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4 Revendications et organisations des « travailleuses »

Carol Leigh, dans son récit de la conférence de 1978 à San Francisco, déclare vouloir être une « ambassadrice » des prostituées pour « faire l'éducation des féministes en matière de prostitution ». Les mobilisations contre l'« industrie du sexe » se font en effet le plus souvent sans lien direct avec les personnes qui exercent dans ce secteur.

Mais des critiques apparaissent au cours des années 1970 contre les analyses de la prostitution et de la pornographie comme violences envers les femmes, à l'intérieur du mouvement féministe comme de la part de femmes exerçant des formes rémunérées de sexualité. Plus encore, des organisations regroupent des actrices des commerces du sexe et diffusent des revendications concernant ces activités. Le mouvement qui émerge pour la défense des droits des prostitué·e·s participe ainsi au développement d'analyses sur le « travail sexuel ».

4 1 Contestations et confrontations des féministes

À la fin des années 1970, les groupes anti-pornographie gagnent de l'influence dans le mouvement féministe, WAP et WAVPM notamment sont les plus visibles dans le mouvement national centré sur la pornographie. L'évolution des luttes d'influence et des rapports de force, en particulier la position hégémonique et la stratégie médiatique de certains groupes, participent à la simplification des analyses féministes « radicales », à la production d'un discours de victimisation et à une confusion parmi les différents mouvements critiques de l'« industrie du sexe ». Pour WAP par exemple, la pornographie « [enseigne] aux femmes à accepter et même à désirer la domination et l'objectification, et aux hommes à dénier l'autonomie et la subjectivité des femmes. [Elle réduit] activement les femmes à des objets sexuels prêts pour l'humiliation et l'abus » (Bronstein, 2011, p. 238).

En réaction, des critiques sont exprimées par des féministes contre la position hégémonique de ces groupes, leurs tendances à universaliser les critiques des formes rémunérées de sexualité et à essentialiser les rapports sociaux de genre, à négliger ou fragiliser les formes d'expression de certaines femmes, contre leurs potentielles convergences avec des mobilisations de droite et finalement la dévaluation du potentiel libérateur de la sexualité des femmes. Pour la journaliste féministe Deirdre English par exemple :

« Bien sûr, je suis contre la violence envers les femmes. Mais j'estime que ce n'est pas possible d'exprimer ma propre politique à propos de la violence envers les femmes, parce que la seule forme sous laquelle une politique contre la violence envers les femmes est exprimée est anti-sexuelle. Je

voudrais reprendre la nuit [take back the night], et j'aime participer à ces marches, et si c'est une marche qui traverse les zones sombres et dangereuses de la ville, alors je trouve ça facile à faire. Mais si c'est une marche dans le quartier du porno [porn district], alors je la vis très fortement comme étant dirigée contre les femmes qui travaillent dans ces quartiers, et comme une attaque inutile contre une petite zone d'une certaine liberté sexuelle. » (English et al., 1982, p. 45)

Certaines féministes de couleur critiquent l'universalisation de la pornographie comme problème – qui toucherait toutes les femmes par sa diffusion et sa consommation – parce qu'elle « [blanchit] des distinctions importantes, en particulier les réalités économiques et sociales qui [contraignent] les femmes pauvres – dont un nombre disproportionné [sont] des femmes de couleur – au travail sexuel » (Bronstein, 2011, p. 245). D'autres contestent aussi la référence à l'esclavage à propos de la pornographie et de la prostitution, considérant l'expérience de ces activités par des femmes racisées comme la manifestation contemporaine d'une forme historique d'oppression.

