à expliquer le fonctionnement perceptif particulier rencontré chez les personnes avec un TSA nous pouvons citer le modèle de la malvoyance de l’é-motion (Gepner & Féron, 2009; Gepner, Lainé, & Tardif, 2010), le modèle de la faiblesse de la cohérence centrale (Weak central coherence) (Frith & Happé, 1994) et le modèle du surfonctionnement perceptuel9 (Mottron, Dawson, Soulières, Hubert, & Burack, 2006a, 2006b).

Bruno Gepner a développé le modèle de la malvoyance de l’é-motion basée sur les désordres du traitement temporospatial (DTTS) des flux multisensoriels et la disconnectivité –dissynchronie cérébrale multisystème (DDCM). Ce modèle suppose, en résumé, que le cerveau des personnes avec un TSA est affecté de désordres du traitement temporospatial des stimuli sensoriels (plus particulièrement visuels et auditifs) (cf. figure 4). Le monde est trop rapide pour que l’enfant puisse en percevoir tous les mouvements. Ces désordres seraient à l’origine des dysfonctionnements comportementaux, moteurs et cognitifs observés dans le TSA. Bruno Gepner et son équipe ont, du reste, développé un logiciel, le Logiral©, qui permet de ralentir les vidéos (sons et images) afin d’aider les enfants avec un TSA à mieux les comprendre. Ce modèle axé sur les déficits et de façon majeure sur le traitement de stimuli en mouvement nous semble difficile à appliquer dans notre situation de recherche. En effet, nous cherchons à comprendre comment l’enfant évalue des stimuli alimentaires statiques.

Un second modèle très connu est celui de la faiblesse de la cohérence centrale (Weak central coherence) (Frith & Happé, 1994) qui postulait à l’origine un traitement morcelé des informations locales avec une difficulté à donner du sens à ces informations par un traitement global. Avec le temps, les auteures ont revu leur modèle et proposent que le fonctionnement local supérieur soit considéré comme un biais plutôt que comme un déficit (Happé & Frith, 2006) rapprochant leur modèle de celui du surfonctionnement perceptuel (Mottron et al., 2006a, 2006b).

9Nous avons gardé le terme perceptuel utilisé par Laurent Mottron (2006b) quand nous nous référons à ses publications. Ce terme est à comprendre comme un anglicisme de perceptif.

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FFigure 4. Présentation schématique du modèle de l’é-motion (repris et adapté de B. Gepner et al., 2010).

Dans ce modèle, le traitement cérébral des stimuli sensoriels par les personnes avec un TSA est affecté par des désordres du traitement temporospatial (plus particulièrement visuels et auditifs).

Ce dernier modèle perceptif, développé par Laurent Mottron, repose sur l’idée que le fonctionnement autistique n’est pas une faiblesse ou un biais (contrairement au modèle de la cohérence centrale), mais un surfonctionnement perceptif caractérisé par une hiérarchisation particulière des niveaux de traitement des informations sensorielles. Il a surtout été étudié dans les modalités visuelles et auditives. Il est à signaler que dans ce modèle, la perception comprend aussi bien la détection de traits, de détails sensoriels que la reconnaissance de formes (Gestalt). Elle implique principalement le traitement de l’information dit montant ou bottom-up (expérience sensorielle directe) appelé aussi traitement local et celui dit descendant ou top-down (dirigé par les concepts) nommé aussi traitement global sur les informations sensorielles. Ce modèle met en évidence huit principes caractérisant la perception autistique reproduits tels quels ci-dessous (Mottron et al., 2006b).

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Principe 1. Le réglage par défaut de la perception autistique est orienté plus localement que celui d’un

non-autiste10.

Principe 2. Dans les tâches perceptives de bas niveau, l’augmentation du gradient de complexité

neurale requis pour un traitement particulier est inversement reliée au niveau de performance.

Principe 3. Les comportements atypiques précoces ont une fonction de régulation à l’égard de l’input

perceptif.

Principe 4. Les régions cérébrales dédiées au traitement perceptif primaire et associatif présentent

une activation atypique dans les tâches sociales et non sociales.

Principe 5. Le traitement de haut niveau est optionnel dans l’autisme et obligatoire chez les

non-autistes.

Principe 6. L’expertise perceptuelle est à la base du syndrome de l’autiste savant. Principe 7. Le syndrome savant est un modèle autistique pour la subdivision TED11.

Principe 8. Le surfonctionnement des zones perceptives primaires peut rendre compte des

particularités autistiques perceptives.

Dans son dernier ouvrage, Laurent Mottron (Mottron, 2016) résume son modèle.

Là où les personnes typiques perçoivent plus vite ou mieux la forme globale de l’objet, les autistes “se promènent” dans la forme à différents niveaux, donc tendent à l’explorer d’une manière unique, ou idiosyncrasique à chacun, alors que le biais global typique, qui débouche sur la nomination de l’objet, uniformise les cheminements perceptifs chez les non-autistes (p. 46).

Il exprime aussi d’une autre manière ce fonctionnement différent en qualifiant la perception autistique de « plus véridique, moins déformée par les attentes, les émotions, le langage ou les connaissances » (p. 47). Il en déduit qu’un enfant avec un TSA comprendra beaucoup mieux le fonctionnement d’un objet en l’observant et qu’il ne sera pas sensible à une explication verbale ou descendante (top-down). Dans ce modèle (principe 5), la capacité des individus avec un TSA à recourir à des catégories est préservée, par contre elle n’est sollicitée que lorsque le traitement local n’apporte aucun avantage aux yeux de la personne concernée. Chez les individus au DT, au contraire, l’utilisation des catégories se fait automatiquement.

Ce modèle est intéressant pour aborder les aspects visuels des choix alimentaires. Toutefois il n’est pas suffisant pour aborder ce choix dans son intégralité. S’il permet de donner un cadre à tout ce qui

10 Deux types de tâches sont distinguées pour la compréhension de ce principe :

Les tâches hiérarchiques à temps d’exposition long nécessitent plusieurs dizaines de secondes pour être réalisées. Elles font appel à la vue pour distinguer entre les niveaux locaux et globaux d’une figure et mettent en jeu aussi l’attention, la planification exécutive et des composants moteurs.

Les tâches hiérarchiques à temps d’exposition courts comprennent des tâches à choix de réponse forcé, qui s’accomplissent en quelques centaines de millisecondes. Dans nos tests, les tâches de reconnaissance ou d’évaluation hédonique correspondent à ce type de traitement. Ce modèle a surtout été testé pour les modalités visuelles et auditives (Mottron et al., 2006a, 2006b)

11 Individus présentant un phénotype du spectre autistique qui ne puisse être attribué directement ou indirectement à d’autres conditions, par exemple neurologiques (Mottron et al., 2006a, 2006b)

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concerne le traitement direct de l’information sensorielle visuelle, comme la reconnaissance de l’aliment, il ne tient pas compte, par exemple, de la dimension émotionnelle associée à l’évaluation des stimuli sensoriels. De plus, l’olfaction a été très peu examinée en lien avec ce modèle. Nous allons donc passer par le monde dit ordinairepour mieux situer ce modèle du surfonctionnement perceptuel dans un cadre plus large.