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5 La prostitution politisée par les « travailleur·se·s sexuel·le·s »

En 1992, un conflit émerge entre des militant·e·s de Toronto, qui provoque une démobilisation de la CORP et met un terme à son alliance avec Maggie's.

« Mais les gens de Maggie's ayant encore besoin d'une organisation politique militante pour compléter leurs services, la Sex Work Alliance of Toronto (SWAT) est née. La CORP est réservée aux personnes prostituées, tandis que la SWAT accueille tous les travailleurs et travailleuses du sexe (qu'ils et elles fassent de la prostitution, de la danse nue, de la porno ou du téléphone érotique). » (Cockerline, 2011-3, p. 52)

La SWAT, créée par d'ancien·ne·s membres de la CORP, la remplace rapidement – la CORP est finalement dissoute en 1994. Le passage de la CORP à la SWAT marque ainsi un changement de vocabulaire dans les discours du mouvement canadien au début des années 1990. Le « sex work », d'abord marginal dans les discours des organisations anglophones, est progressivement diffusé et approprié jusqu'à sa traduction au Québec.

Dans cette province, la problématisation de la prostitution débute dès les années 1970. L'adoption en 1967 d'un règlement municipal à Montréal qui interdit tout contact entre artistes et clients des cabarets participe à leur fermeture et produit une augmentation de la prostitution de rue, des studios de massage et des réseaux de call-girls (Namaste, 2002). Et l'organisation des prostitué·e·s, comme dans d'autres agglomérations canadiennes, apparaît au cours des années 1980. Un groupe de l'ASP est créé à Montréal en réaction à la publication du rapport Fraser en 1985, première mais brève expérience de mobilisation puisque le groupe est rapidement dissout. Le processus d'organisation des prostitué·e·s au Québec ne commence donc véritablement qu'en 1992, avec la création de l'AQTS, premier groupe francophone de « travailleur·se·s sexuel·le·s », qui revendique la « maternité » de la catégorie. Le décalage chronologique, entre la création des organisations de Toronto ou de Vancouver dans les années 1980 et celle de l'AQTS à Montréal en 1992, est lié à des spécificités politiques et linguistiques du Québec, entre de fortes influences et une volonté d'indépendance. Le cas de ce nouvelle groupe donne à voir des processus de circulation et d'appropriation des discours et pratiques des sex workers entre échelles spatiales et espaces sociaux, ainsi qu'un processus de politisation par la production de discours et de pratiques de légitimation de la participation des « travailleur·se·s sexuel·le·s ».

5 1 Circulations et traductions, du « sex work » au « travail sexuel »

Si des organisations de « travailleur·se·s sexuel·le·s » en lien avec les mouvements national et international n'apparaissent qu'au début des années 1990 au Québec, c'est en raison d'un contexte local marqué par la Révolution tranquille : le « bref moment pendant lequel, fort d'un large consensus social, l'État québécois, son personnage principal, [est] à la fois intensément réformiste et intensément nationaliste » (Ferretti, 1999, pp. 69 et 62). Le nationalisme québécois émerge au XIXe siècle, quand l'ancienne colonie française intègre la Confédération canadienne. Il devient central dans les années 1960, en réaction à l'empiètement de l'État fédéral sur les compétences et les revenus des provinces, à la position dominante des « Anglais » dans l'économie québécoise et l'exclusion des francophones de la fonction publique fédérale, à la hausse

des besoins de la population et aux difficultés de l'Église catholique à maintenir son pouvoir politique. Une classe moyenne et un mouvement nationaliste renouvelés s'opposent à l'inertie des conservateurs de l'Union nationale, au gouvernement provincial depuis 1936. Le Parti libéral se rapproche des mouvements nationalistes traditionnels et remporte les élections législatives à partir de 1960, avec des slogans comme « C'est l'temps qu'ça change » et « Maîtres chez nous ». Il reste au pouvoir jusqu'à la victoire en 1976 du Parti québécois, fondé en 1968 pour défendre la souveraineté de la province et la protection du français.

