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2.3 Rimes

2.3.1 Inventaire des voyelles

Le brag-bar distingue 8 voyelles dans son système vocalique, présentées dans la figure2.2.

Fig. 2.2 : Inventaire des voyelles du brag-bar Fermée Mi-ouverte Ouverte Vnc(front) Vc Vnc(back) i ə u e (iə) ɐ o iɛ (ia) a

La structure vocalique présentée dans cette figure est en fait un compro- mis entre leur statut phonologique et la réalisation phonétique. Le Tab. 2.28

propose une liste d’exemples de ces huit voyelles en brag-bar : Tab. 2.28 : Exemples des phonèmes vocaliques en brag-bar Phonème vocalique Exemple

i tə-mí« fille »

ə ka-jmə̂« oublier »

u təmû« ciel »

e (iə) ta-mé« pied » kə-miə̂m« être délicieux » tə-ktiə́k« frère »

ɐ kə-smɐ̂« être cuit »

o tə-mô« mère »

iɛ (ia) ta-miɛ́« travail » kə-miák« ne pas être »

a kə-snâ« être bon »

Deux de ces phonèmes vocaliques,eetiɛ, possèdent des variantes condi- tionnées.

Le phonème e présente deux variantes conditionnées, [e] et [iə]. La va- riante [e] apparaît dans la plupart des cas, et la variante [iə] apparaît dans deux contextes particuliers, devant (i) la coda -m, comme dans kə-miə̂m « être délicieux », zdiə́m« nuage » (ii) les codas vélaires,-k,-ŋ, tels que kə- məliə́k« être lisse », mdzamliə̂ŋ« monde » (<འཛམ་གླིང’dzam.gling« monde »). La diphtongue iɛ a aussi deux variantes conditionnées. La variante [ia] n’apparaît que devant les codas vélaires, comme piák« cochon ».

La détermination des variantes conditionnées pour ces deux phonèmes repose sur la morphologique verbale. Par exemple, la voyelle -iɛ se réalise comme-ialorsqu’elle est suivie par le suffixe la première personne-ŋ, nəniɛ̂ « se reposerI » → nəniâ-ŋ (se.reposerI-1sg) « Je vais me reposer ». Dans l’alternance thématique, on constate que e etiə alternent avec la voyelle ɐ, comme dans ka-sə-məliə́k« lisser » (Isəməliə́k, I’səməlɐ̂k), ka-skhét« sortir qqch. » (Iskhɐ́t, I’ skhét). Il en va de même pouriɛetia.

2.3.1.1 Le grade central Vc et le grade non-central Vnc

Les 8 voyelles listées dans la figure 2.2se divisent en deux grades : • Le grade centralVc, correspondant aux voyelles centrales.

• Le grade non-central ou périphérique Vnc, incluant les voyelles anté- rieures et les voyelles postérieures.

Cette distinction entre le grade central et le grade non-central est fon- damentale dans le système vocalique du brag-bar. En tant que dialecte du situ, le brag-bar se distingue des autres dialectes par la prévalence de l’alter- nance vocalique. Nous verrons dans les chapitres suivants de cette thèse que

l’alternance vocalique se trouve dans la morphologie flexionnelle entre diffé- rents thèmes d’un verbe (cf. §3), dans les processus dérivationnels (cf. §4) et nominalisants (cf. §5), ou même des alternances irrégulières, etc. Tous ces processus respectent un principe général : l’alternance vocalique se produit entre le grade central et le grade non-central.

2.3.1.2 Désambiguïsation entre les diphtongues et la médiane -j- Le système vocalique du brag-bar se caractérise par la présence de deux diphtongues,-iɛ (-ia) et-iə. En brag-bar, -j-peut apparaître en position mé- diane (cf. §2.2.6.5), et i peut aussi être le premier composant d’une diph- tongue. Ainsi la question se pose de savoir comment analyser une combinai- son telle que -j(/i)o. Pour distinguer une combinaison -jVd’une diphtongue -iV, on s’appuie sur l’alternance vocalique.

En brag-bar l’alternance vocalique n’implique que les voyelles. Une diph- tongue alterne, en tant qu’une entité au grade non-central, avec une monoph- tongue au grade central. Par contre, en tant que combinaison de médiane- voyelle, la médiane-j-ne participe pas à l’alternance vocalique.

Par exemple, en (22), les deux thèmes du verbe ka-nakjô « curer » manifestent l’alternance vocalique entre deux voyelles, entre le grade non- centraloet le grade centralɐ. On voit que la médiane-j-n’est pas concernée.

(22) -jVnc -jVc

nakjô nakjɐ́

« curerI » « curerII »

Au contraire, on remarque que pour le verbe ka-sə-məliə́k « lisser », l’alternance vocalique entre ses deux thèmes a lieu entre la voyelle centrale -ɐet-iə. Ainsi-iədans ce cas doit être traité comme une voyelle diphtongue.

(23) Vc Vnc

sə.mə.lɐ́k sə.mə.liə̂k « lisserI» « lisserII»

Cependant, il y a des cas où le test morphologique ne fonctionne pas, car il y a des verbes sans alternance vocalique. Par exemple, comme le verbe ka-nəpiə́m « se chauffer au feu » ne présente pas l’alternance vocalique, et commeiəmest conforme au contexte phonologique pour la variante, nous le traitons comme une diphtongue.

