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Si Simone de Beauvoir se revendique comme une femme engagée, il est intéressant de voir des auteures comme Colette. Plus discrète, elle parle aussi aux femmes, dans un style d'écriture qui a surtout marqué la littérature de jeunesse, bien différente de la littérature actuelle.

Julia Kristeva s'intéresse à Colette afin de comprendre comment l'écrivaine a lutté pour ses conditions féminines, pour devenir une femme de lettres à part entière, tout en préservant sa féminité. Kristeva dévoile une Colette qui suit les stéréotypes masculins sur la femme : elle s'assume libertine et insoumise, un modèle de son temps, et écrivant toute sa vie et ses amours dans ses romans. Mais, pour Kristeva, Colette n'est pas une femme capricieuse, au contraire, c'est un être fidèle au monde littéraire et constant dans sa ténacité pour son métier d'écrivaine.

« L’œuvre de Colette ne se situe dans aucun des courants qui ont marqué le XXème siècle ; bien que contemporaine de Proust126, de Valéry127, du surréalisme128, plus tard les œuvres engagées de

Malraux129 ou Sartre, elle est restée à l'écart des interrogations sur le roman ou le rôle de

l'inconscient, à l'écart aussi des grands débats d'idées, des engagements de notre siècle. Elle semble plus anecdotique qu'elle tourne toujours autour de sa propre histoire (son enfance, ses expériences amoureuses, sa vieillesse hédoniste), histoire sur laquelle elle fait des variations ; il lui a été reproché de n'écrire que des histoires « d'amour, d'adultère, de collage mi-incestieux, de rupture ». Son style est exigeant et travaillé. »130

Naître et renaître, telle est l'existence de Colette, une éternelle jeune fille en herbe. Semblable au phœnix, cette écrivaine humaniste aime la vie d'une ardente passion, partageant avec ses contemporain-e-s sa vision pleine de nuances de l'existence, qu'elle découvre et redécouvre à chaque instant, déjouant ainsi cette « nausée » qui a tant sensibilisé Beauvoir et Sartre. À sa manière, elle crée sa touche de féminité en s'éloignant des idées politiques de son époque.

126 Marcel Proust (1871-1922) écrivain français. Tout en définissant le rôle et les tâches de l'écrivain tels qu'il les entend, Proust ne cesse de donner un aspect critique à ses réflexions et, dans une certaine mesure, fonde ses théories artistiques sur celles qu'il condamne

127 Paul Valéry (1871-1945) écrivain français

128 Le surréalisme : mouvement poétique, littéraire, philosophique et artistique, né en France, qui a connu son apogée dans l'entre-deux-guerres sous l'impulsion d'André Breton

129 André Malraux (1901-1976) écrivain et homme politique français. Un itinéraire littéraire, politique, culturel qui, en explorant des domaines divers, cherche à tracer une voie proprement humaine d'action et de réflexion. Les cadres de la réflexion gardent une relative permanence au long de la vie de Malraux, les objets qu'elle poursuit varient : les valeurs du monde occidental lors des premiers écrits, la possibilité de se donner sens dans une action et une discipline révolutionnaires, le sens des objets artistiques

En effet, elle se rapproche de l'égalité dans la différence à travers l'amour et la sexualité.

« Qu'on la juge aveugle ou qu'elle se déclare réfractaire à la politique, cette ingénue a cependant abordé au moins trois domaines aujourd'hui au cœur des préoccupations politiques : les femmes, la guerre, les images. Elle a exprimé des positions personnelles, relevant plus d'une approche sensible que d'un jugement intellectuel, qui dévoilent autant ses audaces que ses erreurs. Femme libre, mais hostile au féminisme. »131

Dès ses débuts d'écrivaine, Colette considère le féminisme et ses considérations sociales et politiques sur la condition féminine comme absurdes. Elle préfère imposer sa féminité et partager ses leçons de vie par la plume. Elle refuse d'être définie comme une féministe. « Ah ! Non ! Les suffragettes me dégoûtent. Et si quelques femmes en France s'avisent de les imiter, j'espère qu'on leur fera comprendre que ces mœurs-là n'ont pas cours en France. Savez-vous ce qu'elles méritent les suffragettes ? Le fouet et le harem... »132

Le féminisme critique la femme amoureuse hétérosexuelle en lui donnant une image condamnable de douce naïve. Cette dernière ne se rend pas compte de la manipulation et la domination masculine. Cette ingénue « fait preuve d'une franchise innocente et naïve » alors que l'étymologie romaine définit une femme libre par sa naissance. Dans ce double jeu sémantique et psychologique, Colette joue pleinement avec ce dédoublement de personnalité et de sémantique,

tant dans sa vie que dans ses œuvres, et notamment avec L'Ingénue133. Cette danseuse légère, qui

scandalise la Belle époque par ses amours bisexuels et ses tenues d'homme, apporte sa singulière conception du féminisme et s'opposant ainsi aux féministes radicales qui revendiquent le lesbianisme politique. Ces femmes donnent leur vie et leur cœur à la politique, en présentant l'amour comme une prison, une domination créée par l'homme. L'amour devient alors une guerre des sexes.

Du journalisme aux feuilletons, de son rôle de rédactrice en chef de Marie-Claire134 à la

publication de nombreux chapitres de ses livres dans Elle135, Colette participe à l'émancipation des

femmes en élevant l'écriture féminine. À travers la presse et les romans, le discours féminin se veut féminisant, et non féministe et processif, dans une logique d'universalité et d'un réel engagement.

131 Julia Kristeva, Le Génie féminin Colette, Fayard, Paris, 2002, p431 132 Colette, Oeuvres tome 2, préface pX

133 L'Ingénue, Colette, publié en 1909. L'Ingénue est repris dans Minne suivi par Les Égarements de Minne puis réunis sous le titre L'Ingénue libertine

134 Marie-Claire est un magazine féminin mensuel français créé en 1937

Simone de Beauvoir, Colette ou encore Marguerite Duras trouvent ainsi une « chambre à soi »136, un

lieu où elles peuvent être fières de leur travail de telle sorte qu'elles ont la possibilité d'exister en société et de s'engager pour défendre leurs idées.

L'écriture de Colette est un hymne à la vie, à la liberté, destinée à la femme entravée pour qu'elle devienne libre, de la part d'une femme vivant de ses angoisses et de ses plaisirs.

« La vie littéraire de Colette commence par sa rencontre avec Henry Gauthier-Villars, dit Willy137, à Paris en 1889. Colette, la jeune provinciale à l'accent bourguignon, devient alors en 1893

la femme d'un Don Juan138 parisien de la belle époque, jusque-là « célibataire dissolu » dira-t-elle

dans Mes Apprentissages139 et de quatorze ans son aîné. Sa maison possédant une maison d'édition à

Paris, il se veut journaliste, critique littéraire et musical, et même romancier ; en réalité, il emploie des « nègres », entre autres Francis Carco140, sur des canevas qui étaient à la mode à l'époque. C'est

ainsi que, en raison de difficultés financières, il demande à sa femme sa collaboration ; sans doute avait-il remarqué son talent littéraire lorsqu'elle racontait, entre amis, ses souvenirs de Saint- Sauveur141. En 1900 paraît donc Claudine à l'école142, chronique d'un village qui certes contient, sur

l'intervention de Willy (qui signe le roman), des détails scabreux dans le goût 1900, mais qui évoque déjà l'attachement de Colette à son pays natal. Vu le succès obtenu, Willy demande à sa femme une suite de trois autres Claudine, ainsi que Minne (1904) et Les égarements de Minne (1905). »143

Colette est donc assujettie à son mari Willy mais elle prend également la liberté