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5 Dépasser la contradiction entre féminisme et « travail sexuel »

L'invention du « sex work », telle que la présente Carol Leigh, répond à un besoin de « réconciliation ». Elle entend ainsi dépasser ce qu'elle ressent comme une contradiction entre le militantisme féministe et l'activité de prostituée, inclure l'expérience des femmes qui exercent des formes de sexualité rémunérées dans les analyses et perspectives du mouvement féministe, et finalement lutter contre les divisions entre les femmes, quelles que soient leurs activités ou leurs positions. Ces objectifs ne sont pas réalisés immédiatement. Au cours des années 1970, le mouvement pour la défense des droits des prostitué·e·s tente de construire des alliances avec d'autres organisations mais ne trouve qu'un soutien limité dans le mouvement féministe. C'est finalement l'émergence d'un contre-mouvement de « sex radical

feminists » à la fin de la décennie qui permet l'inclusion dans le féminisme des activités

du secteur commercial du sexe et surtout des « travailleuses » de ce secteur.

5 1 Un soutien limité des féministes aux prostituées

Le mouvement émergent de défense des droits des prostitué·e·s entre rapidement en lien avec d'autres organisations et s'inscrit ainsi à l'intersection des

luttes contre les discriminations et la répression et pour les droits et les libertés des femmes. Celles-ci ne constituent pas seulement une situation historique favorable à son émergence, mais représentent aussi des alliances potentielles pour son développement et sa légitimation. L'ACLU, par exemple, soutient formellement la décriminalisation à partir de 1975. D'autres organisations influentes prennent ponctuellement position en faveur des prostitué·e·s, comme le California Democratic Council, qui regroupe différents clubs affiliés au parti démocrate, la California Corrections and Parole Officers Association, un syndicat de personnels pénitentiaires, ou encore l'American Bar Association, une organisation de professionnel·le·s du secteur judiciaire. Mais c'est surtout du mouvement féministe que les organisations de prostitué·e·s attendent un soutien.

La NOW adopte une résolution pour la suppression des sanctions pénales contre la prostitution dès son congrès national de 1973. En 1976, la résolution présentée par Coyote pour la dépénalisation de la prostitution est rejetée par le Congrès, mais elle obtient un nouveau soutien de la NOW ainsi que le parrainage du Feminist Party (Jenness, 1993, p. 66). Coyote s'allie aussi à plusieurs reprises avec Wages for Housework. En 1977, la section de Los Angeles écrit qu'« une attaque contre les prostituées est une attaque contre toutes les femmes » (Jenness, 1990, p. 411). La même année, à l'occasion d'une rencontre avec Margo St. James, la section de Toronto publie un article dans son bulletin, « Housewives and Hookers Come Together ».

« Dans notre société, la sexualité est un produit que toutes les femmes sont forcées de vendre d'une manière ou d'une autre. En tant que femmes, notre pauvreté ne nous laisse pas beaucoup le choix. En échange de leurs services sexuels, les putains reçoivent de l'argent en espèces, et les autres femmes, un toit au-dessus de leur tête ou une sortie. Dans les deux cas, il y a un échange, mais ni les ménagères ni les putains ne sont reconnues comme travailleuses. Et, dans la législation actuelle, les unes comme les autres n'ont pas grand droits. Une épouse peut être violée impunément par son mari puisqu'elle n'a aucun recours légal. Une prostituée peut être harcelée et arrêtée selon le bon gré des policiers et des politiciens. Qu'elles soient putains ou ménagères, les femmes sont traitées comme des citoyennes de deuxième classe. (…) Les ménagères et les putains sont des alliées naturelles » (Mensah et al., 2011, p. 182)

Enfin, les stratégies politiques conduisent parfois à des « alliances surprenantes », comme en 1974 quand Priscilla Alexander, pour la campagne contre l'application

discriminatoire des lois sur la prostitution, participe pour Coyote à des réunions de WAP (Ditmore, 2011, p. 109).

