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C Mise en place de réseaux régionaux

Comme l'a dit dans un discours l'ancien premier ministre de Nouvelle-Zélande David Lange307: « Nous prenons conscience de notre appartenance aux archipels du Pacifique Sud et il en est grand temps! » Certes le Pacifique est une référence ambiguë, fluctuante, piégée, mais l'Océanie est aussi une réalité régionale concrète qui prend peu à peu conscience de ses intérêts communs. Les peuples du Pacifique affirment ainsi des affinités communes, et tentent d'organiser des structures de coopération à l'échelle régionale afin de développer leurs échanges propres.

Les sociétés du Pacifique n'ont ainsi cessé de se reconstruire et de se transformer, non seulement au XIXème et au XXème siècles sous les effets de la colonisation, mais tout au long de leur existence, au contact des autres peuples océaniens notamment. Les populations du Pacifique se trouvent cependant aujourd'hui dans le souci, tout en empruntant quantité de modèles européens (christianisme, État Nation, technologies sophistiquées), d'affirmer leur spécificité et leur autonomie (au moins culturelle) propre. Contre les pièges et les périls de la modernité, l'inquiétude perce, la réflexion politique s'amorce, la résistance s'esquisse, les premières initiatives se dessinent -en Mélanésie notamment. De loin les plus peuplés et les plus dotés en ressources foncières et naturelles, les pays mélanésiens (Papouasie Nouvelle-Guinée, Salomon, Vanuatu, Fidji, Nouvelle Calédonie) tentent en effet depuis quelques années d'affirmer une identité partagée, dans le souci de faire valoir un point de vue commun sur la scène régionale et internationale.308

Dans le Rapport des îles Marquises de la Conférence sur le Développement qui s'est tenu à Fidji en 1978 se trouve néanmoins cette question, qui témoigne de l'ambiguïté de la situation:

« Chaque peuple et chaque nation ont leur vue du développement. Pour nous, le développement signifie rester maîtres sur notre terre. Nous vivons des richesses que fournit la nature. Le Marquisien pêche pour nourrir sa famille. Il cultive ses taros et ses bananes, il travaille le coprah pour gagner un peu d'argent. Mais tout change autour de lui: une banque s'installe, un aéroport s'ouvre, les touristes abondent. Dans les boutiques, on vend des boites de nourriture pour chat venues de Californie et des articles Japonais en plastique. Comment conserver notre coutume, nos façons de faire polynésiennes et pourtant nous adapter à cette civilisation monétaire et technologique? Comment rester maîtres de nos destinées alors que

306 CHESNEAUX, J. - 1987, Transpacifiques, Observations et considérations diverses sur les terres et les archipels du Grand Océan, Edition La découverte, Paris 5e

307 David Russell Lange a été Premier ministre de Nouvelle-Zélande de 1984 à 1989.

308 DE DECCKER, P. - 2002, Le Pacifique: à la recherche du développement dans un espace émietté, (Revue Française d'administration publique, n° 101 p. 157-168).

tout un nouveau monde se révèle à nous? »309

Le Pacifique insulaire comprend plus de 400 institutions régionales. Les plus importantes sur le plan politique, économique et culturel sont la Communauté du Pacifique Sud dont le siège administratif est à Nouméa, et le Forum du Pacifique Sud basé à Suva (Fidji). Si la Communauté du Pacifique (ancienne Commission du Pacifique Sud) est de compétence plutôt technique et économique, le Forum du Pacifique Sud est quant à lui plus politique et regroupe les seuls états indépendants de la région. Autour du Forum, d'autres institutions favorisent la coopérative technique et culturelle; ainsi la SPEC (South Pacifique Bureau of Economic Cooperation) est un bureau d'étude et de programmation économique, et la Forum Shipping Line traite de la navigation commerciale.310

Communauté du Pacifique Sud

Comme nous l'avons vu jusqu'ici, l'intervention des pays occidentaux dans la mise en valeur des îles remonte au début de l'époque coloniale, et s'est appuyé sur un réseau maritime maîtrisé, les églises missionnaires, l'administration coloniale et le secteur privé. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le contexte de décolonisation pousse les pouvoirs établis à s'impliquer d'avantage en matière de développement, et à créer en 1947 une organisation régionale à caractère technique, le Commission du Pacifique Sud (CPS).

La CPS contribue au développement des compétences techniques, professionnelles, scientifiques et des capacités de recherche, de planification et de gestion de 22 États et Territoires insulaires du Pacifique (à la fois en Mélanésie, en Polynésie, et en Micronésie).

Avec les quatre pays fondateurs restés membres de l'organisation que sont l'Australie, la France, la Nouvelle-Zélande, et les États-Unis, la Communauté du Pacifique est composée de 26 pays et états membres. Le statut et la vocation de la CPS étant de nature apolitique, elle génère implicitement une émanation politique destinée à aborder cet aspect de la vie communautaire pacifique.