Les critiques ne portent pas uniquement sur des discours. En juin 1979, WAP ouvre un local à Times Square, avec le soutien financier d'organisations comme la Theater League, qui promeuvent un « clean up » (nettoyage) de ce quartier regroupant différentes formes de sexualité commerciale (Bronstein, 2011, pp. 206-215). Le groupe féministe coopère également avec Midtown Enforcement, une agence municipale de contrôle et de régulation de ces activités en lien avec les services de police et le bureau du procureur. La période se caractérise par un processus de gentrification dans les grandes villes des États-Unis, les enjeux économiques des politiques urbaines modifient ainsi la situation des quartiers historiques des commerces sexuels. La ville de San Francisco par exemple devient de plus en plus dépendante au tourisme, et dans le quartier de Tenderloin, les single room occupancy hostels, dans lesquels vit une partie des prostitué·e·s, sont vidés de leurs occupant·e·s et convertis en hôtels de luxe destinés aux touristes (Bernstein, 2007-1, p. 30). À New York, WAP participe donc à ce mouvement de gentrification, fondé sur des règlementations concernant la santé publique et les nuisances, pour relayer la lutte contre la pornographie. Les pouvoirs publics et les militantes féministes ne partagent pas la même analyse des causes et coûts sociaux de la pornographie et de la prostitution, mais poursuivent ensemble l'objectif de les éradiquer. Cette décision stratégique de WAP suscite des critiques d'autres groupes

féministes ou gays et lesbiens, qui lui reprochent de participer au renforcement de la législation répressive, de coopérer avec le milieu des affaires et d’accroitre « le racisme et le classisme en opposant les femmes blanches de la classe moyenne aux femmes de couleur et aux femmes pauvres » (Bronstein, 2011, p. 212).

Les critiques, enfin, ne proviennent pas uniquement des groupes féministes, mais aussi de personnes qui exercent directement la pornographie ou la prostitution. Elles contestent notamment l'homogénéisation de ces activités. La prostitution de rue est par exemple l'activité la plus exposée et la moins payée de ce secteur. Et les femmes de couleur sont le groupe le plus exposé aux risques d'arrestations et de condamnations pour racolage dans la prostitution de rue. Une actrice de films pornographiques écrit ainsi, dans une lettre à WAP en juillet 1981 : « Votre mouvement nuit aux femmes – aux femmes de la rue – les femmes qui n'ont pas de bons boulots ou de maris qui les entretiennent. Ce sont les femmes qui font face à la violence de la police tous les soirs, alors que vous travaillez main dans la main avec leurs bourreaux à « nettoyer » Times Square » (ib.). D'autres critiques résultent des confrontations de femmes exerçant dans le secteur commercial du sexe avec des militantes féministes. WAVPM et WAP organisent par exemple des « porn tours », des visites des quartiers regroupant sex-shops, bars topless ou cinémas X, auxquelles certaines employées de ces établissements s'opposent parce que les tours attaquent leurs moyens de subsistance ou parce qu'elles refusent d'être considérées comme objets de pitié.

Les 15 et 16 septembre 1979, WAP organise à New York une rencontre nationale, la East Cost Conference on Pornography. Les discussions font apparaître des tensions à propos de questions concernant des rapports sociaux de classe, de race ou encore de sexualité. Des critiques concernant l'« industrie du sexe » sont exprimées lors d'un atelier sur « Women in pornography business », dont plusieurs participantes sont prostituées (id., pp. 229-230). Opposées notamment à la coopération de WAP avec Midtown Enforcement, certaines

« [déclarent] à l'audience que l'organisation [doit] réajuster ses susceptibilités bourgeoises pour reconnaître que le travail sexuel [pourvoit] des emplois et une paye décente pour les femmes qui [ont] peu d'opportunités alternatives. Même si les féministes [espèrent] voir le travail sexuel disparaître, l'industrie [fournit] du travail à beaucoup et ces emplois [doivent] être protégés jusqu'à ce que d'autres puissent être créés. La

prostitution, [disent]-elles, [est] une question économique, non pas morale. » (ib.)

Une tension émerge ainsi dans certains groupes féministes entre l'abolition de la prostitution et de la pornographie et le soutien aux femmes qui les exercent. Les sexualités commerciales, en effet, ne sont pas uniquement des institutions du patriarcat mais aussi des activités pratiquées par des femmes qui se confrontent aux militantes féministes, contestent certaines de leurs analyses et se positionnent parfois en adversaires politiques.

Les analyses des féministes « radicales » à propos de la pornographie et de la prostitution ne sont donc pas consensuelles dans le mouvement de libération des femmes ni parmi celles qui exercent ces activités. Certaines d'entre elles, suite aux interventions de ces groupes féministes, expriment leurs positions, parfois leurs oppositions. Ces contestations et confrontations ne prennent pas uniquement la forme de réactions individuelles : elles s'inscrivent aussi dans les relations entre le mouvement féministe et les organisations émergentes de prostituées. Celles-ci participent ainsi aux luttes d'influence et aux rapports de force, qui ne se limitent donc pas au seul mouvement féministe. Enfin, elles développent une analyse de ces activités en termes de travail et non plus simplement de violence.

