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LES FINS DE PHRASES DANS L’ODE ET DANS LE CADRE METRIQUE :

I. 3. 4 La rhétorique de la célébration

Dans les odes que nous avons jusqu’ici examinées, l’allocutaire était un égal ou un inférieur du poète : ces odes visaient à leur faire suivre certaines règles de vie, à les prendre à témoin de la vie du poète lui-même, à leur faire comprendre son projet poétique et les convaincre de sa valeur. Très nettement distinctes, au moins en apparence, sont les odes qui vont nous intéresser maintenant. Ici l’allocutaire est un dieu ou un humain que le poète veut louer : on a donc affaire à une rhétorique épidictique.

Parce que la relation au destinataire est ici très nettement différente des autres cas, il est possible, nous semble-t-il, de distinguer précisément les odes qui contiennent cette rhétorique épidictique. On peut ainsi repérer :

- Sept odes qui, du début à la fin, font la louange d’un être humain : 1.26, 3.14, 4.4, 4.5, 4.9, 4.14 et 4.15

- Treize qui, du début à la fin, ont pour visée de louer et de prier une divinité ou un être non humain : ces odes peuvent avoir cependant, en même temps d’autres visées : 1.10, 1.12, 1.21, 1.30, 1.31, 1.32, 2.19, 3.13, 3.18, 3.21, 3.22, 4.6, le Chant Séculaire.

- Cinq où un passage seulement, et non l’ensemble, a cette visée de louange et de prière adressée souvent à un dieu, une fois (3.14) à un homme : 1.2 (25-52), 1.35 (1-32), 3.4 (1-42), 3.11 (1-24), 3.14 (1-12), 3.26 (9-12)

Nous allons tâcher d’analyser la rhétorique à l’œuvre dans ces odes : nous distinguerons deux pôles, ce qui vise à la prière et ce qui vise à la louange75. Nous verrons ensuite comment certaines odes associent les deux. Ces deux visées de prière et de louange créent une rhétorique dont on peut distinguer des « unités », dont nous étudierons la place dans le cadre strophique.

i. La prière

Nous allons étudier dans cette section les odes où le poète célébrant n’a d’autres visées que d’adresser une prière à la divinité. Cependant, dans ces odes, le poète peut également avoir une autre apparence que celle du célébrant.

Ces odes peuvent n’être constituée que d’une prière proprement dite, ou bien être accompagnées d’une autre « unité rhétorique ». Nous examinerons ces deux cas tour à tour.

 Hymnes élémentaires : la prière

On relève deux ou trois odes horatiennes qui forment des hymnes constitués d’une seule et unique prière, la precatio : 1.30 et 3.22, et d’un certain point de vue 1.3276. Les deux premières, 1.30 et 3. 22, sont des odes très courtes, formées de deux strophes.

L’ode 1.30 est une prière à Vénus et sa suite pour qu’elles viennent toucher Glycère. La première strophe s’adresse directement à Vénus, la seconde se tourne vers d’autres divinités qui accompagnent la déesse de l’amour. Cette ode, tout en prenant une forme hymnique, est, en réalité, une sorte de billet amoureux. Il n’y a rien là cependant que de très simple : les exhortations se moulent entièrement dans le cadre strophique.

L’ode, 3.22, formée d’une seule phrase, est une dédicace d’un pin à Diane. Cependant, bien qu’il s’agisse d’un unique énoncé, il faut noter que la protase contenu dans la première strophe est une invocation, tandis que l’apodose, dans la seconde strophe, contient la prière

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La rhétorique hymnique est, de celles employées dans les odes, la plus clairement codifiée : F. Cairns, 1974, ainsi que id., 1982, p. 228 a analysé ce genre hymnique en listant les actants qui y interviennent (ce qu’il appelle les primary elements) et les lieux communs qui y sont utilisés (ce qu’il appelle les secondary elements). La rhétorique hymnique dans l’antiquité gréco-romaine a été amplement étudiée : nous ne chercherons pas ici à définir une spécificité rhétorique des hymnes horatiens, mais simplement à en étudier l’agencement dans le cadre métrique. Pour la structure des hymnes grecs et des formes poétiques qui leur sont apparentées, on pourra consulter l’article de C. Calame, 1994 et son point bibliographique p. 393.