La Révolution tranquille marque l'adoption rapide d'une série de réformes sociales, éducatives, sanitaires et économiques. Elle conduit notamment à une modernisation de la fonction publique et des institutions politiques, à une promotion des francophones et à un essor du nationalisme. Ces changements visent à préserver des particularités québécoises de la culture anglo-américaine jugée hégémonique au Canada, en particulier un secteur public développé et une population majoritairement francophone. La contestation politique porte d'une part sur la relation entre anglophones et francophones et les moyens de préserver une culture québécoise ; d'autre part sur le statut du Québec et le partage des pouvoirs dans la fédération. La loi fédérale sur les langues officielles donne par exemple au français un statut équivalent à celui de l'anglais en 1969. Les différences linguistiques s'inscrivent donc au Québec dans des luttes politiques, et produisent une séparation relative entre les espaces militants anglophones et francophones au Canada.

La Révolution tranquille a aussi pour effet de modifier les rapports et pouvoirs politiques. L'influence de l'Église catholique apparaît au XIXe siècle, en participant à la construction d'une fierté nationale québécoise. Et jusqu'au début des années 1960, elle exerce une autorité importante sur les institutions politiques. L'adoption par le gouvernement provincial des principes de l'État-providence diminue alors fortement le pouvoir de l'Église. Elle perd par exemple des responsabilités avec l'instauration d'un personnel administratif laïc dans les établissements scolaires et sanitaires et les services sociaux. Ces réformes institutionnelles et la diminution de la pratique religieuse conduisent à une limitation des interventions publiques de l'Église et à une sécularisation des institutions politiques. Les luttes politiques sont donc aussi marquées

au Québec par des influences religieuses, et la politisation de la sexualité en particulier accompagne cette diminution de l'hégémonie du catholicisme.

La construction d'un mouvement pour les droits des prostitué·e·s et l'apparition d'organisations de travailleur·se·s sexuel·le·s au Québec s'inscrivent donc au croisement d'échanges au niveau international, de politiques publiques et de mouvements sociaux au Canada, et de particularités du contexte historique, politique et linguistique de la province. La création de l'AQTS représente alors la première action collective et apparition publique de travailleur·se·s sexuel·le·s dans cette province. L'entrée du « sex

work » dans l'espace francophone résulte des conditions de création de l'association,

c'est-à-dire de la rencontre entre cinq personnes impliquées dans des pratiques professionnelles, scientifiques et/ou militantes en lien avec la prostitution, de leurs parcours singuliers et de leurs multiples ressources, au croisement plusieurs échelles spatiales et espaces sociaux.

L'AQTS est créée en avril 1992, à l'occasion d'un colloque sur « les jeunes de la rue et leur avenir dans la société » à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Organisé par le Projet d'intervention auprès des mineur·e·s prostitué·e·s (PiaMP), une association de travail de rue avec des adolescent·e·s et des jeunes adultes26, il vise à présenter et comparer expériences et analyses sur la situation des jeunes marginalisé·e·s. La rencontre réunit des intervenant·e·s de plusieurs secteurs d'activité (salarié·e·s du PiaMP, militant·e·s associatif·ve·s, éducateur·trice·s, sociologues, psychologues, formateur·trice·s…) et origines géographiques (Québec, mais aussi d'autres provinces et pays). Elle porte notamment sur la prostitution, évoquée dans 20 % des interventions, avec par exemple une section des actes consacrée aux « nouvelles réalités sociales : sexualité, prostitution, drogue, débrouilles » et le discours d'ouverture sur « la prostitution juvénile au Québec » (Pector, 1994, pp. 103-176 et 21-23). L'évènement fait notamment suite à la problématisation des « street kids » par la médiatisation du rapport du Comité Badgley.

