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Rythme et étude expérimentale des phénomènes de perception

Le rythme est un sujet récurent au sein des expériences menées par le premier laboratoire de psychologie, l’Institut de psychologie expérimentale, fondé en 1879 à Leipzig par Wilhelm WUNDT (1832-1920). Même si l’œuvre de ce dernier, considérable en volume443, ne fait plus aujourd’hui partie des références incontournables de la psychologie, on lui doit un travail de définition et surtout un développement sans précédent des techniques d’expérimentation, qui lui valent souvent le titre de « père fondateur de la psychologie expérimentale444 ». Et surtout, il est, de son vivant, un personnage extrêmement célèbre et influent, qui formera une bonne partie des psychologues renommés du début du XXe siècle, sera également député, et jouera un rôle considérable au sein du débat sur le matérialisme, doctrine qu’il rejète autant que le spiritualisme, opposant à ces deux attitudes une position médiane qu’il qualifie d’ « animiste ». On peut considérer que ses principaux ouvrages sont connus, au moins de réputation, par une bonne partie des clercs, qui le citent régulièrement comme référence ou bâtissent leurs théories sur la critique de ses résultats445.

Le laboratoire de Leipzig occupe tout un bâtiment. Son objet est essentiellement l’étude des phénomènes de perception et d’aperception, c’est-à-dire l’activité qui donne de la clarté à une impression sensible446, qu’elle soit d’ordre visuel, acoustique ou bien tactile. Il est équipé d’un

443 Selon l’historien américain Edwin Garrigues Boring, il aurait publié en tout 53 735 pages durant sa vie, ce qui correspond à une moyenne de 2,2 pages par jour (voir : Edwin Garrigues Boring, A history of experimental psychology, New York, Appleton-Century-Crofts, 21957). Ce chiffre est cité d’après Jean-François Braunstein / Evelyne Pewzner,

Histoire de la psychologie, op. cit., p. 91-97, dont est également tirée la majeure partie des informations à caractère général sur Wilhelm Wundt.

444 Jean-François Braunstein et Evelyne Pewzner commentent : « Cela tient pour une bonne part au fait que les historiens actuels de la psychologie, en particulier anglo-saxons, accordent une grande place aux aspects institutionnels et sociaux de cette histoire : de ce point de vue, Wundt est effectivement celui qui a fait exister la psychologie en tant que discipline autonome, et il est à l’origine des travaux de la plupart des psychologues, en particulier américains, du début du XXe siècle. » Ibid., p. 91. C’est surtout à Gustav Fechner (1801-1887) et à Hermann von Helmholtz (1821-1894) que l’on doit d’avoir fait entrer la mesure et le quantitatif dans le domaine de la psychologie, le premier par la fameuse loi de Weber-Fechner (la sensation varie comme le logarithme de l’excitation), et le second entre autres par ses calculs sur la vitesse de transmission de l’influx nerveux.

445 Le Traité de psychologie physiologique ne connaît pas moins de six rééditions entre 1874 et le début du XXe siècle.

446 Wundt est persuadé que l’aperception a son centre physiologique au niveau de la région frontale. Pour plus de détails, voir : Serge Nicolas, La psychologie de W. Wundt, op. cit., p. 61 sq. et 70 sqq.

grand nombre d’instruments de mesure, dont certains sont empruntés à la physiologie, et beaucoup ont été élaborés par WUNDT et ses élèves en fonction des recherches qu’ils menaient : des tachistoscopes, appareils permettant de faire varier très précisément le temps de l’exposition d’un sujet à des images ou à des impressions lumineuses, des esthésiomètres pour mesurer les sensations tactiles, des chronoscopes, servant à mesurer le temps de réaction après présentation de stimulations visuelles ou sonores, des kymographes, pour enregistrer les mouvements musculaires et autres phénomènes physiologiques se produisant durant les expériences, etc. Celles-ci sont faites de façon collective : les étudiants se servent mutuellement de « cobayes », et commentent les résultats en groupe. Au fur et à mesure des années, les appareils deviennent de plus en plus précis et complexes, et ils permettent de faire varier un nombre croissant de facteurs. Leur conception comme leur description occupent une place de plus en plus importante dans les travaux des psychologues, à qui on reprochera d’ailleurs souvent de davantage s’occuper de leurs machines que de la description de l’âme proprement dite.

