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L’arythmie de la danse, symptôme d’une crise générale de la création artistique

Aux yeux d’un grand nombre de clercs, la tendance néfaste qui consiste à valoriser excessivement les savoirs techniques ne triomphe pas seulement dans les disciplines universitaires mais aussi dans les arts, où la négligence du rythme est également souvent présentée comme un

290 Klages refuse également l’idée d’instinct de conservation, et invite son lecteur à penser au danger que courent les mères de toutes les espèces pour nourrir leurs petits. La nature n’a que faire de la conservation de l’individu « tant que la vague de la vie continue à se déployer sous des formes similaires ». Cf. Ludwig Klages, Mensch und Erde, SW III, p. 624 sq.

signe de cette dérive. Ainsi, pour beaucoup, la survie du ballet classique, devenu parfaitement anachronique, est intimement liée au goût de la prouesse et à cette passion de l’époque pour tout ce qui est mécanique. De par sa tendance à vouloir nier les lois de la physiologie comme de la pesanteur, le ballet semble être à l’opposé de ce qu’avait dû être la danse à l’origine, à savoir - selon la définition de JAQUES-DALCROZE - : « l’art d’exprimer les émotions à l’aide de mouvements corporels rythmés291 ». Pour le pédagogue suisse, le rythme est la clé de la renaissance de la danse ; celle-ci doit présenter « une fusion de la sonorité rythmée et du mouvement292 » aussi parfaite que l’union du verbe et de la musique dans l’art lyrique. Au lieu de cela, le ballet classique offre le spectacle d’acrobaties souvent impressionnantes, mais sans lien perceptible avec la musique qu’elles sont censées matérialiser :

« (…) l’état de décadence en lequel se trouve la danse de nos jours tient autant au développement exagéré de la virtuosité corporelle aux dépens de l’expression qu’à la négation absolue du principe de l’unité de la plastique corporelle et du rythme musical293. »

Les bras et les jambes du danseur ne sont pour ainsi dire jamais harmonisés entre eux : tandis que les premiers cherchent à préserver l’équilibre du corps, le rôle des seconds semble être de nier sa pesanteur en multipliant les sauts, et de donner par là même au spectateur « l’illusion de l’immatérialité294 ». De ce fait, la « danse bondissante295 » donne lieu à des contractions isolées de certains muscles, qui, d’une part, sont nécessairement le fruit d’un entraînement intensif qui ne peut être sain pour l’équilibre de l’organisme, et qui, d’autre part, ne sont guère compatibles avec l’expression de ce que JAQUES-DALCROZE appelle « une pensée complète296 ». Loin d’être animé dans sa totalité par une idée ou un sentiment, le corps s’épuise à réaliser de ridicules acrobaties. En se spécialisant dans « des effets de pure technique297 », la danse a perdu le lien organique qui la rattachait à la musique, à laquelle elle se retrouve simplement superposée. Plutôt

291 Cf. Emile Jaques-Dalcroze, « Comment retrouver la danse ? » (1912), in ibid., Le rythme, la musique et l’éducation,

op. cit., p. 121. Traduction de Julius Schwabe, p. 151 : „Der Tanz ist die Kunst, Gefühle mit Hilfe rhythmischer Körperbewegungen auszudrücken.“

292 Idem. Traduction de Julius Schwabe, p. 151 : „eine Verschmelzung rhythmischer Klänge und Bewegungen“.

293 Idem. Traduction de Julius Schwabe, p. 151 : „[D]ie Schuld am gegenwärtigen Verfall des Tanzes trägt ebensosehr die übertriebene Entwicklung des körperlichen Virtuosentums auf Kosten des Ausdrucks wie die gänzliche Negierung der von uns geforderten Einheit von körperlicher Plastik und musikalischem Rhythmus.“

294 Cf. ibid., p. 122. Traduction de Julius Schwabe, p. 152 : „der Schein der Unstofflichkeit“.

295 Idem. Traduction de Julius Schwabe, p. 152 : „der hüpfende Tanz“.

296 Idem. Traduction de Julius Schwabe, p. 152 : „ein in sich abgerundeter Gedanke“.

297 Idem. Traduction de Julius Schwabe, p. 152 : „sie [die Tänzer] haschen in einseitiger Weise nach technischen Effekten“.

que de recevoir une formation d’acrobate, l’élève danseur devrait, selon JAQUES-DALCROZE, apprendre à « comprendre la musique, à être ému par elle, à se faire une idée juste des rythmes qui l’inspirent, puis à les traduire plastiquement en respectant leur style298 ».