Le soutien formel de quelques organisations féministes au niveau national ou les alliances plus ponctuelles et locales entre certains groupes relayent et appuient les revendications des prostitué·e·s et favorisent leur « entrée dans le discours féministe » (Jenness, 1993, p. 73). Mais le soutien du mouvement féministe aux personnes qui exercent dans le secteur commercial du sexe reste malgré tout limité à la fin des années 1970. Dans le courant « libéral », la NOW bénéficie à la fois de ressources économiques importantes et d'une large reconnaissance. Elle apporte un soutien formel mais peu d'appui matériel à Coyote, alors qu'elle serait en mesure de participer à son financement, à son recrutement ou à sa légitimation (Weitzer, 1991, p. 34). Et « il [faut] attendre la fin des années 1970 pour qu['elle] [reconnaisse] la prostitution comme une question légitime, bien que difficile » (Jenness, 1993, p. 74). Pour Priscilla Alexander, c'est en 1982 que l'organisation « affirme son soutien au droit des femmes de ne pas être contraintes à la prostitution, autant [qu'elle] affirme le droit des femmes de choisir de travailler comme prostituées si c'est leur propre choix » (Jenness, 1990, p. 406). Dans le courant « radical », la volonté de concilier l'abolition des institutions du système patriarcal et le soutien aux femmes oppressées influence fortement les relations entre féministes et prostituées. Kathleen Barry refuse par exemple d'apparaître publiquement avec des femmes exerçant dans l'« industrie du sexe », ou de les laisser s'exprimer, « au motif qu'elles sont trop pauvres, trop victimisées, et trop enclines à la fausse conscience d'être en mesure de se représenter objectivement » (McClintock, 1993, p. 7). Le féminisme « culturel », plus généralement, est critiqué pour considérer ces femmes « comme objets marchandisés plutôt que sujets aliénés » (Sutherland, 2004, p. 16). Et si le courant des féministes « radicales » s'est en partie construit en opposition aux organisations féministes nationales, le mouvement anti-pornographie trouve néanmoins un soutien important dans la NOW, qui adopte en 1980 une résolution définissant la pornographie, avec le BDSM, comme des problèmes d'exploitation et de violence, et condamnant ensemble pornographie, BDSM, sexe en public et pédérastie (Bronstein, 2011, p. 293). Des petits groupes de féministes « radicales » – jouant un rôle d'avant-garde idéologique –, aux organisations comme la NOW – qui ont alors une fonction de diffusion et de légitimation, des thématiques et analyses sont ainsi facilement

transférables, grâce aux médias propres au mouvement, à une composition sociale similaire aux deux courants et aux liens personnels entre leurs membres (Freeman, 1975, p. 232).

L'intérêt politique pour les féministes de soutenir les prostitué·e·s n'est pas évident. « La "contamination" résultant de l'association d'un individu avec des déviant·e·s peut également s'appliquer aux organisations qui défendent des causes déviantes » (Weitzer, 1991, p. 35). Et la création des organisations pour les droits des prostitué·e·s au début des années 1970 renouvelle seulement des clivages qui traversent déjà le mouvement. À la fin des années 1980, leurs revendications constituent toujours un enjeu conflictuel pour les féministes.

« Une faction libertaire la voit comme une alternative professionnelle valide, que la décriminalisation rendrait plus sûre ; les abolitionnistes la considèrent comme intrinsèquement sexiste et dégradante. L'opinion dominante parmi les féministes consiste en une opposition à la criminalisation et à la règlementation, qui exposent les prostituées à l'exploitation et à la victimation, associée à une indignation morale à propos de l'institution de la prostitution, comme une forme extrême d'oppression de genre. La solution privilégiée est la dépénalisation immédiate et l'abolition définitive du plus vieux métier du monde. » (id., p. 35)

Même si les clivages et les alliances évoluent au cours des années 1970, les organisations qui défendent les droits des prostitué·e·s et la prostitution comme travail n'obtiennent donc qu'un soutien limité des organisations « libérales » et du féminisme « culturel », qui ont toujours une position hégémonique dans le mouvement féministe à la fin de la décennie.