2.3.1.3 Les voyelles ɐ et

Il y a deux changements de voyelle significatifs en brag-bar, *-o > -ɐ et *-a >- iɛ qui ont touché une proportion considérable des mots en brag- bar. Bien que ces deux changements phonétiques n’aient pas eu lieu dans la même période historique, et que les conditions des changements ne soient

pas totalement comprises, cette section n’a pas pour but d’expliquer des exceptions à ces deux changements, mais de montrer les cas les plus évidents. Les tableaux 2.29 et 2.30 ci-dessous listent des cognats partagés entre le brag-bar, le cogtse et le kyom-kyo, dans lesquels on voit que les voyelles -ɐ, -iɛ en brag-bar correspondent respectivement à -o et -a en cogtse et en kyom-kyo.

Tab. 2.29 : Correspondance entre la voyelle-ɐen brag-bar et-oen cogtse et kyom-kyo

Brag-bar Cogtse Kyom-kyo

ka-najɐ̂« attendre » ka-najô« attendre » ka-najo« attendre » khɐ̂« chambre » kʰô« chambre » kʰo« chambre »

rɟalpɐ̂« roi » rɟɐlpô« roi » rɟarpo« roi » <རྒྱལ་པོrgyal.po« roi » ka-phɐ́t« couper » ka-pʰot« cut, chop ; tear

off, pick, pluck »

spɐ́s« encens » spós« encens » spoʔs« incense » <སྤོསspos« encens » smɐ̂k« laine » smók« laine » tə-smok« wool »

Il faut distinguer de plus deux cas pour le changement *-o > -ɐen brag- bar.

• Dans les cas des mots à syllabe ouverte, ce changement a lieu unique- ment au ton tombant (*-ô > -ɐ̂) et ne touche pas les mots au ton haut (e.g. brag-bar mbró « cheval », cogtse mbró « cheval », kyom-kyo mbroʔ« horse »). Cette contrainte pour les syllabes ouvertes est pro- bablement liée à la contrainte phonotactique en brag-bar que la voyelle -ɐ, en tant que grade central, ne peut pas apparaître au ton haut (cf. §2.4.2.3).

• Le changement*-o > -ɐpeut affecter les mots au ton haut et tombant s’ils sont à syllabe fermée (*-oC > -ɐC), comme le montrent les exemples listés dans le2.29.

Tab. 2.30 : Correspondance entre la voyelle -iɛen brag-bar et -a en cogtse et kyom-kyo

Brag-bar Cogtse Kyom-kyo

ka-viɛ̂« faire » ka-pá« faire » ka-va « do » kaliɛ́« lapin » kalá« lapin » kalaʔ« rabbit » ka-siɛ́t « tuer » ka-sát « tuer » ka-sat « kill » piák « cochon » pák « cochon » pak « pig »

Le changement *-a > iɛ n’a pas de telles contraintes sur le ton et la structure syllabique ; il affecte les mots au ton haut et au ton tombant, à syllabe ouverte et fermée.

La difficulté à étudier ces deux changements de voyelles réside dans le fait que -o — -ɐet -iɛ — -asont également deux modèles d’alternance vocalique productifs dans la langue moderne. Par exemple, le changement *-o > -ɐ n’a pas affecté le mot ɕkó « oignon » en brag-bar, qui correspond à ʃkó « scallion » en cogtse. Cependant, on remarque l’alternance vocalique-o — -ɐlorsqu’il sert de deuxième composant des noms composés ɟɐ́m-ɕkɐ « ail » prák-ɕkɐ« poireau sauvage ».

2.3.1.4 La voyelle ɑ

La dernière remarque concerne le son ɑ en brag-bar. Son statut dans la structure vocalique est problématique, et il n’est trouvé dans quelques cas isolés, comme ɟəpɑ́« salamandre ».

L’étymologie de ɟəpɑ́ « salamandre » pourrait être liée à tə-ɟí « eau » et à*pa. Le deuxième élément*papourrait être cognat avec pɣa « oiseau » en japhug et pɣéʔ « oiseau » en zbu, dont le groupe pɣ- remonte au proto *pk-(Jacques 2004b: 274).

Donc pour expliquer ɟəpɑ́ « salamandre », il convient de supposer que la médiane *pka ait d’abord subi une métathèse *pak. Un cas similaire se trouve avec le mot powkhú« hibou » en brag-bar, cognat du cogtse pkakhú « hibou ». On constate que le premier élémentpow-dans powkhú« hibou » s’explique aussi par la métathèse du groupe *pk-. La trace de la métathèse *pka > *pak se trouve quand même avec le mot patɕû « poulet », dont la première partie est cognat avec*pka- « oiseau ». Ce mot a trois prononcia- tions patɕû, paktɕû, potɕû, bien que les deux dernières ne soient beaucoup moins fréquentes. On peut supposer une deuxième étape de changement, au cours duquel la coda -k aurait donné une voyelle vélarisée *pka > *pak > *paɣ> pɑ́.

Le statut deɑ (aɣ) dans le système vocalique est ambigu. Dans les com- posés (cf. §3.3.3), *pka « oiseau » apparaît sous la forme po-, comme dans po-phɐ̂« coq » po-mɐ̂« poule ».

Comme cette voyelle existe dans très peu de mots, nous n’avons pas de tests morphologiques systématique tels que l’alternance vocalique pour déterminer sa position du système. Dans la présente étude, le sonɑsera noté s’il est entendu.

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