• Aucun résultat trouvé

43

Différentes études font état d’un lien entre les particularités sensorielles et la présence de problèmes alimentaires chez les enfants avec un TSA (Cermak et al., 2014, 2010; Marí-Bauset et al., 2013; Nadon et al., 2011a; Suarez et al., 2012). Par exemple, dans une étude réalisée avec 95 enfants avec un TSA (âge 7.3 +/- 2.5 ans), Nadon et al. (2011a) rapportent l’existence d’une association significative entre des problèmes sensoriels mesurés par le Short Sensory Profil et le nombre de problèmes alimentaires mesurés à l’aide du Profil Alimentaire. Cette association est particulièrement forte chez les enfants qui manifestent des défenses élevées à l’égard des stimuli tactiles et réagissent fortement aux saveurs et aux odeurs ainsi qu’aux stimuli visuels et auditifs.

De manière générale, la sensorialité joue un rôle majeur dans l’acceptation et la reconnaissance des aliments chez les enfants au DT (Mennella, 2014; Mennella, Reiter, & Daniels, 2016; Zeinstra, Koelen, Kok, & de Graaf, 2007). Les enfants mangent ce qu’ils aiment et aiment ce qu’ils connaissent (Cooke, 2007). Le type de stimuli ainsi que leur traitement cognitif par l’enfant, plus particulièrement l’évaluation émotionnelle, jouent un rôle important dans le développement du répertoire alimentaire (Bullinger, 2013; Doyen, 2011; Monnery-Patris et al., 2016; Nicklaus, 2016).

Les choix alimentaires reposent sur des phénomènes perçus consciemment ou inconsciemment (par ex. intéroceptifs, Finlayson, King, & Blundell, 2008) traités par des processus cognitifs explicites et implicites (Köster, 2009). Tous nos sens ont un rôle propre à jouer dans notre perception du monde et fonctionnent différemment les uns des autres (Köster, Møller, & Mojet, 2014). Parmi les modalités sensorielles extéroceptives impliquées dans l’acceptation de consommer des aliments, la vvue et l’odorat jouent un rôle prépondérant (Dovey et al., 2008; Lafraire, Rioux, Giboreau, et al., 2016; Wadhera & Capaldi-Phillips, 2014).

Dans leur revue de littérature, Wadhera et Capaldi-Phillips (Wadhera & Capaldi-Phillips, 2014) relèvent que la vue impacte fortement l’acceptation d’un aliment, car elle induit des réactions physiologiques, cognitives et émotionnelles, et ce, particulièrement chez l’enfant. Dans une revue sur le rôle de la familiarité dans le développement du répertoire alimentaire de l’enfant au DT, Aldridge et al. (Aldridge et al., 2009) soulignent aussi que les catégories visuelles (ou les catégories nominales s’y référant) créées par les enfants à propos des aliments jouent un rôle sur leur volonté d’y goûter. La mémoire visuelle est fortement liée à l’identification des objets (Köster et al., 2014).

La deuxième modalité centrale dans le choix d’un aliment est l’olfaction. Elle joue un rôle important tant dans l’évaluation de la familiarité et de la valence hédonique que dans les choix de consommation (Dovey et al., 2008; Gaillet-Torrent et al., 2014; Lafraire, Rioux, Giboreau, et al., 2016). Concernant la familiarité, le sens de l’odorat serait plus orienté vers la détection de la nouveauté, il chercherait des différences de qualité entre les odeurs plutôt que leur identification (Köster, 2002; Köster et al., 2014). L’appréciation hédonique olfactive est modulée par trois catégories de facteurs : (1) le stimulus lui-même (intensité et fréquence d’exposition), (2) le sujet percevant (sexe, statut hormonal, âge, état

44

émotionnel, état physiologique, satiété sensorielle spécifique…) et (3) le contexte dans lequel l’expérience olfactive met en contact les deux premiers (Rouby, Pouliot, & Bensafi, 2009).

L’olfaction est aussi un sens « proche ». Les molécules odorantes entrent en contact direct avec nos récepteurs sans action réellement consciente de la part du sujet jusqu’au moment où le stimulus est perçu. C’est aussi un sens « caché ». La conscience des odeurs est plutôt une exception que la règle (Degel, 1999; Köster, 2002; Köster et al., 2014).

Si tous les indices sensoriels permettent de raviver un souvenir (Herz, 2016; Versace et al., 2014), l’odeur est celui qui active le mieux les émotions qui lui sont associées (Herz, 2004, 2016). De plus, quand les odeurs évoquent des souvenirs positifs, elles ont la capacité, entre autres, d’augmenter les émotions positives vécues au moment de l’évocation (Herz, 2004, 2012; Herz & Schooler, 2002). La plupart des liens créés entre l’émotion et l’expérience le sont par contingence sans que le sujet ne soit conscient de la présence de l’odeur.

Les émotions mémorisées ne sont pas seulement liées à la valence hédonique attribuée à l’odeur, mais aussi au contexte dans lequel s’est passée l’exposition à l’odeur ce qui fait de l’olfaction un sens très personnel (Herz, 2004, 2012; Herz & Schooler, 2002; Soussignan et al., 2013).

