CHAPITRE 2. ANALYSE DES PACTES D’ACTIONNAIRES LORS DES INTRODUCTIONS EN
2.1. REVUE DE LA LITTERATURE
2.1.1. Le modèle de Chemla, et al. (2007)
À notre connaissance, Chemla, et al. (2007) sont les seuls auteurs à étudier en détail les
pactes d’actionnaires et les raisons de leur existence. Malheureusement, les clauses qu’ils analysent
ne correspondent pas à celles qui sont fréquemment trouvées dans les pactes d’actionnaires
présents lors des introductions en bourse. Cependant, leur modèle permet tout de même de
mettre en évidence certaines hypothèses utiles à la compréhension des pactes tels qu’ils
apparaissent dans les prospectus d’introduction en bourse en France. Notons que les pactes
d’actionnaires sont interdits aux États-Unis pour les sociétés cotées ; ainsi, l’article se focalise sur
les sociétés privées. Les auteurs vont se concentrer sur sept types de clauses :
- option de vente : lorsqu’un actionnaire possède une option de vente, il dispose du droit
de vendre ses actions aux autres membres du pacte ;
- option d’achat : dans le cas d’une option d’achat, l’actionnaire concerné peut acheter les
actions des autres membres du pacte ;
- droit de sortie conjointe (« tag-along rights » en anglais, qui signifie littéralement "suivre le
mouvement ") : lorsqu’un investisseur externe achète les actions d’un des signataires du
pacte, ces clauses confèrent le droit aux autres actionnaires signataires du pacte d’exiger
que l’investisseur achète aussi leurs actions au même prix et dans les mêmes conditions
que celles qui prévalent pour l’actionnaire initial ;
- obligation de sortie conjointe (« drag-along rights » en anglais, qui signifie littéralement
"entraîner") : lorsqu’un actionnaire vend sa participation dans l’entreprise à un investisseur
externe, cette clause confère à l’investisseur le droit d’acheter les parts des autres
actionnaires signataires du pacte au même prix et dans les mêmes conditions que celles
qui prévalent pour l’actionnaire initial ;
- demande d’introduction en bourse (« demand rights » en anglais) : cette clause définit les
circonstances dans lesquelles la firme sera introduite en bourse. Typiquement, il s’agira de
fixer un niveau de profit minimal ou un besoin spécifique de financement externe ;
- droit d’inclusion dans l’introduction (« piggy-back rights » en anglais) : cette clause permet
aux parties signataires du contrat d’exiger de faire partie de l’introduction en bourse à
concurrence de leur participation dans l’entreprise ;
- préservation d’un droit aux bénéfices lors de la cession d’actions à un actionnaire exerçant
une option d’achat (« catch up clauses » en anglais) : cette clause maintient un droit aux
bénéfices correspondant aux actions acquises par un actionnaire exerçant une option
d'achat pour l'actionnaire cédant.
À la création d’une entreprise, deux actionnaires vont négocier le partage de la richesse
finale et fixer des participations γ
0et 1−γ
0en fonction de leur investissement respectif. Une
renégociation des participations de chacun peut être nécessaire dans le cas où il est impératif de
prévenir un transfert de richesse ex post
17, de transférer le contrôle de la firme ou de réaliser une
introduction en bourse. En l’absence des contrats nécessaires, la renégociation liée à ces
évènements peut altérer l’incitation des actionnaires à investir de manière optimale ex ante. En
effet, l’actionnaire disposant d’un plus faible pouvoir de négociation anticipe que cette
redéfinition de l’accord initial se fera à son détriment. Quand les participations initiales des
actionnaires de la firme ne peuvent être ajustées pour compenser la sous-optimalité de
l’investissement ex ante due à l’anticipation d’une renégociation, les clauses trouvées dans les
pactes permettent de maintenir l’incitation des actionnaires à investir de manière optimale en
structurant la renégociation de telle sorte que le partage de la valeur finale de l’entreprise soit
maintenu dans les mêmes proportions que celles qui ont été établies lors de la création de
l’entreprise. Le modèle est décrit plus en détail dans l’annexe 2.1.
2.1.2.Modèles analysant les droits de préemption
2.1.2.1. Le modèle de Bikhchandani, Lippman et Ryan (2005)
Bikhchandani, et al. (2005) montrent, à partir d'un modèle d'enchère à la Vickrey
18, que
l'octroi d'un droit de préemption est inefficient et bénéficie à l'acheteur détenant ce droit au
détriment du vendeur et des autres acheteurs ne possédant pas un tel droit. Il existe n acheteurs
réguliers (ceux qui ne détiennent pas de droit de préemption) et un (n+1)
eacheteur dit spécial
(parce qu'il détient un droit de préemption). La vente se déroule de la manière suivante : les n
acheteurs réguliers vont participer à la vente aux enchères sous scellés. Cette vente aux enchères
17Les auteurs considèrent les transferts de richesse au sens large. Ils peuvent par exemple s'apparenter au « tunneling » décrit par Johnson, La Porta, Lopez-de-Silanes et Shleifer (2000) ou encore au prélèvement de bénéfices privés.
18 Dans une enchère à la Vickrey (ou enchère au second prix) chaque acheteur propose un prix d'achat à plis fermés. L'acheteur ayant proposé le prix le plus élevé remporte la vente, mais il ne paiera que le prix correspondant à la seconde meilleure offre de l'ensemble des acheteurs.
permettra de déterminer un prix P (correspondant à la seconde meilleure offre des n offres) pour
l'actif. Si l'acheteur spécial décide d'exercer son droit, il acquerra l'actif en payant P, sinon
l'acheteur régulier ayant proposé le meilleur prix emportera la vente.
