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LES FINS DE PHRASES DANS L’ODE ET DANS LE CADRE METRIQUE :

I. 3. 1 La rhétorique parénétique

À la persona du conseiller tenue par le locuteur, correspond un type de discours, une rhétorique assez précise. Ces odes où s’énoncent des conseils de vie relèvent d’une rhétorique délibérative : elles visent à convaincre l’allocutaire de l’utilité du comportement prôné. Au centre de ces odes se trouve l’exhortation directe, proprement dite, exprimée sous une forme injonctive. Mais pour modifier le comportement de l’allocutaire, la seule exhortation ne suffit pas5 ; d’autres éléments rhétoriques l’accompagnent, il arrive même que l’exhortation soit sous-entendue. C’est l’articulation de ces éléments qui va nous intéresser.

Ces motifs sont de nature variée et ils ne s’associent pas selon des schémas préétablis. Il serait donc vain d’essayer d’analyser de façon trop précise leur articulation. Ce qu’il importe d’analyser en revanche, ce sont les coïncidences ou non-coïncidences entre les différents motifs de cette rhétorique et le cadre métrique : on pourra voir s’il existe des différences selon les sujets traités. Pour exprimer ces conseils, Horace use de motifs rhétoriques divers, que nous allons essayer de présenter ici, en commençant par l’exhortation elle-même.

i. L’exhortation

L’exhortation s’exprime généralement par un impératif ou un subjonctif d’ordre. Ainsi en 2.3. 1-8 :

1 Aequam memento rebus in arduis seruare mentem, non secus in bonis ab insolenti temperatam

laetitia, moriture Delli,

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Là-dessus, cf. les précautions que nous avons prises dans notre introduction p. 15 note. 5

La seule ode qu’on peut dire entièrement injonctive est l’ode 1.11 : encore contient-elle des éléments de phrase déclaratifs. Nous envisagerons cette ode, lorsque nous nous intéresserons aux odes en distiques et monostiques.

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seu maestus omni tempore uixeris, seu te in remoto gramine per dies festos reclinatum bearis

interiore nota Falerni.

L’exhortation se déploie ici sur deux strophes : la première contenant la proposition principale formée d’un verbe à l’impératif « memento », la seconde contenant des circonstancielles. Comme nous l’avons dit dans notre introduction6, l’exhortation, dans cette ode, est d’abord assez générale, énonçant une morale de vie, avant de se préciser et de prendre une orientation bachique. Dans ces deux premières strophes, que nous venons de citer, le conseil a une valeur très générale et apparente l’ode au genre gnomique : dans un tel contexte, l’unisson parfait avec le cadre métrique témoigne d’une simplicité rythmique typique du genre et ayant un aspect mnémonique. Le rythme alcaïque ressort ainsi de façon nette et univoque : l’insistance de ses contrastes7, à l’intérieur d’un cadre parfaitement souligné, donne à l’exhortation morale force et importance.

De façon générale d’ailleurs, si l’on examine ces exhortations, on constate que presque toutes s’achèvent dans un unisson parfait avec le cadre strophique, et ce, quel que soit l’objet du conseil, qu’il s’agisse d’un conseil amoureux ou d’une méditation sur l’ordre civil. Cet unisson témoigne de l’importance, en soi-même, de ce motif rhétorique souligné par un rythme simple et univoque8. Des conseils amoureux adoptent ainsi une coïncidence parfaite entre l’exhortation et le cadre métrique, comme en 1.33. 1-4 :

Albi, ne doleas plus nimio memor inmitis Glycerae neu miserabilis decantes elegos, cur tibi iunior laesa praeniteat fide.

Horace conseille ici à Albius (sans doute Tibulle) de tempérer son chagrin d’avoir été abandonné de Glycère : il le fait par une série de propositions au subjonctif d’ordre, qui se moule entièrement dans le cadre de cette strophe alcaïque. À l’élégie et ses gémissements, le poète lyrique oppose ainsi une poétique de la clarté et de la fermeté : ses exhortations sont

6

Cf. supra p. 28. 7

Sur l’ethos naturel de la strophe alcaïque, cf. notre introduction p. 57. 8

Bien plus, P.H. Schrijvers, 1973, p. 142-144, dans une perspective rhétorique totalement identique à la nôtre, note que les exhortations, les prières sont, à plusieurs reprises, placées en fin d’odes : cette unité rhétorique s’achève ainsi non seulement sur une fin de strophe mais sur une fin de poème. Selon P.H. Schrijvers, lorsque l’exhortation, la prière découlent de l’argumentation qui précède, cette place constitue pour l’ode un procédé de clôture, un moyen d’achèvement par la structure logique de l’ode.

parfaitement moulées dans une strophe asclépiade a, naturellement ample et puissante. On ressent ainsi l’assurance du poète, la fermeté de son esprit.

