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B Réseau de fret et de transport maritime dans les îles aujourd'hui

Cargo conteneur de la compagnie CMA CGM

B Réseau de fret et de transport maritime dans les îles aujourd'hui

D'après un article paru dans la Revue Française d'administration publique signé P. de Deckker, les besoins en infrastructures aéroportuaires ou portuaires de chacun des archipels sont identiques, et leur absence empêche qu'ils bénéficient de biens de consommation courants. Le fait que certains archipels doivent affronter d'importantes pressions au niveau des ressources naturelles rend leur situation encore plus délicate. Tout comme c'est par exemple le cas dans de nombreuses îles en Micronésie, la terre et l'eau douce sont si limités dans les îles Tuvalu274, ou aux Tuamotu, que la construction d'installations portuaires importantes sur leurs rives n'est pas envisageable. Si l'éloignement géographique des milieux insulaires par rapport aux pôles métropolitains constitue un désavantage évident, la petitesse de nombreux atolls représente donc un inconvénient supplémentaire quant à leur capacité d'accueil d'importants navires cargo, par lesquels transite nécessairement le fret maritime au niveau international.

Si le problème n'existe pas pour de grandes îles comme la Nouvelle Calédonie, où une grande partie des marchandises est destinée à la consommation à Nouméa même, la dispersion des entités insulaires au sein de certains archipels rend aujourd'hui encore la communication délicate. Ce problème est une réalité pour Tahiti et ses îles qui représentent un véritable challenge en matière de transport aérien et maritime. De Taiohae (chef lieu administratif des Marquises) à Papeete il y a par exemple 1500 km, ce qui représente 4 jours de bateau. Aucune autre liaison n'existe cependant entre les Marquises et le reste du monde, ce qui signifie que c'est non seulement à Papeete qu'arrivent toutes les marchandises destinées à l'île de Tahiti, mais que c'est également dans ce port qu'elles sont redistribuées vers le reste des îles de Polynésie Française. Le prix des marchandises mais également les coûts du fonctionnement administratif s'en trouvent inévitablement majorés, si toutefois existe même la volonté

272 Le coût marginal étant le 'coût supplémentaire induit par la dernière unité produite'. Une escale faite dans une petite île (et donc un petit marché) par un gros cargo porte conteneurs ne peut en effet être rentable que si cette île se trouve sur la route qui sépare deux ports plus importants.

273 BENSA, A., RIVIERRE, J.C. - 1998, Le Pacifique, un monde épars, L'Harmattan, Paris.

274 État polynésien, au centre de l'océan Pacifique, au sud de l'équateur et proche des Kiribati, indépendant depuis 1978.

politique d'implanter des services sociaux, éducatifs, et économiques à l'extérieur de la capitale.275

Tahiti et Nouméa, jouent donc à la fois un rôle de collecte et de distribution dans tous les domaines, véritables plaques tournantes des voies de communication dans les territoires polynésiens et calédoniens. « C'est par ces deux poumons portuaires et aéroportuaires que la population de l'ensemble du territoire peut participer au mode de vie occidental, à des degrés divers et rapidement décroissant de Papeete vers les territoires périphériques. »276

En Polynésie

L'activité essentielle de toutes les îles polynésiennes demeure l'agriculture. Elles associent la production de tubercules, base de l'alimentation polynésienne, à la récolte de fruits mûris au sein de petits enclos familiaux. Dans tous les archipels, les actifs sont paysans/pécheurs. Cette économie se transforme toutefois sous l'effet du progrès des dessertes interinsulaires, permettant aux habitants du bout du monde de s'intéresser à un marché tahitien en pleine expansion.

Aux liaisons aériennes actuelles s'ajoute une flottille de 40 goélettes assurant le ramassage des récoltes (coprah de tous les archipels, produits maraîchers des îles Sous le Vent et des îles Australes) mais surtout l'approvisionnement des îles en produits alimentaires, en matériaux divers et autres objets manufacturés. En 1983, le trafic intérieur s'élevait ainsi à 420 000 passagers aériens, 270 000 passagers bateaux et 168 000 tonnes de fret maritime.277 J. Teaka revient sur l'arrivée des goélettes dans les îles reculées des Tuamotu peu avant cette époque: «

Les atolls avec une passe permettaient aux goélettes d'accoster directement, alors que ceux qui n'avaient pas de passe se faisait ravitailler par des chaloupes qui passaient par-dessus le récif afin d'accéder au rivage. Aujourd'hui des saignées ont été créées artificiellement. » Sur le contenu des cargaisons, J. Teaka poursuit: « Si le cargo venaient des Marquises il déposait des cabris vivants. S'il venait des Gambier, des bananes, des mangues, des oranges. L'arrivée des goélettes était presque toujours une manifestation de fête. 'Teroo te pahi' (il y a un bateau) cri de celui qui l'apercevait le premier. Tout le monde se déplaçait à son arrivée, demandait des nouvelles de la familles de Tahiti, des îles avoisinantes, invitait les gens de bord ou les touristes, proposait des rafraîchissements (coco) pour les personnes connues ou même inconnues. »278