Il n’existe que peu d’études à notre connaissance qui aient cherché à comprendre en quoi les particularités sensorielles des enfants avec un TSA, en particulier celles liées à la vue et à l’olfaction, contribueraient à la sélectivité alimentaire et rendraient l’acte alimentaire plus difficile. C’est pourquoi, nous avons dans cette thèse, cherché à répondre aux questions suivantes :

QR1

Q

Quel est le rôle joué par les particularités perceptives visuelles et olfactives des enfants aavec unn TSA sur leur sélectivité alimentaire ?

Quels sont les mécanismes qui sous-tendent le refus ou l’acceptation d’un aliment chez lles enfants avec un TSA ?

Pour étudier cette question, la première hypothèse posée est la suivante (H1a) :

H1a

Il existe des différences de perception et d’exploration des attributs sensoriels des aliments entre les enfants avec un TSA et les enfants au DT.

45

Pour la vérifier, nous nous sommes intéressés à la façon dont les enfants avec TSA et les enfants au DT extraient les informations sensorielles de stimuli olfactifs (axe 1) et visuels (axe 2).

Nous avons ensuite cherché à établir un lien entre la perception visuelle et olfactive des aliments par les enfants et leur comportement alimentaire avec comme hypothèse (H1b) :

H1b

IIl existe un lien entre laa perception visuelle et olfactive, et le comportement alimentaire ((mesuré à l’aide la néophobie alimentaire) chez les enfants avec un TSA.

Pour faire le lien entre nos observations et le comportement alimentaire, nous avons mesuré le degré de néophobie des enfants à l’aide du questionnaire de néophobie (Food neophobia scale (Pliner, 1994), cf. § 4.5 et 6.3.5).

Nous avons nommé cette première partie de notre travail l’étude 1. Le tableau 2 en présente les caractéristiques principales.

Compte tenu des résultats obtenus lors de l’étude 1 nous avons posé de nouvelles questions de recherche.

QR2

L’augmentation de la valence hédonique attribuée par un enfant avec un TSA à l’odeur p

portée par un aliment favorise-t-elle l’appréciation de cet aliment ?

Nous avons étudié cette question en deux temps, en posant les hypothèses suivantes :

46

H2b

LLa présence de l’odeur familiarisée conduit plus fréquemment au choix de l’aliment porteur de cette odeur.

Le tableau 3 présente les caractéristiques principales de cette seconde partie, nommée étude 2. Les procédures comparatives de groupes (enfants avec un TSA versus enfants au DT) ne sont toutefois pas à même de rendre compte de la perspective du sujet singulier sur le phénomène étudié (consommer et apprécier un aliment). C'est pourquoi, dans le dernier volet de la thèse, nous avons adopté un nouvel angle de vue complémentaire en recourant à des analyses qualitatives pour apporter un éclairage compréhensif supplémentaire.

Le but était de rendre compte de l’expérience des enfants avec un TSA sous l’angle individuel, en leur

donnant la parole19 sur leur rapport à l’alimentation et en mettant celui-ci en dialogue avec les observations recueillies en neurosciences. Dans cette partie, nommée étude 3, nous avons recouru à l’observation directe pour saisir la dimension expérientielle de la situation éducative alimentaire durant les séances de familiarisation olfactive (cf. étude 2). Nous nous sommes intéressés à la manière dont ils ont appréhendé la situation pour tenter de mieux comprendre ce qui a permis aux enfants de sentir les odeurs et de s’y familiariser (étude 3a). L’analyse phénoménologique et, dans un deuxième temps le recueil du récit de vie auprès d’une adolescente avec un TSA (étude 3b), ont été utilisés pour construire de nouvelles catégories conceptualisantes20 et dégager de nouvelles hypothèses21 : l’une relative à la description d’une posture éducative soutenant la construction de savoirs durant des séquences d’éducation à l’alimentation (savoirs de l’enfant sur lui-même en tant que mangeur et sur les aliments et savoirs de l'adulte sur son rôle de médiateur), et l’autre relative à la contribution des neurosciences quantitatives à la compréhension du comportement alimentaire individuel des enfants avec un TSA. Le tableau 4 présente les caractéristiques principales de cette troisième étude.

19 Nous utilisons la formulation « donner la parole » tant pour les expressions communicatives verbales que non verbales des enfants.

20 Production textuelle se présentant sous la forme d’une brève expression et permettant de dénommer un phénomène perceptible à travers une lecture conceptuelle d’un matériau de recherche (Paillé & Mucchielli, 2016, p. 320).

21Cette approche se distingue des approches hypothético-déductives par le fait que l’hypothèse résulte de l’analyse des données.

47 Tab le au 2 Q u estio n s de reche rche, h ypot h ès es et ca dre mé thodo log iqu e de l ’é tude 1 .

48 Tab le au 3 Q u estio n s de reche rche, h ypot h ès es et ca dre mé thodo log iqu e de l ’é tude 2 .

49 Tab le au 4 C adre méth odol ogiq ue et h yp o thèse s dégag ées par l’é tude 3 .

51

6 POPULATIONS ET ÉLÉMENTS