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Simone de Beauvoir utilise le genre autobiographique ou l'essai pour parler de son enfance et de son adolescence. Afin d'en tirer des leçons existentialistes, Colette s'oriente instinctivement vers le romanesque et plus particulièrement vers le roman d'apprentissage ou « bildungsroman » : un jeune héros, Phil en occurrence, a pour but de s'instruire, de se cultiver et de s'accomplir pour devenir responsable, et cette quête didactique passe surtout par l'érotisme. À travers l'écriture sur la sexualité, Colette décrit toute la complexité existentielle de l'adolescent-e, entre l'amour et la vie, la mort et l'altérité. Elle/il se retrouve alors confronté-e au monde et ses multiples nuances. Le Blé en Herbe présente cette période charnière entre l'enfance et la maturité sur une période temporelle très courte : le temps d'un été. Mais il est frappant que ce roman d'apprentissage se révèle être aussi proche de l'autobiographie : Colette donne son opinion sur l'amour, la sexualité, en utilisant la voix et les pensées de ses deux protagonistes.

Le Blé en Herbe est un roman d'apprentissage sur l'adolescence où le décor naturel reflète les personnages principaux : Vinca et Phil.

« Le camarade qui l'épiait, couché sur la dune à poils d'herbe, berçait sur ses bras croisés son menton fendu d'une fossette. Il compte seize ans et demi, puisque Vinca atteint ses quinze ans et demi. Toute leur enfance les a unis, l'adolescence les sépare. »353

« De jour en jour changé, d'heure en heure plus fort, ne rompe la frêle amarre qui le ramène, tous les ans, de juillet en octobre, au bois touffu incliné sur la mer, aux rochers chevelus de fucus noir. »354

Sans situation ni repère temporel, sauf la Bretagne et la période des vacances estivales, les deux adolescents partagent un moment idyllique et suspendu dans un lieu mystérieux et rêveur. Loin de la civilisation, Vinca et Phil existent dans un court instant de bonheur et de plénitude, des conditions idéales pour l'épanouissement personnel et pour vivre des expériences. Connaître leurs âges permet de placer le roman à l'adolescence.

L'arrivée de la Dame en blanc est un élément perturbateur des deux enfants qui plonge Phil au cœur de cette transition entre l'enfance et l'adolescence.

353 Le Blé en Herbe, Colette, Flammarion, Paris, 2015, p32 354 Ibid. p33

« -Hep ! Petit !

La voix qui l'éveilla était jeune, autoritaire. Phil se tourna, sans se lever, vers une dame tout de blanc vêtue qui enfonçait, à dix pas de lui, ses hauts talons blancs et sa canne dans le chemin du goémon... Par politesse, Phil se leva, s'approcha, et ne rougit que quand il fut debout, en sentant son torse nu le vent rafraîchi et le regard de la dame en blanc, qui sourit et changea de ton.

– Pardon, Monsieur... je suis sûre que mon chauffeur s'est trompé. J'ai eu beau l'avertir...

Phil n'eut pas le temps de retenir un éclat de rire que la dame blanche imita complaisamment :

– J'ai dit quelque chose de drôle ? Prenez garde, je vais devoir vous tutoyer : vous paraissez douze ans, quand vous riez.

Mais elle le regardait dans les yeux, comme un homme. »355

Si le désir libidinal de Phil se réveille, Vinca, quant à elle, révèle son fort attachement pour son partenaire. Elle est jalouse de cette rencontre entre Phil et la Dame en blanc. Restant dans son monde enfantin, Vinca reste la figure de l'innocente jeune fille sentimentale.

« - Phil ! Qu'est-ce que c'est que cette dame ?

Des épaules et de tout le visage, il exprima qu'il n'en savait rien. – Tu ne la connais pas et tu lui parles ?

Phil toisa sa petite amie avec une malice qui renaissait et secouait un joug passager. Il percevait joyeusement leur âge, leur amitié déjà troublée, son propre despotisme et la dévotion hargneuse de Vinca. Ruisselante, elle montrait des genoux meurtris de saint Sébastien, parfaits sous leur épiderme balafré ; des mains d'aide-jardinier ou de mousse ; un mouchoir verdi la cravatait et son blouson sentait la moule crue. Son vieux béret poilu ne luttait plus avec le bleu de ses yeux et, sauf ces yeux anxieux, jaloux, éloquents, elle ressemblait à un collégien déguisé pour une charade. »356

Cet excès de jalousie rejoint l'exacerbation de leurs sentiments : Vinca et Phil subissent les mouvements de leurs émotions.

« Phil s'assit d'un coup de reins, prêt à répondre à l'ironie... Honteux de tant de douceur, il se tut, et elle leva sur lui des yeux étonnés, car elle n'attendait point de mansuétude. Lui-même crut à une trêve passagère de susceptibilité et s'apprêta aux reproches, aux sarcasmes enfantins, à ce qu'il appelait l'« humeur lévrière » de sa petite compagne. Mais elle sourit mélancoliquement, d'un sourire errant qui s'adressait à la mer calme, au ciel où le vent haut dessinait des fougères de nuages. »357

355 Le Blé en Herbe, Colette, Flammarion, Paris, 2015, p53 356 Ibid. p55

Vinca se montre parfois modérée, impassible, n'existant que par les mots, la tonalité, le jeu du langage ironique et le bon mot alors que Phil se dépense dans de grands gestes, se rapprochant de l'éloquence, de la gravité et de l'agressivité. Même si Vinca donne l'image d'une enfant, Phil dévoile pleinement sa crise adolescente, se plonge ouvertement dans ses profondeurs existentielles et ses contrariétés agitées de jeune homme en rupture. Mais les rôles peuvent s'inverser lors de crises de jalousie et de fortes vibrations amoureuses.