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N.E. Collinge, 1961, p. 126 reconnaît à ces trois odes le statut d’hymne, mais il note que cette catégorie « hymnique » est difficile à définir et la qualifie d’élastique. Cf. ce que nous en avons dit dans notre introduction.

proprement dite77. Cette coïncidence de la syntaxe, de la rhétorique et de la métrique témoigne de la simplicité de l’ode.

Ce sont là deux petites odes très simples où une seule idée s’exprime, s’appuyant sur un seul motif rhétorique, la prière, et se développe dans deux strophes seulement.

L’ode 1.32, quant à elle, est une prière au barbiton, la lyre éolienne. Au début de cette ode, le premier mot « poscimur » pose des problèmes de manuscrits et d’interprétations78. Mais si l’on exclut ce mot, toutes les phrases de cette ode sont des prières. On a cependant ici un exemple intéressant d’une parenthèse centrale qui vient apporter à l’ode un élément nouveau. En effet, bien que globalement l’ode soit tout entière une prière, les deux strophes centrales, à l’intérieur d’une relative, font le portrait d’Alcée, l’initiateur du genre lyrique éolien. Ainsi incluse aussi bien dans la prière d’ensemble que dans la syntaxe elle-même de la phrase, la figure d’Alcée, à la manière de celle d’un héros mythique fondateur, rattache le

barbiton à une tradition des plus anciennes, et donne à la prière une grande solennité. On

notera que cette relative débute et s’achève à des changements de strophes et que les prières proprement dites se développent dans des strophes unifiées (v. 1-4 et v.13-16). La coïncidence entre la grille métrique et la grille rhétorique est ainsi assurée et souligne, là encore, la solennité modérée de la prière.

Ces odes sont toutes entières des prières adressées à des divinités et sont écrites en strophes saphiques. Rappelons que le rythme saphique associe naturellement la gravité du dactyle et la légèreté du vers court : accentué par la coïncidence avec la grille rhétorique, du moins dans ses limites externes, ce rythme simple et ondulant correspond parfaitement à ces prières légères.

L’emploi unique de la precatio se retrouve également dans l’ode 3.26, où le poète, après avoir annoncé la fin de ses amours, avoir donné des ordres à ses serviteurs, change d’allocutaire dans la dernière strophe et adresse une prière à Vénus :

O quae beatam diua tenes Cyprum et Memphin carentem Sithonia niue regina, sublimi flagello

tange Chloen semel arrogantem. 77

Cf. NE. Collinge, ibid (de même, F. Cairns, 1982, p. 228-241 a étudié tous les topoï hymniques présents dans cet uniqu énoncé). Cette association en une phrase de l’invocation et de la prière est typique de la rhétorique hymnique (cf. E. Norden, 1913, p. 168) : nous la retrouverons dans les odes étudiées plus loin : aussi, sauf cas particuliers, nous considérerons maintenant l’invocation et la prière comme deux motifs associés.

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Le problème est discutable. F. Villeneuve, 1929, qui adopte la leçon « poscimur », comme, après lui, D.R. Shakleton Bailey, 2008, note (p. 44 note 1), que « dic » après « poscimus Latinum carmen» serait gauche, tandis que « poscimur » peut se réclamer de Pindare Isth 8. 5. Au contraire, R.G.M. Nisbet – M. Hubbard, 1970, p. 360, qui optent pour « poscimus », comme A. Kiessling – R. Heinze, 1955 ou F. Klingner, 1959, reconnaissent là une imitation du l…ssomai des hymnes grecs et considèrent qu’un « poscimur » initial est trop abrupt. Quoi qu’il en soit, pour ce qui nous concerne, nous pouvons considérer que même avec la leçon « poscimus », le premier énoncé constitue une prière.

Cette ode n’est pas un hymne. Horace joue ici le rôle de l’ancien amant qui témoigne de la fin de ses amours ; mais dans la dernière strophe Horace recourt à une rhétorique de la prière, en s’adressant soudain à Vénus, qu’il met au service de son témoignage. Cette prière faite à Vénus montre la solennité du témoignage. On notera que, dans cette ode, la prière demeure parfaitement isolée dans le cadre de la strophe, la dernière de l’ode.