La danse moderne n’échappe pas au reproche de valorisation excessive de la technique corporelle et de la négligence du rythme. Ainsi, dans un article publié au milieu des années 20 et intitulé « L’essence de la danse originelle299 », le gymnaste Rudolf BODE, prononce contre les artistes de son temps « qui prétendent que leurs prestations s’apparentent à la danse indienne » un jugement sans appel :

« Dans tous les cas connus de nous, la parenté ne concernait même pas l’habit qui recouvrait leur corps, la danse en elle-même était en flagrante contradiction avec tous les témoignages au sujet de la façon de danser propre à la danse indienne et orientale300. »

Les soi-disant danseuses indiennes – il s’agit sans aucun doute de Ruth ST. DENIS et de ses imitatrices301 - se méprennent selon lui sur la nature même du modèle vers lequel elles tendent. Elles ne se rendent pas compte que l’essentiel, dans la danse indienne, n’est pas la virtuosité de la technique corporelle, « pas la production de mouvements, mais précisément l’abolition la plus parfaite possible du mouvement302 ». Le concept de mouvement, qui suppose l’existence de quelque chose d’identique qui se meut, et donc d’une raison qui reconnaît cette identité, est pour Rudolf BODE à l’opposé de cette danse originelle dont parlent les explorateurs et les ethnologues, et qui, par une lente ondulation rythmique, plonge le spectateur dans un état intermédiaire entre le sommeil et l’état de veille, le libère de toute rationalité et de toute émotion vive, et lui permet par là même, pour quelques instants, de s’unir à nouveau au rythme du Cosmos. Dans la véritable danse

298 Cf. ibid., p. 123. Traduction de Julius Schwabe, p. 156 : „Diese [Ausbildung] soll ihn dazu befähigen, einerseits die Musik zu verstehen, von ihr innerlich bewegt zu werden und sich ein richtiges Bild zu machen von den Rhythmen, von denen sie eingegeben ist; andererseits dann diese Rhythmen zu verkörpern, mit besonderer Beachtung ihres Stils (...).“

299 Cf. Rudolf Bode, « Vom Wesen des Urtanzes », in idem, Rhythmus und Körpererziehung, Jena, Diederichs, 1925, p. 78 sqq.

300 „In allen uns bekanntgewordenen Fällen erstreckte sich diese Verwandtschaft nicht einmal auf das den Körper umhüllende Gewand, der Tanz selbst stand in grellem Widerspruch zu allen Berichten, die uns von der Art und Weise des indischen und orientalischen Tanzes schlechthin übermittelt sind.“ Ibid., p. 77.

301 Voir plus haut dans le corps du texte.

302 „Alle Tänzerinnen hatten keine Ahnung, daß der indische Tanz seinen Schwerpunkt nicht in der Erzeugung von Bewegungen, sondern gerade in der möglichst vollkommenen Aufhebung der Bewegung hat.“ Rudolf Bode, op. cit., p. 77.

primitive, la personnalité du danseur doit disparaître pour laisser place à un courant vital ininterrompu. Le spectateur voit son jugement se dissoudre dans l’événement vécu.

« Toute l’indépendance du spectateur doit disparaître dans l’oubli de soi, l’évanouissement de la personne, dans l’instant vécu303. »

Dans une perspective vitaliste, il postule que l’aspect technique de la danse doit entièrement disparaître au profit de l’ondulation rythmique, car la « danse originelle » a, selon lui, « à peu près autant à voir avec la maîtrise du corps que le mouvement des vagues avec le gouvernail du bateau qui vogue sur elles304 ». Celle-ci ne peut donc en aucun cas être narrative ou démonstrative, encore moins allégorique ; elle doit s’adresser à l’âme, et non à notre capacité à déchiffrer un message corporel. Toute forme de causalité en est exclue, car elle appartient au « monde du devenir » [« Welt des Werdens »] et non au « monde de l’être » [« Welt des Seins »] ; en elle, la vie se libère de l’esprit et le corps paraît indépendant de toute volonté, ses gestes ressemblent aux vagues de la mer, ce mouvement indescriptible que le maître à penser du gymnaste, Ludwig KLAGES, caractérise comme étant particulièrement hostile à notre raison. La mise en scène et la volonté de reproduction tuent le rythme qui, principe vital par excellence, ne peut par conséquent être produit par le biais d’une quelconque imitation, aussi réussie soit-elle.

