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Chapitre 2 : RG108 et composés dérivés

I. Le RG108

I.1. Découverte, synthèse et propriétés

L’identification et le développement de petites molécules capables de bloquer directe-ment le site actif des DNA méthyltransférases représente une nouvelle stratégie dans la concep-tion d’épi-médicaments.

Le screening virtuel d’une librairie de plus de 1500 molécules du National Cancer Institute permet à l’équipe de recherche de Lyko en 2005 d’identifier pour la première fois le N-phatloyl-L-tryptophane qu’ils baptisent RG108. Ce screening, qui avait pour objectif d’identifier des candidats capables d’inhiber les DNMT mais, avec un mode d’action indépendant du méca-nisme catalytique, a été réalisé grâce au modèle in silico en trois dimensions du domaine cata-lytique de la DNMT1.105 À cette époque, la structure RX de la DNMT1 n’étant pas disponible, le modèle est établi par une approche de modélisation moléculaire grâce à l’homologie avec les structures connues de deux DNMTs bactériennes, à savoir M.HhaI et M.HaeIII, et de la DNMT2 humaine.106

À partir de ce modèle, des études de docking ont montré que ce composé interagit fortement avec la DNMT1, avec des énergies de liaisons plus fortes que dans le cas de l’azacytidine. D’autre part, les études de stabilité ont souligné le fait que le RG108 est plus stable que la 5-azacytidine à pH physiologique puisque sa demi-vie dans un tampon phosphate neutre à 37°C est de 20 jours, contre 17 heures pour la 5-azacytidine (schéma 28).107

105 Arimondo, P. B. et al. Expert Opin. Ther. Patents 2012, 22, 1427-1442

106 Siedlick, P. et al. Biochem. Biophys. Res. Comm. 2003, 306, 558-563

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Schéma 28 : Dégradation du RG108 et de la 5-azacytidine (en jours)

Sa synthèse, décrite par la même équipe, se fait en deux étapes avec un rendement total de 90%. Dans un premier temps, le produit intermédiaire méthyl 2-((succinimidooxy)carbonyl)benzoate

2 est obtenu à partir de l’acide 2-(méthoxycarbonyl)benzoique 1 après activation de sa fonction

acide carboxylique par le N-hydroxysuccinimide. La réaction du produit intermédiaire avec le L-tryptophane en conditions basiques permet de produire le RG108 (schéma 29).108

Schéma 29 : Synthèse chimique du RG108

En outre, les tests biochimiques in vitro réalisés par Lyko et al. indiquent que le RG108 inhibe les DNA méthyltransférases libres sans les piéger par une liaison covalente ou s’incorporer à l’ADN et conduit à l’apoptose des cellules cancéreuses.109 Contrairement à la 5-azacytidine, qui induit une forte déplétion de la DNMT1 en provoquant sa dégradation protéosomale, le

108 Casimir, J. R.; Guichard, G.; Briand, J-P. J. Org. Chem. 2002, 67, 3764-3768

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71 RG108 n’affecte pas les niveaux des DNA méthyltransférases dans les cellules traitées. Ce ré-sultat prouve bien qu’il n’agit pas comme un inhibiteur suicide pour former une liaison cova-lente et mener à la dégradation de l’enzyme mais, à l’inverse, qu’il pourrait agir comme inhibi-teur direct sans insertion dans l’ADN. Ainsi les cellules traitées avec le RG108 (HCT116) affi-chaient-elles un taux de déméthylation de 20% au bout de cinq jours et de 30% après quinze jours. Par ailleurs son IC50 a été mesurée à 115 nM pour la méthyltransférase bactérienne M.SssI (schéma 30).110

Schéma 30 : Effet-dose du RG108

D’autres études de modélisation moléculaire réalisées dans les années qui ont suivi la décou-verte du RG108 semblaient indiquer que ce dernier agissait en bloquant le site actif de l’enzyme. Selon Siedlecki et al. la fonction phthalimide occupait la poche du substrat cytosine111, tandis que Suzuki et al. supposaient que l’indole se positionnait dans une poche hydrophobe.112 De plus, le docking suggérait que le carboxylate jouait un rôle crucial en établissant des liaisons hydrogène avec l’arginine 1310. Toutefois, à l’époque, le mode d’action précis de l’inhibiteur demeurait inconnu.