5 2 L'inclusion dans le féminisme des travailleur·s·es sexuel·le·s

À la fin des années 1970, les positions évoluent sur la prostitution ou la pornographie dans le mouvement féministe, avec l'émergence de conflits à propos de la sexualité, la création de nouveaux groupes défendant certaines pratiques et la constitution progressive d'un contre-mouvement. Certaines féministes contestent notamment les positions des groupes dominants, féministes « libérales » et « culturelles », à partir d'expériences directes de formes de sexualité rémunérées ou

d'autres expérimentations sexuelles minoritaires. Des lesbiennes radicales en particulier, considérant que l'accès à certaines pratiques ou productions sexuelles ne doivent plus constituer un privilège des hommes, se mobilisent pour défendre un point de vue féministe sur des expérimentations comme le BDSM.

Le groupe Samois est ainsi créé à San Francisco en juin 1978, pour diffuser des informations sur des pratiques BDSM safe, développer une perspective lesbienne féministe sur le BDSM et construire une communauté autour de ces pratiques et de ces analyses (par exemple Samois, 1987). Ses membres proposent un atelier pour la conférence Feminist Perspectives on Pornography, qui est refusé. Et plus généralement, les tentatives de la communauté lesbienne BDSM d'échanger avec des groupes anti-pornographie se transforment rapidement en conflits. Une partie des féministes « radicales » s'oppose à l'idée de pratiques BDSM consensuelles. Pour WAVPM par exemple, le BDSM est une forme érotisée du pouvoir des hommes, intégrée par des femmes pour s'accommoder de leur victimisation. Les groupes de lesbiennes radicales, en réaction, critiquent la normalisation des comportements sexuels et la stigmatisation des minorités sexuelles produites par les féministes « radicales ». Ces « sex radicals » considèrent en particulier les lesbiennes comme

« doublement opprimées, premièrement comme femmes dans une culture qui leur dénie la liberté d'explorer une vie sexuelle active, axée sur le désir ; et deuxièmement comme lesbiennes, contraintes par une société hétérosexuelle qui définit leur sexualité comme criminelle et perverse, et maintenant par les principes des lesbiennes féministes qui restreignent les comportements sexuels admissibles. » (Bronstein, 2011, p. 284)

Les lesbiennes radicales ne sont pas seules à contester le féminisme « culturel ». Des groupes de féministes de couleur prennent aussi part aux conflits, considérant que les débats entre féministes « culturelles » et lesbiennes radicales, auxquels participent majoritairement des femmes blanches, les excluent à la fois des pratiques BDSM et de la lutte contre la pornographie (id., p. 292). Différentes critiques sont donc adressées aux féministes anti-pornographie à la fin des 1970, dont une partie se concentre sur leurs analyses de la sexualité comme violence et leurs effets sur certains groupes de femmes, permettant notamment l'émergence d'analyses alternatives de la pornographie comme « forme culturelle complexe » (Vörös, 2015, p. 8)

L'émergence de contestations internes est favorisée par les modalités d'organisation du mouvement, constitué notamment à partir d'une critique de la hiérarchie et de l'autorité, ou d'un principe d'autonomie des groupes locaux, qui constituent des « normes organisationnelles » pour les féministes de cette période (Musheno et Seeley, 1986, p. 250). Mais ce sont surtout le contexte politique et les divergences stratégiques qui déclenchent une partie des critiques. La conférence organisée par WAVPM en 1978 marque l'émergence du féminisme anti-pornographie. Le courant féministe « radical » devient féminisme « culturel », se concentre sur la lutte contre la pornographie, débat des moyens de limiter sa diffusion mais défend surtout les restrictions légales (Bronstein, 2011, pp. 157-172). Au même moment, la coalition conservatrice qui constitue la « nouvelle droite » (new right) gagne en influence et s'oppose notamment aux mouvements en faveur des minorités et aux droits récemment obtenus. En 1977, la campagne « Save our children » menée par la chanteuse Anita Bryant obtient l'annulation de l'ordonnance 77-4 dans le comté de Miami-Dade, qui interdit la discrimination à l'embauche, au logement et à l'accès aux services publics des gays et des lesbiennes. L'année suivante, le sénateur John Briggs tente sans succès, avec la Proposition 6, d'interdire aux établissements publics d'éducation californiens l'embauche de personnes pratiquant ou défendant publiquement l'homosexualité (public homosexual activity or conduct), c'est-à-dire les gays, les lesbiennes et leurs allié·e·s. L'amendement Hyde de 1976, qui exclut dans certains États l'avortement des financements publics, confirmé par la décision Harris v. McRae de la Cour suprême en 1980, prive 44 millions de femmes pauvres de l'accès à l'avortement (id., p. 299). En 1980 aussi, sous la pression de groupes chrétiens comme la Moral Majority, le parti républicain adopte des positions contre l'ERA et le droit à l'avortement, et Ronald Reagan est élu à la présidence.