4 2 L'appropriation du « travail » par des prostituées

Le mouvement pour les droits des prostitué·e·s débute « officiellement » en juin 1975 en France, avec l'occupation de l'église Saint-Nizier à Lyon, en raison de sa portée médiatique, de la prise de conscience publique qu'elle produit et de ses effets pour les prostitué·e·s au niveau international (Jenness, 1993, p. 2). Deux ans auparavant, la création à San Francisco de Coyote (pour Call Off Your Old Tired Ethic : abandonnez votre vieille éthique usée) constitue la première expérience d'organisation dans l'histoire contemporaine de la prostitution, mais aussi la plus connue, visible et politiquement signifiante (Mathieu, 2001, p. 122 ; Bernstein, 1999, p. 110). Plus particulièrement, ce groupe développe rapidement une analyse centrée sur le point de vue des prostitué·e·s sur leur activité, l'imbrication de différents rapports sociaux et les

effets des règlementations et des stigmatisations. Il participe ainsi à la diffusion de discours sur la prostitution en termes de travail.

La création et l'animation de Coyote est particulièrement marquée par deux personnes. La fondatrice, Margo St. James, se prostitue occasionnellement jusqu'à son arrestation et sa condamnation en 1962. Par la suite, elle étudie le droit, fréquente les milieux de la contre-culture et participe à des groupes de conscientisation féministes. Elle décide de fonder cette organisation en réaction à l'indifférence des féministes à la situation des prostituées (St. James, 1989, xvii). Coyote est issu d'un premier projet, WHO (pour Whores, Housewives and Others : les Putains, les Ménagères et les Autres – les autres désignant alors les lesbiennes). Margo St. James utilise notamment ses relations pour obtenir des informations et des financements – le projet reçoit par exemple 1000 dollars de la Fondation Playboy (Jenness, 1993, p. 42). Mais Coyote bénéficie aussi d'une situation politique favorable à San Francisco, avec par exemple une forte communauté gay et lesbienne et une ouverture de la municipalité aux minorités. Priscilla Alexander, qui participe d'abord à la NOW, siégeant notamment aux conseils d'administration pour la Californie et au niveau national, ainsi qu'à la fondation de WAVPM, rejoint l'organisation en 1976. Elle apporte donc également à Coyote son expérience et ses ressources de militante féministe. Margo St. James et Priscilla Alexander se retrouvent sur une vision similaire du monde, mêlant des références des mouvements libertaires et socialistes, des mouvements gays et lesbiens ou du mouvement des femmes (id., p. 20). L'organisation ainsi constituée apparaît comme un groupe hétérogène issu du croisement de différents réseaux : « une coalition de femmes au foyer, d'avocates, de féministes, et de prostituées » (Jenness, 1990, p. 403).

En l'absence de structure formelle ou d'équipe salariée, Margo St. James puis Priscilla Alexander jouent un rôle central dans le recrutement des volontaires, l'animation et la communication du groupe. Pour sa fondatrice, Coyote est moins une « organisation corporatiste » qu'« un concept qu'[elle] utilise pour essayer de créer une prise de conscience à propos de la prostitution et de la nécessité de sa décriminalisation » (Jenness, 1993, p. 46). Cette prise de conscience concerne autant les pouvoirs publics que les prostitué·e·s. Pour mettre fin au harcèlement, aux discriminations et à la répression, l'objectif est « l'abrogation des lois sur la prostitution » et « la fin du stigmate associé au travail sexuel » (St. James et Alexander,

1985, p. 1). Mais Margo St. James considère aussi qu'« il faut renforcer l'estime de soi des prostitué·e·s et [qu']ils et elles doivent pouvoir être fier·e·s de leur travail » (Sanders et al., 2009, p. 95).

