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2.4 Tons et accents

2.4.2 Aspects liés à la réalisation des tons

2.4.2.1 Coup de glotte

Le statut du coup de glotte a été beaucoup discuté dans la littérature sur la tonologie des langues rgyalrong.

Le coup de glotte a été décrit comme un indice par défaut du ton haut en tshobdun (Sun 2005b : 50-51 ; 2008 : 260-261) et en zbu (Gong 2018 : 77-79), où le ton et le coup de glotte sont tous transcrits, comme kɐntɕhéʔ « tuer » en zbu et qɐ̄jʔ« wheat » en tshobdun.

Le statut du coup de glotte varie parmi les dialectes du situ. Le situ de Cogtse dispose d’un système tonal privatif, dans lequel le coup de glotte n’a pas un statut phonémique (Lin 2009a; 2012). Au contraire, le dialecte de Kyom-kyo n’est pas tonal, et le coup de glotte a un statut phonémique, et sert à distinguer le sens aux niveaux lexical et grammatical (Prins 2016 : 47-48),

En brag-bar, le coup de glotte n’a ni statut phonémique ni fonction contrastive. Mais il se comporte de façon particulière par rapport aux autres langues rgyalrong. D’une part, le coup de glotte en brag-bar non seulement accompagne le ton haut de manière automatique, il se trouve aussi au ton tombant. D’autre part, sa position de réalisation dépend du type de coda, et sa réalisation peut également affecter la prononciation de la coda.

2.4.2.1.1 Coup de glotte associé au ton haut

• CV́etCV́j. La syllabe ouverte ou à finale-jau ton haut est immédiate- ment suivie par un coup de glotte final. Par exemple khəniɛ́« chien » se prononce comme [khəniɛ́ʔ], et tɐ́j« blé » comme [tɐ́jʔ].

CV́Cstop. La coda occlusive -p, -t ou -k est accompagnée de façon si- multanée de la glottalisation, ce qui est un phénomène assez fréquent dans les langues rgyalrong. On entend ainsi que ka-tʂóp« coudre » se prononce comme [ka-tʂópʔ] ta-mót « bouffée, air » comme [ta-mótʔ] et ta-rmók« dragon » comme [ta-rmókʔ].

Lorsque le mot est prononcé en isolation, la présence du coup de glotte rend les finales occlusives difficiles à distinguer. Mais la distinction entre-p,-tet-kn’est pas neutralisée en position finale en brag-bar. Elle se reflète de façon claire dans beaucoup de processus morphologiques ou dans le phénomène sandhi (e.g. 32), lorsque les codas occlusives sont suivies par d’autres éléments. Par exemple, la coda occlusive d’un verbe se fusionne avec le suffixe de personne « 1sg », et -p, -t et -k donnent les résultats différents,-p-ŋ → m,t-ŋ → n, et -k-ŋ → ŋ (cf.

Tab. 2.42§2.3.2.2), etc.

• CV́Cnasal. La nasalité des codas nasales -m, -n, -ŋ a tendance à être perdue à cause de la présence d’un coup de glotte avec le ton haut, un phénomène similaire à ce qui est rapporté en zbu (Gong 2018: 78). En brag-bar, cette tendance se manifeste de façon plus évidente avec la coda-m. Par exemple, təwám« ours » se réalise plutôt comme [təwáp̃] au niveau phonétique.

• CVs, CVr. Avec le ton haut, le coup de glotte précède les codas -s et -r, et on entend [V́ʔs] et [V́ʔr]. Ainsi on entend bien tə-rtshɐ́s « pou- mon » prononcé comme [tə-rtshɐ́ʔs], et vaviɛ́r« chauve-souris » comme [vaviɛ́ʔr]. Mais à cause du coup de glotte précédant, les codas -set -r peuvent parfois être atténues ou même difficiles à percevoir.

Au ton tombant,-set-r se prononcent immédiatement après la voyelle [V̂s], [V̂r] Cette différence s’illustre par les spectrogrammes de tə-rtshɐ́s « poumon » et de kəvɐ̂s « mouche », et par ceux de vaviɛ́r« chauve- souris » et de kəpiɛ̂r« dhole ».