Dans tous les cas que nous venons de voir, la prière est simplement formée d’une phrase ou deux à l’impératif. Dans ces prières, le poète, derrière le masque de l’orant, adopte une autre persona : celle de l’amoureux en 1.30 et 3.26, celle de l’homme vivant dans son domaine campagnard, en 3.22, celle du poète en 1.32. La prière n’est donc qu’une forme rhétorique mise au service d’une autre visée. Cette forme rhétorique demeure très simple, en parfait accord avec le cadre métrique.

Cependant, cette prière peut être exprimée de façon un peu plus complexe, par l’ajout de procédés rhétoriques que nous allons examiner maintenant.

 Prière renforcée par des procédés rhétoriques

Dans les odes où le poète célébrant se contente d’adresser une prière à une divinité, il peut donner une certaine vigueur rhétorique à cette prière par des procédés rhétoriques. C’est le cas dans deux odes, 1.2 (où la partie célébrante est comprise dans les vers 25-52) et 1.31.

Remarquable est le cas de l’ode 1.31. Cette ode semble avoir été écrite pour un jour solennel, la dédicace à Apollon du temple sur le Palatin. Pourtant loin de composer une ode officielle, le poète s’adresse ici personnellement au dieu. N.E. Collinge classe cette ode parmi les hymnes mais remarque que la prière y est précédée d’un « passage d’introspection »79. En vérité, cette introspection est d’autant plus intéressante qu’elle commence à la troisième personne. Le poète se demande ce qu’il va demander à Apollon pour lui-même : parlant à la troisième personne, il se pose cette question à laquelle il donne aussitôt des réponses négatives.

Quid dedicatum poscit Apollinem uates? Quid ora de patera nouum fundens liquorem? Non opimae Sardiniae segetes feraces.

On note que le passage de la question à la réponse se fait en plein cours de vers : cette discordance entre métrique et rhétorique laisse sentir que nous ne sommes pas encore entrés

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N.E. Collinge, 1961, p. 126. Cette ode est typique de l’inclusion de la méditation personnelle dans la visée hymnique collective, caractéristique de l’hymnique horatien. Cf. ce que nous en avons dit dans notre introduction, p. 31.

dans un contexte hymnique, solennel80. La vivacité créée par la discordance entre les deux grilles exprime l’intimité de la réflexion du poète.

En apparence donc, le poète n’a pas d’allocutaire dans les trois premières strophes de l’ode, car il ne paraît pas s’adresser à Apollon qu’il désigne par la troisième personne, mais en même temps, ces trois strophes annoncent ce que le poète va effectivement demander à la divinité dans la strophe suivante. Tout se passe en fait comme si la prière qu’allait adresser le poète à la divinité était annoncée dans une mise à distance. H.P. Syndikus note très justement qu’une telle mise à distance crée une tension qui ne sera résolue que lorsque la prière sera effectivement prononcée dans la dernière strophe de l’ode81 :

Frui paratis et ualido mihi, Latoe, dones, at, precor, integra cum mente, nec turpem senectam degere nec cithara carentem.

On accède ainsi dans cette dernière strophe à une prière tout à fait traditionnelle82. Les quatre strophes précédentes ont fait attendre cette prière en définissant l’identité de l’orant : un uates qui ne saurait demander à Apollon des biens matériels83. L’accession à la prière s’est faite à l’unisson avec la grille rhétorique, après un changement de strophe.

Dans cette ode 1.31, alors que la prière est annoncée dès le début, la relation hymnique, qui unit un Je célébrant un Tu, ne se met en place que dans la dernière strophe lorsque, enfin, le poète commence à s’adresser directement à la divinité pour lui faire sa prière ; jusqu’alors, le recours à la troisième personne effaçait la situation d’énonciation. C’est cette mise à distance qui donne un effet original à la prière adressée à Apollon.

Le cas de 1.2 est moins original. Dans cette ode, les 7 premières strophes sont sans destinataire, sans « tu » explicite : elles présentent une description des guerres civiles qui incite le poète à appeler au secours. Aussi ne peut-on pas ici parler d’hymnes purs : F.

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D. Feeney, art. cit., in N. Rudd, 1993 (éd.), p. 46, dans une lecture globale du recueil des Odes, note que l’ode 1.31 est l’une des premières à mêler la sphère du public et celle du privé.