Dans son Introduction à la psychologie, ouvrage de vulgarisation qui a connu de nombreuses rééditions, WUNDT, fidèle à sa démarche, invite le lecteur à se munir d’un métronome pour pouvoir reproduire les expériences décrites, et il présente cet objet comme étant l’outil de base de la psychologie, un appareil « qui permet une utilisation tellement variée (…) que l’on peut démontrer avec son aide l’essentiel du contenu de la psychologie de la conscience447 ».

Un des tout premiers phénomènes mis en évidence par ce type d’approche est celui de la rythmisation subjective [subjektive Rhythmisierung]. Lorsqu’on nous fait entendre pendant un certain temps une mesure parfaitement régulière composée de coups ayant la même intensité, nous avons tendance à les regrouper par deux, et à percevoir au sein de chaque groupe un accent sur un des deux temps (le tac-tac devient tic-tac) et une pause plus longue séparant les différents groupes448. Il est possible de résister à cette tendance, mais cela exige une concentration extrême, en

447 „Dieses Instrument ist nun nicht bloß ein für die Zwecke des Gesangs- und Musikunterrichts sehr brauchbares Werkzeug, sondern es stellt auch einen psychologischen Apparat von einfachster Art dar, der (...) eine so vielseitige Verwendung ermöglicht, daß man von ihm sagen könnte, es lasse sich mit seiner Hilfe der wesentlichste Inhalt der Psychologie des Bewußtseins demonstrieren.“ Wilhelm Wundt, Einführung in die Psychologie, Leipzig, Voigtländer, 1911, p. 8 (ouvrage réimprimé à Bonn chez Dürrsche Buchhandlung).

l’absence de laquelle la rythmisation se met systématiquement en place449. Ernst MEUMANN (1862-1915), un disciple de WUNDT, en décrit ainsi les conditions minimales :

« (…) premièrement, la succession des impressions sonores doit avoir une certaine vitesse, qui soit importante par rapport à notre capacité de perception (en dessous de 0,4 s). Deuxièmement, les impressions sonores doivent être intenses et qualitativement tout à fait identiques, étant donné que la moindre irrégularité a un effet perturbant. Troisièmement, la succession sonore doit être écoutée un certain temps. Et il faut ajouter à cela une quatrième condition, une condition subjective : l’observateur doit se livrer d’une façon entièrement passive à l’impression de la succession sonore450. »

Face à ce phénomène, deux analyses contradictoires se développent. Pour Ernst MEUMANN comme pour Kurt KOFFKA (1886-1941), la rythmisation, qui est avant tout formation de groupes [Gruppenbildung], est le résultat d’une activité intellectuelle. Mettre de l’ordre et rassembler les impressions, tel est le travail fondamental de notre intellect. KOFFKA renforce ce point de vue en relevant la fréquence du terme d’ « activité » dans les déclarations des personnes soumises à l’expérience ; et il en conclut que l’accent perçu est l’expression d’un pic d’activité cérébrale, tandis que la pause correspondrait à un point mort. Pour cet adepte de la phénoménologie d’Edmund HUSSERL (1859-1938) et ce futur représentant de la théorie de la forme451 [Gestalttheorie], les groupes sont des « formes unitaires452 » [« Einheitsformen »], c’est-à-dire qu’ils sont perçus comme des entités à part entière, susceptibles d’être comparées les unes aux autres, et non comme des assemblements de plusieurs impressions sonores.

449 Cf. Wilhelm Wundt, Grundriß der Psychologie, Leipzig, Wilhelm Engelmann, 1897, p. 178 sq.

450 „Als Mindestbedingungen ergeben sich für das Auftreten unwillkürlicher rein subjektiver Schallrhythmen, daß 1. die Succession der Schalleindrücke eine bestimmte und zwar im Verhältnis zu unserer Perzeptionsfähigkeit große Geschwindigkeit haben muß (unter 0,4 s), daß 2. die Schalleindrücke intensiv und qualitativ völlig gleich sein müssen, da jede Unregelmäßigkeit derselben störend wirkt: daß 3. die Schallreihe längere Zeit angehört wird. Dazu kommt als subjektive Bedingung 4. eine völlig passive Hingabe an den Eindruck der Schallreihe von Seiten des Beobachters.“ Ernst Meumann, „Untersuchungen zur Psychologie und Ästhetik des Rhythmus“, Philosophische Studien, vol. 10, fasc. 1, 1894, p. 302.

