CHAPITRE 1. LES ENGAGEMENTS DE CONSERVATION D'ACTIONS
1.5. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
1.5.2. Résultats des tests multivariés
1.5.2.1. Entreprises du second marché
Étant donné que notre variable est discrète et censurée à gauche, une simple régression
linéaire n'est pas adaptée et ce même en se restreignant au sous-ensemble des entreprises
présentant un engagement de conservation (Gujarati [2004]). Comme Brau et al. (2005), nous
utilisons un modèle Tobit spécialement adapté à ce genre de variable et qui permet d’inclure
l’ensemble des entreprises ne présentant pas d’engagement de conservation. Le tableau 1.8
présente, dans le panel A, des régressions Tobit dont la variable dépendante est la longueur des
engagements de conservation en jours, tandis que les entreprises n’en présentant pas se voient
affecter la valeur 0. Nous reportons les mêmes régressions dans le panel B, mais en utilisant cette
fois un modèle Logit dont la variable indépendante est une variable binaire prenant la valeur 1
pour les 24 entreprises présentant des engagements de conservation et 0 pour les 134 entreprises
n’en présentant pas.
Le premier modèle de chaque panel (régressions 1 et 6) prend en compte l'ensemble des
variables à l’exception des variables LUA2 et du terme d’interaction CONTSEC×LUA2 qui
posaient un problème dit de « prédiction parfaite » dans l’ensemble des modèles Logit. Un
problème de « prédiction parfaite » apparaît dans les régressions logistiques lorsque la variable
dépendante ne change pas de modalité sur une des catégories d’une variable explicative. Dans
notre cas, lorsqu’une entreprise présente un engagement de conservation du dirigeant (variable
dépendante égale à 1), la variable LUA2 prend toujours la valeur 1, car le second actionnaire
prend lui aussi un engagement de conservation. Dans ce cas, l’estimation usuelle du modèle Logit
par le maximum de vraisemblance n’est pas possible et le logiciel STATA utilisé pour conduire les
tests rejette systématiquement la variable indépendante source du problème.
Le second modèle (régressions 2 et 7) présente la même régression mais sans la variable
NBAF correspondant au nombre d'analystes ayant émis une prévision sur la firme autour de
l'introduction en bourse, car elle n'a pas pu être collectée pour toutes les entreprises. Le troisième
modèle (régressions 3 et 8) n'inclut que les variables liées à la structure du système de
gouvernance. Finalement, les deux derniers modèles (régressions 4, 5, 9 et 10) n'incluent que les
variables liées à la théorie du signal. À chaque fois, nous proposons un modèle avec la
variable NBAF et un modèle sans.
Nous observons que la divergence entre les cash-flows et les droits de vote (variable
CCFDIV) est significative dans les régressions 1, 2, 3, 7 et 8, soit au seuil 5 %, soit à celui de 1 %.
Elle n’est pas significative dans le modèle 6 ; néanmoins, l'échantillon sur lequel porte la
régression n'est pas complet en raison de la variable NBAF. La relation est positive, ce qui tend à
valider l'hypothèse H2. Il semble donc utile d’imposer un engagement de conservation si le degré
de contrôle mesuré par l’indice de Shapley est significativement plus important que le niveau de
détention d'actions, car plus la différence augmente, plus les coûts d’agence augmentent et se
répercutent négativement sur la valeur de la firme. Cette variable influe à la fois sur la décision
d’imposer un engagement de conservation et sur la longueur de ce dernier.
La variable CONTSEC mesurant la concentration du contrôle tenant compte de la
contestation d'un second actionnaire présente un coefficient négatif et significatif respectivement
au seuil de 5 % et 1% dans les modèles 1, 2 et 3 du panel A. La relation négative n’est
significative qu’au seuil de 10 % dans le modèle 8 du panel B. Cette relation va à l’encontre de
l'hypothèse H2, puisqu'il semblerait que dans les entreprises présentant un engagement de
conservation, le second actionnaire ait un pouvoir de contestation plus grand. On peut dès lors se
demander si ce second actionnaire ne joue pas lui aussi un rôle actif dans la mise en place de ces
engagements. Il est aussi possible de penser que lorsque la concentration du contrôle est plus
forte, cela indique une volonté de l’actionnaire majoritaire de rester à la tête de l’entreprise. De
plus, si ce dernier détient une participation importante, il peut être difficile pour lui de la céder
rapidement, ce qui peut réduire l’intérêt d’un engagement de conservation. Dans le cas où
l’actionnariat est plus dispersé, il peut être plus facile pour chaque actionnaire de céder sa
participation et il peut donc être intéressant d’imposer un engagement de conservation aux
actionnaires pour être sûr qu’ils restent dans l’entreprise. Nous avons inclus un terme
d’interaction entre CONTSEC et une variable dichotomique LUA2 prenant la valeur 1 si le
second actionnaire s’est aussi engagé à conserver des actions et 0 dans le cas contraire. En effet, il
est possible de penser que si le second actionnaire est capable de modérer un éventuel
comportement opportuniste du premier, il sera d’autant plus incité à exercer une fonction de
contrôle s’il s’est lui-même engagé à rester dans l’entreprise pendant un certain temps. L’absence
d’effet significatif nous conduit à rejeter cette explication.