Enfin, ce composé est décrit comme capable d’induire une hypométhylation globale du génome ce qui va permettre la réactivation de gènes suppresseurs de tumeurs anormalement réprimés par un mécanisme épigénétique défaillant.

110 Lyko, F. et al. Cancer Res. 2005, 65, 6305-6311

111 (a) Siedlick, P. et al. J. Med. Chem. 2006, 49, 678-683 (b) Siedlick, P. et al. Biochem. Biophys. Res. Comm. 2003, 306, 558-563

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72 Dès lors, le RG108 apparaît comme un composé prometteur, plus spécifique et moins toxique que les analogues nucléosidiques. Cependant, même s’il reste une référence dans la littérature, le RG108 a une faible activité envers les DNMTs et présente surtout l’inconvénient d’agir qu’à de fortes concentrations (500 µM à 1 mM).113 À la lumière de l’ensemble de ces résultats, le RG108 a été retiré des phases précliniques et n’est plus développé à l’heure actuelle.

Dans le but d’optimiser l’activité du RG108 envers la DNMT1, le Laboratoire des Bio-molécules a entrepris en 2014 une étude structure - activité (SAR) de ce composé afin d’iden-tifier les pharmacophores primordiaux à son interaction avec la DNMT1. La pharmacomodu-lation du RG108 a donné lieu à une série d’analogues, notamment des analogues contraints, qui présentent une activité supérieure à celle du composé de référence, et avec un mode d’interac-tion différent. L’ensemble des résultats de cette étude menée au LBM sont présentés dans la partie suivante.

I.2. Étude de la relation structure - activité du RG108

Dans cette étude, l’objectif a été de comprendre les interactions entre le RG108 et les différents acides aminés qui constituent les poches de la DNMT1, d’une part afin d’optimiser ces dernières et d’autre part afin d’améliorer son activité et sa spécificité.114 Pour cela, une étude SAR impliquant la modification chimique des pharmacophores du RG108 a été réalisée dans le but de développer des analogues pour lesquels les interactions avec l’enzyme, l’activité et la spécificité peuvent être optimisées. La SAR a donné lieu au design et à la synthèse d’une librai-rie d’analogues, parmi lesquels figurent des composés β2 et β3 homotryptophanes, ainsi que des analogues contraints afin de diminuer la flexibilité du RG108 (schéma 31). L’activité

bio-logique de ces composés a été testée in vitro et in vivo à la suite de leur synthèse. D’autre part, des études structurales ont été également réalisées pour définir leur mode d’action.

Premièrement, les analogues ont été testés in vitro grâce à un test d’inhibition de la DNMT1, ce qui a permis de déterminer les composés les plus actifs. Ce test est basé sur la mesure de l’incorporation d’un groupement méthyl tritié transféré à partir d’une molécule de SAM tritiée en présence d’une DNMT1 humaine recombinante et en utilisant comme substrat un ADN

113 (a) Halby, L. et al. ChemBioChem 2012, 13, 157-165 (b) Suzuki, T. et al. Bioorg. Med. Chem. 2010, 20,

1124-1127

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73 double brin hémiméthylé contenant huit sites CpG. Les composés sont testés à une dose unique de 500 µM et en présence de 5% de DMSO (schéma 32).

Schéma 31 : Analogues du RG108 synthétisés

Schéma 32 : Activité de la DNMT1 en présence des analogues du RG108 (1)

Deuxièmement, les valeurs d’IC50 sont mesurées grâce à un test effet-dose pour les composés les plus pertinents, identifiés au préalable par le test d’inhibition. La nature de l’enzyme et du

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74 substrat ainsi que la méthode de détection sont identiques au test d’inhibition. De plus la cyto-toxicité de ces composés a été évaluée in vivo sur des cellules cancéreuses protatiques (DU145). L’ensemble de ces résultats pour les molécules les plus efficaces sont représentées avec la ré-férence RG108 (1) dans le Tableau 3.

Tableau 3

Dans cette étude effet-dose, l’IC50 du RG108 pour la DNMT1 a été mesurée à 390 µM, contre 115 nM précédemment décrit par le groupe de Lyko. La différence entre ces deux valeurs s’ex-plique par plusieurs paramètres. D’une part, la nature de l’enzyme et du substrat n’est pas la même puisque Lyko et al. utilisent l’enzyme bactérienne M.SssI et un substrat non méthylé dans leur test. D’autre part, la méthode de mesure diffère aussi puisque, contrairement au test décrit par Guianvarc’h et al., l’équipe de Lyko se base sur une méthode indirecte en mesurant l’inhibition d’une enzyme de restriction suite à la méthylation de l’ADN. Les énantiomères du RG108 présentent des IC50 similaires, indiquant que la stéréochimie du carbone asymétrique a peu d’influence sur l’activité. Parmi la multitude d’analogues étudiés par Guianvarc’h et al., seule la famille des analogues contraints sera développée par la suite.

