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1.2 Les langues rgyalrongs et leur classification

1.2.3 Situ (rgyalrong oriental)

Entre le situ et les langues rgyalrong du nord, les différences les plus re- marquables résident dans deux faits, comme l’a déjà soulignéJacques(2008: 359, 370).

Premièrement, les uvulaires du proto-rgyalrong ont été perdues en situ, où elles se confondent avec les vélaires, tandis qu’elles sont préservées dans les langues rgyalrong du nord.

Tab. 1.1 : Absence des uvulaires en situ Situ (cogtse) Japhug Tshobdun Zbu

« mouton » kəjó qaʑo qɐɟiʔ

« tête » ta-kó tɯ-ku -koʔ tə-kúʔ

Deuxièmement, le situ a conservé les groupes initiaux à double occlusive, tandis que ce type de groupes initiaux ont subi une fricativisation d’une des deux occlusives (généralement la première) dans les langues rgyalrong du nord.

Tab. 1.2 : Groupes initiaux à double occlusive en situ Situ (cogtse) Japhug Tshobdun Zbu « porter sur le dos » kɐ-pkôr fkɯr kɐ-fkor kɐ-fkôr

« disperser » kɐ-ktôr χtɤr kɐ-χtor < གཏོརgtor Les différences dans la morphologie verbale ne sont également pas né- gligeables. Par exemple, les dialectes du situ marquent la 2sg et la 3sg par deux suffixes -n et-w, qui n’existent pas dans les langues rgyalrong du nord, mais dont les traces existent en zbu et tangoute (Jacques 2009;Gong 2017b).

De plus, dans le système d’alternance thématique, le thème 3 distin- gué par les langues rgyalrong du nord est absent dans les dialectes du situ (§3.1.2).

1.2.3.1 Classification des dialectes du situ

Lín (1993 : 411) a d’abord proposé de distinguer quatre dialectes du situ, le situ de ’Barkhams, de Lǐxiàn, de Chu-chen et de Btsan-lha, mais il a indiqué que les différences phonétiques et lexicales entre ces dialectes étaient limitées. Étant donné que le situ est parlé dans une zone aussi étendue, la diversité dialectale interne est en fait largement sous-estimée.

Nous pouvons d’abord grossièrement diviser les dialectes du situ selon leur répartition géographique. Les dialectes du nord se parlent dans la zone centrale du situ, dans la région de ’Barkhams le long de la rivière de So.mang. Les dialectes du situ du sud sont répartis au sud de ’Barkhams, aux com- tés de Btsan.lha, de Dānbā, etc. La distinction du situ du sud a été aussi suggérée parGates (2014 : 99-100) sur la base de tests de compréhension.

Fig. 1.6 : Dialectes du situ Situ

Dialectes du nord

Cogtse Bhola Kyom-kyo Brag-bar, ...

Dialectes du sud

Brag-steng Btsan-lha, ... Le situ du sud est en effet une vaste zone largement non-étudiée. Mis à part les données brutes dans « rGyalrongic Languages Database » (ed. Yasuhiko Nagano et Marielle Prins), il y a peu de travaux sur le situ du sud. La différence entre le situ du sud et le situ du nord n’est donc pas claire pour l’instant8.

1.2.3.2 Situ du nord

La classification des dialectes du situ du nord n’est pas actuellement basée sur des critères pertinents. Le seul critère sur lequel on peut s’appuyer est l’isoglosse entre les dialectes déprénalisants et les dialectes à lénition, 8. Il existe une isoglosse potentielle entre le situ du nord et le situ du sud concernant le mot « quatre », cognat avec le chinois四*s.li[j]-s>sijH« quatre », et le tibétainབཞིbzhi « quatre » dans lequelzh-provient d’un latéral palatalisé*lj-(Jacques 2004a;Hill 2013). Le situ du nord a subi la fortition du proto latéral, présente l’initialed-, comme kəwdî « quatre » en cogtse, kəbdu« quatre » en kyom-kyo, etc, tandis que les dialectes du sud le préservent, comme kə3’plə5« quatre » en brag-steng (Nagano and Prins 2013), etc.

proposé par Gong (2017a,2018 : 22). Cependant, ni la déprénasalisation ni l’adoucissement initial n’est un problème facile à résoudre dans les dialectes du situ.

Les consonnes prénasalisées en cogtse montrent au moins trois corres- pondances avec les autres dialectes du situ. Tout d’abord, une partie des consonnes prénasalisées ont bien subi la déprénasalisation et sont devenues les voisées simples. Dans certains cas, en plus de la déprénasalisation, les consonnes prénasalisées en cogtse ont subi de plus une spirantisation (Gong 2018: 22).