451 La psychologie de la forme connaîtra un grand succès à partir de 1912 en Allemagne puis aux Etats-Unis. Elle se base sur le travail de Christian von Ehrenfels (1859-1932), qui avait montré que, parmi les données sensorielles, les qualités de forme ne pouvaient se réduire à leurs composants sensoriels. La mélodie d’un morceau de musique, par exemple, a une structure d’ensemble : elle peut être transposée dans un autre ton et rester la même, alors que si l’on modifie une seule de ses notes, elle n’est plus la même. Les principaux représentants de cette école sont : Max Wertheimer (1880-1943), le fondateur de l’école de Berlin, Wolfgang Köhler (1887-1967) et Kurt Koffka (1886-1941). Pour l’école autrichienne de Graz : Alexis Meinong (1853-1920) et Vittorio Benussi (1878-1927). Cf. Jean-François Braunstein et al., Histoire de la psychologie, op. cit., p. 173-181.

452 Cf. Kurt Koffka, „Experimental-Untersuchungen zur Lehre vom Rhythmus“, Zeitschrift für Psychologie 52, 1909, p. 104 sqq.

Influencé par la physiologie de ses maîtres Johannes MÜLLER (1801-1858) et Hermann von HELMHOLTZ, WUNDT considère quant à lui que la nature rythmique de notre conscience ne peut être que la conséquence de la rythmicité de notre organisme, qui se répercute sur les phénomènes de perception. Battements du cœur, respiration et surtout rythme de la marche influent sur l’ensemble de notre organisation psychophysique, dont notre conscience ne peut être dissociée. Cette conception est, de loin, celle qui a connu le plus d’écho à l’intérieur de la réflexion esthétique. Ainsi le musicologue Hugo RIEMANN est-il convaincu que les pulsations cardiaques servent de référence à notre conception du temps et à notre évaluation de la vitesse. Tout morceau de musique dont le tempo serait sensiblement plus élevé que 75 à 80 pulsations par minute, c’est-à-dire que le pouls normal d’un être humain en bonne santé, nous paraîtrait rapide, tout morceau au tempo moins élevé nous semblerait lent. Selon RIEMANN, le regroupement que nous opérons face à des impressions sonores viendrait par ailleurs de notre tendance à vouloir ramener le tempo de tout morceau à une valeur moyenne, de sorte qu’un tempo qui correspondrait au double de notre pulsation ne nous paraîtrait ni lent ni rapide. Et cela vaudrait également pour le rythme de parole.

« En regardant les choses de façon assez attentive, on reconnaît très bien que, lorsque nous parlons, nous plaçons également les accents principaux sur des syllabes qui se suivent à des intervalles correspondant à cette moyenne normale ; lorsque nous parlons plus vite ou plus lentement, ce n’est pas tant la distance entre ces accents principaux qui est modifiée, que le nombre de syllabes et de mots qu’il y a entre ceux-ci, de telle sorte qu’en parlant vite, nous ne marquons plus par un accent que les mots extrêmement importants, alors qu’en parlant lentement, nous multiplions sensiblement le nombre de syllabes accentuées. C’est pourquoi le rythme du langage n’est en aucun cas de nature différente du rythme musical, mais la langue tolère, en fonction du contenu et du caractère de ce que l’on a à dire ou même à chanter, une organisation très différente des mots et des syllabes dans le rythme453. »

Le rythme du langage apparaîtrait donc comme un compromis entre des critères sémantiques et une règle physiologique. Et c’est les battements du cœur qui seraient fondamentalement à l’origine du caractère rythmique de notre conscience comme de nos paroles. Mais à ce sujet, les avis

