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LES FINS DE STROPHES ET LEURS RAPPORTS AVEC LE DEPLOIEMENT PHRASTIQUE

II. 1 : POSITION DU PROBLEME – DEFINITION DES CAS

Contrairement à la position métrique des ponctuations fortes, les fins de strophes ont fait l’objet d’études assez importantes déjà. La plupart ont été motivées par le problème de la Loi de Meineke1. Pour savoir si les odes en distiques et monostiques avaient un rapport avec un cadre strophique de quatre vers, le préalable consistait à analyser comment dans les strophes avérées de quatre vers le déploiement syntaxique réagissait par rapport au changement de strophe.

On comprend donc que la perspective de toutes ces études a été essentiellement métrique : elles ont visé à comprendre ce qui se passe à tel endroit du mètre. Dans ces conditions, ces critiques ne s’intéressent souvent qu’assez peu au rythme rhétorique en lui-même : K. Büchner distingue les cas où le changement de strophe correspond à une tension (« Spannung ») sémantico-syntaxique de ceux où il n’y en a pas2 ; K.E. Bohnenkamp fait une distinction tripartite “voll Satzschluss / leicht Satzschluss / Enjambement“3.

Ces distinctions sont utiles assurément ; mais, d’un point de vue rhétorique, elles sont insuffisantes. La notion de « Spannung » utilisée par K. Büchner manque de précision : il ne la définit pas de façon systématique, mais seulement par un catalogue de cas particuliers. En réalité, comme le fait remarquer J. Dangel, les effets de tension dont est porteur un énoncé en enjambement ont beau être reconnus de tous, les définitions qui en sont données sont d’une extrême diversité4. J. Dangel a mené une étude plus approfondie du problème, mais pour les hexamètres monostiques ; or, K. Büchner le notait déjà, les enjambements de strophe sont d’une nature tout autre que les enjambements de vers monostiques5. Contrairement à ces derniers, la strophe est d’une longueur suffisante pour constituer un énoncé clos sur lui-même6.

P.G. Toohey, quant à lui, a proposé une typologie très achevée des relations sémantico-syntaxiques entre deux strophes7. Il reconnaît que les attentes syntaxiques peuvent être, en fin de strophe, satisfaites ou non. Si elles sont satisfaites, c’est soit que la phrase

1

Cf. notre introduction. 2

K. Büchner, « Zur Form und Entwicklung der horazischen Ode und zur Lex Meinekiana », Berichte über die Verhandlungen des Sächs. Akad. der Wis. zu Leipzig, Phil-Hist Kl.91.2, Leipzig, 1939 = id., 1962, p. 51

3

K.E. Bohnenkamp, 1972, p. 22. 4

J. Dangel, 1985, p. 73-74. Le travail fait par l’auteur dans cet article participe grandement à clarifier par des concepts syntactiques la notion de « tensions ». Nous nous appuierons dessus plus loin. Cf. également N.O. Nillson, 1952, p. 142-145.

5

K. Büchner, 1939, art. cit. = id., 1962, p. 56 : „eine Untersuchung dieser Erscheinung in der Lyrik ist prinzipiell anders zu führen als eine über stichische Masse.“

6

Selon Cicéron, Or. 222, la longueur minimum d’un mouvement périodique est de quatre hexamètres. Or une strophe horatienne est constituée, précisément, de quatre vers, certes plus courts que des hexamètres, mais qui permettent cependant de former une phrase complète. Sur les phrases-strophes, cf. p. 230.

7

s’achève avec la strophe (cas 1 : « end-stopped »), soit qu’une autre construction s’y ajoute mais de façon inattendue, superflue (cas 2 : « superflux »).

Selon P.G. Toohey, les « cas 1 : end-stopped » correspondent à ceux où une ponctuation forte intervient en fin de strophe. Quant à nous, compte tenu de ce que nous avons vu dans notre premier chapitre, nous parlerons de coïncidence de la fin de strophe avec la fin de la phrase en fonction de la définition que nous avons donnée de la phrase, c’est-à-dire lorsque nous reconnaissons un point en fin de strophe. Nous parlerons alors de « fins

ponctuées ».