Dans le troisième cas, les dialectes déprénasalisants comme le cogtse pré- servent bien les consonnes prénasalisées dans les verbes anticaustifs, comme les dialectes adoucissants. On voit bien la correspondance entre le cogtse kɐ- mbrɐ̂t« se casser », le brag-bar kə-mbrát« se casser », le japhug mbrɤt« se casser ». Notons que ce verbe est aussi apparenté au chinois敗 *N-pʕra[t]-s >baejH« suffer defeat » (Zhang et al. 2019b: 86).

Tab. 1.3 : Dialectes déprénasalisants Cogtse Bhola Kyom-kyo Brag-bar

I kɐ-də̂ ka-ndə ka-ndə ka-ndə̂ « aller vers l’amont/l’est » kɐ-gô ka-ngo ka-ngo ka-ŋgɐ̂ « aller vers l’aval/l’ouest » II kɐ-wû ka-mbuʔ ka-mbí « donner »

tə-wɐ̂ tə-ngɐ tə-nge tə-ŋgâ « vêtement » III kə-mbrɐ̂t kə-mbrát « se casser »

Parmi les quatre dialectes du nord (cf. tableau 1.4), la lénition n’a pas affecté les occlusives sourdes initiales du cogtse. Elle a affecté l’initiale *p̲- en bhola mais pas d’une manière consistante. La lénition de *p̲- et *k̲- se comporte de façon quasi-identique en brag-bar et en kyom-kyo, suggérant que ces deux dialectes pourraient être plus proches l’un de l’autre.

Tab. 1.4 : Dialectes à lénition Cogtse Bhola Kyom-kyo Brag-bar

*p̲- ka-pá ka-pa ka-va ka-viɛ̂

« faire »

ka-pô ka-we ka-vi və́, ví « venir »

tɐ-jpâ te-wa tə-jva ta-jviɛ̂ « neige »

*k̲- ta-kó tə-ko ta-wo ta-wô

« tête » ta-káp tə-kap ta-waʔp ta-wiɛ́p « aiguille »

a-kû ʔa-ku a-ku a-wú « est/amont »

Le problème soulevé ici est que l’adoucissement peut affecter les dialectes du situ de façon différente. Ces dialectes pourraient avoir subi différents

degrés d’adoucissement initial, et les changements phonétiques peuvent aussi être différents. Or, à l’heure actuelle, les données comparatives disponibles ne nous permettent pas à savoir quand ce changement se produit et s’il a pu être le produit de plusieurs changements phonétiques distincts.

Mis à part ces deux critères, l’adoucissement et la déprénasalisation, il existe des innovations mineures partagées par certaines des quatre dialectes mais pas tous. Nous en listons les trois dans les suivants :

Fig. 1.7 : Dialectes du situ du nord

Brag-bar Kyom-kyo

Bhola Cogtse

Situ du nord

• En parallèle avec l’adoucissement initial, le bhola, le kyom-kyo et le brag-bar partagent un changement de fortition *j- > ɟ-. Il faut men- tionner que ce changement a aussi eu lieu en tshobdun.

Tab. 1.5 : Changement phonétique*j- > ɟ- dans les dialectes du situ Cogtse Bhola Kyom-kyo Brag-bar

kəjó kəǰo kəɟoʔ kəɟók « mouton »

kɐ-jə̂ kəǰə ka-ɟə ka-ɟə̂ « descendre »

• En plus du préfixe négatif ma- commun du situ, le kyom-kyo et le bhola partagent un préfixe négatif communɟV-(Prins 2016: 541 ; Na- gano 2018: 51), d’origine inconnue. Il n’a pas encore été signalé dans d’autres langues rgyalrongiques ou langues adjacentes en contact.

Tab. 1.6 : Préfixes négatifs dans les dialectes du situ Cogtse Bhola Kyom-kyo Brag-bar

ma- ma- mə-,ma- ma-

ǰa-, ǰi- ɟi-

• Le translocatif jV- vs. ɕV-. Le brag-bar et le kyom-kyo partagent la même forme pour le préfixe de translocatif ɕV-, celle qui est la même que celle que l’on trouve dans les langues rgyalrong du nord. Le bhola

et le cogtse partagent une forme à l’étymologie incertaine. Nous en discuterons en détail dans la section §11.1.3.

Tab. 1.7 : Préfixes translocatifs dans les dialectes du situ Cogtse Bhola Kyom-kyo Brag-bar

j(ə)- yi- ʃi- ɕɐ-

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