453 „(...) bei einiger aufmerksamen Beobachtung erkennt man sehr wohl, daß wir auch beim Sprechen Hauptakzente auf Silben legen, die einander in solchen der normalen Mitteentsprechenden Abständen folgen; bei schnellerem oder langsamerem Sprechen ändert sich nicht sowohl der Abstand dieser Hauptakzente als vielmehr die Zahl der zwischen denselben untergebrachten Silben und Worte, so daß bei schnellem Sprechen nur mehr besonders wichtige Hauptworte durch Akzent ausgezeichnet werden, während bei langsamer Rede die akzentuierten Silben sich auffällig mehren. Der Sprachrhythmus ist darum keineswegs ein anderer als der musikalische, aber die Sprache verträgt je nach dem Inhalt und Charakter des zu Sagenden oder auch des zu Singenden eine sehr verschiedenartige Einordnung der Worte und Silben in den Rhythmus (...).“ Hugo Riemann, System der musikalischen Rhythmik und Metrik, op. cit., 1903, p. 5 sq.

sont divergents, et le métricien Max BENECKE choisit, quant à lui, d’accorder une plus grande importance au rythme de la marche qu’aux rythmes physiologiques permanents, qui certes nous accompagnent de la naissance jusqu’à la mort, mais auxquels nous ne prêtons guère attention. Dans sa thèse de doctorat454, il prend prétexte de vouloir réfuter la théorie d’un certain Maksymilian KAWCZYNSKI455, selon laquelle le rythme serait une invention des Grecs qui aurait été par la suite reprise par la grande majorité des littératures occidentales, pour souligner, dans la lignée des travaux de WUNDT, son origine physiologique. Par une description méticuleuse des formes rythmiques engendrées par les différents types de pas de l’adulte et de l’enfant, et par leur combinaison au sein de groupes, il met en évidence les correspondances qui existent entre ces derniers et les principaux rythmes présents dans la poésie et les chants populaires. Une des situations fondamentales étudiées est celle de la marche simultanée d’une famille composée d’un père, d’une mère et d’un enfant. Pour rattraper l’homme, la femme, plus petite, doit produire plus de pas ; et l’enfant, que sa mère tient par la main, encore davantage. Les pas se croisent, s’inversent et se rejoignent, et ils produisent ainsi un effet sonore particulier.

« Si deux pas de l’homme tombent sur les temps 2 et 6, les trois pas de la femme tombent sur les temps 4, 8 et 12 ; c’est-à-dire que si l’homme et la femme sont partis du même pied, au bout de deux pas, ce ne sont plus les pas des mêmes pieds qui coïncident, mais la femme a inversé le pas. Et la même chose se produit pour l’enfant par rapport à la femme. Au bout de 8 temps, il a fait trois pas et inversé le pas par rapport à sa mère ; à 16, il a fait 6 pas et coïncide de nouveau avec le pas de la mère. A 24, donc après 4 pas d’homme, la mère et l’enfant partent de nouveau du même pied que l’homme456. »

De telles situations ont lieu maintes fois dans la vie d’un enfant, et leur rythme reste définitivement gravé en lui, de sorte qu’il aura tendance à les reproduire naturellement dans ses chants, ses danses et dans sa poésie. Et selon BENECKE, la grande majorité des rythmes que l’on trouve en musique comme en littérature doit pouvoir être ramenée à ce type de situations

454 Cf. Max Benecke, Vom Takt in Tanz, Gesang und Dichtung, Bielefeld, Velhagen & Klasing, 1891.

455 Cf. Maksymilian Kawczynski, Essai comparatif sur l’origine et l’histoire des rythmes, Paris, Bouillon, 1889.

456 „Nehmen also zwei Mannesschritte 2 und 6 Zeiten ein, so fallen die Endzeiten der drei Frauschritte auf 4, 8, 12; d.h. falls Mann und Frau mit demselben Fuß angetreten sind, treffen nach Ablauf der zwei Schritte nicht mehr die Tritte derselben Füße zusammen, sondern die Frau hat den Tritt gewechselt. Das Gleiche findet beim Kinde mit Bezug auf die Frau statt. Bei 8 hat es drei Schritte gemacht und den Tritt neben der Mutter gewechselt, bei 16 hat es sechs Schritte getan und ist wieder mit der Mutter im Tritt. Bei 24, also nach vier Mannsschritten, haben Mutter und Kind wieder gleichen Schrittanfang mit dem Manne.“ Max Benecke, Vom Takt in Tanz, Gesang und Dichtung, op. cit., p. 21.

fondamentales. Et c’est donc, selon lui, la marche bipède qui serait à l’origine de notre propension naturelle au rythme.