Dans cette perspective, Coyote intervient directement auprès des personnes qui se prostituent, en leur proposant une assistance dans des situations de crise ou des groupes de soutien. L'organisation intervient aussi auprès des institutions auxquelles elles sont confrontées. Elle produit des témoignages et une expertise pour les procédures judiciaires ou les auditions gouvernementales, organise des consultations et des formations pour institutions et les associations fournissant des services aux prostitué·e·s. Elle mène enfin des campagnes de sensibilisation du grand public, sur les conditions d'exercice de la prostitution et d'application des règlementations. Elle revendique 8500 membres en 1974, plus de 10 000 en 1980, mais qui pour leur très grande majorité, s'ils et elles soutiennent effectivement la décriminalisation de la prostitution, ne sont pas mobilisé·e·s dans l'organisation (Weitzer, 1991, p. 33). La lettre d'information, COYOTE Howls, est envoyée à 60 000 personnes à la fin des années 1970, dont seulement 3 % sont prostitué·e·s (St. James, 1989, p. xix), à un moment où le nombre d'adultes qui se prostituent est estimé à un million aux États-Unis (Weitzer, 1991, p. 34). Malgré leurs liens directs, l'organisation « ne [met] jamais en place une réelle politique de recrutement auprès de celles qu'elle prétend représenter » (Mathieu, 2001, p. 124). Margo St. James explique cette difficulté par l'illégalité de la prostitution aux États-Unis : l'organisation peut être soupçonnée de conspiration ou de proxénétisme, les prostitué·e·s craignent la surveillance et la répression de la police, les découragements des proxénètes ou des employeurs, et des conséquences sur leurs proches (Jenness, 1993, p. 44). La difficulté à recruter s'explique aussi par les conditions d'existence précaires des prostitué·e·s et leurs liens avec d'autres activités illégales, qui ne facilitent pas l'implication dans une organisation et la prise de parole publique. « Contrairement aux gays, les prostitué·e·s n'ont pas les réseaux préexistants et le type de sous-culture ou de sens de la communauté qui conviennent à l'activisme politique » (Weitzer, 1991, p. 34).

Coyote est liée au mouvement féministe, par le parcours de ses fondatrices et animatrices et par l'analyse qu'elles développent de la prostitution comme concernant majoritairement des femmes. Mais elle se distingue aussi d'une partie des analyses

développées dans le mouvement. D'une part, la prostitution n'est pas considérée par Coyote comme un problème pour toutes les femmes, ni uniquement pour les femmes. En 1973, 35 000 personnes sont arrêtées aux États-Unis pour des charges liées à la prostitution, dont 75 % de femmes et environ 54 % de Noir·e·s. Parmi les hommes arrêtés, 40 % sont clients (10 % du total des arrestations) et 60 % sont prostitués, la plupart Noirs et/ou travestis (15 % du total des personnes arrêtées). Et parmi les femmes arrêtées pour racolage, 85 à 90 % exercent dans la rue (Sourcebook of Criminal Justice Statistics, cité par St. James et Alexander, 1985, p. 2). « En plus de la discrimination systématique contre les femmes, les campagnes de Coyote se concentrent sur la prévalence de discrimination raciale dans l'application de la loi en réaction à la prostitution » (Jenness, 1993, p. 52). D'autre part, la prostitution n'est pas analysée par l'organisation comme nécessairement violente. « Tout en reconnaissant un certain nombre de violences contre les femmes associées à la prostitution (par exemple l'abus de drogues chez les prostituées, la violence contre les prostituées, et la prostitution juvénile), Coyote affirme que la plupart des problèmes liés à la prostitution sont directement liés à l'interdiction de la prostitution et à la stigmatisation du sexe et en particulier du travail sexuel » (Jenness, 1990, pp. 403-404). C'est pourquoi l'organisation « s'oppose catégoriquement à la légalisation », considérant que les règlementations contribuent à maintenir la stigmatisation liée à la prostitution, le contrôle des hommes sur les femmes, et un pouvoir de l'État sur leurs corps. Elle défend « une décriminalisation complète, c'est-à-dire l'élimination de toutes les restrictions juridiques sur la prostitution » (Weitzer, 1991, pp. 25-26).

