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A Mise en place d'administrations coloniales

L'implantation de la France dans le Pacifique Sud insulaire s'est ainsi faite en 2 étapes:

l'époque glorieuse des marins, avec la mise en place d'un embryon d'administration, suivie de l'envoi des fonctionnaires coloniaux pour remplacer les officiers de la Marine à la tête du Protectorat Polynésien, et de l'Annexion Calédonienne.

Le Protectorat Français en Polynésie

De 1838 à 1842, pas moins de 6 navires de guerre séjournent à Tahiti. Cet intérêt manifeste de la France pour ce territoire débouche sur l'expédition du Contre Amiral Dupetit Thouars128: 7 navires transportant 1800 hommes (dont 400 soldats) débarquent à Tahiti en 1842. Ces navires qui avaient un temps apporté commerce et prospérité dans les îles (même si cela signifiaient un perte d'autonomie économique), amenèrent dans leur sillage l'administration coloniale, et la perte d'indépendance sur le plan politique. Le 9 septembre 1842, les 'îles de Tahiti' sont rattachées à la France sous la forme d'un protectorat129 et deviennent les

126 La création d'un corps de fonctionnaires spécialisés dans la gestion des territoires d'outre-mer demande du temps, au cours duquel le pouvoir appartient, la plus part du temps, aux militaires.

127 TOULLELAN, P.Y. - 1984, Tahiti Colonial (1860-1914), Publication de la Sorbonne, Paris p 191

128 Nommé Contre Amiral en 1841, Dupetit Thouars était commandant de la station navale du Pacifique à Valparaiso sur la Reine Blanche. Il signa en 1842 un traité avec la reine Pomare de Tahiti, reconnaissant le Protectorat Français.

129 Le Protectorat est une des formes de sujétion coloniale. Il diffère de la colonisation pure et simple en ce que les institutions existantes, y compris la nationalité, sont maintenues sur un plan formel. La puissance protectrice assume donc en théorie la gestion de la diplomatie, du commerce extérieur et éventuellement de l'armée de l'État protégé.

'Établissements Français d'Océanie'130 (EFO). A la demande de la reine Amélia, un autre protectorat sera par ailleurs décrété à Wallis et Futuna le 4 novembre 1843, et qui sera ratifié en 1887.

En peu de temps la mainmise de la marine sur Tahiti, puis à Wallis et Futuna, est totale.

Habitués au commandement et laissés sans directives précises, les officiers de la Marine au pouvoir ne peuvent s'empêcher d'outrepasser leurs attributions, et de s'occuper des affaires intérieures. Cette manière de faire ne sera pas sans imposer sa marque à l'administration civile qui succédera plus tard à la Marine. En Juin 1855, les marins et soldats de l'infanterie de la Marine servent en effet à tous les postes, où ils s'accomplissent de leur tâche avec compétence. En 1858, Le Messager de Tahiti écrit ainsi à propos de l'archipel de la Société:

« L'extension que prend cet admirable établissement, l'activité qui y règne, la multitude des constructions qui semblent sortir de l'eau comme par enchantement... en font l'arsenal maritime le plus puissant de tout l'Océan Pacifique. »131

Les fonctions remplies par un certain Feyzeau, représentent par exemple le modèle de ce qu'on attend des jeunes officiers envoyés dans le Pacifique en 1874. Feyzeau a ainsi tout d'abord fait fonction d'aide de camp du Gouverneur de l'époque Gilbert-Pierre, qui était lui même un Commissaire de la Marine. Le jeune Feyzeau remplit en même temps le rôle de Directeur des affaires indigènes, avant de recevoir le commandement de la goélette Aorai lancée en 1868, et qui dessert à cette époque les archipels. Il est ensuite nommé administrateur des îles Gambier, dans l'archipels des Tuamotu, à un moment où les relations avec la mission catholique et l'administration y sont particulièrement tendues. Ce marin de formation dirige donc cet archipel en maître presque absolu, soutenu seulement par des officiers distants, situation qui n'était pas rare dans la région Pacifique à l'époque.

Jamais à cours de conflit pour le pouvoir, la Marine Française ne sera cependant pas remplacée sans heurt par la véritable administration coloniale, dont l'influence se renforcera seulement après la conquête de la Nouvelle Calédonie.

