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Chapitre 3 : Les Prolino-homo-tryptophanes

I. Modélisation moléculaire

Qu’est-ce que la modélisation moléculaire ? Quels en sont les principes fondamentaux ? Quel est son rôle dans le drug design ? Comment fonctionne-t-elle ? Comment l’avons-nous utilisée ? Quelles sont ses limites ? C’est à cet ensemble de questions que nous tenterons de répondre de façon concise dans la partie qui suit, l’objectif étant ici de présenter cet outil sans rentrer dans des détails mathématiques et physiques complexes.

I.1. Modélisation moléculaire et drug discovery

La modélisation des macromolécules biologiques, tels que les acides nucléiques ou les protéines, s’avère de plus en plus utile pour comprendre les mécanismes qui régissent leurs interactions et leurs transformations. La modélisation consiste à construire des structures tridi-mensionnelles de ces molécules. Dans le cas de la recherche de nouveaux médicaments, l’uti-lisation de la modél’uti-lisation moléculaire aide à déterminer la structure d’une molécule par visua-lisation de ses interactions avec sa cible biologique et permet de mieux comprendre la relation « structure-activité » dans le but d’optimiser la sélectivité et l’efficacité du candidat médica-ment. Dans le processus de découverte d’un médicament, la modélisation se situe en amont de la synthèse chimique et permet de l’orienter.

Ainsi, la modélisation moléculaire permet-elle de comprendre les interactions entre un composé et sa cible biologique par la visualisation en trois dimensions de l’ensemble du système dans le but de concevoir de manière rationnelle une molécule pour une cible donnée. Elle s’inscrit donc dans une approche de « smart drug discovery » et joue un rôle fondamental dans la découverte de nouveaux composés thérapeutiques.

I.2. Principes de la modélisation moléculaire

La modélisation moléculaire a pour but de prévoir la structure et la réactivité d’une mo-lécule ou d’un système de momo-lécules à l’échelle microscopique. Modéliser une momo-lécule con-siste à déterminer, à partir de méthodes de calculs théoriques, une représentation graphique de la configuration dans l’espace des atomes d’une molécule et d’évaluer ses propriétés physico-chimiques. Une fois modélisée, le comportement des molécules peut être simulé, en tenant compte de leur flexibilité. Elle permet également la détermination de l’énergie des structures engendrées après simulation. La structure qui a la plus basse énergie est la plus favorable d’un

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86 point de vue thermodynamique.119 Contrairement au docking, en modélisation moléculaire les molécules sont dessinées directement au sein de leur cible biologique (par exemple dans un site actif).

Les techniques de graphismes moléculaires permettent de représenter sur écran la structure en 3D d’une molécule ou d’une cible biologique, de la manipuler et de l’analyser. Une structure de cible biologique, telle qu’une protéine ou un récepteur, peut être obtenue soit à partir d’une banque de données dans laquelle sont stockées les structures établies par cristallographie aux rayons X (PBD) ; ou à partir de données expérimentales (RMN). Il existe différentes méthodes de modélisation moléculaire (méthode quantique, mécanique moléculaire ou dynamique molé-culaire) mais seule la mécanique moléculaire a été utilisée et sera détaillée ici. En effet cette méthode permet de travailler sur des systèmes complexes de grandes tailles, telles que les ma-cromolécules biologiques.

La stabilité de la structure 3D d’une molécule est déterminée par les interactions intra- ou in-termoléculaires qu’elle établit avec le milieu qui l’entoure (le site actif d’une enzyme par exemple). La recherche des conformations stables d’une molécule consiste à déterminer les minima de l’énergie globale de l’interaction. Dans les méthodes empiriques, telle que la méca-nique moléculaire, on tient uméca-niquement compte des interactions entre atomes constitutifs, et on néglige celles avec le solvant. Toutefois, plusieurs étapes d’optimisation faisant appel à des calculs de mécanique moléculaire sont nécessaires pour passer du modèle initial au modèle final.