On notera cependant deux cas exceptionnels de discordance entre le motif rhétorique et le cadre strophique. Le premier est dans une ode, qui, sous la forme d’un propemptikon exprime un conseil moral, et sans doute même civique9 : il s’agit de l’exhortation de 1.14. 2-3 :

O nauis referent in mare te noui fluctus. O quid agis ? fortiter occupa

portum. Non uides ut

nudum remigio latus

Dans cette ode en strophes asclépiades b, le poète souhaite qu’un navire, sans doute allégorie de l’État, évite de courir des dangers inutiles. Il s’agit donc d’une ode morale et peut-être même civique. Après une première phrase où s’exprime la menace que court le bateau, puis une interrogation oratoire, l’exhortation intervient à la coupe d’un vers et s’achève en cours de phérécratien : on a là une discordance très forte entre la grille rhétorique et la grille métrique, qui témoigne de l’agitation d’esprit, de l’inquiétude du locuteur au même moment où il émet ce conseil. La strophe asclépiade b montre, naturellement un rythme ambigu, où la solennité de l’asclépiade mineur est nuancée par les deux derniers vers beaucoup plus courts10 : les décalages de la syntaxe orientent cette ambiguïté rythmique vers l’expression de la violence des émotions. La rhétorique du discours progresse ici sans respecter les repères principaux du cadre strophique, et témoigne ici de l’agitation qu’elle exprime.

Dans le cas ci-dessus, c’est l’inquiétude du locuteur qui justifie la discordance entre la rhétorique et la métrique. Le deuxième cas se trouve à la fin de l’exhortation qui se développe en 2.7. 17-23 : ici, c’est le sujet, qui peut expliquer une discordance identique :

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Ergo obligatam redde Ioui dapem longaque fessum militia latus depone sub lauru mea, nec parce cadis tibi destinatis.

Obliuioso leuia Massico

ciboria exple, funde capacibus

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Sur l’interprétation allégorique de cette ode, cf. Quintilien, IO 8.6. 44 : « nauem pro re publica, fluctus et tempestates pro bellis ciuilibus, portum pro pace atque concordia dicit ». En même temps, sur le rapprochement de cette ode avec le genre du propemptikon, cf. F. Cairns, 1972, p. 218.

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unguenta de conchis. Quis udo

deproperare apio coronas

curuatue myrto ?

L’ode 2.7 a une structure rhétorique très nette. Célébrant le retour de Pompeius Varus, elle est à classer dans le sous-genre lyrique du prosphonetikon11. Les deux premières strophes sont une formule d’accueil tandis que les deux suivantes donnent le récit des aventures communes du poète et de son ami. Ces quatre strophes forment des arguments qui justifient l’invitation aux réjouissances que le poète développe au début de la cinquième strophe, en 2.7. 17 : le « ergo » initial souligne avec une netteté rare le début de cette exhortation12.

Or, dans la seconde strophe de cette exhortation bachique, exprimée dans une strophe alcaïque, on note une discordance globale entre le métrique et le rhétorique : emporté par la pensée de la fête prochaine, le poète s’attache moins au respect d’un rythme simple et strict et préfère faire ressortir des contrastes rythmiques : l’exhortation s’achève au vers 23, en plein cours de vers13.

Ces deux cas sont cependant exceptionnels : partout ailleurs, quels que soient les sujets traités et le type de strophe adopté, les exhortations s’achèvent en fin de strophe. Rappelons, encore une fois, que l’exhortation peut être considérée comme l’élément central de cette rhétorique parénétique, même s’il est parfois sous-entendu. On ne sera donc pas surpris de constater que le rythme adopté dans ces exhortations se veut net et clair.

Mais l’exhortation morale peut également s’exprimer par une figure typique de ces odes, qui, pour conseiller, se font souvent gnomiques, et que donc il convient d’étudier : la

sententia.