Coyote ne définit donc pas la prostitution comme nécessairement violente pour toutes les femmes. Les personnes qui la pratiquent sont exposées à des risques en raison des conditions sociales et légales d'exercice. En particulier, l'absence de « statut juridique en tant que travailleur·se·s » les prive des cotisations et protections liées à ce statut, les excluant notamment des droits sociaux et sanitaires (St. James et Alexander, 1985, p. 2). En opposition à cette exclusion, Coyote définit la prostitution comme constituant un travail. Ses animatrices critiquent par exemple l'idée selon laquelle les prostitué·e·s « vendent leur corps ». « En réalité, une prostituée est payée pour son temps et ses compétences, le prix étant assez dépendant de ces deux variables » (St. James et Alexander, 1977). Elles insistent aussi sur le fait que la prostitution est le plus

souvent volontaire : « la plupart des femmes qui travaillent comme prostituées ont pris la décision consciente de le faire, en ayant pris en considération un grand nombre d'autres emplois » (anonyme, 1988, p. 1). D'où la valorisation de la possibilité du choix de la prostitution, notamment pour les femmes. D'où aussi la distinction entre les personnes qui choisissent la prostitution comme travail et celles qui sont contraintes de l'exercer pour survivre. D'où enfin la défense des droits des prostitué·e·s qui, « en tant que travailleur·se·s, (…) ne devraient pas subir de violations de leurs droits civils, en particulier sous la forme de la répression judiciaire et de la condamnation publique » (Jenness, 1993, p. 72).

« La notion de travail est centrale dans la position de Coyote » (Jenness, 1990, p. 405). Elle apparaît par exemple dans la revendication que les règlementations existantes sur les conditions de travail soient appliquées en remplacement des lois sur le proxénétisme. Elle constitue aussi l'un des « dispositifs linguistiques accessibles et puissants pour donner une autre image des prostitué·e·s » (ib.). Et elle s'inscrit ainsi plus largement dans une stratégie de normalisation de la prostitution. L'organisation diffuse ses analyses, critiques et revendications dans COYOTE Howls, publiée régulièrement entre 1974 et 1979. Elle les relaie aussi dans les médias locaux et nationaux qui, en permettant « un accès direct et gratuit au public », constituent la principale ressource de Coyote (Weitzer, 1991, p. 36). Margo St. James en particulier, comme porte-parole de l'organisation, acquiert immédiatement une visibilité locale voire nationale. Mais la couverture médiatique croissante s'accompagne d'une « attention limitée des médias aux préoccupations de Coyote » (ib.). Par exemple, les articles parus dans le New York

Times ou le San Francisco Chronicle ne montrent pas un soutien aux revendications, aux

objectifs et aux activités de l'organisation. Ses discours valorisent l'« intégrité » ou la « dignité » des prostitué·e·s et la validité de la prostitution comme « travail ». Mais des catégories comme « pute » et « putain » sont également utilisées pour les dissocier de leurs connotations négatives. « Bien que ces termes peuvent en effet provoquer le public et attirer son attention, ils minent probablement le processus de normalisation » (id., p. 26). Et de fait, avec les campagnes de Coyote, « une minorité conséquente est favorable à une libéralisation », mais l'opinion publique soutient majoritairement la loi pénalisant la prostitution au début des années 1980 (id., p. 29).

Au niveau local, des évènements sont organisés entre 1974 et 1979 pour relayer ces campagnes, accroitre la légitimité de l'organisation et collecter des fonds. L'Annual National Hookers' Conventiona 'Convention Nationale des Putes) a lieu tous les ans, et en 1978 le Hooker's Ball (Bal des Putes) attire 20 000 personnes et rapporte 60 000 dollars. Des campagnes sont plus particulièrement menées contre l'application discriminante des lois sur la prostitution. En 1975, Coyote obtient la suppression de la mise en quarantaine de trois jours des prostituées arrêtées, pratiquée par le San Francisco Police Department pour prévenir les IST, en argumentant que les clients ne sont pas arrêtés et examinés et que les prostituées ne sont pas une source significative d'IST. Avec le slogan « The Trick Is Not Getting Caught »17, l'organisation critique aussi l'application de la loi sur le racolage aux seul·e·s prostitué·e·s, alors qu'il est pénalisé à la fois pour les prostitué·e·s et pour les clients. Par la suite, une juge rejette les accusations de prostitution concernant 37 femmes, dont les clients n'ont pas été arrêtés, et inculpe à la place la police pour son application délibérément sélective de la loi. Coyote gagne