Claire Thiboutot intervient au colloque en tant qu'« étudiante en sexologie et membre fondatrice de l'Association québécoise des travailleuses et travailleurs du sexe (AQTS) » (id., p. 12). Dans le cadre de ses études, entamées en 1985 à l'UQÀM, elle

26 Le travail de rue est un type de travail social fondé sur un « principe de présence signifiante » et une « pratique d’accompagnement individuel et collectif » avec les membres d'un groupe social marginalisé (Fontaine, 2011, p. 193).

s'implique dans le Comité femmes de l'université, une association qui informe et sensibilise étudiant·e·s et enseignant·e·s de la situation des femmes. C'est par ce comité qu'elle est informée en 1986 de la création de l'ASP à Montréal, qui diffuse une lettre demandant le soutien des organisations féministes (ASP, 1986). Le Comité femmes ne donne pas suite à cette lettre, et Claire Thiboutot découvre réellement l'« industrie du sexe » lorsqu'elle commence, parallèlement à ses études, à exercer comme danseuse nue dans un bar spécialisé de Toronto en 1988. En raison de cette double position de jeune sexologue et de strip-teaseuse, Daniel Welzer-Lang – un sociologue français qui mène une recherche sur la prostitution à Lyon – la consulte en 1991 pour certaines publications, et le PIaMP l'invite l'année suivante au colloque. Elle y présente un texte intitulé « T'as de la misère à aimer la pute » (en annexe). Ce texte, qui commence par « je suis pute », prend la forme d'une interpellation à un « tu » anonyme et masculin, successivement client, psy, travailleur social, médecin, « lologue tous azimuts », patron ou pimp, et finalement ami, amant, amour. Il présente une analyse, à partir de ce point de vue de pute, de ses aspirations et assignations, et plus largement de la position sociale, économique et sexuelle des femmes dans « ce système capitaliste et patriarcal ».

Comme Claire Thiboutot, Gail Pheterson est invitée par le PIaMP en raison de sa double position de chercheuse en psychologie sociale et de militante du mouvement pour les droits des travailleur·se·s sexuel·le·s. Elle présente deux interventions sur la stigmatisation des femmes et des prostitué·e·s dans le processus législatif (id., pp. 188-193) et sur l'action politique avec les prostituées comme « processus de déstigmatisation et de légitimation » (id., pp. 279-286). Parallèlement à son implication à l'ICPR, elle poursuit ses recherches sur les stigmatisations et les oppressions des femmes, à partir notamment de l'expérience des prostituées. Elles crée par exemple en 1984 un groupe de travail sur la division entre femmes « bonnes » – les épouses légitimées par leur relation à un homme particulier ; « mauvaises » – les putains stigmatisées comme déviantes ; et « perverses » – les gouines, ignorées (Pheterson, 2001, pp. 178-183). Si chaque femme expérimente différentes formes d'oppression, toutes ces oppressions sont imbriquées, notamment dans la prostitution. La participation de prostituées permet donc de comprendre les situations économiques et sexuelles et les formes de contrôle et de coercition des femmes en général. À partir de ces groupes d'alliance entre femmes impliquant des prostituées, elle analyse le stigmate

de putain (whore stigma) comme mécanisme d'oppression menaçant spécifiquement et collectivement les femmes déviant des normes sexuelles, c'est-à-dire de l'hétérosexualité monogame.

Claire Thiboutot et Gail Pheterson se retrouvent en marge du colloque, avec

Chantale Boisclair (travailleuse de rue au PiaMP) et France Tardif (sexologue), qui interviennent ensemble au colloque sur les relations entre prostitution et condition féminine (Pector, 1994, pp. 139-141) ; avec aussi Mirha-Soleil Ross, qui exerce la prostitution de rue et assiste au colloque. De leur discussion débouche la création de l'AQTS. Même si sa participation directe se limite à cette discussion (elle repart à Amsterdam à la fin du colloque), Gail Pheterson y joue, comme à la fondation de l'ICPR, « grâce aux multiples positions qu'elle occupe un rôle décisif de passerelle entre acteurs et espaces sociaux hétérogènes » (Mathieu, 2001, p. 133). Elle apporte des outils théoriques issus de ses recherches, une connaissance des organisations étasuniennes et de la situation néerlandaise, les analyses, contestations et revendications produites lors des congrès de l'ICPR. Et plus largement, la création de l'association est rendue possible par l'accumulation de ressources issues de différents espaces sociaux, liée à la multipositionnalité de chacune des fondatrices (Boltanski, 1973). Claire Thiboutot apporte une analyse et un réseau issus de sa pratique de strip-teaseuse, de sa pratique militante et de sa formation universitaire. Mirha-Soleil Ross, par son expérience et ses relations, facilite un recrutement relativement diversifié parmi les actrices du secteur commercial du sexe, l'inscription de l'association dans l'espace de la prostitution de rue de Montréal et la construction de relations avec d'autres organisations. Quand elle commence à exercer la prostitution en 1990, en l'absence de groupe de défense des droits des prostitué·e·s à Montréal, elle entre rapidement en contact avec Maggie's à Toronto. Parallèlement, elle s'implique aussi dans le mouvement pour les droits des trans27. Enfin, Chantal Boisclair et France Tardif permettent une inscription rapide de l'AQTS dans le réseau associatif montréalais. La nouvelle organisation bénéficie ainsi de soutiens institutionnels, en particulier du PIaMP qui publie le jour-même un communiqué de presse annonçant sa création.

