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D Le retour au 'Pacific Way' originel

« Le Pacifique, dit le géographe O. Spate316 (que cite J. Chesneaux), est un artefact: quelque chose qui est l'oeuvre de l'homme, et dont la nature matérielle procède de son usage social. »317 De fait, les insulaires ne pouvaient vraisemblablement évaluer l'étendue du Pacifique avant l'arrivée des blancs. La conscience commune du Pacifique à l'étendue ce vaste océan semble tardive. Pourtant, cet artefact du XVIIIème à laissé place à une réalité spécifique, fondée sur l'émergence d'une identité commune, une 'pacificness' -et là il ne s'agit plus d'un artefact. R. Gerard WARD en témoigne là encore: « Aujourd'hui, il y a à travers les îles du Pacifique une remarquable communauté de contacts et de liens personnels. Les insulaires considèrent l'ensemble du Pacifique comme leur 'chez-eux'. »318

Si général et si incertain qu'il soit, le mot d'ordre de 'Pacific Way' reflète ces aspirations à un mode de développement qui ne soit pas un simple décalque du modèle occidental, et qui a eu beaucoup d'influence parmi les intellectuel d'Océanie. E. Burdick319 décrit en 1961 « cet incroyable bavardage sur les gens et les évènements, où la terre et la population sont si réduites que les événements qui se produisent sur des îles à des milliers de milles de là présentent un grand intérêt pour tous. »320

Le partage de l'information et les réseau de communication (notamment maritime puisqu'il s'agit bien là d'un océan, et qu'il permet notamment le transport de marchandises) lie en effet les gens. C'est le cas des expériences d'éducation collectives actuellement mises en oeuvre par des institutions régionales, et aussi des consultations à caractère politique réalisées en matière de développement au sein de la région Pacifique.

314 ou 'Voie Pacifique'

315 Kamisese Mara est un homme politique fidjien qui a été président des îles Fidji entre 1993 et 2000.

316 Oskar Spate est géographe d'origine britannique qui dirigé l'École de recherche et d'étude du Pacifique de 1967 à 1972 (Research School of Pacific Studies). Il a publié de nombreux essais sur la géographie et l'exploration de l'Australie et du Pacifique.

317 CHESNEAUX, J. - 1987, Transpacifiques, Observations et considérations diverses sur les terres et les archipels du Grand Océan, Edition La découverte, Paris 5e p 28

318 BENSA, A., RIVIERRE, J.C. - 1998, Le Pacifique, un monde épars, L'Harmattan, Paris p 189

319 Professeur de Science politique et auteur américain.

320 BENSA, A., RIVIERRE, J.C. - 1998, Le Pacifique, un monde épars, L'Harmattan, Paris p 134

Conclusion

Notre cheminement au cours de ce travail nous a amené à percevoir la problématique générale, non pas simplement comme une hypothèse que l‟on pourrait confirmer ou infirmer, mais plutôt comme un question qui reste en suspend. Il s'agit en effet pour nous de se questionner quant à la signification et aux conséquences de la mondialisation pour ces peuples du monde qui, jusqu'à peu, vivaient dans un totale autonomie. Ces peuples qui commencent tout juste à façonner les outils qui pourraient leur permettre de reprendre en main leur futur.