Les « cas 2 : superflux » de P.G. Toohey correspondent à des constructions où la strophe suivante fait se poursuivre la phrase alors que l’on pouvait la croire achevée : cette situation correspond à ce que J. Dangel appelle pour les hexamètres des « enjambements additionnels ». Elle précise de façon très juste : « Le débordement de l’énoncé d’un vers sur l’autre est perçu comme tel après coup »8. Nous parlerons nous-même d’ « enjambement

additionnel » ou de « construction superflue ». Donnons pour exemple 2.6. 13-20 :

13

15

20

Ille terrarum mihi praeter omnis angulus ridet, ubi non Hymetto mella decedunt uiridique certat baca Venafro,

uer ubi longum tepidasque praebet Iuppiter brumas et amicus Aulon fertili Baccho minimum Falernis inuidet uuis.

Rien ne laissait supposer ici que la caractérisation de cet « angulus terrarum », commencée dans la première strophe, v. 13-16, se poursuivrait en strophe suivante, v.17-20, dans une énumération de circonstancielles.

Cette impression d’ajout superflu peut résulter de plusieurs causes sémantico-syntaxiques : dans le cas de 2.6.13-20, un changement de propositions en parataxe rend la seconde inattendue. De façon générale, dans les cas de juxtaposition ou de coordination, à l’exception des balancements (nec…nec…, non…sed…,etc), la nouvelle proposition intervenant dans une nouvelle strophe n’est jamais prévisible9 : il s’agit toujours de cas de construction syntaxiquement superflue.

8

J. Dangel, 1985, p. 88. 9

Mais lorsque les deux propositions sont subordonnées à une troisième qui les suit et qui intervient plus tard dans la strophe, il y a également tension entre les deux strophes : c’est précisément ces cas que nous étudierons plus loin.

Les subordinations intervenant en changement de strophe peuvent, quant à elles, être ou ne pas être superflues : cela dépend de l’ « intégration » de la subordonnée dans la phrase10. Il nous faudra consacrer une étude précise à la subordination.

Mais même sans changement de proposition, une phrase peut à la fin de la strophe paraître achevée. Par exemple, en 1.12. 4, la phrase paraît achevée alors que des groupes circonstanciels viennent en réalité la compléter :

1

5

Quem uirum aut heroa lyra uel acri tibia sumis celebrare Clio ?

Quem deum? cuius recinet iocosa nomen imago

aut in umbrosis Heliconis oris

aut super Pindo gelidoue in Haemo?...

Ce cas, comme celui de 2.6. 13-20, montre une première strophe au terme de laquelle les effets d’attente syntaxique paraissent achevés, mais après laquelle une suite intervient de façon inattendue. D’autre part, du point de vue sémantique, on voit bien que la strophe suivante ne fait qu’ajouter une précision à un ensemble qui se suffisait déjà à lui-même. L’enjambement additionnel étant ainsi « fondé sur le cumul et sur la juxtaposition », on ne saurait parler d’un « enjambement, au sens propre, d’un[e strophe] sur un[e autre] (…) où l’ensemble d’une idée formant un tout »11 ; au contraire, il s’agit ici d’un effet de rallonge. Il n’y a donc de tension ni syntaxique, ni sémantique, on ne saurait alors parler de « Spannung ».

Le terme de « tension » doit être réservé aux cas suivants. Comme le note P.G. Toohey, il existe des situations également où l’attente syntaxique n’est pas satisfaite en fin de strophe : c’est alors soit parce qu’après une « pause de sens » en fin de strophe, intervient une nouvelle construction prévisible et attendue (cas 3 : ce qu’il qualifie de « carry-over », report), soit parce que la construction syntaxique se déploie d’une strophe à l’autre sans interruption (cas 4 : ce qu’il appelle « spill-over », débordement).

P.G. Toohey parle de construction en « carry-over » (effort de report) lorsque la fin de strophe correspond à une « pause » qui précède une nouvelle construction prévisible et attendue. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une fin de proposition : dans une telle construction, la fin de proposition, en fin de strophe, se trouve suivie, dans la strophe suivante, d’une autre proposition annoncée par la première. Cette pause de sens d’une strophe

10

Nous définirons cette notion au moment opportun : cf. p. 153. 11

à l’autre dans une seule et même phrase permet de parler, comme le fait, J. Dangel d’ « enjambement progressif ».

Pourtant, il nous semble que l’on peut également parler d’ « enjambement progressif » dans quelques cas où en fin de strophe, sans qu’il y ait changement de proposition, une pause de sens peut être reconnue avant une construction syntaxique nettement identifiable et prévisible12. Dans un cas, 3.29. 43-45, il s’agit d’une construction en balancement anaphorique13 « uel… uel… ». Analysons-le :

41

45 46

... Ille potens sui

laetusque deget cui licet in diem dixisse : “Vixi”: cras uel atra

nube polum Pater occupato

uel sole puro ; non tamen inritum

quodcumque retro est, efficiet, ...