I. 2.1. Mécanique moléculaire (MM)

La MM est une méthode non quantique utilisée dans l’étude de systèmes complexes, comme les systèmes biologiques, et est donc particulièrement adaptée pour la « drug

disco-very ». Un calcul de MM consiste à déterminer la valeur de l’énergie potentielle d’une molécule

en optimisant essentiellement sa géométrie. Pour cela, on associe dans cette méthode une fonc-tion énergie potentielle à chaque degré de liberté de la molécule (élongafonc-tion des liaisons, varia-tion des angles, rotavaria-tions). L’optimisavaria-tion de tous ces paramètres par minimisavaria-tion de l’énergie x d’une molécule initiale fournit la géométrie d’équilibre d’un conformère avec une énergie y, inférieure à x. Il existe différentes méthodes de minimisation mais elles aboutiront toutes à un

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87 minimum local de l’énergie et la structure obtenue sera relativement proche de la structure de départ.

De manière générale il faut se représenter les atomes comme des « boules » reliées entre elles par des « bâtonnets » ou « tiges » assimilés à des ressorts, et qui représentent les liaisons. Un calcul de MM aboutit à une disposition des noyaux telle que la somme de l’ensemble des con-tributions énergétiques est minimisée. L’outil de base de la MM est le « champ de force ». Ce

modèle mathématique doit représenter aussi bien que possible les variations de l’énergie poten-tielle avec la géométrie du système.120 A partir d’une géométrie arbitraire le programme de MM peut faire varier les coordonnées atomiques jusqu’à obtenir un minium d’énergie potentielle. Mais cette optimisation est locale. En effet, la conformation obtenue est voisine de la confor-mation de départ, on obtient donc un minimum local et non pas le minimum global. De plus la valeur de l’énergie potentielle dépend du champ de force adopté, d’où l’importance d’adapter le champ de force aux éléments que l’on étudie par MM.

Plusieurs formes d’énergies sont prises en compte en MM : énergie de déformation (liaison R, angle de valence θ), énergie de torsion (angle dièdre ϕ) mais aussi les interactions électrosta-tiques et les interactions de Van der Waals (schéma 40).

Schéma 40

Par ailleurs la mécanique moléculaire utilise les approximations suivantes :121

1. Chaque atome constitue une particule avec des coordonnées cartésiennes données 2. L’atome est considéré comme une sphère rigide ayant un rayon et une charge déterminés 3. Les énergies sont calculées à partir de formules dérivées de la mécanique classique

120 Lomas, J. S. La Mécanique Moléculaire, une méthode non quantique pour le calcul de la structure et de

l’éner-gie d’entités moléculaires 1986

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I. 2.2. Champ de force

En mécanique moléculaire, les molécules sont représentées comme un ensemble d’atomes ponctuels dont les interactions sont décrites par un champ de force. Il s’agit en somme du modèle mathématique représentant l’énergie potentielle d’une molécule en mécanique mo-léculaire. Ce dernier permet d’établir un lien entre les déformations structurales du système et son énergie potentielle (ou énergie totale). L’énergie potentielle ou totale peut se décomposer en termes décrivant les interactions entre les atomes, les électrons étant négligés dans ce sys-tème.122 Ces dernières peuvent être des interactions intramoléculaires et intermoléculaires. Les interactions intramoléculaires ne dépendent que des propriétés internes des molécules (angles, liaison, torsions). Les interactions intermoléculaires prennent en compte les interactions entre atomes non liés, et comprennent les interactions de Van der Waals et les interactions électros-tatiques. Toutefois, les champs de forces sont purement empiriques et sont paramétrés pour traiter une molécule de manière réaliste. Par ailleurs, certains champs de force sont appropriés pour de petites molécules, d’autres sont destinés aux macromolécules. Dans un premier temps il est donc fondamental de vérifier que le champ choisi soit adapté au système à étudier. Par exemple, le champ AMBER (Kollman) est paramétré pour les acides nucléiques et les pro-téines.123

De plus, la notion de surface est également importante en modélisation moléculaire. La surface moléculaire représente la surface occupée par l’enveloppe de Van der Waals de la molécule considérée. On peut la résumer comme la somme de toutes les sphères atomiques, qui mises bout à bout, définissent l’encombrement stérique de la molécule. Une surface peut aussi être déterminée pour un site actif, dans ce cas elle représente la poche du site actif dans laquelle une molécule doit s’insérer.