Dans le but de réduire la flexibilité du RG108, les énantiomères de dérivés 3-prolino amino acides ont été synthétisés et divers substituants aromatiques ont été utilisés pour fonctionnaliser l’atome d’azote de la proline, en vue de mimer la fonction phthaloyl. Au sein des composés contraints, les composés naphthoyl et benzoyl font l’objet d’une attention particulière. En effet, les molécules 16 et 17, et plus particulièrement leurs énantiomères (2R, 3S), présentent de forts

taux d’inhibition de la DNMT1 (schéma 32) avec une IC50 de 50 et 73 µM respectivement (Tableau 3). Par ailleurs, l’analogue 16 est huit fois plus actif que la référence RG108 et est

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75 aussi un peu plus puissante que son homologue benzoyl (17). Enfin, les cytotoxicités observées

pour les composés 16 et 17 sont améliorées par rapport à celle du RG108 (660 µM) mais

celles-ci restent modestes. Ainsi, l’optimisation des dérivés 3-prolino amino acelles-cides 16 et 17 pourrait

être une perspective intéressante dans la recherche de composés plus actifs.

Afin de comprendre les gains d’activité et de toxicité observés pour les composés 16 et 17, des

études de modélisation moléculaire (logiciel SYBYL-X 1.3) ont été entreprises en utilisant la structure RX de la DNMT1 murine (PDB code 4DA4). Cette structure présente l’avantage de comporter aussi bien le cofacteur que le substrat ADN, co-cristallisés avec l’enzyme. De même, la séquence de la DNMT1 contient les deux domaines BAH1 et 2 ainsi que la partie C-terminale méthyltransférase en entier (résidus 732-1600). En réalité, l’enzyme a été cristallisée avec les produits obtenus après transfert du méthyle, c’est-à-dire le SAH et la 5-méthylcytosine, indi-quant que la réaction est terminée. Le docking a permis de mettre en évidence que le RG108 se positionne dans la poche du cofacteur SAM, et non dans le site actif comme décrit précédem-ment ; l’acide carboxylique forme des liaisons hydrogène avec la lysine Lys1247 et l’arginine Arg1576 et le carbonyle du phthalimide interagit avec la lysine Lys1247 (schéma 33 A). Dans

le schéma 33 B, le RG108 est en gris tandis que le SAM et l’ADN sont représentés en vert à

gauche ou à droite respectivement. Le RG108 est donc un inhibiteur compétitif du SAM.

Schéma 33 : A) Interaction du RG108 avec les acides aminés de la DNMT1 B) et avec la poche du SAM

Contrairement au RG108, les molécules 16 et 17 ont la particularité de pouvoir se positionner

dans les deux sites de la DNMT1, c’est-à-dire à la fois dans le site du cofacteur SAM et du substrat cytosine. La partie proline se positionne au niveau du ribose du SAM où son acide carboxylique participe à une liaison hydrogène avec la lysine Lys1247 ; les groupements napho-tyl ou benzoyl s’ajustent vers la poche de la cytidine où leur carbonyle interagit avec l’arginine

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76 Arg1576 (schéma 34). Ici aussi le composé 16 est en gris tandis que le SAM et l’ADN sont

représentés en vert à gauche ou à droite respectivement.

Ainsi, l’activité de ces deux inhibiteurs peut être expliquée par leur capacité à interagir de ma-nière simultanée avec les deux poches de la DNMT1.

Schéma 34 : A) Interaction de 16 (2R, 3S) avec les acides aminés de la DNMT1 B) et avec les deux poches de l’enzyme

Enfin, ces composés contraints sont également sélectifs envers la DNMT1 puisqu’ils n’ont montré aucune activité inhibitrice lors de tests sur différentes HKMTs.

Ainsi la SAR du RG108 a mis en évidence les composés prolino-homo-tryptophanes qui apparaissent comme des dérivés particulièrement prometteurs. C’est la raison pour laquelle la suite de ce chapitre leur sera consacrée.