Assurément la pause de sens qui intervient après « occupato » est nettement moins forte qu’à la ponctuation après « puro » : en cela, il y a un décalage notable. Pour autant, l’opposition « uel atra nube / uel sole puro » a son importance, le second « uel » est attendu : on peut parler ici de ponctuation rythmique. On ne saurait donc dire que le changement de strophe intervient en plein cours d’énoncé : il y a ici un repère rhétorique. Nous parlerons donc ici aussi d « enjambement progressif ».

Un autre cas où nous identifions une pause de sens sans changement de proposition, est formé par les phrases qui commencent sur une adresse : souvent il s’agit des phrases de début d’hymne, où la première strophe s’achève sur une interpellation au vocatif, et la seconde commence sur la prière proprement dite. L’interpellation au vocatif n’est pas liée avec force à la proposition, de sorte qu’on peut voir une pause de sens entre les deux. De tels cas se rencontrent dans les odes saphiques14 : ainsi en 3.11. 5 :

1 Mercuri – nam te docilis magistro mouit Amphion lapides canendo – tuque testudo resonare septem 12

C’est en cela que la distinction de P.G. Toohey, 1979, que nous adoptons, se distingue de celle de J. Dangel, 1985 : Dans ce que celle-ci appelle les « enjambements progressifs » (p. 85-88), le repère métrique correspond à une pause de changement de proposition. L’article de J. Dangel ne prend pas en considération explicitement les types de cas sans changement de propositions qui nous intéressent ici. Nous nous permettons donc ici de reprendre l’expression « enjambement progressif » de J. Dangel en modifiant légèrement son acception.

13

L’anaphore constitue une ponctuation rythmique (J. Dangel, 1983, p. 288), même lorsqu’elle met en jeu un simple nominal : on peut donc considérer qu’elle provoque une pause de sens.

14

5

8

callida neruis,

nec loquax olim neque grata, nunc et diuitum mensis et amica templis dic modos, Lyde quibus obstinatas applicet auris.

On peut aisément admettre ici qu’il y a, à la fin de la première strophe, une pause de sens qui justifie son classement parmi les enjambements progressifs.

Mais, de façon générale, cette catégorie recouvre les cas où la fin de strophe coïncide avec une fin de proposition, qui en laisse cependant attendre une autre dans la suite. C’est ce que l’on trouve dans les phrases formées d’une subordonnée dans la première strophe et d’une principale dans la seconde. Ainsi en 2.6. 1-6 :

1

5 6

Septimi, Gadis aditure mecum et

Cantabrum indoctum iuga ferre nostra et barbaras Syrtis, ubi Maura semper aestuat unda,

Tibur Argeo positum colono sit meae sedes utinam senectae

Le changement de strophe correspond au passage de la protase à l’apodose : il y a là un effet d’attente équivalent à une pause de sens. Il s’agit donc d’un enjambement progressif.

Il faut dire un mot ici des cas relevés au chapitre 1 où des ponctuations fortes séparent des énoncés qu’une relation additionnelle ou logique unit15. Lorsque la relation est de type additionnel, il nous paraît cohérent de considérer qu’il y a enjambement additionnel. Il nous semble qu’au changement de strophe en 1.2. 33, où le poète passe, dans ses interpellations, d’Apollon à Vénus, on peut comparer celui en 1.35. 21, où le poète énumère les parèdres de

Fortuna :

1.2. 30-35:

... Tandem uenias precamur,

1.35. 17-24 :

Te semper anteit serua Necessitas, clauos trabalis et cuneos manu

15

Cf. I.2, p. 73 sq Nous avions alors noté que ces relations interviennent relativement rarement (surtout celles de type logique) en changement de strophe. Les distinctions que nous établissons ici se doivent néanmoins de les prendre en compte.

nube candentis umeros amictus, augur Apollo,

siue tu mauis, Erycina ridens, quam Iocus circumuolat et Cupido, siue neglectum genus et nepotes respicis, auctor.

gestans aena nec seuerus

uncus abest liquidumque plumbum;

te Spes et albo rara Fides colit uelata panno nec comitem abnegat, utcumque mutata potentis

ueste domos inimica linquis;

Dans les deux cas, les deux strophes entretiennent une relation lâche, repérable a

posteriori, et qui est de nature purement accumulative : on parlera donc là d’ « enjambement

additionnel ».