Enfin, les liaisons hydrogène jouent un rôle clef dans la stabilité des conformations ainsi que dans les interactions intramoléculaires. Dans le cas précis de la pharmacologie, les liaisons H permettent la reconnaissance et l’orientation d’un ligand sur sa cible et augmentent les interac-tions entre eux améliorant ainsi l’affinité du ligand pour la cible biologique.124

122 Allinger, N. L.; Chen, K.; Lii, J-H. J. Comp. Chem. 1996, 17, 642

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89 Pour conclure, les calculs de MM permettent grâce au champ de force de rechercher la confor-mation de la molécule de plus basse énergie par minimisation de l’énergie potentielle. Plus l’énergie est basse, plus la molécule est stable d’un point de vue thermodynamique et plus le système est réaliste. Pour un conformère donné, si l’énergie requise est trop importante, alors il est peu probable que la molécule d’intérêt adopte ce conformère dans un site actif, par exemple. Dans ce cas, le coût énergétique lié aux contraintes serait trop défavorable.

I. 2.3. Minimisation

La géométrie d’une molécule est stabilisée par un ensemble de forces exercées sur chaque atome, de manière intra ou intermoléculaire (liaisons hydrogène, interactions de Van der Waals, π stacking, interactions C-H/π et autres). La recherche des conformations stables d’une molécule consiste à déterminer les minima de l’énergie globale d’interaction. Un équi-libre est nécessaire entre les contraintes imposées à la molécule par sa conformation et les inte-ractions favorables entre la molécule et son environnement, qui permettent d’augmenter l’en-thalpie et de baisser l’entropie. La recherche d’une conformation stable consiste alors à faire une minimisation de l’énergie de départ, cette énergie étant corrélée à la géométrie de la molé-cule. La fonction d’énergie du système présente de nombreux minima et maxima or il n’existe pas de méthode mathématique générale permettant de trouver le minima global (schéma 41).

On emploie donc des méthodes d’analyse qui permettent de trouver les minima locaux. Pour cela, tous les paramètres définissant la géométrie du système sont modifiés par petits incréments jusqu’à ce que l’énergie structurale moyenne atteigne un minimum local. Ainsi, après minimi-sation un puits de potentiel B apparaît comme un minima local mais à partir d’une structure de départ A. Si A varie, B change également de manière à ce qu’on n’obtienne pas le même minima si on part de C par exemple.

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90 Cependant, comme toute technologie la modélisation moléculaire comporte aussi des limites. La principale limite est le fait que la mécanique moléculaire permet de trouver uniquement un minimum énergétique local et non pas le minimum absolu, comme exposé précédemment. Pour trouver le minimum absolu il faut utiliser, soit une recherche conformationnelle, soit de la dy-namique moléculaire. La seconde limite est que la minimisation se fait sur une molécule unique et dans le vide ou dans un système figé. Or ce n’est évidemment pas représentatif de la réalité puisque dans un milieu biologique réel une molécule est sujette à un grand nombre d’interac-tions intermoléculaires avec le solvant, les ions et les autres molécules environnantes. Certaines méthodes de calculs, assez peu coûteuses en temps de calcul et relativement efficaces, permet-tent d’adapter le champ de force afin qu’il puisse mimer le solvant, mais cela reste toujours approximatif. D’autres méthodes plus réalistes, comme la minimisation dans une boîte d’eau, sont également possibles mais celles-ci sont beaucoup plus coûteuses.

Ainsi, un résultat obtenu par mécanique moléculaire est toujours théorique c’est pourquoi il doit être sans cesse confronté à un résultat expérimental afin de vérifier l’hypothèse de départ émise.