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Cf. F. Cairns, 1972, p. 21. 12

Ergo est un adverbe qui apporte de la vivacité à une exclamation, à une interrogation rhétorique et les poètes latins y ont parfois recours en début de poème (ex. : Prop. 3.7) : c’est cette valeur exclamative que l’on trouve dans la seconde occurrence du mot dans les Odes, en 1.24. 5. Ici, en revanche, l’adverbe se double d’une valeur logique : il introduit la conséquence de ce qui a été dit avant. C’est pourquoi nous reconnaissons une structure logique à cette ode. P.H. Schrijvers, 1973, p. 145 y repère, en plus, une structure chronologique : 2.7. 1-16 parle du passé, 2.7. 17-28 du présent. R.G.M. Nisbet – M. Hubbard, 1978, p. 117 résument bien la question : “Horace now draw the necessary consequences in a crowning group of three stanzas. Ergo points the sequence of thought with an explicitness unusual in the Odes; it marks the change from the past to the present, from description to exhortation, from dšsij to lÚsij”

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Il faut noter, dans la seconde strophe de l’exhortation (2.7. 21-23), d’autres faits qui témoignent de la même vivacité rythmique. Un fait de nature rhétorique : le mot pentasyllabique « obliuioso » qui emplit tout l’hémistiche est d’une ampleur remarquable. Deux faits de nature prosodique : l’élision exceptionnelle de la quatrième syllabe « ciboria exple » (sur l’incident prosodique créé par une telle élision, cf. J. Soubiran, 1966), et le début iambique de cet hendécasyllabe alcaïque (cĭbōria exple). Tout cela montre la vivacité de l’expression. En comparaison, cf. les remarques sur les premiers vers de cette exhortation, p. 943.

ii. La sententia

Comme le note H. Lausberg, la sententia est une pensée infinita (générale) formulée en une phrase, servant d’argument à une quaestio finita (à un problème particulier), ainsi que d’ornement14. La valeur argumentative de la sententia est soulignée par Priscien : « sententia est oratio pronuntiationem habens, hortans ad aliquam rem uel dehortans uel demonstrans quale sit aliquid »15. C’est pour cette valeur « exhortative » qu’il nous faut étudier ces

sententiae : la sententia présente le conseil moral sous une forme dénuée de toute référence

(directe, tout du moins16) à la situation d’énonciation, sous son aspect « infini ».

La valeur ornementale de la sententia ne va pas être étudiée dans cette section, puisque c’est la structure rhétorique d’ensemble des odes qui nous intéresse ici17. En revanche, nous allons tâcher d’étudier comment les limites de ces sententiae s’intègrent dans celle du cadre métrique. Mais pour cela, encore faut-il définir nettement ces sentences morales.

Dans les sententiae telles que nous les repérons dans les Odes, le poète utilise des termes généraux, qui montrent bien qu’il s’agit d’une « uox uniuersalis »18. Les sujets des verbes sont souvent indéfinis : c’est par exemple la « gens humana » en 1.3. 26. Parfois un sujet indéfini est seulement qualifié par un groupe adjectif apposé, comme en 1.22. 1-2 : « integer uitae scelerisque purus || non eget Mauris iaculis ». L’emploi d’une relative indéfinie permet souvent de faire une généralisation. Ainsi en 2.2. 23-24 et en 2.10. 5-6 :

... Virtus populumque falsis dedocet uti

uocibus, regnum et diadema tutum deferens uni propriamque laurum

quisquis ingentis oculo inretorto

spectat aceruos.

Auream quisquis mediocritatem diligit, tutus caret obsoleti sordibus tecti, caret inuidenda sobrius aula.

On notera cependant que l’emploi de la première ou de la deuxième personne du singulier peut avoir une valeur indéfinie. On considérera comme une sententia l’expression « caelum ipsum petimus stultitia ». De même, plusieurs fois, on peut parfois hésiter sur l’emploi de la deuxième personne. Nous avons dit qu’une ode horatienne s’adressait généralement à un allocutaire considéré comme présent ; pourtant dans certaines odes, le

14 H. Lausberg, 1960, § 872. 15 Priscien, Praeex. 4, in GLK 3, 409-440. 16

Cf. Quint., I.O. VIII 5,3. 17

Pour cette valeur ornementale, cf. notamment p. 239 sq. 18

contexte très général incite à reconnaître une valeur indéfinie à la deuxième personne. Citons ainsi 2.2. 9-12 ou 2.10. 1-4 dont la structure syntaxique est fort ressemblante :

Latius regnes auidum domando spiritum quam si Libyam remotis Gadibus iungas et uterque Poenus seruiat uni.