En revanche, dans certains cas, tout du moins, cas qu’il nous faudra définir dans ce chapitre16, la relation logique entre deux énoncés séparés par un changement de strophe doit être considérée comme une situation d’ « enjambement progressif ». Citons ainsi 2.9. 1-12 :

1 2 6

10

12

Non semper imbres nubibus hispidos manant in agros ...

..., aut Aquilonibus querqueta Gargani laborant et foliis uiduantur orni :

tu semper urges flebilibus modis Mysten ademptum, nec tibi Vespero surgente decedunt amores

nec rapidum fugiente solem.

Cette phrase comprise dans sa totalité oppose le monde de la nature qui ne cesse de changer (v.1-8) à Valgius Rufus qui, lui, ne cesse de pleurer Mystès (v.9-12). Les huit premiers vers forment un énoncé qui ne se comprend que si on le rapproche de l’énoncé formé par les quatre vers suivants. Le passage de l’un à l’autre, en changement de proposition, appelle donc une pause de sens avant une construction prévisible : c’est la définition même de « l’enjambement progressif ».

16

Restent enfin les cas où aucune pause de sens n’intervient en fin de strophe, la phrase se poursuit avec des effets d’attentes syntaxiques d’une strophe à l’autre. On parlera d’ « enjambement compact »17, comme en 2.5. 5-9 :

5

9

Circa uirentis est animis tuae

Campos iuuencae, nunc fluuiis grauem solantis aestum, nunc in udo

ludere cum uitulis salicto

praegestientis.

Une fois ces quatre catégories identifiées, on peut donner le décompte de chaque pour les quatre types de strophes :

Tableau A-3

Alcaïque Saphique Asclépiade a Asclépiade b

fin ponctuée 129 : 46,1 % 98 : 54,71 % 34 : 62,3 % 13 : 46,4 % addition superflue 60 : 21,4 % 43 : 24 % 7 :13 % 6 : 21,4 % Enjambement progressif 36 : 12,9 % 31 : 17,3 % 5 : 9,3 % 3 : 10,7 % Enjambement compact 55 : 19,6 % 7 : 3,9 % 8 : 14,8 % 6 : 21,4 %

total des cas de tensions :

91 : 32,5 38 : 21,2 % 24,1 % 32,1 %

TOTAL18 280 179 54 28

Avant d’étudier les différents cas dans leur particularité, on peut jeter un regard général sur ces chiffres. Dans la suite de ce chapitre, nous allons être amené à analyser les différents types d’enjambement d’une strophe à l’autre ; cela ne doit cependant pas faire oublier une évidence : la majorité des strophes horatiennes sont des strophes closes sur elles-mêmes. Les strophes ayant une fin ponctuée représentent la majorité absolue du type saphique

17

J. Dangel, 1985, p. 75-76. 18

Il s’agit, pour chaque type, du total de strophes dont on a soustrait la dernière de chaque ode qui se termine nécessairement par un point final.

et asclépiade a : concernant la strophe saphique, cela ne surprend pas puisque nous avons déjà vu que globalement les ponctuations fortes recherchaient les fins de strophe19.

Le reste des strophes se partage entre celles s’achevant sur un enjambement qui crée une tension (enjambement progressif ou compact) et celles qui sont suivies d’une addition superflue (enjambement additionnel).

Les strophes saphiques ont très peu d’enjambements compacts. Ce type de tension est bien sûr le plus vif puisque la phrase se déploie, sans aucune pause, sans se soucier, apparemment, du cadre strophique. Cette particularité du type saphique témoigne donc du fait que le cadre strophique y est très prégnant et qu’il supporte mal que la phrase n’en tienne pas compte. Les phrases d’ode saphique présentent une structure rhétorique assez simple, qui se moule dans la strophe, et même si phrase et strophe ne coïncident pas en permanence, on a, la plupart du temps, en fin de strophe un repère sémantico-syntaxique important, au moins un changement de proposition, de sorte que l’on peut parler au sujet de la strophe saphique d’une « unité de sens »20.