27 Par la suite, elle réalise aussi des vidéos et des performances. L'une de ces vidéos, issue d'une performance présentée en 2002, est intitulée Yapping Out Loud : Contagious Thoughts from an

Unrepentant Whore (Jappements à voix haute : réflexions contagieuses d'une pute impénitente). À la

fois récit autobiographique et mise en scène des débats sur la prostitution, elle reprend notamment la figure d'unrepentant whore de Carol Leigh.

C'est donc dans le cadre de cette rencontre, par le choix du nom de l'association et l'annonce de sa création, que l'introduction en français du « travail sexuel » est revendiquée par les fondatrices de l'AQTS : « On a traduit ce jour-là d'avril 1992 le terme "sex workers" par "travailleuses du sexe", pour créer l'Association Québécoise des Travailleuses du Sexe. [Ce qui] fait qu'on a une espèce de maternité sur la traduction, quelque part, et l'utilisation [de cette catégorie] » [entretien n° 28]. Le communiqué, en annonçant la création de l'association, la fait exister publiquement et marque le début du processus d'organisation et de représentation des travailleur·se·s sexuel·le·s au Québec. Plusieurs facteurs permettent cette traduction : la présence de Gail Pheterson, qui a collaboré notamment avec Carol Leigh, Margo St. James et Priscilla Alexander ; la diffusion de A Vindication of the Rights of Whores, dont elle donne un exemplaire aux autres fondatrices de l'association, et dans lequel on trouve plusieurs textes sur les « sex

workers » ; peut-être aussi les liens préexistants de certaines fondatrices avec des

organisations canadiennes anglophones comme Maggie's. De même, plusieurs facteurs permettent cette rencontre : leur participation au colloque, des relations antérieures pour certaines, mais aussi des préoccupations partagées, probablement liées à un positionnement féministe commun. L'association et ses fondatrices s'inscrivent ainsi dans la continuité de l'histoire étasunienne des sex workers des années précédentes. La traduction du « travail sexuel » et la création de l'AQTS résultent donc de la rencontre entre cinq personnes liées à la prostitution par leurs parcours, à l'intersection des espaces professionnels, scientifiques et militants, et de l'association de ressources issues de ces expériences.

5 2 « L'amélioration des conditions de vie et de travail des travailleuses du sexe »

L'AQTS s'inscrit rapidement dans un réseau militant et bénéficie ainsi d'une relative légitimation, notamment par son implication dans la lutte contre le VIH/sida. Ses animatrices les plus impliquées, en représentant l'organisation auprès d'autres associations, représentent aussi les travailleuses sexuelles. En même temps, l'expertise qu'elle propose pour la prévention sanitaire modifie également la représentation sociale

de l'activité, au sens des valeurs qui lui sont associées. Elle contribue ainsi à faire exister, selon différentes modalités et dans plusieurs espaces sociaux, les « travailleuses sexuelles ».

