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2 La « libération sexuelle » et le sexe comme marché

Le récit de Carol Leigh évoque notamment le mouvement hippie, les luttes étudiantes, les mobilisations contre la guerre au Vietnam ou encore l'opposition féministe à la pornographie, et situe ainsi l'invention du « sex work » dans le contexte politique des années 1970 aux États-Unis. Cette période est marquée par deux éléments en particulier. À partir des années 1960, des groupes minorisés se mobilisent pour revendiquer des droits et combattre leurs oppressions. De ces mobilisations émerge

entre autres l'idée d'une « libération sexuelle », c'est-à-dire l'inclusion de la sexualité dans une perspective de libération politique. Dans le même temps, la sexualité est investie par l'économie capitaliste, avec l'apparition de nouvelles productions et de nouveaux services qui constituent progressivement un secteur commercial. Avec ces deux éléments à peu près simultanés, la sexualité gagne en visibilité dans l'espace public et fait l'objet de processus de politisation, participant à celle du « sex work ».

2 1 Contre-culture, nouvelle gauche et « libération sexuelle »

Si l'idée de « libération sexuelle » est discutable et contestée par les mouvements féministes qui émergent alors, la période des années 1960 et 1970, en Amérique du Nord et en Europe occidentale, est marquée par un mouvement progressif vers une plus grande autonomie dans les pratiques sexuelles. Le « libéralisme sexuel » constitue une tendance historique qui commence aux États-Unis dès les années 1920 (D'Emilio et Freedman, 1997, ch. 11), puis s'accélère à la fin des années 1960, par son inscription et sa radicalisation dans la contre-culture et la new left (nouvelle gauche). La période se caractérise ainsi par un « esprit protestataire » (Granjon, 1988, p. 17), qui s'exprime de différentes manières.

Le mouvement de la contre-culture, à la suite des hipsters des années 1940 ou des

beatniks des années 1950, émerge dans les années 1960 sur les deux côtes des

États-Unis.

« Les membres de la contre-culture reliaient leur critique du mode de vie américain à la demande d'une société plus tolérante sexuellement. Ils et elles célébraient le sexe comme un acte naturel qui libérait les gens des règles répressives. La liberté sexuelle était ainsi une demande révolutionnaire associée à la justice sociale, et quand ces jeunes gens préconisaient de "faire l'amour, pas la guerre", ils et elles le faisaient avec l'intention de construire une société plus égalitaire. La lutte pour la liberté sexuelle se développait dans tout le pays, alors que les étudiant·e·s menaient des combats contre des règles autoritaires en matière de sexualité, de concert avec des initiatives politiques contre la guerre entre autres. » (Bronstein, 2011, p. 28)

Ce mouvement culturel s'accompagne en effet d'un mouvement plus directement politique, le civil rights movement (mouvement pour les droits civiques), qui émerge au

milieu des années 1950 au Sud des États-Unis. En 1955, une partie de la communauté noire organise le boycott des bus à Montgomery (Alabama), pour que les Noir·e·s obtiennent le droit de s'asseoir aux mêmes places que les blanc·he·s. Le mouvement se répand rapidement dans tous les États-Unis, autour de l'opposition à la ségrégation raciale et de la revendication de l'égalité politique, portées notamment par la National Association for the Advancement of Colored People. Il obtient plusieurs succès au milieu des années 1960. Le 28 août 1963, la Marche vers Washington pour le travail et la liberté réunit plus de 200 000 personnes. Le Civil Rights Act de 1964 interdit la ségrégation, dans les lieux publics, à l'embauche ou aux élections, fondées sur la race, le sexe, la couleur, la religion ou l'origine nationale. L'année suivante, le Voting Rights Act supprime les tests et les taxes conditionnant le droit de vote, qui excluent particulièrement les Noir·e·s, et une politique d'affirmative action est adoptée pour favoriser l'emploi des Noir·e·s et des femmes.