Forum du Pacifique Sud

Au moment de leur indépendance311, nombre de territoires s'émancipent et souhaitent notamment une coopération régionale plus active et plus autonome. Ils se regroupent en 1971 au sein d'un organisme à vocation politique, le Forum du Pacifique Sud, dont font également partie l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce forum a une vocation régionale: il lui est demandé d'oeuvrer en direction d'un développement durable, de développer des partenariats efficaces avec des pays et des organismes extérieurs.

309 Rapport des îles Marquises à la Conférence des Églises Catholiques d'Océanie sur le développement, Fidji, 1978.

310 La différence entre ces deux organisation tient dans le fait que le Forum apparaît comme le porte parole des pays avides d'affirmer leur indépendance, et la CPS comme l'émanation des anciennes puissances de tutelles soucieuses de conjuguer le maintien de leur influence à un désir d'émancipation compréhensible.

311 En 1946 le statut de Territoire d'Outre-Mer sera accordé à la Polynésie Française, et à la Nouvelle Calédonie, qui leur permettra de bénéficier d'une certaine autonomie (et notamment d'une Assemblée territoriale). Les années qui suivent la Libération sont aussi marquées par la démocratisation et la généralisation du suffrage universel.

Le Forum du Sud Pacifique, association régionale de 16 États indépendants (Australie, îles Cook, Fidji, Kiribati, îles Marshall, États fédérés de Micronésie, Nauru, Nouvelle-Zélande, Niue, Palaos, Papouasie Nouvelle-Guinée312, îles Salomon, Samoa, Tonga, Tuvalu et Vanuatu, et plus récemment la Nouvelle Calédonie et la Polynésie Française) est un bon exemple de l'équilibre délicat qui existe entre les différentes spécificités mélanésiennes, polynésiennes et même micronésiennes, et le concert des pays océaniens.

Du Forum du Pacifique Sud dépend la Pacific Forum Line (PFL), compagnie de navigation maritime créée en 1977, et qui a commencé ses activités en 1978. Ses missions sont notamment d'assurer des services maritimes réguliers afin d'encourager le développement du Pacifique Sud.313

L'action du Forum du Pacifique Sud dans le domaine économique est en outres relayée par le Bureau de Coopération Économique du Pacifique Sud (SPEC) crée en 1973.

South Pacific Bureau for Economic Cooperation

Un bureau permanent, le South Pacific Bureau for Economic Cooperation (SPEC), prépare une réunion annuelle des dirigeants des états membres afin de traiter des questions de caractère commercial et économique. Ce bureau fait office de secrétariat général et est financé par les contributions des états membres. Il dispose pour ses activités de programmes régionaux d'un budget supplémentaire, alimenté par l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Pacific Partnership for Human Development

Une importante OGN la Pacific Partnership for Human Development (PPHD) gère de nombreuses initiatives de terrain telles que des coopératives, des centres de formation techniques, mais également des réseaux d'échange. Le fondement de son action se tient dans un refus relatif de la société de consommation et du laisser faire économique: cette ONG a donc pour principe de base la satisfaction des besoins par les ressources propres, et la sauvegarde de l'identité socioculturelle de chaque peuple du Pacifique.

De telles organisations soutiennent les petites projets locaux d'autosubsistance, les coopératives artisanales et agricoles, et les circuits courts de commercialisation pour la petite production locale. Elles encouragent les technologies dites appropriées: énergie éolienne, charbon de bois à partir des écorces de noix de coco, fours à chaux utilisant le calcaire corallien (pour réduire les importation de ciment provenant de Hong Kong et du Japon), séchoirs solaires à poisson pour limiter la consommation de poissons surgelés ou en boite...

La critique du modèle occidental de développement a ainsi débouché sur des initiatives concrètes, même si ces réalisations ne sont toutefois pas en mesure de renverser la tendance économique dominante, et de remettre en question le pouvoir des géants de l'économie, de la technique et de la distribution qui sont aujourd'hui à l'oeuvre dans le Sud Pacifique. Ces

312 qui assure en 2006 la présidence tournante

313 Les navires de la compagnie sont: Forum Fiji II, Capitaine Tasman, Forum Samoa II, Forum Rarotonga, Kokopo Chief, Coral Chief, Papuan Chief, Melanesian Chief .

institutions majeures sont des lieux de rencontres annuelles des autorités insulaires, qui favorisent néanmoins l'expression d'un 'Pacific Way'314, voie consensuelle à travers laquelle est toujours recherché l'intérêt commun régional, et dont peuvent bénéficier les territoires ou les pays membres. Utilisé pour la première fois par Kamisese Mara315 en 1972, cette notion de Pacific Way émergea durant les premières années d'indépendance à Fidji. Aujourd'hui encore, ce terme reste un thème dominant dans le discours politique et culturel du Pacifique, et dont le but consiste en la recherche d'une identité commune dans la diversité géographique et culturelle du Grand Océan.