2.4.2.1.2 Coup de glotte associé au ton tombant

• CV̂k [-V̂ʔk]. Parfois, la coda -k est précédée par un coup de glotte au ton tombant. Ce phénomène est remarquable sous deux aspects. Premièrement, la présence du coup glottal dans un environnement de ton tombant est inattendue, car il est normalement associé au ton haut dans les variétés tonales précédemment décrites.

Deuxièmement, la manière dont le coup de glotte se réalise dans ce cas est aussi déroutante. Les occlusives finales ne sont également pas entièrement réalisées au ton tombant17, comme elles le sont au ton

haut. Néanmoins, après le coup de glotte, la coda -k peut se réaliser d’une façon assez perceptible.

Mais la réalisation de la coda -k avec le ton tombant est optionnelle. Le mot smɐ̂k « laine » peut être prononcé à la fois comme [smɐ̂ʔk] et comme [smɐ̂ʔ]. Dans l’enregistrement, le locuteur a répété le mot smɐ̂k« laine » trois fois, mais la coda-k est uniquement réalisée dans à la première prononciation, et ne l’est pas dans les deux répétitions suivantes.

La prononciation [V̂ʔk] en brag-bar pourrait rappeler le phénomène du revoisement des codas nasales glottalisées dévoisées en vietnamien de Hanoï, une stratégie adoptée afin d’augmenter la perceptibilité des codas nasales qui sont autrement menacées d’une confusion avec les co- das occlusives (Michaud 2004). Mais il faudra effectuer des recherches ultérieures pour comprendre ce phénomène en brag-bar.

2.4.2.2 Coda -k historiquement secondaire

Le phénomène de l’épenthèse de la coda-ken situ a d’abord été rapporté parPrins(2016: 48). Selon l’auteur, en situ de Kyom-kyo, certains mots à syllabe ouverte dans d’autres variétés du situ peuvent être prononcés avec une consonne finale-k optionnelle. Comme l’illustrent les exemples fournis parPrins, le mot kəˈɟɔʔ « mouton » est parfois prononcé comme kəˈɟɔʔk, et kəruʔ« tibétain » comme kəˈruk.

En brag-bar, il existe un groupe de mots avec une coda -k secondaire, qui n’est ni attestée dans d’autres langues rgyalrong, ni en tibétain s’ils sont des emprunts. Cette consonne finale secondaire-kest attestée à la fois dans les mots au ton haut et ceux au ton tombant.

Dans le tableau 2.43, les mots au ton haut avec une finale -k sont com- parés avec leurs cognats dans les autres langues rgyalrong.

Tab. 2.43 : La coda -k épenthétique avec le ton haut en brag-bar

Brag-bar Cogtse Kyom-kyo Japhug khroskyabs

kəɟók« mouton » kəjó« mouton » kəˈɟɔʔ(k)« mouton » qaʑo« mouton »

ɟók« bambou » ɟó« bambou » ɟu« bambou » ʁjû« bambou » rəkɟók« poisson » tʃibjó« poisson » ɟopɟop« poisson » ʁdojú« poisson » ta-scók« lettre » ta-scós« lettre » ta-scok« lettre »

17. Lié à cette réalisation, le ton tombant est plus difficile à percevoir que le ton haut, si la syllabe se termine par une finale occlusive, car la coda raccourcit la voyelle, ce qui pourrait conduire à une réalisation non complète du ton tombant.

Il est peu probable que la coda -k dans kəɟóken brag-bar et kəˈɟɔʔ(k)en kyom-kyo soit une rétention, et que le cogtse et le japhug l’aient perdue. Parce que le mot « mouton » est cognat avec la première syllabe du mot tibétain གཡང་དཀར g.yang-dkar « mouton » et avec le chinois羊 *Gaŋ > yaŋ « sheep » (Baxter and Sagart 2014), et la correspondance entre -odans les langues rgyalrong et -aŋ en chinois archaïque et en tibétain est régulière (Zhang et al. 2019b: 84).