La proportion d'administrateurs externes mesurée par la variable EXTCA présente un effet
positif qui n’est pas statistiquement significatif.
La taille du conseil d’administration mesurée par la variable NBADMCA présente le signe
attendu dans tous les modèles du panel A, conformément à l’hypothèse H2. Elle est de plus
systématiquement significative au seuil de 1%. Sur les modèles Logit du panel B, cette variable
n’est significative que dans la première régression. Nous pouvons donc penser que le manque
d’efficience d’un conseil d’administration trop important soit compensé par l’imposition d’un
engagement de conservation. De plus, il est possible de penser que la taille du conseil
d’administration n’est pas un facteur déclenchant, mais plutôt un paramètre entrant en ligne de
compte dans le choix de la durée de l’engagement une fois prise la décision de restreindre les
cessions d’actions postérieures à l’introduction en bourse, puisque seuls les coefficients des
modèles Tobit sont significatifs sur l’ensemble des 158 firmes du second marché.
La variable SURINV, qui mesure le risque de surinvestissement, exerce une influence
positive et significative au seuil de 5% dans les modèles Tobit et au seuil de 1 % dans les modèles
Logit. Ces résultats corroborent l’hypothèse H2. Ainsi, un risque de surinvestissement important
mesuré par le niveau de free cash-flows après distribution de dividendes joue positivement à la fois
sur la probabilité de mettre en place un pacte d’actionnaire et sur sa longueur.
Concernant l'hypothèse H1 de signalisation, nous observons un effet positif des dépenses
de recherche et développement (variable R&D) seulement sur la probabilité de présence des
engagements de conservation, comme l'attestent les coefficients positifs et significatifs au seuil de
5 % uniquement dans les régressions logistiques du panel B. Ces résultats sont cohérents avec
l'hypothèse H1. Si l'on considère que les entreprises investissant dans la recherche et
développement présentent un degré d'asymétrie d'information plus important, alors il semblerait
que les engagements de conservation puissent servir de signal de la valeur de la firme au marché.
L'âge de la firme présente le coefficient positif attendu, mais il n'est statistiquement pas
significatif, ce qui est contraire à l'hypothèse H1.
Le nombre d'analystes ayant émis une prévision de BPA (variable NBAF) sur l'entreprise
autour de l'introduction en bourse semble avoir une influence négative à la fois sur la présence et
sur la longueur des engagements de conservation. Il semblerait donc que l'hypothèse H1 soit
corroborée. Malheureusement, la variable n’a pas pu être collectée pour les 158 entreprises, ce qui
laisse subsister un doute sur l'effet réel de la variable.
Le rang de la banque introductrice mesuré par la variable RANGITM présente un
coefficient positif et statistiquement significatif seulement dans les régressions 4, 5, 9 et 10, où
nous avons exclu les variables liées au gouvernement d’entreprise. L’effet observé est de sens
contraire à celui que nous attendions, mais il n’est pas robuste puisque le lien disparaît lors de
l’inclusion des variables de gouvernance. Nous observons le même effet pour la variable
CAPRIS. Ces deux résultats peuvent donner à penser que les banques et les sociétés de capital-
risque influencent la décision de prendre un engagement de conservation en fonction de la qualité
du système de gouvernance, puisque leur effet disparaît lors de l’inclusion des variables liées à la
gouvernance.
Le coefficient de la variable SOUSEVA est relié négativement à la longueur des
engagements de conservation, comme l’attestent les coefficients statistiquement significatifs dans
les modèles 2, 3 et 5 du panel A. Cela tendrait à confirmer notre analyse selon laquelle la mise en
place d’un engagement de conservation en signalant la valeur de la firme permettrait de réduire le
niveau de sous-évaluation initiale de la firme. On se rend compte que cette variable n’est
significative que lorsque les régressions du panel A sont conduites sur l’échantillon total, ce qui
peut révéler la présence de valeurs extrêmes.
Concernant les variables de contrôle, le risque spécifique (variable IDIORIS) a un effet
positif, ce qui est contraire aux modèles de Brauet al. (2005) et de Courteau (1995). L’effet positif
est plus significatif dans les modèles Logit. Ce résultat est surprenant, dans la mesure où il
semblait logique que pour un risque spécifique plus important, le même signal puisse être donné
au marché en utilisant un engagement de conservation moins long, toutes choses égales par
ailleurs.