La montée de la nouvelle droite se matérialise donc rapidement par une assimilation des différentes expressions et pratiques liées à la sexualité, par une contestation des sexualités minoritaires en recourant au droit, par une réduction des financements et une détérioration des services de santé sexuelle, et finalement par une opposition à l'autonomie sociale et politique des femmes, des gays et des lesbiennes. Dans ce contexte de backlash, une part croissante du mouvement féministe considère que la lutte contre la pornographie tend à converger avec les conservateurs religieux et

qu'un pouvoir accru des pouvoirs publics représente un risque pour les libertés sexuelles. Pour Gayle Rubin, anthropologue féministe et lesbienne radicale, par exemple :

« Les combats anti-porno sont voués à accroitre la stigmatisation et la persécution légale de la pornographie, de la prostitution et de la perversion. Derrière ces mots, ce qui se cache, ce ne sont pourtant ni des entités abstraites ni des monstres. Les conséquences d'une criminalisation accrue des produits représentant une sexualité explicite, et d'une stigmatisation accrue de la variation sexuelle, sont tout à fait réelles. Ces conséquences, ce sont la violence policière et le harcèlement de l'appareil bureaucratique contre des femmes et des hommes dont le seul tort est d'avoir des désirs mal vus, de produire des images illicites ou d'entrer dans des carrières peu honorables. » (Rubin, 2010, p. 312)

La contestation des féministes « radicales » est donc stratégique, mais aussi théorique. Ces différents courants partagent une même critique du fonctionnement du marché commercial du sexe ou de ses enjeux pour les violences faites aux femmes. Mais les groupes contestataires s'opposent à l'assimilation des formes commerciales de sexualité à la violence et défendent une analyse plus complexe des relations entre représentations et pratiques et des rôles et effets de genre dans la sexualité. « Dans l'analyse féministe culturelle, le danger sexuel définit tant la vie des femmes qu'il exclut une attention au plaisir sexuel » (Echols, 1984, p. 58). Les « sex radical feminists » s'engagent au contraire dans la défense de la diversité sexuelle, de la variété des plaisirs et du consentement des partenaires.

Ces critiques du féminisme « culturel » et des politiques anti-pornographie, d'abord dispersées dans des réseaux informels, sont progressivement agrégées au début des années 1980 (Bronstein, 2011, p. 269). Le numéro spécial « Sex issue » de la revue

Heresies publié en 1981 réunit pour la première fois des textes promouvant les

variations sexuelles et le plaisir des femmes. Mais c'est surtout la Barnard Conference, organisée à l'université Columbia en 1982, qui marque l'apparition d'un courant féministe « pro-sex » organisé en contre-mouvement, avec des propositions théoriques et stratégiques et une visibilité au niveau national. L'objectif de cette rencontre, réunissant féministes universitaires et militantes, est d'explorer la sexualité dans sa diversité, à la fois ses dangers et ses plaisirs (Vance, 1984). Gayle Rubin propose par exemple les bases d'une « théorie radicale du sexe » et d'une « éthique sexuelle

pluraliste » (Rubin, 1984, pp. 275 et 283). Elle s'oppose aussi à la « confusion sémantique » du sex (qui désigne en anglais à la fois le corps sexué, l'identité de genre et les relations sexuelles), à la « supposition culturelle » qui fait de la sexualité « une fonction des relations entre les femmes et les hommes » et à « l'idée selon laquelle une théorie de la sexualité doit être directement déduite d'une théorie du genre » (id., p. 307). Le féminisme pro-sex n'abandonne pas l'analyse du genre, mais l'intègre par exemple à la critique du féminisme « culturel » : « la rhétorique anti-porno aussi construit le genre. Le genre anti-porno est une opposition binaire rigide d'hommes potentiellement violents, dominants, et de femmes subordonnées, réduites au silence. Il ne s'agit pas d'une description réflexive, mais d'une production de genre en soi » (Duggan, 1995, p. 8). Le courant des « sex radical feminists » s'inscrit donc dans le mouvement féministe et intègre le genre dans ses analyses. Mais il se caractérise surtout par une centralité de la sexualité, qui découle d'une distinction analytique par rapport au genre et permet une relative autonomie politique par rapport au féminisme.