Dans les deux derniers mots, le « poisson » et la « lettre », nous consta- tons que les cognats dans certains dialectes du situ présentent d’autres codas, la coda-p dans ɟopɟop « poisson » en kyom-kyo, et la coda-s dans ta-scós « lettre » en cogtse. En brag-bar, on a dans ces quatre cas la coda-k.

Contrairement au kyom-kyo kəˈɟɔʔ(k)« mouton », en brag-bar cette co- da -k doit être reconnue comme une partie du lexème, et ne peut pas être considérée comme une réalisation facultative. Elle est impliquée dans diffé- rents processus morpho-phonologiques. Par exemple, dans le nom composé kəɟɐk-pú « petit de mouton », la coda -k de kəɟók « mouton » persiste, tout comme les autres mots ayant la coda -k historiquement héritée, e.g. kəɕtɕək-pú« petit de léopard » (< kəɕtɕə́k« léopard »).

De façon inattendue, la coda-ksecondaire est plus fréquemment trouvée avec des mots au ton tombant en brag-bar, et implique à la fois les mots natifs des langues rgyalrong (cf. Tab. 2.44) et les emprunts au tibétain (cf.

Tab. 2.45).

Tab. 2.44 : La coda-k épenthétique avec le ton tombant en brag-bar

Brag-bar Cogtse Japhug Zbu

tə-mdôk« neuve, nièce » tə-mdî« neuve » tɤ-mdɯ« neuve »

ta-rmôk« rêve » ta-rmô« rêve » tɯ-jmŋo« rêve » tɑ-lmɑ́ʔ« rêve »

ta-jgiâk« branche » tɐ-jgɐ̂« branche » vəlqɐ́ʔ« branche »

Tab. 2.45 : Les emprunts ayant la coda -k épenthétique en brag-bar

Brag-bar Cogtse Kyom-kyo Tibétain

ɕɐ̂k « dé » ʃô« dé » ʃo« dé » ཤོsho « dé »

amdôk « Amdo » ཨ་མདོa.mdo « Amdo »

La coda -k dans tə-mdôk « neuve, nièce » et ta-rmôk « rêve » est une innovation propre au brag-bar, et n’est pas présente dans les cognats dans les autres langues du groupe.

De façon similaire, le mot « rêve » dans les langues rgyalrong est cognat avec le chinois archaïque 夢 *C.məŋ-s > mjuwŋH « dream » et le tibétain རྨང་ལམ rmang-lam« dream » (Jacques 2004b : 44), la coda-k dans ta-rmôk

« rêve » en brag-bar est est aussi innovatrice. Mais on remarque aussi l’ab- sence de cette coda dans le verbe dénominal ka-va-rmó« rêver » en brag-bar. La coda -k secondaire dans les mots au ton tombant en brag-bar est aussi devenue une partie du mot. Pour tə-mdôk « neuve, nièce », la coda persiste dans le composé ta-mdok-pú« orphelin » en brag-bar, sachant que le cognat en cogtse est ta-mdi-pú « orphelin ». La coda -k émergente du ta-rmôk « rêve » manifeste les mêmes propriétés du sandhi que la coda -k historiquement héritée. Par exemple, la consonne finale-kse nasalise lorsque le mot suivant commence par une consonne nasale, comme l’exemplifie (32) :

(32) ŋa-rmók 1sg.poss-rêve

na-χâw

ipfv.pst-être.bonII

[ŋa-rmóŋ na-χâw] « J’ai un bon rêve. (Lit. mon rêve était bon.)»

L’origine de cette coda secondaire en brag-bar reste mystérieuse pour ce moment. L’émergence des occlusives post-vocaliques est un phénomène beaucoup plus rare que la perte des occlusives post-vocaliques. Dans les cas documentés, les occlusives émergentes semblent être corrélées avec les voyelles hautes-i et-u(Burling 1966;Mortensen 2012). Cependant les don- nées du brag-bar suggèrent pourtant que l’émergence de la coda-k est plus probablement liée à la voyelle postérieure et arrondie-o18. Il faudra d’autres

études pour mieux comprendre ce phénomène en brag-bar.

2.4.2.3 Les structures syllabiques canoniques : la corrélation entre

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