Le caractère « technologique » (variable TECH) des entreprises semble jouer de manière
négative. Ce résultat est aussi surprenant dans la perspective de la théorie du signal, puisque ces
entreprises devraient présenter un degré d’asymétrie d’information plus important en moyenne et
donc nécessiter l’imposition d’un engagement de conservation en moyenne plus long.
Le taux d’endettement financier DETTEFI ne présente pas d’effet significatif, alors que la
variable TAILLE agit positivement sur la présence et la longueur des engagements. Les études
disponibles trouvent généralement un lien négatif, comme nous l’avons vu dans la revue de la
littérature, et intuitivement, les entreprises plus grandes sont censées susciter un intérêt plus
grand de la part du marché, entraînant une plus grande production d’information, ce qui devrait
réduire l’asymétrie d’information. Le lien devrait donc être négatif.
Le ratio BTM de la valeur comptable des capitaux propres sur la capitalisation boursière
agit de manière négative sur la durée des engagements de conservation. Ce ratio est un proxy des
opportunités de croissance de la firme. Plus il est important, moins la firme dispose
d’opportunités de croissance. On peut donc penser que les entreprises possédant des
engagements de conservation ont des opportunités de croissance en moyenne plus fortes qui
augmentent l’asymétrie d’information. Cette dernière permet au dirigeant d’adopter plus
facilement un comportement opportuniste.
Nos résultats semblent montrer un plus grand effet des variables liées à la théorie de
l’agence. En effet, dans les modèles Tobit du panel A, la régression 3 où sont incluses les
variables mesurant la qualité du système de gouvernance présente un R² de Cox et Snell de 44 %
contre 25 % pour la régression 5, incluant seulement les variables censées mesurer le niveau
d’asymétrie d’information de la firme. Nous constatons un résultat similaire pour les modèles
Logit du panel B au niveau du R² de Cox et Snell. Par contre, si l’on se base sur le critère du
pourcentage de cas correctement prédits (dernière ligne du tableau 1.9) par les modèles Logit,
alors nous observons un effet à peu près équivalent, puisque le modèle 8 permet de reclasser
correctement 87,34 % des cas contre 88,61% pour le modèle 10.
De plus, certaines variables liées à la théorie du signal présentent des relations
contradictoires qui trouvent une interprétation cohérente dans la théorie de l’agence. Par
exemple, le lien positif entre le rang de la banque introductrice, la présence d’entreprises de
capital-risque et les engagements de conservation laisse penser que ces deux acteurs ont un rôle
actif et imposent des engagements de conservation là où le système de gouvernance pourrait être
inefficient. De même, le lien positif avec la taille de la firme peut s’interpréter grâce à la théorie de
l’agence. En effet, les entreprises trop grandes peuvent résulter d’un surinvestissement initié par
les dirigeants pour réduire le risque de la firme au détriment de la rentabilité des investisseurs.
Étant donné le nombre de variables importantes des modèles présentés, il est légitime de se
demander si nos données ne souffrent pas d’un problème de multicolinéarité. Pour vérifier ce
point, nous avons eu recours à une technique consistant à estimer les cinq modèles par la
méthode des moindres carrés et à calculer les facteurs d’inflation de la variance (VIF) à partir de
ces estimations. En effet, il n’existe pas de mesure identique équivalente au VIF spécifique au
modèles Tobit et logistiques. Néanmoins, la multicolinéarité étant un problème lié aux données,
indépendamment du modèle de régression utilisé, nous pensons que la méthode proposée peut
nous fournir des éléments de réponse par rapport à ce problème. Chatterjee et Hadi (2006)
indiquent que des facteurs d'inflation de la variance supérieurs à 10 et dont la moyenne est
considérablement supérieure à 1 sont susceptibles de révéler des problèmes de multicolinéarité
dans les données. Sur le premier modèle des panels A et B incluant la totalité des variables
explicatives, nous obtenons un VIF maximal de 4,61 et un VIF minimal de 1,13 pour une
moyenne de 1,68. Pour les modèles 2 et 7 de chaque panel comprenant l’ensemble des variables
exception faite de NBAF, le VIF de chaque variable est compris entre 1,13 et 2,36 avec un VIF
moyen de 1,68. Ces résultats, associés au fait que les coefficients des variables conservent une
ampleur similaire et un signe identique sur toutes les régressions, nous permettent de penser qu’il
n’y a pas de problème sérieux de multicolinéarité dans nos estimations.
Dans le document
Les engagements contractuels des actionnaires de référence lors de l'introduction en bourse
(Page 70-75)