L'Annexion de la Nouvelle Calédonie

A cette époque, c'est en effet vers le Vanuatu et la Nouvelle Calédonie (territoires aux antipodes de la France) que se tournent tous les espoirs. Là aussi, les navires des grands explorateurs ont été suivis de près par ceux des commerçants, puis des missionnaires. Reste que le commerce est alors sensiblement moins développé en Mélanésie qu'en Polynésie, pour les raisons de structure sociale que nous avons mentionnés auparavant, et que P. de Deckker reprend dans son interview: « La différence entre Mélanésiens et Polynésiens réside dans la formation du pouvoir de type politique: en Mélanésie, on devient chef (phénomène des Big-men)132, en Polynésie, on naît chef. » Cette structure hiérarchique mélanésienne -bien que dans son essence relativement peu différente de celle qui existait en Polynésie- minimisait cependant le détournement de biens collectifs pour le profit d'un seul, dont le statut présent

130 Les EFO sont constitués des 5 archipels suivants: l'Archipel de la Société avec les îles du Vent et les îles Sous-le-Vent, l'archipel des Tuamotu, l'archipel des Gambier, l'archipel des Australes et celui des Marquises, ainsi que les immenses espaces maritimes adjacents.

131 TOULLELAN, P.Y. - 1984, Tahiti Colonial (1860-1914), Publication de la Sorbonne, Paris.

132 Les Big-men étaient léquivalent des chefs de tribu en Mélanésie: ils leur appartenait notamment de répartir les terres en usufruit entre les familles. Malinowski a décrit ce rôle des 'Big men' chez les Trobriandais qui, en liaison étroite avec le sorcier, réglementait les diverses phases de la culture et décrétait les tabous.

n'était jamais acquis pour l'avenir. Et pour le professeur de Deckker de poursuivre et de valider cette hypothèse: « Ces sociétés sont à espace mental collectif. Il n'y a donc pas d'accumulation de capital, alimentaire ou autre, pour des bénéfices personnels et individuels.

Tout est redistribué. »133

C'est donc non pas pour défendre des intérêt commerciaux presque inexistants, mais sous prétexte d'y protéger ses missions évangélistes que le gouvernement de Napoléon III envoie des navires de guerre en Nouvelle Calédonie fin 1852. Devant la résistance plus affirmée des populations mélanésiennes, les missionnaires avaient en effet fait appel aux puissances européennes susceptibles de les aider, afin d'assurer leur assise dans la région. A l'issue de l'intervention des forces militaires envoyées par la France, la Nouvelle Calédonie est proclamée colonie française le 24 septembre 1853 par l'Amiral Febvrier-Despointes dont le discours est le suivant:

« Aujourd'hui, 24 septembre mil huit cent cinquante trois, à trois heures de l'après-midi, en vertu des ordres de mon gouvernement, je prends officiellement possession, au nom de l'Empereur et pour la France, de l'île de la Nouvelle Calédonie et de ses dépendances, sur laquelle je fais arborer le pavillon national, et je déclare à tous qu'à partir de ce jour cette terre est française et propriété nationale. »134

Repartant peu après, l'Amiral Febvrier-Despointes laissera l'un de ses officiers, le Capitaine de vaisseau Tardy de Montravel, gérer cette nouvelle colonie. C'est ce dernier qui fonda au Sud-Ouest de la Grande-Terre 'Port de France', simple garnison qui deviendra rapidement une petite ville rebaptisée Nouméa en 1866. Avec l'île des Pins (une île parsemée de pins colonnaires, au Sud de la Grande-Terre), Nouméa servira de lieu de déportation pour des condamnés de droit commun, puis par la suite pour les anciens communards condamnés par le conseil de guerre mis en place par le gouvernement Thiers.

Port de France, 1864

133 Cf interview du professeur de Deckker

134 Discours d'Annexion de la Nouvelle Calédonie et des îles Loyautés au territoire français, proclamé par l'Amiral Febvrier-Despointes, Balade (au Nord de la Grande-Terre), le 24 septembre 1853.

A la fin du Second Empire, la France qui semblait mal préparée à ces compétitions internationales, a tout de même réussi à poser un pied aussi bien en Polynésie qu'en Mélanésie. Son implantation présente cependant encore bien des aspects fragiles, notamment du point de vue des réseaux de communication: à la faiblesse relative de sa flotte militaire, succède la faiblesse effective de sa flotte marchande.