Dans le type de strophe saphique, à la grande fréquence de fins ponctuées correspond donc un nombre très faible d’enjambements compacts. En strophes asclépiades a, où les fins ponctuées sont plus nombreuses encore, il en va un peu autrement : ce sont les enjambements en général, compacts, progressifs et additionnels, qui sont globalement moins fréquents que la moyenne, mais l’on ne repère pas cette aversion pour l’enjambement compact qui caractérise la strophe saphique. La strophe asclépiade a est, rappelons-le, d’une ampleur et d’une régularité toute différente des autres strophes : cela justifie qu’elle préfère les fins ponctuées. Mais le cadre strophique est visiblement moins clos sur lui-même et ne refuse donc pas les enjambements compacts21.

Les strophes alcaïques et asclépiades b, quant à elles, sont tout à fait similaires : les fins ponctuées sont d’une fréquence inférieure à 50 %, tout en restant bien sûr les plus fréquentes. Les enjambements compacts sont en revanche d’une fréquence remarquable, autour de 20 %. On a là des strophes beaucoup plus ouvertes que les strophes saphiques et asclépiades a : le rythme rhétorique s’y trouve plus souvent en décalage avec le rythme métrique, accentuant ainsi le caractère heurté et contrasté qui, nous l’avons dit, caractérise

19

Cf. supra p. 72. 20

La question de savoir si la strophe horatienne est une unité de sens est fondamentale : ce chapitre tente d’y répondre d’un point de vue externe en s’intéressant aux limites, aux fins de la strophe. En en restant au concept de changement de proposition, K. Bohnenkamp, 1972, p. 22, avait déjà montré, chiffres à l’appui, cette différence entre strophe alcaïque et strophe saphique. Il affirmait ainsi, p. 24 n. 122, s’opposer à une phrase de N.E. Collinge, 1961, p. 61 : « the sapphic stanza is basically not a unit of sense ». Mais ce dernier voulait dire par là qu’une seule strophe saphique forme rarement un sens absolument isolable et sans rapport avec ce qui précède. Il s’agit là d’une autre question, celle des « phrases-strophes » : y a-t-il des phrases qui ne se trouvent pas concentrées dans une strophe ? Nous étudierons cela plus loin.

21

C’est bien sûr, très vraisemblablement, la clausule adonique de la strophe saphique qui explique la prégnance du cadre strophique : cf., là-dessus, notre introduction p. 56.

naturellement ces strophes22. De fait, on rappellera que selon J. Dangel, ces enjambements compacts ont un effet puissant par l’effet de surprise créé23.

Ces remarques générales, que nous venons de faire, n’ont rien de révolutionnaire : elles confirment, statistiques à l’appui, des idées déjà émises. Sans entrer dans les détails ni définir réellement la notion d’enjambement, J. Hellegouarc’h avait déjà reconnu une différence entre des strophes closes, fermées sur elles-mêmes, fréquentes en odes saphiques, et d’autres que « le mouvement de la pensée déborde », plus typiques des odes alcaïques24.

Cependant la typologie de P.G. Toohey permet d’étudier ces phénomènes de façon précise. Surtout, elle incite à ne pas s’intéresser seulement à l’opposition fins ponctuées / enjambements compacts, mais à étudier également les enjambements additionnels et progressifs, qui, pour être moins spectaculaires que les compacts, n’en sont pas moins importants : ils caractérisent environ un tiers des strophes horatiennes.

Avant d’analyser les enjambements compacts, nous allons donc nous intéresser, dans une première section, aux enjambements additionnels et progressifs.

J. Dangel a clairement mis en évidence les effets créés de façon générale par l’une et l’autre constructions. L’enjambement progressif est un « moyen pour étendre [sur plusieurs strophes] une longue période poétique ou oratoire » : il est « recherché à des moments lyriques ou grandiloquents »25. Au contraire, l’enjambement additionnel paraît davantage adapté à un style « linéaire, qu’il s’agisse de créer la surprise ou de totaliser des impressions multiples »26.

Ce sont là, bien sûr, des considérations générales, qui vont nous servir de point de départ. Il nous semble que, selon la fonction des membres mis en jeu, leur valeur circonstancielle également, les effets seront variés et c’est cette variété que nous voudrions prendre en compte afin de comprendre l’effet stylistique qu’Horace a tiré du cadre strophique qu’il a introduit dans la poésie latine.

Nous allons nous intéresser à la nature des changements de propositions intervenant en changements de strophes : ceux-ci peuvent provoquer, rappelons-le, des enjambements progressifs ou additionnels. Ils constituent donc un corpus riche et intéressant pour mener cette analyse. Cette étude permettra deux choses. D’une part, nous pourrons comprendre comment avec un matériel syntaxique identique (changement de proposition), le poète peut