Audacieux navigateurs des temps anciens, ils traversaient des étendues océanes avec des pirogues chargées d'hommes et de femmes dans une perspective de peuplement, ou encore de biens et de présents afin de créer des alliances, dont le cours fut interrompu à la fin du XVIIIème par les grands explorateurs. Dans le sillages des premières caravelles, des galions et autres navires commerçants sont bien vite venus piller les ressources de la mer avec de massives chasses à la baleine, mais aussi de la terre avec le commerce du bois de santal. Bien que variant en fonction des particularismes régionaux, l'impact sur les populations polynésiennes et mélanésiennes a été violent, tant du point de vue psychologique ou culturel, que du point de vue matériel et économique. Les océaniens ne sont dés lors plus seuls au monde avec leurs Dieux et leur ancêtres; ils cessent leurs échanges et leurs réseaux de relations interinsulaires sont détruits: c'est la disparition de la civilisation de la pirogue. Un nouvel ordre régional est bientôt instauré, pétri de rivalités autour du contrôle des voies de communication, et donc du commerce en général. A ces intérêts stratégiques et commerciaux s'ajoutèrent bientôt les intérêts militaires. L'impérialisme ne prit pas de gants dans le Pacifique et bientôt, c'est à coup d'Annexions et de Traités de Protectorat que les chefs et les populations locales perdent leur droit de disposer de leurs terres et de leurs moyens d'existence. Nacre et cultures spéculatives sont bientôt le sujet d'un commerce maritime, accru pour mieux rentabiliser les îles. Les modes de vie traditionnels en sont grandement altérés, qui tendent à faire dépendre toujours plus les populations locales des produits importés d'occident, et qu'ils paient au prix de leur liberté. S'enfonçant de plus en plus dans la mondialisation, c'est ensuite au cœur d'un nouvel ordre mondial que les colonies du Pacifique Sud ont à s'adapter. La mise en place de lignes maritimes régulières desservies par des frégates et des goélettes, puis par des navires à vapeur, devient une course que font entre elles les différentes administrations coloniales afin ne pas être 'oubliées' si le fret de retour proposé ne s'avérait pas à la hauteur. Les îles ont ainsi à défendre leurs 'couleurs de paradis', leurs 'traditions remarquables', leurs 'mythes extraordinaires', ou de manière plus pragmatique leur rentabilité économique. Au cœur des rivalités internationales pour le contrôle des lignes maritimes se joue une véritable bataille des pavillons, où les îles sont priées de se défendent à coup d'exportations: après la vanille et la noix de coco, ce sera le phosphate, le nickel ou le coprah. L'économie de traite est bien en place dans le Pacifique Sud insulaire, qui a été happée par le grand concasseur d'une mondialisation qui s'accélère encore. Tout au cours du XXème siècle, c'est à coup de navires spécialisés, de route de commerce déterminées, et de conteneurisation des bien transportés que les îles vont à nouveau assister à un recul relatif de leur desserte, et à une augmentation effectives des expériences nucléaires dans leur sous sols.

Seule alternative à cet engloutissement dans le ventre de la mondialisation: là où l'indépendance est à l'ordre du jour, là où l'autonomie politique est rendue de bonne grâce où arrachée à coup de rebellions, des peuples vivent à nouveau relativement en marge de cette globalisation, qui finit le plus souvent par rejeter les territoires les plus isolés, les plus menacés par la crise environnementale, ou les plus dénués de ressources naturelles. Des aides internationales existent cependant, et prouvent que parfois la mondialisation a du bon. Pour les autres, toujours sous le joug d'une domination politique maintenue à force d'arguments

économiques, les sociétés locales se retrouvent dépossédées de leurs traditions et de leurs moyens d'existence, où les valeurs anciennes ne font décidément pas bon ménage avec le téléviseur, le whisky, le Mc-Donald et le Coca-cola. C'est peut-être, pour reprendre le terme du politicien Kamisese Mara, à travers l'émergence d'une conscience océanienne et au retour d'un 'Pacific Way', que pourra se relever cette région façonnée par les embruns et les alizés, parsemée de lagons et de bouts de terre tirées de l‟eau par des Dieux pêcheurs d„îles. La mise en place de réseaux régionaux semble donc être l'alternative pour que se développe à nouveau un marché et une logique régionale. Pour que cette zone ne soit plus uniquement perçue comme un couloir entre l'Asie et l'Amérique, ainsi qu'on la voit aujourd‟hui depuis la salles des commandes d'innombrables cargos.

« Teroo te pahi - Il y a un bateau», crie celui qui l'aperçoit le premier.

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Annexes

'Le Fret et le Transport Maritime dans les îles du Pacifique Sud'