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H.P. Syndikus, 2001, p. 279 : « Die Spannung, die durch die Fragen der ersten Verse erweckt wird, zieht sich durch die ganze Ode hin und wird erst in der letzten Strophe, die das Gebet des Dichters endlich bringt, gelöst ». 82

R.G.M. Nisbet – M. Hubbard, 1970, p. 356 montrent qu’elle est fortement inspirée de sources poétiques et philosphiques. Arrivant ainsi en fin d’ode, cette strophe de prière a une emphase certaine : d’après les commentateurs (ibid), le « frui » est emphatique. On notera que ce mot est iambique : cela crée un rythme original de cet hendécasyllabe alcaïque et attire l’attention de l’auditeur.

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La coordination des éléments que demande le poète à Apollon demeure cependant problématique : il demande la santé physique (ualido), mentale (integra cum mente), intellectuelle (nec cithara carentem), mais l’emploi du « at » au cours du second vers est surprenant, et peut-être faut-il, contrairement à ce que fait F. Villeneuve, 1929, adopter la correction de Lambin et préférer « et ». C’est la leçon adoptée par un certain nombre d’éditeurs (F. Klingner, 1959, D.R. Shakleton Bailey, 2008) et de commentateurs (R.G.M. Nisbet – M. Hubbard, 1970, p. 357-358 qui s’en justifient).

Villeneuve classe cette ode parmi les odes civiques84. Cependant la violence des luttes intestines, décrites en ce début d’ode, est telle que le poète, à partir du v.25, éprouve le besoin d’en appeler aux dieux, de leur adresser une prière et d’opposer à ce tableau plein de fureur un hymne serein à une divinité protectrice. Mais cette divinité se fait attendre : aussi la prière en elle-même est-elle encore retardée. En effet, en 1.2. 25-30, au lieu que la prière intervienne directement, le poète exprime par une série d’interrogation son incapacité à trouver la divinité qui pourra protéger Rome : on a ici une dubitatio85 :

Quem uocet diuum populus ruentis imperi rebus? Prece qua fatigent uirgines sanctae minus audientem carmine Vestam?

Cui dabit partis scelus expiandi Iuppiter? Tandem uenias precamur, Nube candentis umeros amictus, augur Apollo.

La dubitatio permet ici la transition entre le tableau des guerres civiles et l’invocation aux dieux. D’un point de vue rythmique, on note que ce motif, au début, est en concordance avec la grille métrique, mais s’achève en plein cours d’hendécasyllabe saphique : c’est alors seulement qu’une adresse à la deuxième personne a lieu, dans un décalage fort avec la grille métrique. Cette discordance témoigne de la difficulté d’accéder à l’équilibre rythmique de l’hymne. Celui-ci n’est atteint qu’à partir du vers 30 : une invocation, en forme de litanie, se déploie alors sur trois strophes et demie. Puis l’ode s’achève sur une prière à Mercure-Octave. Dans cette ode 1.2, la dubitatio sert à introduire la prière, en faisant la transition avec ce qui précédait. Le décalage avec le cadre strophique complexifie le rythme de ces strophes saphiques en leur donnant une ampleur plus grande.

Nous avons examiné ici les cas où le poète prend l’apparence du célébrant en vue d’adresser une prière à une divinité. Cette prière formée de phrases injonctives peut être précédée de procédés rhétoriques qui lui donnent une relative originalité. La visée profonde de cette rhétorique de la prière est multiple : expression de l’amour, déploration civique, prière personnelle. Pourtant quelles que soient ces visées, on a vu que presque toujours, il y a

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F. Villeneuve, 1929, p. 2. 85

Cf. I.O. IX 2. 19 : « dubitatio, cum simulamus quaerere nos unde incipiendum, ubi desinendum, quid potissimum dicendum sit ». H.P. Syndikus, 2001, p. 413 note que la dubitatio initiale est un trait caractéristique de l’ « Hymnenstil » : il donne comme références Pindare, Olympiques 2.1-4, Isthmiques 7. 1-3, frag. 29, 89. cf. Norden, op. cit., p. 152.

coïncidence entre les « unités rhétoriques » et le cadre strophique ; lorsqu’il n’y en a pas (1.31. 3, 1.2. 30, c’est que le poète n’est pas encore entré de plein pied dans la relation hymnique, dans la prière proprement dite.