Malgré cette autonomie relative, c'est aussi la constitution de ce contre-mouvement qui permet finalement une inclusion à la fois théorique et politique des formes commerciales de sexualité et des personnes qui les pratiquent dans le mouvement féministe. Dépassant la simple critique des effets de l'« industrie du sexe » sur les femmes, il aborde les spécificités des sexualités commerciales et leurs liens avec d'autres pratiques ou identités. Tout en les distinguant, Gayle Rubin par exemple « relie la prostitution aux autres sexualités marginalisées » et l'inclut ainsi dans son analyse de la stratification sexuelle (Sutherland, 2004, p. 13).

« Le travail sexuel est un métier, tandis que la déviance sexuelle est une préférence érotique. Cependant, ces groupes présentent quelques similarités dans leur organisation sociale. Comme les homosexuel·le·s, les prostitué·e·s sont une population sexuelle criminelle stigmatisée pour cause d'activité sexuelle. Les prostitué·e·s et les homosexuels masculins sont les proies privilégiées des polices des mœurs partout dans le monde. Comme les gays, les prostitué·e·s occupent des territoires urbains bien délimités et se battent avec la police pour défendre et conserver ces territoires. La persécution légale de ces deux populations est justifiée par une idéologie complexe qui les classe parmi les indésirables dangereux et inférieurs qui ne sont pas autorisés à être laissés en paix » (Rubin, 1984, pp. 286-287)

Elle relie également la prostitution aux autres formes de « travail sexuel », afin d'inclure les différentes activités, comme les danseur·se·s érotiques, les strip-teaseur·se·s ou encore les modèles pornographiques (id., p. 312).

Et cette inclusion théorique s'accompagne d'une inclusion politique, les « sex

radicals » défendant l'organisation et l'expression de personnes exerçant dans des

commerces sexuels. Les relations entre les groupes sont facilitées par les parcours individuels, une partie des théoriciennes et militantes de ce courant exerçant elles-mêmes dans ce secteur (Sutherland, pp. 16-17). Dès le milieu des années 1970, à Ann Arbor dans le Michigan, la perquisition par la police d'un salon de massages révèle à la communauté des lesbiennes féministes qu'une partie d'entre elles se prostituent. Certaines créent alors le Projet éducatif sur la prostitution, pour sensibiliser les membres de cette communauté et exiger qu'elles abordent cette activité « comme une question de travail plutôt que comme une question de morale » (Rubin et Butler, 2001, p. 27). Ces quelques expériences individuelles ou alliances locales restent limitées au cours des années 1970. Puis les changements de contexte politique et l'expression des divergences politiques, à la fin de la décennie, permettent la constitution du courant des féministes « pro-sex » au début des années 1980. Même s'il se positionne d'emblée comme contre-mouvement, la visibilité qu'il acquiert rapidement ne remet pas immédiatement en cause la position hégémonique des féministes « libérales » et « culturelles » dans le mouvement. Mais par les analyses et les stratégies qu'il défend, les parcours de ces militantes et les liens établis avec d'autres groupes, il permet l'inclusion théorique et politique dans le féminisme des « travailleur·se·s sexuel·le·s ».

Le mouvement de défense des droits des prostitué·e·s qui se développe à partir du début des années 1970 trouve d'abord un soutien limité de la part des féministes, aussi bien des organisations « libérales » comme la NOW que des courants « radicaux » ou « culturels », qui ont une position hégémonique dans la mouvement. Leur position évolue, à la fin de la décennie, avec la multiplication des critiques contre les effets des politiques anti-pornographie et l'apparition de débats sur certaines pratiques sexuelles comme le BDSM. Mais ce sont surtout le contexte politique de backlash contre les droits des minorités sexuelles, et les divergences stratégiques sur le recours aux pouvoirs publics pour lutter contre l'« industrie du sexe », qui permettent l'agrégation de ces critiques et la constitution d'un contre-mouvement de « sex radical feminists » au début