En disciple contrarié de Richard WAGNER305, Adolphe APPIA (1862-1928), le maître de la mise en scène moderne et collaborateur de JAQUES-DALCROZE à l’institut de Dresde-Hellerau, déplore, dans le drame musical tel qu’il est pratiqué à son époque, l’absence d’unité organique entre les arts qui le composent. L’éclatement est selon lui principalement lié à deux phénomènes. La musique, que le soliste devrait chercher à incarner, s’est tellement éloignée de son origine corporelle qu’elle ne fournit plus à ce dernier les rythmes qui devraient guider son expression corporelle306. Par ailleurs, celui-ci n’a pas reçu de formation adéquate qui l’initie à percevoir et

303 „Jede Selbständigkeit des Zuschauers muß untergehen in der „Selbstvergessenheit“, in der „Versunkenheit“, im Erlebnis.“ Ibid., p. 81.

304 „Mit Körperbeherrschung hat der Urtanz gerade so viel zu tun, als das Wogen der Meereswellen mit dem Steuer eines darüber hingleitenden Schiffes.“ Ibid., p. 89.

305 Cf. Marc Cluet, « Le Festival de Dresde-Hellerau 1910-1914 dans ses rapports à Bayreuth », in Danielle Buschinger

et al., Richard Wagner : Points de départ et aboutissements, Amiens, Presses du Centre d’Etudes Médiévales, 2002, p. 159-177.

306 Cf. Adolphe Appia, „Die rhythmische Gymnastik und das Theater“, Der Rhythmus. Ein Jahrbuch, Bd. 1, 1911, p. 58 : „Die organische Einheit bleibt aus und muß ausbleiben, weil die moderne dramatische Musik schließlich doch nur das

reproduire les rythmes de la musique. Lorsque la rythmique de JAQUES-DALCROZE fournira la base de la formation des solistes, ceux-ci ne supporteront plus ni le rapport de juxtaposition qui existe entre eux et la musique, ni la présence derrière eux de ces décors inertes dans lesquels toute intégration paraît impensable307. Ils se révolteront alors contre le rôle absurde qu’on leur fait jouer et exigeront une réforme du drame musical sur la base du rythme, seul principe capable de réaliser la fusion organique entre les arts qui est le projet fondamental de ce genre.

Le fait que le rythme ait disparu de la formation des artistes et ne puisse donc plus jouer le rôle de trait d’union qui lui incombait autrefois au sein du drame musical pourrait être la conséquence de ce que le psychologue de l’art Richard MÜLLER-FREIENFELS (1882-1949) appelle une « régression [générale] de la sensibilité motrice308 » et qui, selon ce dernier, se fait ressentir au sein de toute la création artistique. Autrefois, comme nous l’ont montré les ethnologues, le primitif ne savait jouir de la musique autrement qu’en se mettant à danser, ce qui laisse supposer que le rythme avait sur lui une emprise quasiment irrésistible. De même, le peuple continue à avoir une préférence très marquée pour les danses, les marches et, de façon générale, les morceaux particulièrement entraînants. Mais l’aspect moteur de la jouissance artistique disparaît au fur et à mesure que l’on grimpe les marches de la culture, car la convention sociale et l’éducation ont contraint l’homme à maîtriser ses mouvements. Les enfants continuent certes à adorer les chansons très rythmées accompagnées de gestes, mais avec l’âge, l’homme perd progressivement sa capacité à se laisser mettre en mouvement par la musique et se tourne parallèlement, en littérature, plus volontiers vers la prose que vers la poésie. Chez le grand public, on voit régresser considérablement la faculté d’ « imitation intérieure » [« innere Nachahmung309 »] qui consiste à ressentir dans son propre corps les impressions motrices qui se détachent des œuvres d’art et assurent à l’individu une

Produkt einer besonderen und einseitigen Entwicklung einer Kunst ist, die seit langem die Fühlung mit der körperlichen Form verloren hat.“

307 „Zwischen diese beiden Widersprüche gestellt, den einen der Musik, die sich in ihm nicht verkörpern kann, und die er doch auf der Bühne darstellen soll, den andern einer Anhäufung von Dekorationsstücken, die weder in Beziehung noch in Verbindung mit seinem plastischen und beweglichen Organismus steht und ihn folglich in seiner rhythmischen Entfaltung im Raume hindert, wird der Darsteller der schmerzlichen Rolle bewußt werden, die man ihn spielen läßt.“

Ibid., p. 59.