« Stimulés par ce mouvement pour les droits civiques des Noirs (1960-1964), les étudiants blancs commencent à se mobiliser ailleurs, en faveur de revendications diverses : arrêt des essais nucléaires, liberté d'expression à l'Université, respect des libertés civiques dans la nation, neutralité à l'égard du régime de Fidel Castro… » (Granjon, 1988, p. 10). La nouvelle gauche apparaît ainsi à la suite du mouvement pour les droits civiques, de la campagne et de l'élection de John F. Kennedy en novembre 1960, dans une période de prospérité, un contexte historique particulier « qui a favorisé la prise de conscience et la révolte en actes » (id., p. 11). Elle apparaît aussi avec l'arrivée à l'université de la génération des baby boomers issu·e·s des classes moyennes, qui découvrent la contradiction entre les nouveaux modes d'éducation et de socialisation de la jeunesse et les structures hiérarchisées et bureaucratisées dans lesquelles ces jeunes doivent s'insérer. Elle apparaît enfin en opposition à l'ancienne gauche communiste – profondément affaiblie par le maccarthysme – et à la gauche libérale – intégrée au fonctionnement des instituions politiques. Le mouvement des étudiant·e·s prend rapidement une place centrale dans l'opposition à la guerre au Vietnam. La Students for a Democratic Society organise par exemple l'une des premières manifestations nationales contre la guerre le 17 mars 1965 à Washington, qui réunit près de 250 000 personnes. Le mouvement gagne ainsi une forte visibilité, par la médiatisation de ses actions, parfois aussi par leur répression.

La période ne se caractérise pas tant par un mouvement unifié que par la multiplication de groupes hétérogènes, locaux et indépendants, définis par des rapports sociaux de race et des histoires coloniales (Africain·e·s-Américain·e·s, natives…), par des rôles sociaux ou des statuts professionnels (étudiant·e·s, écrivain·e·s…) ou encore par des choix de vie non conformes à l'american way of life (bohèmes, hippies…).Dans la première moitié des années 1960, ce mouvement s'inscrit dans la tradition libérale américaine : critique du pouvoir des élites et du fonctionnement des institutions, revendication de démocratie directe contre la démocratie représentative, organisation non hiérarchique et prise de décision par consensus. Puis il se radicalise dans la seconde moitié des années 1960. À partir de 1963 se multiplient les émeutes de minorités raciales, provoquant régulièrement arrestations, blessures et décès. Malcolm X est assassiné en 1965, Martin Luther King en 1968. Le mouvement des Noir·e·s prend alors une forme nouvelle, avec par exemple la création du Black Panther Party en 1966 ou la publication de Black Power en 1967 (Carmichael, 1992). De la même manière, le mouvement des étudiant·e·s et l'opposition à la guerre se radicalisent à partir de 1965, du fait de l'intensification des combats au Vietnam, du sentiment d'avoir été trompé par les libéraux au pouvoir, du succès des thèses séparatistes dans la communauté noire et de la répression de la contestation.

« Le système – l'ensemble des institutions économiques, sociales et politiques américaines – leur apparaît peu à peu comme un tout indissociable : le capitalisme monopolistique engendre l'impérialisme et secrète un État aux ordres et une société autoritaire, dont toutes les institutions, à commencer par l'Université, renforcent le caractère oppressif. L'idée que ce système n'est pas amendable sans révolution préalable à caractère socialiste (indéterminé) fait son chemin. » (Granjon, 1988, p. 12)

Puis ce mouvement éclate et disparaît finalement au début des années 1970, avec notamment la conclusion de la guerre et le succès de certaines revendications.

Durant les années 1960, il apporte entre autres une critique des formes habituelles de la contestation et un renouvellement des pratiques organisationnelles, notamment par une société civile dynamisée avec la multiplication des associations, mais aussi une visibilité et une influence renouvelées des groupes minorisés dans les mouvements sociaux et les débats publics, ou encore la politisation de thèmes jusque-là considérés comme privés, comme la consommation de drogues ou les pratiques

sexuelles. À la fin de cette décennie, il s'inscrit dans la « libération sexuelle » : « le mouvement populaire qui a assimilé la liberté sexuelle à la libération personnelle » (Bronstein, 2011, p. 25). Parmi les influences de ces mouvements, des auteurs comme Herbert Marcuse et Wilhelm Reich qui associent marxisme et psychanalyse pour analyser la répression de la sexualité dans la société capitaliste ou dans le mariage monogame et le rôle de la libération sexuelle dans un projet révolutionnaire (Marcuse, 1966 ; Reich, 1945). Les jeunes bénéficient aussi de l'autorisation et de la diffusion de la pilule contraceptive à partir de 1960. En développant des formes de cohabitation hors mariage ou de sexualités multipartenariales, ils et elles remettent en cause certains modèles hégémoniques et « essayent de vivre la révolution » (Bronstein, 2011, p. 28).