I.3. Résultats et discussion

Le design de nouveaux analogues contraints dérivés des composés de référence 16 et 17

(Guianvarc’h J. Med. Chem. 2014), ainsi que les composés pyrazoles, ont été réalisés à partir

d’une étude de modélisation moléculaire. La résolution de la structure cristallographique de la DNMT1 (code PBD 4DA4) nous a permis de dessiner de potentiels inhibiteurs au sein des poches de l’enzyme grâce au logiciel de modélisation MOE. Dans l’étude de Song et al l’en-zyme a été cristallisée avec son cofacteur SAM et le substrat ADN hémiméthylé. En réalité, c’est le produit de fin de réaction SAH, avec le méthyl déjà transféré au niveau d’une fluorocy-tosine, qui est observé ici. Par ailleurs, la recherche des conformères de plus basse énergie pour les structures sélectionnées a été réalisée en utilisant le champ de force AMBER 12.

A partir de la structure de la DNMT1 importée depuis la PDB, les molécules de réfé-rences 16 et 17 ont été modélisées dans MOE afin de constituer un fichier de référence à partir

duquel dix-neuf composés, dont quinze prolino-tryptophanes et quatre pyrazoles, ont pu être dessinés de manière rationnelle (schéma 42). Pour chaque molécule étudiée les interactions

avec les acides aminés du site actif de la DNMT1 ont été prises en compte (liaison H, π stacking, C-H/ π par exemple). De même, la surface de Van der Waals (en toile grise, schéma 42) joue

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91 un rôle primordial en délimitant le site actif et donc l’espace que la molécule peut occuper dans celui-ci. Un bon candidat médicament doit parfaitement s’ajuster dans cette poche.

Schéma 42 : Fichier de référence avec la molécule 17 (rose) modélisée dans le site actif A) Poche du SAM (bleu) B) Poche de l’ADN (code PDB 4DA4)

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92 Enfin, l’identification des composés pertinents a lieu après une suite de minimisations successives dans le site actif afin de déterminer le conformère de plus basse énergie présentant un positionnement adéquat et les meilleures interactions possibles avec l’enzyme. L’optimisa-tion de la structure d’un composé cible permet d’améliorer ses interacL’optimisa-tions favorables avec l’enzyme et ainsi d’envisager l’optimisation de son efficacité.

Grâce à la résolution de la structure cristalline de la DNMT1, l’étude de modélisation moléculaire réalisée dans le logiciel MOE nous a amené à élaborer deux stratégies principales dans le design d’inhibiteurs potentiels, de type contraint tout d’abord :

• Inhibiteurs suicides (1ère génération) • Mimes du SAM (2ème génération)

D’une part, les inhibiteurs suicides permettent de piéger l’enzyme grâce à leurs fonctions chi-miques susceptibles de former une liaison covalente avec le résidu cystéine catalytique (Cys1229). Contrairement aux inhibiteurs suicides précédemment développés (azacytidine, etc.) ces composés contraints sont capables de bloquer les deux poches de la DNMT1 sans s’insérer dans l’ADN (schéma 43).

D’autre part, les mimes du SAM ont pour but de reproduire la chaîne alkyl du cofacteur afin de simuler les interactions de la chaîne du SAM avec plusieurs acides aminés du site actif, et par-ticulièrement les liaisons hydrogène établies entre l’acide carboxylique terminal du SAM et les résidus glycine Gly 1153, leucine Leu 1154, et valine Val 1582 (schéma 43).

Enfin, une troisième génération de molécules contraintes ne s’inscrivant pas dans les deux stra-tégies précédentes a été modélisée puis synthétisée, et sera présentée dans la partie IV de ce chapitre.

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Schéma 43 : Chaîne alkyl, acide carboxylique terminal du SAM (bleu) et cystéine cataly-tique 1229 proche de la cytosine de l’ADN (orange) (code PDB 4DA4)

Dans le cadre de la recherche de nouveaux inhibiteurs de la DNMT1 l’approche basée sur la modélisation moléculaire apparaît comme pertinente. En premier lieu les travaux réali-sés et les résultats obtenus sur les comporéali-sés contraints prolino-homo-tryptophanes seront ex-posés.