308 Cf. Richard Müller-Freienfels, Psychologie der Kunst, , vol. 1, Leipzig, Teubner, 21922, p. 138.

jouissance artistique particulièrement intense et une connivence toute particulière avec ce qui est contemplé.

A l’exception de quelques individus isolés, que l’on retrouve avant tout dans les domaines de l’art dramatique, de la sculpture et parfois de la peinture310, notre aptitude à être émus par l’art régresse, et nos artistes peinent de plus en plus à traduire leurs élans spirituels en mouvements. Nous perdons peu à peu tout sens spatial, ce qui se ressent terriblement dans notre architecture.

« Aujourd’hui, nous sommes incapables de créer des espaces tels que ceux du Moyen Âge ; l’imagination spatiale de l’architecte moderne comme de son public est infiniment réduite comparée à celle de l’époque gothique (…)311. »

Pour Max MERZ312 (1874-1964), le directeur de l’école de danse d’Elizabeth DUNCAN313 à Darmstadt, la remise à l’honneur du corps et de la sensibilité motrice dans notre civilisation apparaît de même comme une urgence face à la dégradation généralisée du sens artistique. Il suffit, selon lui, de comparer les représentations que l’on trouve dans les tombeaux égyptiens, les temples babyloniens et assyriens avec la pratique du ballet classique pour se rendre compte à quel point l’homme a vu se dégrader en lui l’instinct rythmique que la nature avait placé en lui. Dans les premières transparaît encore l’expression d’un « rythme vital intact » [« Zustand ungebrochener Lebensrhythmik314 »], qui s’est peu à peu dégradé sous l’influence du rationalisme et du christianisme. Mais le coup fatal fut porté au XIXe siècle par l’avènement de la machine et de l’industrie, qui firent triompher le mécanisme sur les forces vitales, ce qui, par réaction, éveilla chez les artistes le compréhensible désir d’un retour aux sources. Aux yeux de MERZ, l’art moderne ne doit par conséquent pas être condamné sans appel mais replacé dans le contexte de son émergence.

310 Le peintre Vincent Van Gogh (1853-1890) serait d’ailleurs l’exemple type de ce que le psychologue Richard Müller-Freienfels appelle le « type moteur ». Cf. ibid., p. 142.

311 „Wir können heute nicht mehr solche Räume schaffen, wie das Mittelalter, die Raumphantasie des modernen Architekten und auch des Publikums ist unendlich geringer als die der gotischen Zeit (...).“ Ibid., p. 138.

312 Max Merz (1874-1964) : musicien et compositeur né en Autriche, il partagea avec Elisabeth Duncan la direction de son école de Darmstadt. Voir à son sujet : Martina Langl, Max Merz und die Duncan-Schule, [Dipl-Arb.] Musikhochschule München, 1996.

313 Elizabeth Duncan (1871-1948) est la sœur aînée de la grande Isadora. Sur son travail en Allemagne, voir : Frank-Manuel Peter (éd.), Isadora & Elizabeth Duncan in Deutschland, op. cit. Dans cet ouvrage se trouvent entre autres reproduits des extraits des mémoires de Max Merz sur le fonctionnement et les objectifs de l’école. Cf. Max Merz, “Don’t look back – Look forward ! Erinnerungen an das “Tanzkloster” und seine Bewohner”, in ibid., p. 153-173.

314 Cf. Max Merz, „Die Erneuerung des Lebens- und Körpergefühls“, in Ludwig Pallat et al., Künstlerische

Les expressionnistes, ces « fanatiques de la vérité intérieure de l’expérience artistique » [« Fanatiker der inneren Wahrheit künstlerischen Erlebens315 »], qui ont préféré sacrifier la forme plutôt que de devoir se soumettre à la convention, expriment dans leurs œuvres à la fois le paroxysme de l’intellectualisme et la volonté de le dépasser :

« Derrière chacun de ces travaux, nous voyons ou nous pressentons la force terrible et inquiétante de la machine qui nous domine et nous réduit à l’esclavage, nous et notre époque ; et, bouleversés, nous lisons dans ces œuvres d’art, souvent difficiles d’accès, l’aspiration vers une totalité organique intacte qui doit probablement être tout d’abord comprise et vécue dans sa signification profonde avant de pouvoir rayonner à l’intérieur de l’œuvre d’art316. »

L’art moderne et son abandon de la forme ne sont donc pour Max MERZ que des indicateurs de l’état dans lequel se trouve son époque : à la fois entièrement privée du rythme vital et plus que jamais désireuse de le retrouver. Tout en étant la plus parfaite expression du déchirement de l’homme, cet art accélère la prise de conscience du public face à l’urgence de la situation.