Les contestations des années 1960 et les revendications de « libération sexuelle » permettent aussi l'émergence des mouvements de libération des femmes, des gays et lesbiennes et des trans. En juin 1969, des émeutes dans le quartier de Greenwich Village à New York opposent pendant plusieurs nuits des agents de police à des travesti·e·s, des trans et des gays, suite à une descente de police dans un bar qu'ils et elles fréquentent, le Stonewall Inn. Trois ans auparavant, en août 1966, dans le quartier de Tenderloin à San Francisco, des femmes trans et quelques jeunes gays réagissent aussi à leur exclusion de la cafeteria Compton par les gérants et à leurs contrôles par la police. Des émeutes semblables éclatent déjà les années précédentes, en 1959 à Los Angeles ou en 1965 à Philadelphie, autour des bars et des cafétérias. Ces lieux jouent un rôle central dans la constitution d'une subculture particulière et l'apparition d'une identité collective depuis la Seconde Guerre mondiale (D'Emilio, 1998, ch. 2). Ils permettent aux gays et aux lesbiennes de se rencontrer et de se retrouver dans un espace relativement protégé « du danger que constituent les actes isolés », mais exposé « au risque d’une opération de police contre l’établissement » (Achilles, 2011). En effet, les contrôles, arrestations et condamnations sont constitutifs de l'expérience de ces groupes dans les années 1960. Selon les États, sont interdits l'homosexualité ou le « travestissement », le fait de danser ensemble pour deux hommes ou de servir un verre à un·e homosexuel·le, mais aussi la prostitution ou le vagabondage – liés pour certain·e·s à l'exclusion du foyer familial ou des discriminations au travail et au logement. Les bars, pour ces personnes marginalisées en raison de leurs pratiques sexuelles ou leurs identités de genre, souvent aussi de leurs appartenances sociales ou raciales, sont donc des lieux d'accueil nocturne,

participant de la construction de communautés, mais aussi de la reproduction de clivages. Les « street queens » par exemple, des gays efféminés ou travestis et des femmes trans, souvent latino·a·s ou africain·e·s-américain·e·s, qui vivent souvent de la prostitution, sont les plus rejeté·e·s, à la fois dans les établissements gays et dans le monde de la rue.

Les années 1960, pour les minorités sexuelles, sont donc marquées par la répression récurrente, des émeutes ponctuelles, mais aussi des organisations émergentes. Le groupe Vanguard par exemple, qui est présent à la cafétéria Compton en 1966, se présente comme « une organisation [constituée] de, par et pour les jeunes de la rue », des jeunes gays ou trans pour une grande partie (Stryker, 2008, p. 72). Le mouvement homophile apparaît dès les années 1950, avec des organisations comme la Mattachine Society et les Doughters of Bilitis, qui combattent la honte intériorisée par les homosexuel·le·s et défendent l'acceptation publique de l'homosexualité. Elles défendent, à partir d'une conception surtout individuelle des comportements et identités sexuels, la normalisation et l'intégration de leurs membres. Les groupes se multiplient mais recrutent peu et restent marginaux. Dans les années 1960 à New York, une nouvelle génération de militant·e·s impose une réorientation des analyses et stratégies du mouvement et lui donne une plus grande visibilité. Ils et elles revendiquent des droits égaux pour les minorités, adoptent des techniques d'action directe et obtiennent le soutien d'organisations comme l'American Civil Liberties Union (ACLU), une association de défense des droits et libertés individuels. À la même période, à San Francisco, les convergences entre les groupes militant·e·s et les bars gays et lesbiens permettent un recrutement plus large dans le mouvement et une plus forte cohésion communautaire. Des groupes se mobilisent dans différentes villes contre le harcèlement policier. Les représentations de l'homosexualité se multiplient et se diversifient (D'Emilio, 1998).