Rectius uiues, Licini, neque altum semper urgendo neque dum procellas cautus horrescis, nimium premendo litus iniquom

Le conseil de vie est ici exprimé par un adverbe au comparatif, un verbe au futur à la deuxième personne du singulier accompagné d’un gérondif à l’ablatif. Les métaphores tendent à donner à ce conseil un aspect général : la vie est assimilée à une mer que l’on traverse (en 2.10), à un royaume que l’on conquiert (en 2.2). Ce sont ces images qui nous incitent à reconnaître un aspect sentencieux à ces énoncés très proches l’un de l’autre19.

Les divinités, quant à elles, peuvent être désignées précisément, car elles représentent les forces du monde. Ainsi considère-t-on comme une sententia l’expression de 2.11. 17-18 « dissipat Euhius || curas edacis ».

On peut maintenant analyser la place dans le cadre métrique des sententiae ainsi définies. Il est notable que la quasi-totalité des sententiae s’achèvent en fin de strophe et se rencontrent aussi bien dans les strophes alcaïques que saphiques20. On notera que ces

sententiae interviennent essentiellement dans les odes de conseil moral, parfois bachique,

mais jamais érotique : c’est donc dans des genres plus « sérieux » que l’on trouve cette coïncidence entre la phrase et la strophe en fin de sententia qui contribue à l’expression d’une morale de vie.

Nous ne repérons que deux exceptions. La première est l’expression de 2.11. 17-18 citée ci-dessus :

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Cur non ...

potamus uncti ? dissipat Euhius

curas edacis. Quis puer ocius

restinguet ardentis Falerni pocula praetereunte lympha?

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De telles images relèvent évidemment de la topique de l’exhortation morale : cf. H.P. Syndikus, 2001, p. 348 note 21 pour 2.2. 9-12 et p. 393 note 11 pour 2.10. 1-4.

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On en trouve également en strophe asclépiade a. Rappelons que les deux strophes asclépiades sont moins employées, ce qui rend les analyses plus incertaines.

Le conseil, dans cette ode en strophes alcaïques, est de nature bachique : dans le but d’encourager Hirpinus à venir boire, les deux strophes, 2.11. 13-20, présentent des interrogations oratoires assez pressantes. Enchâssée dans ces questions, une sententia expose de façon imagée les bienfaits du vin pour chasser les soucis. La place de cette sententia débutant et s’achevant à la coupe d’un vers crée un décalage assez vif ; la référence au dieu Bacchus n’a rien de solennel, elle se fait « en passant », à cheval entre deux vers. Ce rythme non univoque ôte à cette sentence toute austérité ; ressort alors une impression de légèreté qui sied à une ode bachique.

La seconde exception se trouve dans la prosopopée d’Europe, en 3.27. 37-38. Lorsque la jeune fille regrette d’avoir suivi Jupiter, entre deux gémissements, à cheval entre deux vers, elle prononce une sententia :

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“.. Pater, o relictum filiae nomen pietasque”, dixit “uicta furore !

unde quo ueni ? leuis una mors est

uirginum culpae. Vigilansne ploro

turpe commissum an uitiis carentem ludit imago?

Dans ce contexte pathétique, la contradiction entre la valeur générale de cette sentence et sa position métrique entre deux vers exprime la souffrance de la jeune fille qui comprend soudain son erreur et revient à la raison.

Dans tous les autres cas des Odes, on constate que les sententiae s’achèvent en fin de strophe. Ainsi en 1.24. 19-20 où elle forme les deux derniers vers de l’ode, après une interrogation oratoire :

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Num uanae redeat sanguis imagini, quam uirga semel horrida,

non lenis precibus fata recludere, nigro compulerit Mercurius gregi?

durum: sed leuius fit patientia quicquid corrigere est nefas.

Horace incite ainsi l’allocutaire à se consoler de la mort de Varus : l’interrogation oratoire énonce l’argument selon lequel les pleurs ne le feront pas revivre. C’est après cette

interrogatio qu’intervient la sententia qui encourage à la patience. Placée ainsi dans les deux

derniers vers, cette sentence vient sceller l’ode avec une considération générale21.