Nous allons maintenant nous intéresser aux cas, fort différents, où le poète célébrant a pour but unique d’adresser une louange.

ii. La louange

Dans certaines odes, le poète ne prend la posture du célébrant que pour adresser une louange, sans demander quoi que ce soit en échange. C’est le cas de célébrations adressées à des êtres humains : aux hommes, le poète n’adresse pas souvent de prière. Mais il arrive également qu’Horace se contente de faire la louange d’une divinité sans la prier.

Nous allons donc parler ici, pour la première fois dans cette section, d’odes qui célèbrent des hommes. Il s’agit là d’une situation fort différente de la célébration de divinités, et nous allons voir en effet que la structure rhétorique, dans son rapport avec le cadre métrique, y diffère sensiblement86. Comme nous l’avons dit dans notre introduction, ces odes de célébration humaine sont rares dans le premier recueil d’odes, beaucoup plus fréquentes dans le second. La louange humaine donne en effet au poète un rôle, lui fait adopter un masque qu’il hésite à prendre, celui d’un juge en valeurs politiques et humaines. C’est là un rôle que se reconnaît souvent Pindare, qu’Horace affirme ne pas oser imiter : cela explique la rareté des louanges humaines dans le premier recueil, alors que le second, lui, suit une esthétique différente.

Nous étudierons donc ici la rhétorique qu’adopte Horace pour prononcer une louange. Nous allons d’abord voir comment Horace légitime sa posture de célébrant avant de prononcer une louange humaine.

 La légitimation du Je dans la louange humaine

Horace, dans son premier recueil au moins, a hésité à consacrer des odes entières à une louange humaine directe. Ç’aurait été donner trop d’importance à un simple mortel. De plus, tandis que tout homme peut prier une divinité, une louange humaine, sans doute, implique que le locuteur ait une légitimité à parler d’affaires politiques pour louer les grands hommes. La louange humaine, de fait, passe souvent par une autolégitimation du locuteur : cela est traditionnel depuis Pindare qui, dans ses épinicies, passe beaucoup de temps à parler de sa création poétique et à se construire cette figure de poète à la puissance immortalisante.

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Ces différences conduisent N.E. Collinge, 1961, p. 126 à d’étranges incohérences. Il ne reconnaît pas le statut d’hymnes à des odes comme 4.4, 4.5 ou 4.15, choix qui ne se justifie que par le fait qu’elles sont dédiées à des hommes (car à part cela, des éléments de rhétorique hymnique s’y trouvent) ; en revanche, il classe parmi les hymnes 4.14, également en l’honneur d’Auguste. L’un des buts de ce paragraphe va être d’essayer de montrer les ressemblances entre la rhétorique utilisée pour célébrer un homme et celle utilisée pour célébrer un dieu.

De même, dans les odes, peu nombreuses dans les livres I-III, majoritaires dans le

livre IV, où Horace prend l’apparence du célébrant pour prononcer une louange humaine

directe, souvent, il commence par justifier ses propos en légitimant sa parole. Cette légitimation, chez Horace, passe souvent par l’invocation aux Muses. Ainsi la brève ode 1.26, la seule des livres I-III à être tout entière une louange humaine, est-elle surtout, en réalité, une invocation à la Muse, qui seule, selon lui, peut produire une louange digne de Lamia87. Cette invocation est organisée en trois étapes : des vers 1 à 6, le poète affirme son attachement aux Muses, des vers 6 à 9, il exhorte à louer Lamia, enfin des vers 9 à 12, il explique cette exhortation par le fait que seules les Muses ont cette puissance immortalisante. On notera que ces trois parties sont en décalage permanent avec le cadre strophique, puisqu’elles s’achèvent en cours de vers. Ces discordances sont surprenantes dans ce contexte de célébration : on en a déduit souvent qu’il s’agissait des premiers essais lyriques d’Horace88. En tous les cas, ces décalages incitent à ne pas voir dans cette louange quoi que ce soit de solennel : il s’agit là d’une odelette sans grande prétention.

Il en va, bien sûr, tout autrement dans les odes du livre IV. Ce livre a dans son ensemble une visée célébrante bien plus prononcée que le premier recueil89 et plusieurs odes