C'est à partir de la fin des années 1960 qu'apparaît le Gay lib', mouvement de libération des gays et des lesbiennes. Avec des slogans comme « gay power », il est marqué par l'influence des droits civiques, de la contre-culture, de la nouvelle gauche ou du mouvement des femmes. Surtout, l'impulsion des émeutes de Stonewall est déterminante dans l'apparition du mouvement. En juillet 1969 est créé le Gay Liberation

« Nous sommes un groupe révolutionnaire d'hommes et de femmes formé suite à la prise de conscience qu'une libération sexuelle totale pour le peuple dans son ensemble ne peut se produire sans que les institutions sociales existantes soient abolies. Nous rejetons les efforts de la société pour imposer des rôles sexuels et des redéfinitions de notre nature. Nous avançons en dehors de ces rôles et mythes simplistes. Nous devenons qui nous sommes. Dans le même temps, nous créons de nouvelles formes et relations sociales, et une sexualité désinhibée. » (GLF, 1969)

La thématique de la fierté et la tactique du coming out sont structurantes. La première

Gay Pride est par exemple organisée en juin 1972 à San Francisco. En 1973, il existe aux

États-Unis 800 organisations gays et lesbiennes, plusieurs milliers à la fin des années 1970 : des regroupements par professions, minorités raciales ou encore zones d'habitation (D'Emilio et Freedman, 1997, p. 322). Ces groupes obtiennent par exemple le retrait de l'homosexualité de la classification des troubles mentaux établie par la Société Américaine de Psychiatrie en 1973 ; ou l'intégration par plusieurs municipalités, comme Detroit, Boston, Los Angeles, San Francisco, Houston ou Washington D.C., des préférences sexuelles dans leurs règlementation protégeant les droits civiques.

Ainsi, les différents groupes de gays, de lesbiennes et de femmes se développent surtout à partir du début des années 1970, relativement en lien les uns avec les autres. Le Radical Queens Collective de Philadelphie permet par exemple de relier la libération des gays avec le féminisme lesbien. Et ces mouvements apparaissent dans la continuité directe de ceux des années 1960. « Dans une certaine mesure, les mouvements blancs de libération des gays [et des lesbiennes] et de féministes radicales, qui apparaissent simultanément, se sont construits à partir des mouvements ethniques, conceptualisant les homosexuel·le·s et les femmes comme des groupes minorisés socialement opprimés » (Stryker, 2008, p. 64). Pour une partie de celles et ceux qui y participent, contre-culture, nouvelle gauche ou mobilisations étudiantes constituent des expériences collectives et des socialisations individuelles structurantes, leur permettant par exemple d'acquérir des compétences organisationnelles ou d'intégrer des réseaux militants. Les parcours individuels constituent donc des liens entre ces mouvements et permettent ainsi la transmission de contestations des institutions politiques, de modes d'organisation non hiérarchisés et centralisés et de pratiques de participation directe. En ce sens, la « libération sexuelle » en particulier et les mouvements sociaux des années

1960 plus largement permettent un renouvellement des politisations du genre et de la sexualité et des mobilisations de femmes, de gays et de lesbiennes.

2 2 Capitalisme et sexualité : l'émergence d'un secteur commercial

Les années 1960 et 1970 sont une période de libération politique mais aussi économique concernant la sexualité. Presque absente de la culture populaire dans les années 1950, au moins de manière explicite, elle est de plus en plus montrée et discutée à partir des années 1960, non seulement parce qu'elle est mobilisée dans des mouvements sociaux, mais aussi parce qu'elle devient un secteur commercial. La première danse topless (seins nus) a lieu par exemple au Condor, un bar de San Francisco, en 1964. À la même période apparaissent des librairies pour adultes, des

peep-shows, des go-go bars, des cinémas X, des sex-shops, qui constituent rapidement des

quartiers spécialisés dans plusieurs grandes villes des États-Unis, New York et San Francisco en particulier. Le mouvement de libération sexuelle s'accompagne donc de l'émergence d'un secteur commercial du sexe, qui résulte de plusieurs facteurs : réformes juridiques, profits économiques, politiques municipales et rénovations urbaines (Sides, 2006).