Mais plus souvent encore, il faut noter que les sententiae non seulement s’achèvent mais débutent en changement de strophe. On a bien souvent dans les Odes ce que l’on peut appeler des strophes gnomiques, où le poète moule dans son cadre une pensée morale générale. C’est le cas des strophes 2.2. 5-8, 2.2. 9-12 ou 2.10. 1-4 citées ci-dessus. Dans de telles strophes, la valeur ornementale de la sententia est évidente : formant un tout unifié dans le moule strophique, dans un rythme parfaitement univoque, l’énoncé gnomique devient une parole de vérité infrangible. Ces strophes gnomiques peuvent alors être juxtaposées, comme on le voit justement dans l’ode 2.2. Le rythme saphique qui est là utilisé, est naturellement simple et modéré : parfaitement cadré comme il l’est dans ces strophes gnomiques, il a une valeur mnémonique certaine.

La sententia plus encore que l’exhortation, adopte donc un rythme jouant sur un unisson parfait entre le métrique et le rhétorique. On parvient alors à des strophes gnomiques, dont la cohésion a, là encore, valeur mnémonique, et qui donnent une force très grande au conseil donné par le poète : celui-ci prend alors l’aspect d’un sage dont la parole est vérité.

Mais pour donner force à ses conseils, le poète ne s’appuie pas seulement sur des figures de généralisation. Il adopte aussi une argumentation précise. Autour de ses exhortations s’organisent en effet des pensées qui sont autant d’arguments qui visent à convaincre l’allocutaire du bien fondé du précepte. C’est cette argumentation de la rhétorique délibérative que l’on peut étudier maintenant sans cependant viser l’exhaustivité, car la variété est grande ici d’une ode à l’autre.

iii. L’argumentation délibérative

Dans le cours des odes où le poète prend l’apparence du conseiller, les idées qui se développent peuvent être lues souvent comme des arguments justifiant l’exhortation centrale. Chaque argument peut ainsi être isolé comme une unité rhétorique, au même titre que l’exhortation ou la sententia. On peut alors étudier la position métrique de la fin de ces unités rhétoriques. Nous voudrions présenter ici différents arguments utilisés par Horace. Assurément il serait oiseux de vouloir classer toutes les pensées dans un système de topiques rhétoriques. Pourtant, on peut s’appuyer sur certaines notions empruntées à la rhétorique antique. Ainsi cette présentation suivra-t-elle le plan adopté par H. Lausberg dans son étude de l’argumentatio rhétorique22. Concernant les odes qui nous occupent ici, nous aurons à nous

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G. Nussbaum, « Sympathy and Empathy in Horace », in W. Haase (dir), 1981, p. 2111-2112 note que ce changement d’unités rhétoriques s’accompagne d’un mouvement rythmique très net : l’argument développé dans l’interrogation oratoire (1.24. 13-17) suit un long mouvement crescendo où les images fortes (description des enfers), les jeux de sonorités (allitération en [r] et [g]) deviennent de plus en plus puissants et dramatiques. Au terme de ce mouvement, « durum ! is the awakening of the nightmare » à partir duquel un diminuendo conclusif glisse doucement mais fermement vers son achèvement.

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intéresser d’abord aux arguments topiques, puis nous examinerons les exemples, les comparaisons utilisées.

 Les argumenta

Les arguments utilisés par Horace pour justifier ses conseils de vie relèvent d’une topique tout à fait traditionnelle et qu’il est donc aisé d’analyser.

On constate que plus le conseil est précis, plus l’argumentation va s’appuyer sur des faits précis. Ce n’est donc pas tant dans les odes dites morales que dans les odes érotiques et bachiques que l’on trouvera des arguments particulièrement forts. Ainsi les invitations à boire pour jouir de la vie sont très souvent appuyées par un argumentum a tempore : une référence à la saison va ainsi justifier la fête bachique. Ainsi en 3.17. 1-13 :

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9 10

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Aeli uetusto nobilis ab Lamo ...

– cras foliis nemus

multis et alga litus inutili demissa tempestas ab Euro sternet, aquae nisi fallit augur

annosa cornix. Dum potes, aridum

conpone lignum ;...

Parce que l’hiver approche, parce que les tempêtes vont bientôt sévir, il faut profiter des derniers beaux jours pour boire et se réjouir. L’argument se développe ici sur plus de la moitié de l’ode, entrecoupé d’une longue parenthèse sur la généalogie de l’allocutaire. Ici l’argument s’achève en cours de strophe, à la coupe du premier hendécasyllabe alcaïque.