Qu’ils voient dans le rythme le résultat d’un acte intellectuel ou la conséquence de réalités physiologiques, les psychologues du tournant du siècle soulignent son utilité en tant que faculté psychique jouant un rôle fondamental au sein de notre perception. Celle-ci est essentiellement de quatre ordres : 1- le rythme nous aide à évaluer le temps ; 2- le rythme décharge notre attention ; 3- le rythme permet d’exercer une emprise sur la conscience de l’autre ; 4- le rythme crée ordre et cohésion.

Sans rythme, notre notion du temps s’évanouit. Selon WUNDT457, il est donc impossible d’avoir une conception précise de la structure temporelle d’un événement si celui-ci n’est pas structuré de façon rythmique. L’audition de la musique, qui met nos capacités d’évaluation temporelle à très rude épreuve, est l’occasion de s’en rendre compte. MEUMANN relève l’existence de deux types de musique : le type que l’on pourrait qualifier de « wagnérien » (ou de « dionysiaque »), dans lequel notre attention est entièrement happée par la mélodie et notre conception du temps extrêmement confuse, et le type « rythmique » (ou « apollinien »), dans lequel les notes ne détournent pas notre attention de l’organisation temporelle du morceau458. En fonction du rapport rythme-harmonie qu’il met en place dans sa musique, le compositeur détermine donc le degré de lucidité temporelle de son auditeur. La musique rythmique est, selon lui, beaucoup moins fatigante à écouter et procure donc davantage de plaisir, dans la mesure où le rythme décharge notre attention.

« Lorsque nous entendons pour la première fois une figure rythmique, nous sommes entièrement occupés à enregistrer ce que nous écoutons et à nous adapter intérieurement ; lors de la répétition, le travail d’enregistrement est passé, et nous pouvons, maintenant que l’attention appropriative a été déchargée, nous abandonner au plaisir459. »

457 Cf. Wilhelm Wundt, Grundzüge..., op. cit., p. 517.

458 Cf. Ernst Meumann, „Untersuchungen...“, art. cit., p. 310 sq.

459 „Beim erstmaligen Anhören einer rhythmischen Figur sind wir rein auffassend und uns innerlich adaptierend tätig, bei der Wiederholung ist die Arbeit der Auffassung vorbei, und wir können uns, nachdem die aneignende Aufmerksamkeit entlastet worden ist, dem Genuß hingeben.“ Ibid., p. 298.

Au fur et à mesure qu’un morceau se déroule, le travail de notre attention est de moins en mois intensif, étant donné que ce que nous entendons nous apparaît comme la répétition plus ou moins altérée de ce qui a précédé. La concentration intense cède la place au plaisir esthétique ; l’intellect s’efface progressivement au profit de la sphère émotionnelle.

Mais le rythme facilite également la tâche du musicien, dont l’attention est déchargée par une autre de ses propriétés : les mouvements rythmés ont tendance à s’automatiser, de sorte qu’ils n’exigent pratiquement plus aucune concentration. Le pianiste qui joue à deux mains accomplit les figures complexes du jeu musical de la main droite, tandis que la main gauche, qui a intériorisé le rythme du départ, joue de façon automatique et soutient la main droite en lui indiquant le tempo à suivre460. De même, le fait de compter à voix basse, de battre la mesure avec le pied, ou bien sûr la vue des mouvements rythmiques du chef d’orchestre, offrent une aide fondée sur le même principe. Ils permettent au musicien de se concentrer sur les nuances et les effets sonores, et donc de pouvoir consacrer toute l’attention nécessaire à l’élément musical sans pour autant perdre le rythme.

Le compositeur et le poète maîtrisant les règles de la métrique gagnent, par les effets rythmiques qu’ils produisent, une très grande emprise sur leur public. Etant donné que, pour MEUMANN, l’accent correspond à un pic d’attention, on peut considérer que l’auteur, en rythmant son œuvre, rythme également notre tension intellectuelle et « le cours de nos pensées461 ». Le poète choisit ses mots de telle façon à créer une minutieuse alternance entre ce qui est important et ce qui l’est moins. Il concentre notre attention sur certains mots et la mène à sa guise. Enfin, de même que la « rythmisation subjective » est apparue comme une tendance naturelle à la formation de groupes, le rythme est utilisé, dans la création artistique, comme créateur d’ordre et de cohésion. En