Se rappelant lui-même avoir fait le trajet inverse, J. Teaka ajoute encore quelques mots -forts révélateurs quant à la réalité de ces liaisons interinsulaires (pourtant plus fréquentes et plus rapides que jamais) pour les populations locales dans les années 1960: « La goélette ARANUI était la principale, longue de 40 m environ. Autrefois, sa rotation pouvait durer 2 mois. Le confort durant le voyage était minimum, passagers couchés sur le pont même par mauvais temps. Mais l'arrivée à Tahiti était très émouvante, car les installations locales étaient découvertes pour la première fois par des passagers venus des îles lointaines sans

275 DE DECCKER, P. - 2002, Le Pacifique: à la recherche du développement dans un espace émietté, (Revue Française d'administration publique, n° 101 p. 157-168).

276 TOULLELAN, P. Y. (sous la direction de) – 1990, Les îles Océaniques, Encyclopédie de la Polynésie, Les éditions de l'Alizé p 17

277 DE DECCKER, P. - 2002, Le Pacifique: à la recherche du développement dans un espace émietté, (Revue Française d'administration publique, n° 101 p. 157-168).

278 Cf interview de Mr Jean Teaka

modernisation. »279 Et pour nous de rappeler que, malgré une évolution sans précédant des moyens de communication dans le Pacifique depuis la fin du XVIIIème siècle, et malgré toutes les modifications qui en ont découlé, dans les années 1960 des grands-mères tahitiennes ou de vieux hommes kanak s'émerveillaient encore devant les lumières de la ville en arrivant aux ports de Papeete, de Nouméa, ou peut-être de Port Villa.

Arrivée avec accueil traditionnel à Tahiti en 1956

En Mélanésie

En Mélanésie, l'aide extérieure a permis la mise en place d'infrastructures que les îles ne pouvaient assumer par leurs propres moyens, et la création d'emplois qui en a découlé à fait reculer l'agriculture au profit de l'emploi salarié, souvent dans les mines de nickel. Ces nouveaux salaires ont permis d'accéder à de nouveaux biens de consommation, attrayants mais inévitablement importés. Concernant cette intégration des espaces insulaires au phénomène de la mondialisation (et au développement des liens d'interdépendance entre les hommes, les activités humaines, et les systèmes politiques à l'échelle du monde qui le caractérise) le professeur P. de Deckker déclare dans son interview: « Aujourd'hui la planète est un village et les îles en font partie avec un statut spécial, je vous l'accorde. » Il précise ensuite les deux options possibles qui se présentent aux insulaires, en fonction de l'administration et du système de réseau mis en place: « Prenez appui sur l'exemple des Kiribati, peu desservies, et la Polynésie Française ou la Calédonie, très desservies. Savez-vous que l'Australie et la Nouvelle-Zélande font autant d'export vers la Nouvelle Calédonie et la Polynésie Française qu'avec le reste du Pacifique insulaire. Pourquoi? Dépendance, argent, consommation ici ; pauvreté, indépendance, là. »280 En Mélanésie cet exemple peut être repris avec la Nouvelle Calédonie, où les transferts financiers depuis la métropole représentent 35% du PIB du territoire, et le Vanuatu -pauvre mais indépendant- et où la

279 Cf interview de Mr Jean Teaka

280 Cf interview du professeur de Deckker

croissance du PIB fut de moins de 3 % en moyenne durant les années 1990. Environ 65 % de la population vanuataise vit ainsi dans les zones rurales de l'archipel, où l'économie est basée principalement sur une agriculture et une pêche de subsistance à l'échelle de petits villages.

Les dépôts de minerais y étant par ailleurs infimes, l'industrie est peu développée et approvisionne le marché local seulement. Le développement économique y est gêné par la faiblesse des exportations, la vulnérabilité aux catastrophes naturelles, et par les grandes distances qui séparent les îles et les deux villes du pays. Au Vanuatu, il n'y a aucun impôt sur le revenu, aucune retenue d'impôt à la source, aucun impôt sur les plus-values, aucun droit de succession et aucun contrôle des changes, ce qui témoigne bien d'une position clairement en marge des grands fondements économiques encore une fois liés à la mondialisation. Et pourtant, le Vanuatu a été classé comme le pays le plus heureux au monde par le très alternatif Happy Planet Index en 2006.281