Dans ces prises de position se trouvent exprimées des tentatives, de la part de membres de la bourgeoisie cultivée, de définir de nouveau les normes de la création artistique. Cette prérogative, qui, ainsi que le souligne le germaniste Georg Bollenbeck, était auparavant le monopole des clercs317, s’est trouvée remise en question par la modernité. A partir du naturalisme s’est produit une rupture ; s’émancipant, l’artiste a renié les valeurs esthétiques et morales de son milieu d’origine et a, de la sorte, ébranlé l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie. Avec la fin de l’ère libérale, le nationalisme artistique [Kunstnationalismus] a donc perdu son aspect consensuel, l’art moderne est qualifié de décadent, de non-allemand [undeutsch], et on tente d’imposer une autre modernité, dans laquelle des critères comme la naturalité et la rythmicité sont appelés à jouer un rôle dominant.

315 Cf. ibid., p. 20.

316 „Hinter jedem dieser Gebilde sehen oder ahnen wir die beunruhigende, furchtbare Kraft der uns und unser Zeitalter beherrschenden und versklavenden Maschine, und erschüttert lesen wir aus diesen oft sich schwer erschließenden Kunstwerken die Sehnsucht nach jener unbefangenen Lebensganzheit, die in ihrer tieferen Bedeutung wohl erst begriffen und erlebt werden muß, ehe sie im Kunstwerk wieder aufleuchten kann.“ Ibid., p. 20.

317 Cf. Georg Bollenbeck, Tradition, Avantgarde, Reaktion, op. cit., p. 86 : „Was im 20. nur noch wenige [Künstler] sein wollen oder sein können, das gelingt noch im 19. Jahrhundert: Der dominante Typus ist der des Bürgerkünstlers. Aus dieser Vertrautheit zwischen Kunst und Bildungsbürgertum, aus dem Bewußtsein der Kompetenz und Zuständigkeit für die Künste erwächst die verbreitete Besitzmetaphorik: (...) dieser „höchste Schatz des deutschen Volkes“ (Paul Lagarde) soll zwar allen zugänglich sein, doch beanspruchen die Gebildeten mit Erfolg den Besitz der sicher verwalteten Kunstdomäne.“

La plainte face à l’absence ou à la perte du rythme touche de nombreux domaines de la culture moderne et accompagne, dans la plupart des cas, la condamnation de deux phénomènes qui semblent fortement préoccuper la classe de la « bourgeoisie cultivée » de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : d’une part, le morcellement, voire l’atomisation des savoirs, qui touche un nombre de plus en plus grand d’arts et de disciplines, et d’autre part la rationalisation, la mécanisation et parfois quasi-« arithmétisation » de nombreux domaines de l’activité humaine, qui impliquent à la fois le rejet de toute forme d’intuition et la valorisation excessive des savoirs techniques. Jusqu’en littérature, on voit avec effroi, au sein de l’école naturaliste, s’infiltrer l’esprit scientifique qui, de par sa tendance à regarder les choses au microscope, semble pourtant être à l’opposé des exigences de l’art telles que le conçoivent majoritairement les bourgeois cultivés, à savoir avant tout comme le lieu d’une harmonieuse synthèse318. Le poète et le peintre modernes, plaçant de même que WAGNER l’indépendance de leur art au-dessus de tout et cherchant à détacher celui-ci le plus possible de la réalité et de la nature, peuvent, d’une certaine manière, également être vus comme les héritiers de cet esprit analytique qui tend à dissocier et à isoler plutôt qu’à réconcilier.

A l’encontre de l’idéal de formation générale que véhiculaient les études humanistes qu’ont suivies la plupart de ces auteurs, la tendance de l’époque est au repli des experts dans leurs différentes disciplines et à la spécialisation à outrance. L’économiste passionné d’ethnologie qu’est Karl BÜCHER regrette la rupture, intervenue au cours de l’histoire et aggravée par l’utilisation de