L'AQTS est constituée d'un noyau de six à huit personnes, dont quatre des fondatrices, et d'autres participant·e·s davantage périphériques. Le recrutement dépend des activités et des relations des membres : Claire Thiboutot est davantage en lien avec des danseuses qui travaillent dans des bars, Mirha-Soleil Ross plutôt avec des prostitué·e·s qui exercent dans la rue. Parce que ses ressources sont limitées, le groupe se focalise d'abord sur la rue, où les personnes sont plus accessibles et où leurs besoins sont jugés prioritaires. Puis il s'ouvre progressivement à d'autres activités, par volonté de regrouper les différent·e·s acteur·trice·s du secteur. Selon Claire Thiboutot :

« Si on était là pour l'ensemble des travailleuses du sexe, il fallait qu'on rejoigne l'ensemble des travailleuses du sexe. Et pour créer une synergie, une mobilisation, il fallait avoir une diversité. (…) un peu comme dans le mouvement féministe dans les années 70, on faisait du consciousness raising. C'est un peu : ta réalité est différente, mais on a des enjeux communs. (…) il fallait mettre les gens ensemble, pour qu'ils en discutent, pour qu'ils réalisent que finalement ils avaient des intérêts les uns avec les autres. » [entretien n° 28]

Les intérêts communs sont liés à des expériences partagées de stigmatisation et, pour la plupart des formes de « sexe commercial », de criminalisation. Parler de « travail du sexe » permet en effet de « désigner l'ensemble des personnes qui œuvrent dans l'industrie du sexe : les prostituées bien sûr, mais aussi les escortes, les danseuses nues, les employées de salons de massage, etc. Ces personnes ont toutes des pratiques très différentes. Mais elles ont toutes en commun une chose : elles offrent des services sexuels » (Thiboutot, 1999). La traduction de « sex work » constitue alors pour les militantes de l'association un « geste politique », qui consiste à regrouper les acteur·trice·s du secteur et à exprimer leurs intérêts communs, pour diffuser des analyses des activités désignées et des revendications pour modifier leur situation :

« l'expression "travailleuse du sexe" permet d'exprimer clairement que nous considérons le sexe commercial (ou l'échange de services sexuels contre rémunération) comme un travail, et non comme un crime ou un acte moralement douteux. Mettre l'accent sur la dimension commerciale du sexe permet de chercher sous un autre angle des solutions aux problèmes vécus par les travailleuses. Ce qui devient alors important, c'est la santé, la sécurité

et la dignité des travailleuses du sexe, c'est l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail. » (ib.)

Pour formaliser ces principes et positions, l'AQTS adopte une charte en juin 1992. Elle se définit comme « un groupe de réflexion et de sensibilisation publique concernant la décriminalisation du travail à caractère sexuel et la défense des droits des travailleuses du sexe » (AQTS, 2011-1, pp. 45). Elle s'adresse aux personnes qui travaillent ou ont travaillé dans l'« industrie du sexe » et aux sympathisant·e·s. Et elle se donne notamment pour objectifs « la décriminalisation de tous les aspects de tout travail à caractère sexuel » ; la garantie du droit à l'autodétermination, des droits humains et des libertés civiles, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'industrie du sexe ; la lutte contre toute stigmatisation des personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, contre le double standard qui divise les femmes entre vierges et putains ou encore contre toute règlementation qui fabrique des boucs émissaires du VIH et des IST (id., p. 46). Elle revendique enfin que les travailleur·se·s sexuel·le·s payent taxes et impôts en tant que travailleur·se·s autonomes et reçoivent les bénéfices qui y sont associés. Cette charte est principalement rédigée par Claire Thiboutot. Elle découvre dans A Vindication of The

Rights of Whores, transmis par Gail Pheterson à la création de l'association, l'existence

du mouvement international et la Charte mondiale pour les droits des prostituées. Stimulée par cette découverte, et à l'occasion de séjours réguliers à Toronto, elle entre en contact avec la CORP et s'inspire surtout de sa charte pour rédiger celle de l'AQTS. Ce travail à la fois symbolique et pratique de définition – par l'adoption d'un texte commun – et de regroupement – par le recrutement des membres – participe à construire le « travail sexuel » et à inscrire l'organisation dans le mouvement des sex workers.

C'est l'inscription dans la lutte contre le VIH/sida et la défense des pratiques de prévention qui précisent le contenu politique du « travail sexuel » au milieu des années 1990. Le 18 mars 1993, Marc-Yvan Côté, le ministre de la Santé du Québec, se déclare en faveur de la légalisation de la prostitution et du dépistage obligatoire des prostitué·e·s comme mesures de contrôle de l'épidémie. En réaction, l'AQTS publie le 25 mars son premier communiqué de presse : « Alors que pour Côté cette solution permettrait un