Avant de proposer un prix d'offre, chaque acheteur i reçoit un signal privé X
i,
1,...,
i = n+1 tel que X
i∈ ⎡⎣0,X⎤⎦. À partir de ce signal privé, chacun des n acheteurs va utiliser la
fonction d'équilibre b
*strictement croissante qui lui permettra de faire une offre b X
*( )
i.
L'acheteur spécial utilise une fonction d'équilibre h
*définie de ⎡⎣0,X⎤⎦ (estimation du second
meilleur signal) vers ⎡⎣0,X⎤⎦ (une réalisation de X
n+1pour laquelle il lui est indifférent d'acheter
ou non l'actif). Ainsi, à partir du prix P de l'actif issu de l'enchère au second prix, l'acheteur
spécial peut inférer le second meilleur signal comme étant b
−1( )P et donc, il ne désirera acquérir
l'actif que si (
1( ))
1 * *
n
X
+≥h b
−P .
L'inefficience liée à un droit de préemption provient, selon les auteurs, du fait que pour
l'acheteur spécial, l'enchère au second prix devient en fait une enchère au troisième prix, dans le
cas où son signal sur la valeur de l'actif X
n+1est le plus important. En effet, dans cette situation,
il ne va donc payer que le second meilleur prix P issu de l'enchère parmi les n acheteurs réguliers,
alors que s'il avait fait partie des enchères, il aurait dû payer 'P l'enchère la plus forte faite par les
acheteurs réguliers, engendrant un manque à gagner pour le vendeur. De plus, l'acheteur spécial
peut remporter la vente même si le signal qu'il reçoit n'est pas le plus élevé. Il suffit que X
n+1soit
compris entre les deux plus hauts signaux reçus par deux acheteurs réguliers parmi les n présents
pour que l'acheteur spécial soit incité à acquérir l'actif, ce qui entraîne, dans ce cas également, un
manque à gagner pour le vendeur. Finalement, Bikhchandani, et al. (2005) montrent que lorsque
les évaluations faites par les n+1 acheteurs sont corrélées, la malédiction du vainqueur est accrue
pour les acheteurs réguliers lorsqu'il existe un acheteur détenant un droit de préemption. Étant
conscients de ce fait, les acheteurs réguliers enchériront beaucoup moins agressivement et le prix
moyen payé au vendeur sera plus faible que dans le cas où aucun des acheteurs ne détiendrait un
droit de préemption.
2.1.2.2. Le modèle de Choi (2007)
Choi (2007) montre que les droits de préemption permettent au vendeur et au détenteur du
droit d'extraire plus de surplus des acheteurs en compétition pour l’acquisition d'un actif. Selon
l’auteur, lorsque le propriétaire d'un actif concède un droit de préemption à un acheteur, il met ce
dernier dans une position particulièrement avantageuse, dans la mesure où il peut observer le prix
offert par un tiers sans avoir à révéler sa propre évaluation. Dans le cas où cette évaluation serait
supérieure au prix offert par un tiers, le détenteur d'un droit de préemption réalise un gain,
puisqu'il n'a qu'à payer le prix offert par le tiers et non pas celui qu'il aurait offert en l’absence du
droit de préemption. Symétriquement, le propriétaire se met dans une position désavantageuse,
car il ne peut mettre les deux acheteurs en concurrence ; dans l'exemple cité, il est aisé de voir que
le propriétaire supporte un manque à gagner égal à la différence entre la valeur de l'actif pour le
détenteur du droit de préemption et l'offre faite par une tierce partie.
Choi (2007) évoque aussi un aspect des droits de préemption qui semble se rapprocher de
nos préoccupations. Selon lui, malgré les défauts apparents du droit de préemption, il serait
employé très communément car, dans certaines relations d'affaires où l'identité des parties est
importante, il permettrait au détenteur du droit de ne pas se retrouver avec un nouveau partenaire
dont l'identité ne serait pas compatible avec la bonne poursuite de la relation d'affaires. L'auteur
prend l'exemple des sociétés non cotées où l'existence d'un droit de préemption pour chaque
actionnaire leur permet de choisir, le cas échéant, l'identité du nouvel actionnaire de manière à
préserver la valeur de la firme. L'auteur réfute cette justification en avançant que si la valeur d'une
relation d'affaires est sensible à l'identité des partenaires, le détenteur du droit de préemption va
probablement assigner une valeur plus importante qu'une tierce partie quelconque à l'actif sur
lequel porte la relation d'affaires. Ainsi, il est plus probable que le détenteur du droit de
préemption acquière la propriété, même dans le cas où il n'aurait pas disposé de ce droit. En
conférant un droit de préemption, le propriétaire d'un bien surprotégerait le bénéficiaire. Choi
(2007) ajoute que le droit de préemption serait souvent utilisé dans des situations où la sensibilité
par rapport à l'identité des parties prenantes est absente ou alors minimale (par exemple les
transactions portant sur les matières premières, le pétrole et les produits commerciaux). Le
modèle est détaillé dans l’annexe 2.2.
Dans le document
Les engagements contractuels des actionnaires de référence lors de l'introduction en bourse
(Page 105-108)