Cette libération prend d'abord effet dans le domaine juridique, avec plusieurs modifications successives de la définition légale de l'obscénité. Celles-ci interviennent par des décisions locales et nationales et déplacent les critères de régulation de la sexualité visible. Dès 1957, la décision Roth v. United States de la Cour suprême note les variations possibles des définitions de l'obscénité, selon les « contemporary community

standards » (normes sociales contemporaines). À l'automne 1967, dans une douzaine de

petites communes de Californie, les bars proposant des spectacles topless sont discutés dans les conseils municipaux, qui débattent des permis et restrictions possibles, et dans les tribunaux, qui considèrent généralement que le droit pénal régissant les comportements obscènes ou les attentats à la pudeur ne s'applique pas aux seins nus (Self, 2008, p. 296). La même année, le président Lyndon B. Johnson établit une commission chargée d'étudier les effets de la pornographie et de l'obscénité sur la population. Celle-ci considère qu'aucune preuve ne montre le rôle de la pornographie

dans les crimes sexuels et les comportements déviants. Elle recommande sa décriminalisation et encourage son usage comme outil d'éducation sexuelle pour les adultes (Commission on Obscenity and Pornography, 1970). Les décisions successives de tribunaux, du parlement ou de la Cour suprême élargissent aussi progressivement les types de productions concernées par le premier amendement de la constitution des États-Unis, qui protège la liberté d'expression. C'est ainsi qu'au début des années 1970, la règlementation concernant l'obscénité « se réduit [dwindle] au minimum » (Downs, 1989, p. 16). Ces décisions autorisent donc l'expansion des films ou des images pornographiques, qui prennent une place croissante dans l'espace public. Elles modifient aussi la légitimité sociale et juridique du sexe comme objet de discussions et de représentations.

Si cette nouvelle visibilité de la sexualité est rendue possible par la redéfinition plus libérale de l'obscénité, elle intervient également en dehors de la loi, en raison de nouvelles techniques de production et de diffusion des images et des profits que permet la commercialisation de la sexualité. À partir du milieu des années 1960 apparaissent des films courts montrant des femmes nues ou se déshabillant, les nudie cuties, avec parfois plusieurs films montés sous forme de loops (boucles). La nudité s'étend progressivement à différentes parties du corps jusqu'aux organes génitaux, et la sexualité à différentes pratiques jusqu'à la pénétration et à l'éjaculation. Un genre cinématographique apparaît ainsi : les films « hardcore » (Williams, 1990). Leur production s’accroit rapidement, passant de 30 films produits en 1950 à 2500 en 1970 (Preciado, 2008, p. 30). Leur diffusion s'organise, avec d'abord des projections dans les cinémas existants, puis l'apparition de salles spécialisées, les XXX theatres, surtout à San Francisco. Au début des années 1970 apparaissent aussi des magazines érotiques, comme Penthouse en août 1971 ou Playboy en janvier 1972. Les images sexuelles explicites sont également diffusées dans des revues plus proches de la contre-culture et des mouvements progressistes, comme Rat ou Screw. En 1972 sort Deep Throat de Gerard Damiano, premier grand succès de l'histoire du cinéma pornographique. Il bénéficie d'une couverture nationale dans des médias comme le Time ou Newsweek, reste presque deux ans sur la liste établie par Variety des cinquante films aux meilleures recettes, cumulant plus de cent millions de dollars de recettes pour un budget initial de 25 000 dollars. Il marque ainsi une progressive légitimation de la pornographie, avec

l'émergence du « porno chic » qui touche un public de jeunes adultes des classes moyennes, à la fois féminin et masculin.

La visibilité croissante de la sexualité dans l'espace public résulte donc de ces nouvelles productions pornographiques, mais aussi de leurs nouveaux modes de diffusion et de leurs nouveaux marchés de consommation, quittant la clandestinité pour des magasins ou des cinémas spécialisés (Self, 2008). Depuis le XIXe siècle, les formes commerciales de sexualité telles que la prostitution se concentrent dans certains